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L’exception de l’intégration totale, les Tissages de soieries réunis

Document II-1 – Réseau industriel (en noir) et commercial (en blanc) de la MRC, années

3. L’exception de l’intégration totale, les Tissages de soieries réunis

Le troisième pilier du syndicat Hélanca, les Tissages de soieries réunis (TSR), se distingue par l’intégration de la quasi-totalité de la filière, du moulinage à la bonneterie. Si l’intégration partielle de l’activité n’est pas un phénomène inconnu dans la région, les travaux de Pierre Vernus ayant déjà illustré ce phénomène avec Bianchini-Férier et sa filiale de Tournon, elle atteint rarement un tel degré, qui ne peut être comparable qu’avec des sociétés de niche aux structures très singulières comme le veloutier JB Martin, sur lequel nous reviendrons ultérieurement. Les TSR puisent leur origine dans une des nombreuses petites affaires de moulinage ardéchoise constituées dans les années 1860. Un certain Ferdinand Glaizal, originaire de Vanosc (Ardèche) (1828-1893) implante dans la commune voisine de Quintenas une usine sur la rivière Cance. Cet entrepreneur est issu d’une famille profondément enracinée dans l’industrie soyeuse, lui-même fils de moulinier et sa fratrie se destinant également au métier. Le fils unique de Ferdinand Glaizal devient négociant en soie et a deux fils, dont l’aîné Émile (1890-1950) reprend l’affaire de son grand-père. Cette affaire change de mains en 1911 pour ne revenir dans le giron familial que bien plus tard, en 1930. Entretemps, Émile Glaizal épouse en 1914 sa cousine au deuxième degré Marcelle Glaizal et reprend une affaire de soieries à Satillieu (Ardèche) appartenant à feu son beau-père décédé en 1909. Mobilisé pendant la guerre, Émile est récompensé de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur173. Il fonde en 1919 une première société, les Ets Émile Glaizal, avec trois unités de production. Cette affaire persiste au moins jusqu’en 1927, date de sa fusion avec les TSR. Ceux-ci sont fondés en 1920, toujours à l’initiative d’Émile Glaizal, conjointement avec un fabricant de soieries de Lyon nommé Joseph Février (1884-1968). L’entreprise commence son activité comme maison de négoce exploitée en société anonyme avec un siège social situé à Lyon et le fonds de commerce apporté par Février. Le capital social initial est de 1,2 million de F répartis en 2400 actions de 500 F. Cette affaire est détenue par seulement onze actionnaires, dont les principaux sont les deux fondateurs (800 actions pour Glaizal et 400 pour Février), Xavier Glaizal, grand-oncle d’Émile mentionné comme industriel à Vanosc (300 actions) et deux extérieurs, Joseph Deriol (260 actions) et Francisque Deville, négociant à Saint-Étienne (100 actions)174. Son histoire

173 Archives historiques du groupe Crédit Agricole (AHGCA), fonds Crédit lyonnais, DEEF 52555,

AGO des TSR 1940.

174 Base de données des entreprises régionales, Hervé Joly, François Robert, Alexandre Giandou, entrée

durant l’entre-deux guerres s’écrit en pointillés faute de sources, mais la société connaît un développement certain grâce aux textiles artificiels, illustré dans les actes par trois augmentations de capitaux en 1921 (2 millions), 1925 (3 millions) et 1927 (10 millions, correspondant à l’absorption des Ets Glaizal). Les documents issus de la direction des études économiques et financières du Crédit lyonnais permettent de retracer son activité à partir de 1938. À cette date, le capital est toujours de 10 millions de F. Le conseil d’administration rassemble le minimum statutaire de trois membres, témoignant d’une affaire très personnelle et centralisée : Émile Glaizal à la présidence et deux administrateurs délégués, Joseph Février et Charles Freyria (1886-1960), également fabricant de soieries à Lyon175. Son appareil industriel

ne peut être mesuré que par les immobilisations de ses actifs, lesquels totalisent 11,4 millions de F répartis entre au moins deux usines à Satillieu (7,4 millions), les bureaux commerciaux de Lyon-Paris (4,1 millions), au moins deux usines à Annonay (2,1 millions), une usine à Grand- Croix (Loire) et à La Terrasse-sur-Dorlay (Loire, 1 million chacune). La société compte également 2,7 millions de F de participations diverses et 7 millions de F de stocks répartis entre Lyon et Annonay. Au total, elle cumule près de 36,2 millions de F d’actifs176. Elle a de plus une filiale anglaise, la Fashion Silk Rayon Weaters LTD avec une participation de 1,5 million de F177. Les TSR enregistrent sur l’exercice 1937 un bénéfice assez important de 1,2 million de F, plus 1 million de bénéfices antérieurs reportés, témoignant d’une santé financière relativement solide dans une période incertaine. Le versement du dividende statutaire est même assuré. Le rapport du conseil d’administration admet qu’il est difficile de faire des prévisions et que l’entreprise vit au jour le jour en ajustant son action à ses moyens. En 1940, le rapport donne quelques détails supplémentaires : l’entreprise a déjà entamé une stratégie d’intégration verticale, comprenant moulinages et tissages dont les produits sont commercialisés sous les marques Panache et Murelia. Charles Freyria, démissionnaire pour raisons fiscales, est remplacé par sa femme au conseil. L’année suivante, Mme Joseph Février intègre le conseil après la démission de son mari en raison de la nouvelle loi de novembre 1940 sur le cumul des fonctions au sein des sociétés anonymes. La société confirme sa bonne santé en enregistrant un

175 La société semble avoir eu au moins deux autres administrateurs entretemps démissionnaires, Joseph

Dériol et Lucien Jacquelin, le premier à la constitution de la société, le second à partir de 1925.

