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L’accélération des transformations durant l’entre-deux crises

d’une industrie (1950-1974) Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie textile rhônalpine retrouve une

Chapitre 1 – Une dynamique tendant à la concentration

A. Le boom productif dans le moulinage

3. L’accélération des transformations durant l’entre-deux crises

Dès les premiers mois de 1964, le SGMT mentionne un ralentissement de l’activité et une hausse des stocks. Des recommandations de limitation de la production sont formulées dès la fin de 1963. La mesure est cependant peu populaire auprès des salariés, car elle signifie le recours au chômage technique partiel ; elle est globalement peu respectée. La conjoncture générale de l’industrie manufacturière est également marquée en septembre 1963 par l’application du plan de stabilisation Giscard. Ce plan est destiné à juguler l’inflation découlant du précédent plan Pinay-Rueff de 1958, qui avait notamment rétabli la compétitivité de la monnaie avec l’arrivée du nouveau franc. Il inclut des mesures de restrictions du crédit, d’abaissements de droits de douanes et d’encadrement des prix83. Son application entraîne une

contraction de la production manufacturière d’équipement jusqu’ici dopée par le « franc fort » sur les marchés intérieurs et étrangers. Dans la filière textile, outre les effets de la déprime, la pression est d’autant plus accentuée par les stocks que s’y ajoutent les risques d’obsolescence liés à la mode et l’effet de ruissellement sur les stocks des grossistes et détaillants :

Le détaillant, gêné par son stock mais aussi par les restrictions de crédits imposés par le plan de stabilisation, stoppa ses commandes au grossiste, puis celui-ci au confectionneur ou au bonnetier et le processus remonta rapidement jusqu’aux fournisseurs de fils que sont les mouliniers et les filateurs84.

En conséquence, le moulinage connaît un mouvement de grève important d’au moins quatre semaines à l’automne 1963, évoqué brièvement par le conseil d’administration du Syndicat des fabricants de soieries85. Contrairement aux industries de biens d’équipement qui affichent une reprise dès la fin de 1965, le textile voit sa récession se prolonger en raison de l’écoulement des stocks et la baisse des dépenses moyennes en habillement-ameublement. La production moulinière totale diminue d’un cinquième et le chiffre d’affaires de 19 % en un an,

83 Voir, à ce sujet, Michel-Pierre Chélini, « Le plan de stabilisation Pinay-Rueff », Revue d’histoire

moderne et contemporaine, vol. 4, n° 48, 2001, p. 102-123.

84 ADR, 153 J 18, AGO du SGMT 1965.

les effectifs de 16 % en deux ans86. Les fortunes sont diverses selon la nature des produits : la texturation fausse-torsion résiste convenablement grâce aux nouveaux produits polyesters, tandis que le moulinage sur fuseau classique s’effondre. Ce n’est qu’en 1966 que la profession récupère avec une production et un chiffre d’affaires quasi-équivalents à ceux de 1964. Les effets se font néanmoins sentir jusqu’en 1967 sur les entreprises et unités de production. L’année 1966-1967, avec 47 radiations et 55 fermetures d’usines, enregistre la plus forte réduction depuis les premières publications statistiques ; les défaillances sont plus nombreuses que dans l’ensemble de la période 1956-1963.

Graphique I-3 – Entreprises et établissements dans le moulinage français (1956-1974)

Source : SGFM/SGMT

La crise de 1965 marque le pas. Le moulinage voit s’accentuer la différenciation entre les transformateurs-marchands et gros façonniers, dotés de matériel moderne et de positions favorables à l’exportation par rapport aux façonniers et petits indépendants dont l’isolation et la vétusté matérielle promet une disparition rapide. Un autre indicateur est la répartition du

