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THEORIES ET PRATIQUES DE FORMATION DES ENSEIGNANTS

3.4. La professionnalisation des enseignants

3.4.3. Modèles de construction de la professionnalité enseignante

Comment se fabriquent les enseignants professionnels, en termes d’identification et de construction de savoirs démultipliés et de compétences attendues mobilisables dans les

multiples situations d’enseignement-apprentissage ? La réponse à cette question n’est pas évidente. En effet, comme le souligne Craig et al. (1998), la formation professionnelle des enseignants est « un processus continu d’apprentissage, les enseignants se situant à différentes étapes de ce continuum » (Craig et al., 1998, cité par Dembélé, 2003, p.191). Par ailleurs, le domaine de l’enseignement et la formation, à l’instar des autres secteurs d’activité, doit s’adapter à l’évolution de la société (Dembélé, 2003). Cet auteur relève cependant qu’il existe dans la littérature « des cadres conceptuels » et « des pratiques prometteuses » de formation d’enseignants professionnels.

Au plan conceptuel, les travaux relatifs au développement professionnel des enseignants insistent sur « une double construction » : « la construction d’une pratique professionnelle » et « la construction d’une identité professionnelle ». Car, s’agit-il « d’apprendre (à accomplir) les tâches essentielles de l’enseignement ainsi que les normes et éthiques professionnelles qui vont de pair avec les pratiques souhaitables » Dembélé (idid.). Une des caractéristiques fondamentales de cet apprentissage est qu’il s’inscrit dans la durée. En effet, pour Dembélé, à la suite de plusieurs auteurs :

« La construction d’une pratique professionnelle ne se fait pas en un jour ; d’où la nécessité d’une formation professionnelle continue. Etant donnée la nature profondément évolutive des écoles et de l’enseignement, chaque enseignant doit régulièrement reconstruire sa pratique. Cette tâche est loin d’être facile, car elle signifie de remettre en cause les idées bien arrêtées qui sont à la base même de la pratique de chacun »

« La construction d’une identité professionnelle ou l’apprentissage des normes et de l’éthique professionnelles associées aux pratiques souhaitables exige une communauté de pratique et une acculturation dans cette communauté. Cela a également des implications pour la formation des enseignants, en obligeant notamment à concevoir différemment l’expérience pratique à acquérir pendant la formation initiale » (Dembélé, op.cit., p. 192).

Au-delà du fait que le développement professionnel des enseignants est un processus continu, il convient d’être sensible à son extrême instabilité due à la complexité des situations d’enseignement-apprentissage. En effet dans un contexte caractérisé par une

démultiplication rapide des savoirs, une hétérogénéité croissante des acquis scolaires, une population d’apprenants diversifiée, une diversité culturelle et éthique (Perrenoud, 1993), il convient de renouveler la formation des enseignants pour l’adapter à ces changements. Cette adaptation passe par la mise à disposition d’une capacité de réponse et d’ajustement à la demande, au contexte, à des problèmes complexes et variés (Altet, 1996).

Le développement des technologies de l’information et de la communication est une dimension supplémentaire de ce besoin d’adaptation, selon Meirieu (2002),. Ce développement entraîne en effet la concurrence avec d’autres lieux et de nouveaux modes d’apprentissage en apparence parfois, plus attrayants et moins exigeants.

Tout cela justifie le projet de réforme de la formation des enseignants sous le label de professionnalisation qui renvoie, comme le dit Perrenoud (1993), à « la construction de démarches didactiques orientées globalement par les objectifs du cycle d’étude, adaptées à la diversité des élèves, à leurs niveaux, aux conditions matérielles et morales du travail, au mode de collaboration possible avec les parents, à la nature de l’équipe pédagogique et de la division du travail entre enseignants » (Perrenoud, 1993, p. 60). Comment se conçoivent, dans la pratique, ces démarches ?

