• Aucun résultat trouvé

Le succès des actions interprofessionnelles

enseignements du modèle productiviste

A. Une crise par paliers

3. Le succès des actions interprofessionnelles

Malgré les difficultés financières, l’UNITEX enregistre d’importants succès du côté de son service promotion, alors que l’image de la fabrique lyonnaise se dégrade dramatiquement durant la crise. Le syndicat hérite notamment du salon Première Vision, fraîchement créé en 1974 par une quinzaine de soyeux lyonnais assisté par la cellule promotion de la défunte Fédération de la soierie. Cette création survient durant une période de mutation profonde de la promotion textile, s’inscrivant plus globalement dans la transition de l’ancienne propagande à la publicité moderne. La promotion textile s’inscrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la tradition des grandes foires de consommation, où le textile ne s’insère qu’en tant de bien de consommation parmi d’autres302. Les manifestations ad hoc s’organisent exclusivement dans le

cadre d’expositions internationales selon le règlement du Bureau international des expositions (BIE), gérées par le Comité européen des constructeurs de machines textiles (CEMATEX). La

300 Fonds UNITEX Irigny, réunion d’information d’UNITEX, 1981.

301 Fonds UNITEX Irigny, AGE d’UNITEX 1983.

302 Voir les travaux de Claire Leymonerie, en particulier « Le Salon des arts ménagers dans les années

1950. Théâtre d'une conversion à la consommation de masse », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2006/3, n° 91, p. 43-56.

première exposition est organisée à Lille en 1951 et attire 1,5 million de visiteurs payants. Malgré la mise en avant bien logique des lainiers et cotonniers locaux, le textile rhodanien y a acquis une visibilité notable grâce au nylon, avec la participation de personnalités telles que Ennemond Bizot du CTA et Louis Bothier de la FS au comité d’exposition. Les éditions ultérieures se déroulent à l’étranger, à l’exception de celles de 1971, 1987 et 1999 qui se tiennent à Paris. Avec l’augmentation du niveau de vie dans les années 1950, le textile prend une place de plus en plus importante dans ces foires. En 1959, la société allemande Messe Frankfurt, organisatrice des foires de Francfort-sur-le-Main, décide de créer un salon semi- annuel exclusivement textile (Interstoff), après avoir constaté une augmentation significative de l’activité à partir de 1955. Ce nouveau salon reçoit un soutien du textile international, y compris français, et s’impose très rapidement comme le salon de référence. La première édition rassemble 82 exposants, dont 44 étrangers, pour 2 603 visiteurs-acheteurs. En 1974, la trentième édition rassemble 697 exposants, dont 524 étrangers, pour 22 627 visiteurs-acheteurs. L’activité d’Interstoff domine une période charnière où la promotion n’est plus seulement une question d’exposition, mais également de prise de température pour la mode à venir, avec la généralisation du prêt-à-porter et de la fast fashion303. Les contraintes de l’organisateur allemand se heurtent cependant au désir de visibilité des producteurs français. Des discussions intra-syndicales commencent dès 1968 sous l’égide de Jean Ducharne des Soieries Ducharne, dans l’objectif d’éliminer les intermédiaires (grossistes et Interstoff) entre industriels et clients. La création d’un salon indépendant semi-annuel est entérinée en 1974 sous l’égide de quinze entreprises régionales et du permanent de la FS Bernard Dupasquier, qui devient directeur général de la société sous la présidence de Robert Brochier. La première édition se tient en 1974 à l’hôtel Sofitel de Lyon et expose des producteurs exclusivement issus de la Fabrique et affilés. Dès la quatrième édition, le salon s’exporte au parc des expositions de Paris Porte-de-Versailles, où il confirme son succès sur la scène nationale au rythme de deux sessions annuelles printemps/automne étalées sur trois à six jours. La fréquentation s’élève à 6 000 visiteurs, dont 45 % d’étrangers venus de 58 pays. À l’occasion de ce transfert, le salon s’ouvre aux exposants lainiers et divers dès octobre 1977, aux cotonniers en octobre 1978 et aux exposants étrangers en 1980.

