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5.2. Les enjeux liés aux technologies de l’information et de la communication (TIC) Nous avons précédemment désigné les TICE comme étant l’usage des technologies de

5.2.2. Enjeux pédagogiques

L’avenir des générations futures, en termes d’insertion socio-professionnelle, comme d’épanouissement personnel se joue pour une large part, dans la maîtrise des nouvelles technologies. En effet, l’instabilité technologique se traduisant par d’incessants changements de l’environnement de production, de poste de travail, d’emploi, voire de profession, impose aux travailleurs une grande flexibilité. De plus en plus, les travailleurs d’aujourd’hui et encore plus de demain, doivent, non seulement intégrer les compétences permettant de s’adapter à des situations nouvelles, d’acquérir de nouveaux savoirs au fil de leurs carrières, mais aussi, ils doivent être disposés à s’investir personnellement à cette fin.

De ce point de vue, les technologies ne se présentent pas simplement comme un acte de modernisation des systèmes éducatifs. Elles s’inscrivent dans un véritable changement de perspective. Une évolution qui tend vers l’émergence de classes et campus virtuels, avec des apprenants âgés de 5 à 105 ans. Les technologies sont porteuses aujourd’hui de cette dynamique de mobilisation des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être pouvant permettre à l’individu de s’adapter à son environnement socio-économique et même culturel et de pouvoir résoudre des problèmes complexes et changeants qui s’y rapportent.

Lorsqu’il s’agit de fournir des réponses à de telles exigences notamment, celles relatives aux objectifs de massification de l’enseignement et aux besoins d’apprentissage tout au long de la vie ; le système traditionnel d’éducation et de formation a largement montré ses limites. C’est pourquoi, par delà son impact sur la formation à distance, les

nouvelles technologies notamment, Internet avec ses bases de données, ses bibliothèques virtuelles, ses capacités de mise en réseau, de communication instantanée et donc de mutualisation est perçu comme l’instrument privilégié susceptible de jouer

un rôle dans la crise des systèmes d’éducatifs (Wallet, 200367). L’objectif est de

favoriser une espèce de « formation non-formelle » par les effets induits de la communication interpersonnelle, des pratiques collaboratives et interactives.

Selon l’UNESCO (1998), on utilise actuellement les ordinateurs notamment dans les pays industrialisés, pour remplir trois fonctions ou rôles ; d’abord une fonction traditionnelle de formation en informatique (faire en sorte que les élèves acquièrent un minimum de connaissances en informatique) ; puis, comme moyen d’appuyer et d'enrichir le programme et, enfin, comme moyen de favoriser les relations réciproques

des enseignants et des apprenants68. C’est au travers de ce troisième rôle «que

l'ordinateur et la technologie de communication connexe pourraient avoir les répercussions les plus importantes sur l'enseignement traditionnel. » (UNESCO, 1998, p. 87).

Maddux, Johnson et Willis (1997) distinguent, pour leur part, deux types d’utilisation de l’ordinateur en éducation : les applications de type I, « qui rendent plus facile, plus rapide et plus efficient l'enseignement des mêmes choses, de la même façon dont nous les avons toujours enseignées », et les applications de type II, « qui offrent des façons nouvelles et meilleures d'enseigner » (cité par Laferrière, Bracewell et Breuleux, 2001). Cette deuxième application, nous semble-t-il, est assimilable à la notion d'enseignant, perçu en tant que praticien réfléchi. Ce modèle d’enseignant correspond à l’orientation actuelle des théories et pratiques sur le perfectionnement professionnel pour qui, le praticien réfléchi, c’est-à-dire l’enseignant professionnel est suffisamment « attentif à l'évolution des phénomènes, compétent pour décrire ce qu'il observe, enclin à mettre de l'avant et, parfois, à simplifier radicalement des modèles d'expérience, et ingénieux dans la mise au point de tests pour ce modèle, tout en respectant les contraintes du milieu pratique » (Schön, 1983, p. 322, cité par Laferrière, Bracewell et Breuleux,

2001).

67 Wallet, J. e-learning et fracture numérique… au-delà des évidences : l’exemple ouest africain, http://forse.univ-lyon2.fr/article.php3?id_article=48

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L'utilisation efficace des ressources et des technologies, notamment des outils en réseau à des fins d’enseignement-apprentissage relève du jugement professionnel continu et réfléchi de la part de l'enseignant. L’enseignant devra moins avoir recours à des méthodes qui sont axées sur l’enseignant telles que des cours magistraux et autres, mais plutôt sur des méthodes axées sur l’apprenant. L'ordinateur en réseau est utilisé comme un outil qui aide l'enseignant dans sa pratique de pédagogies avancées.

