• Aucun résultat trouvé

Les groupements d’intérêts économiques, un statut spécifique peu différencié

Document II-6 – Ouvrières de la société Brochier sur un métier à tisser le verre,

C. Des concentrations de compromis dans les petites affaires

2. Les groupements d’intérêts économiques, un statut spécifique peu différencié

Le groupement d’intérêt économique (GIE) est une structure intermédiaire créée par l’ordonnance du 23 septembre 1967 se situant entre l’association et la société. Flexible mais offrant la possibilité de recevoir les bénéfices de l’activité commune, le GIE est spécialement créé pour faciliter les opérations communes tout en garantissant la propriété des entreprises228. La Compagnie industrielle des tresses et rubans (CITER) est un GIE crée en 1966 à l’initiative de l’industriel Robert Chomat, président des Ets Chomat-Darnon et des Manufactures réunies de Saint-Chamond. Selon l’historique du dossier CIRIT, les premières bases de la CITER ont été posées en 1963 lorsque Robert Chomat constate la très faible rentabilité de l’industrie des tresses et lacets en raison d’une diversification excessive des productions. Une action de coordination des activités avec plusieurs entreprises locales est envisagée et un audit est organisé en 1965 avec l’aide d’un cabinet privé de développement territorial. Le CRESAL semble avoir également joué un rôle important dans la constitution de l’affaire en servant d’intermédiaire avec 59 entreprises du secteur potentiellement adhérentes229. Ces opérations

aboutissent en 1966 à la création de la CITER sous la forme d’une SARL au capital de 13 500 F par neuf entreprises adhérentes de la région de Saint-Chamond et d’Ambert (Puy-de-Dôme) :

- La société Berne & Fils à La Forie (Puy-de-Drôme) ; - Les Ets Benoît-Gonin à Saint-Paul-en-Jarez (Loire) ; - Les Ets Chomat-Darnon à Saint-Chamond ;

- Les Ets Charpentier à Saint-Chamond ;

- La société Celeyron à Ambert (Puy-de-Dôme) ;

- La Manufacture saint-chamontaise de textiles (MSCT) à Saint-Chamond ;

228 ADR, 153 J 68, Journée d’information sur les groupements d’entreprises.

229 Le rôle du CE Loire et du CRESAL est mentionné dans un document intitulé « Les regroupements

d’entreprises : accélérateurs de l’expansion » consigné dans un carton d’archives relatif à une journée d’information sur les GIE datée du 7 avril 1970. (source : ADR, 153 J 68).

- Les Ets Rivollier à La Planche par Ambert (Puy-de-Dôme) ; - Les Ets Coffy à Saint-Paul-en-Jarez ;

- Les Ets Marze à Saint-Chamond.

Le groupe forme deux bassins distincts d’entreprises séparés à vol d’oiseau d’environ 60 kilomètres. Le modèle managérial est pour la quasi-totalité familial. Six entreprises sont dirigées par un tandem de parents à la présidence et à la gérance dont une par deux frères (Marze) et deux par une veuve à la présidence (Berne et Benoît-Gonin). Une seule entreprise est gérée par un PDG exerçant également la direction générale (Celeyron) et une par un triumvirat composé de deux frères, l’un président-directeur commercial et l’autre directeur technique, assistés par un père « conseiller technique » (Coffy). Ce modèle familial n’implique pas toujours le maintien de familles fondatrices : la famille Potton qui contrôle Benoît-Gonin a ainsi repris l’entreprise à la famille fondatrice et l’unique affaire personnelle Rivollier est en fait une concession octroyée par la famille fondatrice en 1940 au profit de son PDG. À l’exception de la MSCT et de Celeyron, tous les adhérents ont une ancienneté comprise entre un demi et un siècle, de Rivollier (fondée en 1867) à Charpentier (fondée en 1919). Celeyron constitue un cas particulier puisqu’il s’agit d’une scission d’une entreprise plus ancienne, Celeyron Frères, intervenue en 1959. Quant à la MSCT, il s’agit d’une société de commercialisation créée en 1949. Le dossier CIRIT ne donne pas plus d’informations à son sujet, mais il s’agit probablement d’une filiale créée ex-nihilo par sa société-mère Chomat- Darnon comme intermédiaire avec les centrales d’achats. Concernant la trajectoire des différents gérants, seuls deux d’entre eux sont indiqués comme titulaires d’une fonction notable en dehors de l’entreprise : M. Charpentier, PDG des Ets Charpentier, est également président du syndicat régional des tresses et lacets, tandis que M. Tissot des Ets Rivollier, présenté comme un « patron de classe », occupe la présidence de la chambre de commerce d’Ambert. Aucun patron n’est cité comme diplômé, ce qui suggérerait un profil essentiellement autodidacte et de transmission familiale informelle, appuyé par le profil dominant de PME périurbaines et rurales des adhérents. Les principaux débouchés de ces entreprises sont les marchés très classiques de l’habillement et de l’ameublement. On distingue les utilisateurs directs des entreprises commerciales (grossistes, centrales d’achats) qui peuvent prendre une part plus ou moins grande dans les ventes. Les intermédiaires constituent 70 % de la clientèle de Berne et jusqu’à 90 % de celle de la MSCT, également mentionnée comme « bien introduite dans les grands magasins ». On note cependant quelques marchés techniques. Berne réalise ainsi 40 % de son chiffre d’affaires dans les gaines tressées isolantes destinées à l’industrie électrique, les 60 %