86 ADR, 153 J 18, AGO du SGMT 1967. 0 100 200 300 400 500 600 Firmes Usines

chiffre d’affaires entre usiniers et façonniers, représentant respectivement 87,9 % et 12,1 %, alors que le total des ventes reste relativement stable autour d’un ratio 45 % / 55 %87. Ce déséquilibre est inédit depuis 1952 et la fin de la crise des fils artificiels où les façonniers représentaient alors 14,1 % du total. Paradoxalement, la façon semble continuer à avoir un poids dans le tonnage total relativement important. À l’exception des chiffres d’Études et conjoncture qui indiquent une production aux trois quarts façonnière au début des années 1950, nous devons nous contenter de l’appréciation du SGMT, qui impute le maintien de la façon à une augmentation des prises d’ordres par la bonneterie et les producteurs de fils. Ceux-ci représentent désormais 60 % des livraisons. Les exportations tendent également à s’éroder avec une part dans les livraisons passée de 22,7 % en 1965 à 17,5 % en 1967. L’imminence de l’entrée en vigueur du Marché commun fait craindre l’accentuation de la concurrence de la Communauté économique européenne (CEE) qui représente 92 % des importations, mais également l’essor d’une nouvelle concurrence internationale incarnée par les États-Unis et l’Extrême-Orient (Japon, Hong Kong). Malgré cette appréhension, la profession adopte une position pragmatique et empiriste sur la question de la libéralisation du commerce international liée au Kennedy Trade Round88, résumant la « conversion au libéralisme » de la France et des « mutations pénibles » comme les moyens nécessaires à l’expansion économique. Parallèlement, elle soutient également les politiques de centralisation d’État en approuvant la création d’une « taxe textile » destinée au financement de programmes de restructuration ou modernisation. Le SGMT et le GAPIM organisent également en 1965 la création de l’Association pour le développement des fils texturés et moulinés (ADFTM), qui a pour but de mutualiser la recherche appliquée textile. Elle offre à ses adhérents un laboratoire expérimental disposant de machines polyvalentes (tissage et bonneterie) pour des essais sur différentes matières. Un partenariat est noué à ce titre avec le Centre de recherche de la soierie et des industries textiles (CRSIT), branche locale de l’Institut textile de France (ITF). La structure démarre avec l’appui d’une trentaine d’adhérents, dont les lainiers nordistes Masurel et

87 Plus précisément 43 % pour l’usine et 57 % pour la façon en 1967, dont 22 % pour d’ouvraisons

façonnière à destination des mouliniers marchands. Le chiffre est considéré par la présidence comme stable depuis les dix dernières années ; ADR, 153 J 18, AGO 1967 du SGFM.

88 Le Kennedy Trade Round est la sixième session du GATT, ouverte en 1964 et achevée en 1967. Sa

clôture s’accompagne d’une importante baisse des droits de douanes sur les produits manufactures, destinée à stimuler le développement industriel des pays du Tiers-Monde. L’industrie textile, peu capitalistique et accessible aux pays pauvres, est particulièrement sensible à ces réglementations.

Delesalle-Desmedt. Elle demeure en activité jusqu’en 1976, année où la situation de crise et la disparition d’un tiers des adhérents pousse à sa dissolution89.

Postérieurement à la crise, le moulinage récupère péniblement. Après une année 1967 de stagnation, les premiers mois de 1968 sont plus optimistes. Les évènements de mai et juin 1968 aboutissent cependant à des grèves touchant 60 % des usines. Les arrêts de travail sont divers, du simple débrayage à des arrêts totaux sur deux ou trois jours, avec des cas exceptionnels jusqu’à une vingtaine de jours. Le SGMT précise « qu’en bien des cas les usines ne s’arrêtaient que sur pression d’éléments extérieurs aux entreprises ». La reprise du travail est effective le 4 juin, après la signature le 30 mai d’un accord de branche négocié par l’Union des industries textiles (UIT) dans le cadre des accords de Grenelle90. Il en résulte une inflation

salariale de 16 à 22 % selon les localités et les qualifications professionnelles, à compenser sur les prix. La profession intervient auprès des pouvoirs publics pour obtenir des mesures correctives. Le gouvernement accorde une aide à l’exportation, la suppression de la taxe sur les salaires pour les industriels et commerçants et des « aides à l’investissement » vraisemblablement basées sur un précédent de 1967. Elle dénonce cependant bien vite la faiblesse de ces mesures : l’aide à l’exportation est supprimée dès janvier 1969 et les aides à l’investissement sont neutralisées par la hausse des taux d’intérêts. Les exonérations de taxes concernant des prélèvements exclusifs à la France, le SGMT fait remarquer que, tôt ou tard, le gouvernement aurait été amené à s’aligner sur la fiscalité européenne et que ce coup de pouce passe davantage pour une harmonisation accélérée. Pourtant, l’activité moulinière ne faiblit pas et enregistre un nouveau record de production à 61 500 t en 1969, dont 3 400 t de moulinés polyamides et 10 200 t de moulinés polyesters, ces derniers enregistrant la plus forte augmentation (+ 35 % en environ par rapport à l’année précédente). Cette activité est soutenue par des investissements plus importants, qui représentent en 1968-1969 7,9 % du chiffre d’affaires total de la profession contre 6 % en moyenne auparavant91. Le chiffre d’affaires

enregistre également une belle progression de 34,7 % par rapport à 1968 et franchit le cap symbolique de 1,2 milliard de francs, dont 22 % à l’export. Des signes d’essoufflement se