176 AHGCA, fonds Crédit lyonnais, DEEF 52555, AGO des TSR 1938.

177 Dans le bilan de 1938, la société est mentionnée sous le nom « FSR Londres » dans la rubrique des

participations, son existence n’est attestée à proprement parler qu’en 1942 où le rapport mentionne cette année le décès de Charles Cottaz, directeur de ladite société. Ce n’est qu’en 1952 que la raison sociale exacte de l’entreprise est explicitée. Source : AHGCA, fonds du Crédit lyonnais, DEEF 52555, AGO des TSR 1942.

bénéfice de 6,7 millions de F pour l’exercice 1938-1939. Cet exercice bénéficiaire est renouvelé en 1939-1940, malgré la guerre et la défaite avec 3,3 millions de F d’excédent. Deux techniciens de l’entreprise, Pierre Chambon et Jean Dufaud, complètent le conseil d’administration qui compte désormais cinq membres. Le rapport du conseil, très bref, évoque simplement la sauvegarde de conditions de vie et de travail normales pour les salariés, y compris les mobilisés. La période de l’Occupation semble coïncider avec une période d’expansion : deux nouvelles usines sont mentionnées dans le bilan de 1942 à Livron (Drôme, 600 000 F d’immobilisations) et Vals-les-Bains (Ardèche, 400 000 F d’immobilisations). L’entreprise reste par ailleurs bénéficiaire (5 millions de F) grâce à l’activité de son fil artificiel Hélanca obtenu en concession du suisse Herbelein, qui compense les restrictions sur les matières premières. Un emprunt obligatoire de 20 millions de F est même contracté pour anticiper la reconstitution des stocks après-guerre. Les informations sur l’affaire anglaise restent très vagues et le conseil appréhende surtout la mise en place des comités d’organisation, fer de lance du corporatisme du régime de Vichy178. En raison des circonstances exceptionnelles de la Libération, le bilan de l’exercice

1943-1944 n’est présenté qu’en mai 1945. Les TSR ont entretemps effectué, en 1940 et 1942, des augmentations de capital sur réserves pour atteindre les 30 millions de F. Émile Glaizal, soupçonné de collaboration économique, quitte la présidence à la Libération avant de bénéficier d’un non-lieu en 1946. Joseph Février occupe le fauteuil par intérim. L’actionnariat évolue également, Émile Glaizal ne figurant plus parmi les deux plus forts actionnaires aux côtés de Charles Freyria. Son gendre François Callies (1916-2005), un jeune ingénieur centralien issu de la famille propriétaire des Papeteries Aussedat à Annecy, prend cette position. La société connaît deux années difficiles ; elle est obligée de mettre à l’arrêt deux unités de production Hélanca (le fil lui-même étant considéré comme ersatz laineux) faute de matière première. Cette pénurie se poursuit après l’armistice ; le conseil d’administration envisage la fermeture complète des usines (celles de Livron et de Vals l’étant déjà) et la mise au chômage du personnel si aucune amélioration sur le marché de la rayonne ne survient. La société est à l’équilibre, mais son bénéfice brut (44,4 millions) est largement dépassé par le total des charges (52 millions) et l’excédent assuré par les profits annexes (7,2 millions) sont assignés à une provision pour reconstitution des stocks. Mesdames Février et Freyria ainsi qu’Émile Glaizal démissionnent

178 Dans le cas de l’industrie textile, il existe un comité général, le comité général d’prganisation de

l’industrie textile (CGOIT) et un comité de branche pour les soies et rayonnes (COSR), pour plus

d’informations, voir Henry Rousso, « L’organisation industrielle de Vichy », Revue d’histoire de la 2e

guerre mondiale, 1979, n° 116, p. 27-44 et Hervé Joly, « Les comités d’organisation : un ensemble vaste

et disparate », in du même (dir.), Les Comités d’organisation et l’économie dirigée du régime de Vichy, Caen, Centre de recherche d’histoire quantitative, 2004, p. 83-94.

de leur poste d’administrateurs, les deux premières étant remplacées par leurs époux. La conjoncture s’améliorant, les craintes de fermeture s’évanouissent dès l’exercice fiscal 1945 et la société rouvre même l’usine de Livron, celle de Vals étant sous séquestre dans le cadre de l’enquête sur Émile Glaizal. Cette bonne marche est entretenue par les exportations, principalement à destination de l’Angleterre, de la Suisse et de la Belgique179. Une

augmentation de capital par réévaluation de l’actif (immeubles et matériel) porte le capital social à 60 millions de F. Les actifs totaux s’élèvent à 202 millions de F, dont 66,3 millions d’immobilisations, 25 millions de F de participations et 58 millions de F de stocks. En 1947, un nouvel administrateur est nommé : Antoine Cottaz, cadre de l’entreprise, frère du défunt directeur de la filiale anglaise et membre du conseil de direction. La réouverture de l’usine de Vals est confirmée et le versement des dividendes, après une interruption entre 1942 et 1945, reprend avec 6 % statutaires plus 4 % supplémentaires. À l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire la même année, une augmentation par réévaluation de l’actif gonfle le capital à 100 millions de F, par création de deux actions nouvelles pour trois anciennes.

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