restants étant dévolus à la confection et la mercerie. Rivollier réalise également 35 % de son chiffre d’affaires dans la filière électrique. La fiche de Celeyron mentionne une production diverse, à côté des activités de confection destinée à Michelin, sans plus de détail. Enfin, Marze produit des fils spéciaux pour la pêche, la radio et la chirurgie. Il se peut également que certaines productions mentionnées par leur nature, et non par leur marché de destination (comme les tresses élastiques), soient destinées à un marché technique. La diversité des productions aboutit à une consommation de matières premières très hétéroclite. Par ordre d’importance figurent la rayonne et le coton abondements utilisés dans l’habillement puis la gomme pour les tresses élastiques. La laine et les synthétiques plus spécifiques sont utilisés de manière plus variable selon la nature des productions. Les moyens de production des adhérents sont recensés dans le tableau suivant : Sociétés Fuseaux en activité Fuseaux en stock Fuseaux totaux230 Effectifs Surface utile (en m²)

Berne & Cie 27 000 8 000 35 000 33 1 600 Benoît-Gonin 19 200 18 100 37 300 78 6 500 Chomat Darnon 2 950 2 500 5 540 33 4 900 Charpentier 9 170 40 000 49 170 59 1 400 Celeyron 14 200 7 000 21 200 32 1 300 MSCT 1 210 0 1 210 15 1 700 Rivollier Ind. Ind. Ind. 63 1 600 Coffy 15 000 10 000 25 000 33 2 400 Marze 13 000 10 000 23 000 41 2 300

Total (8 soc.) 101 730 95 600 197 330 387 23 700

Tableau II-4 – Moyens de production des adhérents de la CITER en 1967

Source : Dossier CIRIT D10 CITER

La situation industrielle des adhérents s’avère relativement homogène. Le rapporteur du CIRIT mentionne une gestion globalement saine, mais quelques affaires sont en perte de vitesse, notamment Charpentier dont l’activité s’essouffle depuis la crise de 1965 et Benoît- Gonin, considérée comme la plus faible du groupement. La grande quantité de matériel en stock chez Charpentier suggère d’ailleurs une redirection de l’appareil industriel, un plan qualifié

d’« un peu imprudents pour des métiers à tisser ». La faible dotation industrielle du groupe Chomat-Darnon, sans qu’elle ne soit clairement indiquée par les sources, semble être liée au poids des activités de commercialisation citées précédemment. Aucune entreprise n’est cependant jugée marginale, ce quil l’aurait empêché d’être admise dans la CITER. Concernant la surface utile, le dossier ne mentionne invariablement que des « ateliers » sans préciser la localisation d’un ou plusieurs établissements, même si les surfaces correspondent a priori à des entreprises à siège social et usine intégrée, à l’exception de Benoît-Gonin et Chomat-Darnon. L’encadrement des entreprises est très faible. La part la plus élevée de cadres en nombre absolu est de 7 salariés (Benoît-Gonin) et en relatif au maximum 12,5 % des salariés de Celeyron avec 4 personnes. La MSCT ne compte même que son gérant seul pour tout encadrement. Concernant la situation financière des adhérents, on constate également dans le tableau suivant une homogénéité relative : Sociétés Capital (en F) Chiffre d’affaires (en F HT) Dont export (en F HT) Résultat (après impôts)

Berne & Cie 171 000 1 275 444 543 885 47 614 Benoît-Gonin 150 000 790 758 62 378 11 203 Chomat Darnon 41 900 1 904 575 78 777 58 646 Charpentier 400 000 1 128 098 120 429 39 010 Celeyron 80 000 859 482 143 202 26 536 MSCT 20 000 1 100 734 25 984 23 056 Rivollier 248 400 2 074 110 254 000 70 690 Coffy 200 000 679 270 10 577 45 085 Marze 360 000 1 256 117 57 687 104 307