Selon les auteurs, il importe pour cela de doter les enseignants de compétences diverses leur permettant de mobiliser différents savoirs pour l’exercice du métier. Or, par rapport à la définition des savoirs, le débat ne semble pas tranché. Il existe une « multiplicité de termes pour désigner les caractéristiques des savoirs enseignants, leur contenu, leur organisation ou leurs origines » (Raymond, 1993 ; p. 160). Ces typologies se réfèrent tantôt aux contenus, tantôt à leur mode de production, tantôt à leur mode d’acquisition, tantôt à leur rôle et fonction dans la pratique. Il se dégage donc un flou, une ambiguïté qui fait dire à Perrenoud (1994) qu’on devrait d’abord essayer de trouver un consensus. Selon Paquay et al. (1996) les savoirs désignent la catégorie de variables susceptibles d’être mobilisées dans l’exercice du métier. Il s’agit, selon ces auteurs, d’un ensemble constitué, de schèmes d’action et d’attitudes, d’un répertoire de conduites et de routines. Pour eux, la compétence fait référence à la question de la mobilisation des savoirs dans une situation donnée.

Gauthier et al. (1997) qui définissent les savoirs notamment en ce qui concerne l’enseignement, comme l’ensemble des savoirs, connaissances, habiletés et attitudes nécessaires à l’accomplissement efficace d’une situation d’enseignement, ont, par ailleurs établi une typologie comprenant six types de savoirs : les savoirs disciplinaires, les savoirs curriculaires, les savoirs des sciences de l’éducation, les savoir de la tradition pédagogique, les savoir d’expérience et les savoir d’actions pédagogiques.

La typologie établie par Van der Maren (1993) est conçue autour de cinq domaines : le savoir savant, le savoir appliqué, le savoir artisan, la pratique et la réflexion (praxis), le savoir stratégique. Raymond (1993), quant à lui, propose une typologie en seulement deux éléments : les savoirs enseignants et des savoirs pour l’enseignement qui deviennent chez Altet (1996) les savoirs théoriques et les savoirs pratiques. Chacune de ces catégories de savoirs est constituée de sous domaines des savoirs : les savoirs théoriques sont de deux types : les savoirs à enseigner (disciplinaires, constitués par les sciences, didactisés…) et les savoirs pour l’enseignement (pédagogiques, didactiques, systèmes éducatifs…) ; les savoirs pratiques qui désignent les savoirs procéduraux, sont constitués autour de savoirs sur la pratique et de savoirs de la pratique (expérience, action réussie, praxis).

Tout cela présage des difficultés de formation des enseignants professionnels. Les auteurs proposent différents modèles qui appréhendent le processus suivant divers points de vue. Pour Feiman-Nemser (2001, cité par Dembélé, 2003), tout programme bien conçu de formation initiale des enseignants doit être conçu autour de trois composantes essentielles que sont: (i) une cohérence conceptuelle ; (ii) des expériences de terrain systématiques et intégrées ; et (iii) une attention accordée aux enseignants en tant qu’apprenants. En ce qui concerne la formation continue, le programme de formation doit privilégier : (i) des discussions approfondies sur l’enseignement, l’apprentissage, les élèves et les autres aspects de la scolarité, qui contribuent à la formation professionnelle ; (ii) des communautés professionnelle de pratique ; et (iii) un ancrage dans les spécificités du processus d’enseignement (cité par Dembélé, idid.). Par ailleurs, Feiman-Nemser a défini les axes stratégiques du programme de formation des enseignants.

Tableau n° 7: Apprendre à enseigner : les tâches centrales (Feiman-Nemser, 2001, in Dembélé, 2003)

Formation initiale Insertion professionnelle des nouveaux enseignants

Formation professionnelle permanente

1. Examen critique des croyances par rapport à l’idée d’un « bon » enseignant

1. Apprentissage du contexte_ les élèves, le programme, la

communauté scolaire

1. Développement et approfondissement des

connaissances liées à la matière enseignée

2. Acquisition de connaissances liées à la matière enseignée

2. Conception d’un programme pédagogique répondant aux attentes et aux besoins

2. Développement et perfectionnement du répertoire au niveau du programme de l’enseignement et de l’évaluation 3. Acquisition d’une

compréhension des élèves, de l’apprentissage et des questions de diversité

3. Création d’une communauté d’apprentissage dans la classe

3. Consolidation des

compétences et de la disposition à étudier et à améliorer

l’enseignement 4. Acquisition d’un répertoire de

départ 4. Exploitation du répertoire de départ 4. Développement des responsabilités et acquisition de compétences de leadership 5. Acquisition des outils et d’un

état d’esprit permettant d’étudier le métier d’enseignant

5. Acquisition d’une identité professionnelle

Source: Dembélé in ADEA, 2003, p. 192

Cette approche par la pratique centrée sur l’activité enseignante est celle préconisée également par Donnay et Charlier (1990) et de Perrenoud (1994). Alors que Donnay et Charlier (1990) parlent d’« actes », Perrenoud (1994) quant à lui parle de « capacités ». N’Diaye (2003) a comparé ces deux modèles.