89 ADR, 153 J 67, ADFTM, dossier n° 2.

90 Les accords de Grenelle sont négociés les 25 et 26 mai 1968 entre représentants du gouvernement,

des syndicats ouvriers et patronaux dans un contexte social extrêmement tendu après le ralliement de la représentation ouvrière aux manifestations étudiantes de mai 68. Ils aboutissent à une augmentation salariale de 10 % en moyenne et à la création des sections syndicales d’entreprises. Voir, à ce sujet, Serge Volkoff, « Les salaires en 1968, année de Grenelle », Economie et statistique, n° 14, 1970, p. 3- 9.

manifestent cependant sur les marchés dès le premier trimestre 1970. Le SGMT reprenant une lettre d’analyse du Centre textile de conjoncture souligne pourtant que « le climat psychologique paraît se dégrader plus rapidement que les indices objectifs de l’évolution de la conjoncture »92. Outre les aléas saisonniers, ce climat est entretenu par l’accroissement de la concurrence, de la rigueur financière et du niveau des prix désormais proches du seuil de rentabilité. Des initiatives de rationalisation sont organisées : mise en place d’une étude de normalisation des méthodes de fabrication et mise au point d’une méthode simplifiée pour la détermination du prix de revient, organisation d’un congrès international textile tenu à Lyon regroupant 18 conférenciers, 1 150 congressistes du producteur au consommateur et quelques personnalités gouvernementales93. Elles ne peuvent cependant pas masquer la réalité des importations qui attire désormais toutes les attentions. Les mouvements connaissent une hausse spectaculaire en 1968-1969 de 120 t par mois en moyenne à 500 t. La production étrangère importée représente 22 % de la production française, avec un déséquilibre particulièrement important dans le domaine des texturés polyester, qui s’élève à 50 % de la production nationale et dont la balance commerciale est déficitaire à hauteur de 20 %. La France a privilégié son matériel polyamide amorti et investi tardivement dans le polyester, mais la profession pointe davantage la surcapacité européenne que la sous-capacité nationale, avec une concurrence travaillant « sinon à perte, du moins à la limite du seuil de rentabilité ». Les mouliniers français amènent la question à l’ordre du jour de l’AEM et obtiennent une réponse évasive qui illustre le malaise sur le sujet :

L’Association européenne du moulinage a tenté d’éclaircir ce problème au cours des récentes réunions de Bruxelles, mais dans ce domaine il est difficile d’obtenir des indications sincères. La question ayant été abordée sous la forme précise : « La valeur ajoutée permet-elle d’absorber les frais généraux et d’amortir le matériel en sept ans ? ». La réponse a été à peu près unanime dans les termes suivants :

Pour le 70 deniers94, certainement pas,

Pour le 20 deniers, on est à la limite de la possibilité d’amortissement, Pour le polyester, la question n’a pas reçu de réponse.

92 ADR, 153 J 18, AGO 1970 du SGMT.

93 Id.

94 Unité utilisée pour le titrage des fils basé sur un rapport poids/longueur. Un denier correspond à

9 000 m de fil pesant un gramme. Les fils 20 deniers très fins sont essentiellement utilisés dans la lingerie (bas), ceux de 70 plus épais sont utilisés plus largement en bonneterie.

Alors, cela n’est pas normal et il est urgent qu’il soit mis un terme à une surenchère ruineuse pour la substance de nos entreprises95.