Tableau II-5 – Bilan financier 1966 des adhérents de la CITER

Source : Dossier CIRIT D10 CITER

En l’absence d’informations sur la clientèle, on ne peut suggérer des différences de qualité à partir des écarts de chiffre d’affaires. Le dossier mentionne que Berne et surtout Marze tirent leur rentabilité de leurs productions spéciales qui leur assurent une position-clé dans le groupement. Cette position est renforcée par une maîtrise des stocks qui représentent, avec respectivement 12,4 % et 19 % des actifs totaux, les taux les plus faibles de la CITER, suivis de près par Rivollier (19,6 %) et Celeyron (22,6 %). Inversement, le reste du groupement possède des stocks beaucoup plus importants : 38 % pour Chomat-Darnon, 40 % pour Coffy, 40,8 % pour Charpentier, 45,4 % pour la MSCT et 48,2 % pour Benoît-Gonin. Sur la période

1964-1966, tous les adhérents dégagent un résultat après impôt positif, à l’exception de Celeyron en 1965 à la suite des perturbations des réseaux commerciaux de l’entreprise. La marge nette en revanche est très faible, excédant ponctuellement tout au plus 2 % et traduisant la faible valeur ajoutée des ventes dans le secteur des tresses et lacets. Aucune entreprise ne verse de dividende. Les faibles capitalisations tendent cependant à témoigner d’un actionnariat- gérant très restreint et familial dont la rémunération est assurée par des tantièmes directement prélevés sur les comptes des entreprises. Encore une fois, le dossier reste muet à ce sujet. Le dernier point notable est la faible proportion du chiffre d’affaires réalisé à l’export, à l’exception notable de Berne. Le principal débouché est le marché allemand, mais des ventes ont également été réalisées en Hollande et en Tchécoslovaquie. La constitution de la CITER aboutit à une organisation commerciale rationalisée. L’ensemble total, fort de 387 salariés, représente un chiffre d’affaires HT de 11 338 000 F en 1966, soit 12 % de l’effectif et 15 % du chiffre d’affaires global de la profession. La présidence du groupement est assurée par Robert Chomat. Il existe également une « commission des sages » présidée par Tissot de Rivollier et un conseil de surveillance dont fait partie Alex Marze. Il n’est pas impossible que les deux ne soient en réalité qu’un seul et même conseil car le plan d’organisation mentionné en 1970 parle uniquement d’un conseil de surveillance flanqué d’une direction commerciale et d’une direction administrative. Le dossier ne mentionne pas d’autres administrateurs, même si le conseil doit être plus étendu. En haut de la chaîne de production, un système d’achats groupés est mis en place via une commission pour l’approvisionnement des matières. L’objectif est double : standardiser la production en réduisant les spécifications de 80 à 30 articles et ramener les stocks à un mois et demi au lieu de deux et demi. Parallèlement, une collection commune d’une centaine d’articles est lancée dès janvier 1966 dans un même objectif de standardisation et d’exportation. Le conditionnement et la présentation des produits sont également mis en commun dans des locaux mis à disposition de la CITER par Chomat et un système de répartition d’ordres d’achats est mis en place. Ce système interdit notamment à n’importe quel membre du groupement de conserver le monopole d’un article de la collection commune qui doit être fabriquée par au moins deux d’entre eux. Une commission commerciale est mise en place pour répartir les fabrications selon des quotas fixés selon les matériaux spécialisés et la charge des métiers. Les factures de vente sont également mises en commun et intégrées à une comptabilité commune au travers d’un système de vente à façon à la CITER. Le groupement prévoit d’étendre ce service au suivi conjoncturel à court terme, à l’harmonisation des règles de gestion et de prix de revient pour 1968. À l’export, le groupement prévoit en 1968 la création d’un bureau d’exportation en Allemagne accompagné d’un rachat d’actif par une nouvelle société de

la CITER231 de l’entreprise Interknopf basée à Celle (Basse-Saxe), conjointement avec une société française, la Paris Jura Boutons, afin de renforcer sa position. Une autre action industrielle en préparation implique la constitution d’une unité de métiers à tisser rentable commune aux adhérents, les premiers étant appelés à se concentrer étant Chomat et Coffy. Le personnel des adhérents est également soumis à une formation débutée en janvier 1968 destinée à harmoniser le travail des contremaîtres et chefs d’équipes. Les dernières informations disponibles dans les archives concernant la CITER datent de 1970. Le regroupement s’est étendu à un dixième membre, la CIRTEX de Benoît-Gonin, tandis que Rivollier a changé de raison sociale en Ets Tibelot et probableement de propriétaire à l’occasion. Les résultats des adhérents auraient été sensiblement améliorés depuis l’instauration du groupement : 10 % de progression de chiffre d’affaires entre 1966 et 1967, une marge bénéficiaire de 3,4 % et des investissements en commun. Si le parc matériel est resté stable à environ 200 000 fuseaux, les effectifs ont quant à eux régressé à 220 salariés, signe de l’optimisation et des accroissements de productivité232. Il n’y a plus de source concernant l’histoire ultérieure de la CITER, mais le

groupement a disparu avant la fin du siècle.

3. De la vulnérabilité des petits ateliers à l’alternative

Outline

Documents relatifs