Tableau n° 8: Comparaison de deux modèles (Donnay et Charlier, 1990 ; Perrenoud, 1994, in N’Diaye, 2003

Neuf composantes des actes de l’enseignant-professionnel (Donnay et Charlier, 1990)

Dix capacités du professionnel (Perrenoud, 1994)

A1. En fonction d’un projet (éducatif) de

formation explicité

A2. Un formateur professionnel tient

compte, de manière délibérée

A3. du plus grand nombre possible de

paramètres de la situation de formation considérée

C1 : identifier les obstacles à surmonter ou les problèmes à

résoudre

A4. les articule de manière critique A5. envisage différentes possibilités de

conduites et prend des décisions

C2 : envisager diverses stratégies réalistes (du point de vue

du temps, des ressources, des informations disponibles)

C3 : choisir la moins mauvaise stratégie, en pesant les

chances et les risques

A6. les met en œuvre (crée, réalise,

sélectionne) dans des situations concrètes

C4 : planifier et mettre en œuvre la stratégie adoptée

A7. vérifie l’adéquation de son action A8. la réajuste, l’adapte si nécessaire

C5 : piloter cette mise en œuvre au gré des événements, en

affirmant ou modulant la stratégie prévue ;

C6 : au besoin réévaluer la situation et changer radicalement

de stratégie

C7 : respecter tout au long du processus certaines règles de

droit ou d’éthique dont l’application n’est jamais simple (équité, respect des libertés, de la sphère intime, etc.) ;

C8 : maîtriser ses émotions, ses humeurs, ses valeurs, ses

sympathies ou ses intimités, chaque fois qu’elles interfèrent avec l’efficacité et l’éthique ;

C9 : coopérer avec d’autres chaque fois que c’est nécessaire,

ou simplement plus efficace ou équitable ;

A9. tire plus tard, des leçons de sa pratique C10 : en cours ou à l’issu de l’action, tirer certains

enseignements pour une autre fois, de documenter les opérations et les décisions pour en conserver des traces utilisables à des fins de justification, soit de partage, soit de réemploi

En mettant les deux modèles côte à côte, N’Diaye en déduira qu’ils ne diffèrent pas fondamentalement, d’autant qu’ils « ciblent les trois phases principales de l’enseignement (Jackson, 1968) : les phases préactives, interactive et post-active » (N’Diaye, idid).

En effet, à l’instar de celui de Feiman-Nemser, ils tentent en effet de mettre en avant la gestion des impondérables, des imprévus liés à la pratique du métier d’enseignant. Ils s’inscrivent donc dans le paradigme de l’enseignement assimilé à l’instabilité et conçoivent l’enseignant comme un praticien réflexif. Ils s’incrustent donc dans la vision de Mialaret (1979), Houssaye (1988 ; 1994) qui définissent la pédagogie comme une réflexion sur l’action, à cause du fait, comme le dit De Landsheere (1979) que les situations pédagogiques soient intermédiaires entre l’incertitude et le risque.

Former des enseignants professionnels, c’est donc former des enseignants réflexifs, c’est-à-dire des « praticiens réfléchis ou réflexifs, capables de délibérer sur leurs propres pratiques, de les objectiver et les partager, de les améliorer et d’introduire des innovations susceptibles d’accroître leur efficacité » (Tardif, Lessard et Gauthier, 1998 ; p. 28).

« Devenir (…) un professionnel, c’est donc apprendre à réfléchir sur sa pratique (…), c’est prendre ce recul qui, non seulement permet de s’adapter à des situations inédites, mais permet surtout d’apprendre par l’expérience » (Paquay et al., 1996, p.252). Une telle capacité s’analyse au travers des trois logiques selon Vermesch (1977, cité par N’Diaye, 2003) : la logique de la matière, la logique de l’action et la logique pédagogique, auxquelles il faut ajouter la logique de la situation (Altet, 1996).

En définitive, le trait commun entre ces différentes conceptions de la formation des enseignants professionnels est que toutes la perçoivent comme un processus continu s’inscrivant dans une dynamique d’acquisition des savoirs et la capacité des individus à réguler leurs pratiques.