En réponse à l’ouverture des marchés, le SGMT fait une rétrospective critique de la profession sur les transformations opérées durant les années 1960. Le moulinage a muté vers une industrie de capital portée par des investissements de haute technicité, coûteux et en constant renouvellement. La diversification des marchés pousse au « gigantisme » des entreprises, mais les besoins de plus en plus spécifiques des consommateurs laissent une fenêtre d’opportunité pour les petites et moyennes entreprises, perdantes apparentes du grand mouvement de concentration. Le constat initialement prudent se conclut sur une note optimiste concernant la solidité de la concurrence européenne, plus standardisée, mais dont la position ne serait pas acquise pour autant96. La main-d’œuvre, moins nombreuse mais plus spécialisée, demande une formation professionnelle plus spécifique et une implication de plus en plus importante dans la vie de l’entreprise via les instances de représentativité. La profession signe à ce titre les accords sur la formation professionnelle de juillet 1970 et la mensualisation d’octobre 1970, mesure qui « provoque un état sécurisant en même temps qu’il concourt à rétablir une égalité humaine apparente chère à certains penseurs ou militants, et limite l’attrait du secteur tertiaire », en regrettant néanmoins son poids sur les charges sociales97. Signes de la

technicisation du personnel ouvrier, les offres de formation se multiplient pendant cette même période. Un centre de formation partiellement financé par le syndicat ouvre à Labégude (Ardèche) en avril 1969 et dispense en une année 22 000 heures de formation pour plus de soixante-dix stagiaires. De même, un projet de section textile au collège d’enseignement technique à Aubenas bénéficie du concours du SGMT98. La création d’un certificat d’aptitudes professionnelles moulinage-texturation est également mentionnée.

L’activité 1970 confirme le palier observé avec un ralentissement de l’activité synthétique et une contraction importante du tonnage de soie (- 24 %), de rayonne (- 21 %) et des acryliques/chlorofibres (- 60 %) compensés par l’activité polyester satisfaisante. La présidence du SGMT dénonce des ajustements de prix sur la matière première ayant entraîné une déflation des prix de vente, des mouvements spéculatifs et une dégradation des relations entre membres de la filière semblable à celle déjà observée l’année précédente. Elle regrette

95 ADR, 153 J 18, AGO 1970 du SGMT.

96 Id.

97 Id.

également la rigidification de l’accès aux crédits de la Caisse nationale des marchés d’État et bancaires. La première demande une orthodoxie financière devenant difficile à assumer pour des entreprises devant consentir à des investissements matériels de plus en plus lourds, tandis que les banques sont accusées de privilégier le chiffre d’affaires comme gage de solidité économique plutôt que la valeur ajoutée du produit99. Le moulinage se retrouve dans une situation paradoxale, à la fois ennuyé par le poids administratif croissant sur la vie des entreprises et suspendu en partie à l’action de ses organismes de planification territoriale (sociétés de développement territorial et institut de développement industriels principalement100). La profession salue néanmoins l’action de subvention du Comité

interministériel pour le renouvellement de l’industrie textile (CIRIT), dont la mise en place en 1965 a permis « aux uns une mort honorable […] aux autres l’accession à une expansion nouvelle », approuvant tacitement la concentration organisée qui s’opère depuis quelques années101. Cette même année, la production de fibres chimiques dépasse pour la première fois celles de fibres naturelles, selon les études du Comité international de la rayonne et des fibres synthétiques (CIRFS) qui prévoit une évolution continue des synthétiques dans la consommation totale textile : 5 % en 1960, 21 % en 1969, 39 % en 1980. Les fibres polyester sont également amenées à dépasser à terme le tonnage des fibres polyamides102. La consommation moyenne de textiles par tête en France est passée de 9 kg en 1950 à 11,6 kg en 1970, soit 29 % d’augmentation, stimulée par la jeunesse qui représente 27 % de la clientèle. Durant l’exercice 1970-1971, une reprise timide s’amorce par le polyester, mais le moulinage connaît de grosses difficultés sur le marché américain en raison d’une taxation à 10 % sur les importations et surtout la suppression simultanée de la convertibilité du dollar. Le moulinage français, peu implanté sur le marché américain, reste relativement épargné des conséquences directes. Cependant, les revendeurs de texturés bloqués sur ce marché commencent à détourner les volumes refusés sur le marché européen dès l’automne. Des brèves de presses rapportent la fermeture d’usines de polyamide et polyesters dans ce contexte de concurrence accrue en

99 Id.

100 L’Institut du développement industriel (IDI) est créé en 1970 à l’initiative de l’État sous un statut

parapublic. Il se destine à l’accompagnement de PME françaises en fonds propres. Il est ultérieurement privatisé en 1987, date à laquelle il a apporté environ 3,5 milliards de F à 300 entreprises ; source : Question écrite du député socialiste Paul Loridant à propos de la privatisation de l’institut de

développement industriel, Journal officiel de la République française, Sénat, 1er octobre 1987, p. 1552.