303 Sur le rôle de l’Interstoff dans l’événementiel textile, voir Ben Wubs, « The Internalization of Fashion

Forecasting in the World’s Most Important Fashion Fabric Fair », in Regina Lee Blaszczyk, Ben Wubs (dir.), The Fashion Forecasters : A Hidden History of Color and Trend Prediction, Londres, Bloomsbury Visual Arts, 2018, p. 167-190.

Graphique IV-4 – Exposants au salon Première Vision (1977-1984)

Source : Archives privées Daniel Faure

La promotion de Première Vision s’accompagne d’une campagne de publicité de presse agressive reprise par plusieurs journaux locaux (Le Journal de Lyon, Le Tout-Lyon et Le Progrès principalement). Le succès du salon a assurément contribué à la sauvegarde du textile rhodanien en créant un nouveau pôle de création pour une place en perte de vitesse. Les manchettes de presse consacrées à la soierie lyonnaise durant l’entre-deux chocs pétroliers se caractérisent en effet par une description crépusculaire de la profession, avec la récurrence de la disparition du canut lyonnais, un constat symbolique mais éloigné des réalités des tisserands, en difficulté dès les années 1950. Au début des années 1980, cette dépréciation laisse place à une revalorisation de l’image de marque lyonnaise, que Bertrand Dupasquier résume dans le bilan du service promotion de l’UNITEX de 1983 :

Cette nouvelle image d’une profession considérée précédemment comme déclinante, ou même en voie de disparition plus ou moins lente, a été l’objectif constant de la politique 0 50 100 150 200 250 300 350

développée depuis plus de dix ans au sein d’UNITEX Promotion. Elle reflète aujourd’hui les changements positifs de comportement professionnel sur lesquels débouche cette politique. […]

Ce résultat procède, pour l’essentiel, de la dynamique « Première Vision » et de son « effet structurant » sur l’ensemble de la Profession qui a conduit, en quelques années, les fabricants d’abord, puis toute la filière textile Mode régionale, à se décloisonner progressivement mais sûrement pour mettre en place :

- Une écoute organisée et prospective des marchés de mode

- Une concertation axée sur la proposition de tendances pour la promotion des Tissus de Lyon. 304

Cet état d’esprit contraste avec les initiatives de promotion jusqu’ici cantonnées aux syndicats de branche et témoigne d’une évolution de la mentalité patronale vers une réflexion interprofessionnelle. En parallèle, des expositions plus spectaculaires sont organisées : en juillet 1977, à l’initiative d’Hilaire Colcombet, gérant des soieries Bucol, l’UNITEX, en partenariat avec l’Agence pour le développement économique de la région lyonnaise305 (ADERLY) et le

couturier Pierre Cardin, organisent la première de la collection « Pèlerin » à l’aéroport de Satolas, en réaction au salon italien Ideacomo ayant fait forte impression auprès des industriels lyonnais. L’évènement est couvert par 250 à 300 journalistes, dont les deux tiers venant de l’étranger, affrétés par un Airbus et restaurés par le tandem Paul Bocuse et Alain Chapel306.

D’autres initiatives parallèles sont mises à pied d’œuvre dans le même intervalle, notamment du côté de la formation. Nous avons souligné précédemment la technicisation croissante au cours des années 1960 avec la transition de l’ouvrier non-spécialisé au technicien flexible, qui appelle à de nouvelles demandes de savoir-faire. En 1974, la profession crée le Centre de perfectionnement des industries textiles Rhône-Alpes (CEPITRA), spécialisé dans la formation continue de personnel textile, qui doit compléter l’offre de formation initiale essentiellement assurée par la Chambre d’apprentissage des métiers de la soie (CAMAS)307 et la Société

304 Fonds UNITEX Irigny, AGE d’UNITEX, 1983.

305 L’ADERLY est une agence de prospection et de conseil aux entreprises créée en 1974 à l’initiative

de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) afin d’accompagner l’implantation des entreprises dans la région lyonnaise.