D’autres modèles existent dans la littérature qui font une entrée par les identités; la nature et l’origine des savoirs et savoir-faire professionnels et les positions institutionnelles d’acteurs de la formation.

Nous nous sommes cependant bornés à décrire ceux ayant privilégié les pratiques en raison de leur affinité avec le dispositif que le Mali tente de mettre en place. Rappelons à cet effet que la nouvelle politique de formation des enseignants se positionne-t-elle dans une dynamique d’acquisition de connaissance du métier d’enseignant en même temps qu’elle donne les moyens de l’exercer. Elle reconnaît à cet effet que la culture académique ne saurait suffire pour enseigner. L’enseignement requiert une formation spécifique, qui prépare le jeune recruté à ses fonctions réelles, en lui permettant d’acquérir les savoir-faire et savoir-être indispensables pour transmettre les savoirs dans des conditions données (Politique nationale de formation continue des maîtres, 2003). En effet, cette nouvelle politique de formation des enseignants se situe dans une perspective qui tend à favoriser la recherche de qualité dans l’exercice du métier. Cette recherche de la qualité impose :

- la nécessité de clarifier la fonction de la formation, tant initiale que continue, le

caractère indispensable de la formation dans le champ même des connaissances à transmettre, son rôle majeur pour aider les maîtres dans leur travail au service des apprentissages des élèves, la nécessité de penser la formation en cours de carrière comme aussi importante que la formation initiale ;

- mettre en cohérence les différentes modalités de formation des maîtres.

Conclusion

Cette première partie visait à présenter le contexte de la recherche. Dans un premier temps, nous avons présenté le système éducatif malien. Dans un second temps nous avons soulevé les questions liées à la qualification et à la formation des enseignants. Ces descriptions nous permettent de retenir un certain nombre d’enseignements. Non seulement on perçoit mieux les ambitions du Mali en matière de démocratisation de l’éducation, mais aussi les avenues empruntées pour les atteindre et leurs limites. Démocratiser l’éducation, c’est assuré à tous les enfants en âge scolaire l’accès à une éducation de qualité, un double défi assez difficile à embrasser à la fois, surtout lorsque celui-ci il se présente à la manière d’un conflit cornélien où le héros est placé devant un choix difficile, mais inéluctable.

« Qui trop embrasse, mal étreint ! » Comme pour donner raison à cet adage, le Mali a d’abord fait le choix d’un développement quantitatif. Pour atteindre cet objectif, le PRODEC a mis en avant le développement de l’initiative privée, le recours aux enseignants non professionnels, l’instauration de la double vacation, etc.

Ces réformes ont eu un impact certain sur les objectifs quantitatifs du système dans la suite de la prolifération d’écoles aux statuts différents (écoles privées, écoles communautaires, écoles de bases, etc.). A cette pluralité d’écoles correspond une pluralité d’enseignants aux profils divers. Certains de ces enseignants sont formés en 1, 2 ou 4 ans dans des structures dédiées à la formation initiale des enseignants ; d’autres n’auront suivi que 15 à 90 jours de formation avant de se voir affecter dans une classe. Mais, quel que soit le type de formation suivi, tous éprouvent des besoins de formation. On en déduit qu’il y a un lien très étroit entre le dispositif de formation des enseignants et la qualité de leur enseignement, au-delà du profil de recrutement des candidats à la formation d’enseignants, quelle qu’elle soit, et des innovations en cours. Tous ces facteurs influent plus ou moins négativement sur la qualité de l’enseignement et font que les enseignants n’ont pas généralement l’impact voulu sur la qualité des apprentissages scolaires.

Cette situation a nécessité la définition d’une politique de formation des enseignants qui met l’accent sur la formation générale, la formation personnelle, la formation disciplinaire. Il s’agit de les doter de savoirs et compétences nécessaires à l’exercice du métier d’enseignant. Pour atteindre cet objectif et dans le meilleur délai, il a été procédé, au plan pratique, à la mise en chantier de dispositifs de formation alternatifs faisant usage des technologies à travers la radio et les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), dans le cadre d’actions de formation des enseignants à distance ou en présentiel qui ont été précédemment décrits.

La deuxième partie qui suit vise à préciser le contenu et les contours de l’utilisation des technologies dans l’enseignement et la formation.