101 ADR, 153 J 18, AGO 1971 du SGMT.

Allemagne et en Hollande103. La course à l’investissement donne lieu à une réflexion du moulinage français sur un « principe de sagesse », que la profession se garde bien de qualifier de « malthusianisme ». Le SGMT dénonce les effets multiplicateurs de l’investissement, nourris par des plans de développement jugés démesurés. La présidence du syndicat y oppose une vision intuitive :

En effet, l’investisseur qui aurait le même sentiment que moi sera enclin à penser que cet état de fait [la surproduction] n’appartient plus au domaine conjoncturel […] mais au domaine à long terme :

Il estimera que la lutte sans merci que se livrent entre eux producteurs nationaux et internationaux se perpétuera dans le temps ;

Il observera que la structure économique et financière du moulinage français est totalement différente de celle de ses concurrents […] dont les intérêts sont maintenant intégrés à ceux de leurs fournisseurs, ce qui peut avoir pour conséquence d’affaiblir sa puissance relative ;

Il craindra que les marchés d’exportation ne se rétrécissent considérablement du fait même que les pays importateurs accélèrent leurs équipements ;

Il s’apercevra que la place que tiennent les textiles naturels et d’une manière générale la fibre est encore très importante ;

Il surveillera l’impact de certaines innovations, telles que les non-tissés, etc… […] Il devient donc nécessaire d’utiliser plus amplement les techniques du marketing – au plan individuel comme au plan collectif. Au plan individuel, l’entreprise doit rechercher les segments de marché générateurs de profit, tenter de diversifier ses produits pour intéresser des secteurs de clientèle plus nombreux et d’une manière générale, innover, détecter et connaître les besoins de ses clients104.

L’installation durable de la surproduction tend à confirmer que le moulinage est arrivé à maturité industrielle. Son modèle productif s’est standardisé, au prix d’une réduction de sa flexibilité. La nouvelle génération de machines-outils, incarnée par la fausse-torsion mise au point en 1957 puis le fuseau lourd en 1962, privilégie la productivité d’une sélection restreinte de produits à la polyvalence d’articles plus divers mais produits en plus petites séries. La nécessité d’une diversification de la production survient donc à contre-courant de la tendance

103 ADR, 153 J 18, AGO 1972 du SGMT.

industrielle amorcée depuis l’après-guerre. La rigidification des acteurs économiques fige d’autant plus la marge de manœuvre des mouliniers : le marché américain faiblement pénétré par la production française est fermé par ses tarifs d’importations ; l’activité crédit de la Renosoie est de plus en plus restrictive et pousse les entreprises vers des solutions plus coûteuses. Les mesures de libéralisation sont diversement accueillies : la liberté des prix qui allège la contrainte administrative des entreprises est appréciée, la tolérance vis-à-vis des importations beaucoup moins. Contrairement aux remarques passées sur la question des importations, le moulinage pointe désormais du doigt non la concurrence intra-CEE mais celles des pays de l’Est (dits « à marché d’État ») et les pays d’Asie (Japon et Taïwan en tête), cependant encore marginale. La profession se fait également critique à l’égard des autorités communautaires accusées de se livrer à l’abandon du textile européen en favorisant l’importation massive d’articles hors-CEE105. Malgré ce constat, le moulinage envisage des

possibilités d’avenir dans le domaine de la texturation par la mise au point de nouveaux procédés. Il s’appuie sur l’accroissement de la consommation de fibres synthétiques et un renforcement de la spécialisation des procédés de transformation. L’avenir des entreprises est également conditionné par la nature de leurs débouchés. Les moulineurs-texturateurs classiques demeurent libres dans leur stratégie industrielle, tandis que les texturés-producteurs, c’est-à- dire les façonniers travaillant pour le compte des filatures, sont dépendants de leur politique. Une production intégrée pourrait donc venir concurrencer le moulinage indépendant, possibilité qui se profile chez Rhône-Poulenc à la suite des grandes restructurations de 1969-1972.

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