306 Fonds UNITEX Irigny, AGO d’UNITEX, 1979 et Bref Rhône-Alpes, « Première collection haute

couture à Lyon-Satolas avec Pierre Cardin », 15 juin 1977.

307 La chambre d’apprentissage des métiers de la soie et du textile est fondée en 1925 pour assurer la

distribution de la taxe d’apprentissage nouvellement créée entre l’École de tissage et les formations professionnelles de la SEPR. Encore en activité aujourd’hui, elle assure la gestion de sept centres de

d’enseignement professionnel du Rhône (SEPR). L’établissement compte deux sites, le siège à Lyon et une antenne éphémère à Voiron (Isère). L’offre professionnelle se heurte bien logiquement à l’absence de perspectives induites par l’effondrement de l’emploi textile. À ce titre, les travaux des historiennes Marianne Thivend et Sylvie Schweitzer évaluent les besoins annuels établis par la CAMAS pour la région en 1956 à environ 600 ouvrières, mécaniciens et employés divers. En 1978, les effectifs toutes formations textiles (CPPN, BEP, CAP) s’élèvent à seulement 231 élèves. Le CEPITRA fait donc face à une baisse d’activité la même année, aboutissant en 1981 à la fermeture de l’antenne de Voiron. Sur l’activité de l’institution, nous ne disposons pas de chiffres, les comptes-rendus d’activité du service Promotion UNITEX se bornant à un paragraphe purement synthétique308.

Une dernière initiative notable répondant à la fois aux besoins de visibilité et de continuité technique pour le textile rhodanien est la constitution du Centre textile contemporain (CTC) en 1979, qui se veut être un organisme de liaison hybride entre les organismes purement techniques du Centre de recherches de la soierie et des industries textiles (CRSIT) de Lyon affilié à l’Institut textile de France (ITF), les acteurs culturels tels que le Musée des tissus de Lyon et les école de formation. L’établissement est doté d’un budget de 1,6 million de F fournis par les cotisations des diverses subventions de l’UNITEX, du CIRIT, du CEPITRA, de la région Rhône-Alpes et de la ville de Lyon. Le conseil d’administration, très éclectique, rassemble des industriels, des gestionnaires et des acteurs culturels. On y trouve le tisseur Jacques Brochier à la présidence, le moulinier Didier Tardy à la vice-présidence, l’ennoblisseur Georges Perbet à la trésorerie, le directeur de l’ADERLY Jean Chemain, le directeur de l’école supérieure de commerce de Lyon Jacques Lagarde, le conservateur du Musée des tissus Jean-Michel Tuchscherer, le conservateur du Musée des arts décoratifs de Paris François Mathey et la vice- présidente du Centre international d’étude des textiles anciens, Krishna Riboud, par ailleurs épouse du patron de Schlumberger Jean Riboud309. La direction est assurée par Malite Matta, créatrice passée chez Jacques Fath et Dior, proche des milieux surréalistes et d’André Breton,

formation d’apprentis (CFA) dans la région rhodanienne et d’un lycée privé professionnel. Voir, à ce sujet, Marianne Thivend et Sylvie Schweitzer, État des lieux des formations techniques et

professionnelles dans l’agglomération lyonnaise. XIXe siècle – Années 1960, document en ligne,

histoire.ec-lyon.fr/docannexe/file/1398/larhra0001.pdf (dernière consultation le 18 novembre 2020).

308 Fonds UNITEX Irigny, AGO de l’UNITEX, 1979.

309 Bref Rhône-Alpes, « Centre textile contemporain : constitution officielle sous la présidence de

ex-femme du peintre chilien Roberto Matta310. Le CTC implanté dans les locaux d’UNITEX montée de Choulans se dote d’un service d’information permanente mode et marché, d’ateliers de formation permanente en liaison avec l’école de tissage et d’un service documentaire- filothèque. La création du CTC est vue d’un mauvais œil par les petits ateliers indépendants survivants qui voient au travers du prisme de la patrimonialisation le début d’une muséification de la soierie et sa condamnation industrielle à terme.

C. L’inextricable problème des importations : le

Outline

Documents relatifs