C’est certainement pourquoi, on associe aux TIC des vertus d’efficacité dans l’enseignement. « Le développement généralisé du numérique dans l’espace éducatif est à même de faire progresser l’efficacité de notre école, dans l’enseignement et la prise en charge des élèves, mais aussi dans son fonctionnement et son ouverture69 » (Préambule du rapport de la mission e-Educ de mai 2008, p. 2, cité par Poyet, 2009). En effet, la disponibilité des TIC permet non seulement à la profession enseignante de renouveler ses outils pédagogiques, mais elle donne également la possibilité à tous les apprenants dans les écoles d’élargir leurs champs d’apprentissage lorsqu’ils travaillent en collaboration.

C’est par rapport à leur efficacité que les injonctions politiques ont trait à l’usage des TIC dans l’enseignement et que des investissements considérables sont faits dans ce domaine. Il en est ainsi des pays du Nord, comme du Sud, la tendance générale aujourd’hui est au déploiement d’« Environnements numériques de Travail » (ENT) en milieu scolaire et universitaire.

Par « Environnements Numériques de Travail » ou « Espaces Numériques de Travail » (ENT), il faut entendre des dispositifs faisant usage des TIC dans l’enseignement scolaire et supérieur. Le Ministère français de la jeunesse, de l’éducation nationale, et de la recherche, définit le terme ainsi :

« Un espace numérique de travail désigne un dispositif global fournissant à un usager un point d’accès à travers les réseaux à l’ensemble des ressources et des services numériques en rapport avec son activité. Il est un point d’entrée pour accéder au système d’information de l’établissement ou de l’école.

69 Rapport de la mission e-Educ,

L’espace numérique de travail s’adresse à l’ensemble des usagers, élèves, parents d’élèves, étudiants, enseignants, personnels administratifs, techniques et d’encadrement des établissements d’enseignement ».

Au-delà de sa fonction de communication inter-acteurs, les ENT visent :

« d'une part, la maîtrise par l'élève et l'étudiant d'un environnement dans lequel ces technologies sont de plus en plus présentes, d'autre part, la diversification des formes d'enseignement et d'apprentissage en liaison avec les réformes engagées dans le système éducatif » (Lettre n°21, INRP).

Par ailleurs, l’usage des technologies dans l’environnement permet aux acteurs (enseignants et élèves) de tirer le meilleur profit des situations d’enseignement-apprentissage. « Les TIC offrent des outils et services qui présentent une certaine efficacité pour l’enseignement et l’apprentissage70 ». Pelgrum et Anderson (1999) indiquent qu’au Canada, les écoles dont le taux de réussite est élevé en matière de pratiques pédagogiques émergentes, semblent avoir un meilleur ratio d’ordinateurs que d’autres. Cette conclusion pourrait être une première indication que les TIC facilitent vraiment la mise en œuvre des pratiques pédagogiques émergentes. (Pelgrum et Anderson, 1999, p. 220, cité par Laferrière,Bracewell et Breuleux, 2001). Pour Peraya (2002), l’intégration des technologies permet au formateur d’améliorer sa pédagogie et à l’apprenant d’établir un meilleur rapport au savoir, mais c’est également l’occasion de repenser la pédagogie, la conception de l’école, aussi bien du point de vue de

l’enseignement que de l’apprentissage. Par delà, celle-ci impose le besoin pour les

professeurs de maîtriser des méthodes pédagogiques plus perfectionnées lorsqu'ils rencontrent les apprenants.

Il existe sur le sujet une abondante littérature aux conclusions, fort mitigées, à la limite contradictoires. Pour Poyet (2009), cela s’expliquerait par des convictions et discours idéologiques qui « brouillent parfois les pistes en matière d’objectivité ». A la suite de Pouts-Lajus (2001), elle estime que la question relative à l’efficacité pédagogique des TICE est une question « redoutable », dans la mesure où « comme il y a des croyants et des athées, il y a des partisans des TICE et des adversaires des TICE » (Pouts-Lajus,

70 Françoise Poyet avec la collaboration de Michèle Drechsler, « Impact des TIC dans l’enseignement : une alternative pour l’individualisation ? », Dossier documentaire de l’INRP,

2001, cité par Poyet, 2009). Aussi, par rapport à cette question, convient-il de faire la part entre les discours politiques et idéologiques des thuriféraires ou détracteurs et les données issues de recherches scientifiques.

Faisant abstraction des prises de position idéologiques, il apparaît que l’un des enjeux des TICE concerne la modification de l’acte pédagogique qui privilégie l’apprentissage. Cette conclusion est celle qui ressort des études portant sur les systèmes d’enseignement assisté par ordinateur (EAO) depuis les années 1970.

Précisons que l’Enseignement assisté par ordinateur (EAO) est issu des travaux de

Skinner sur l’enseignement programmé (Skinner, 1954, cité par Bruillard, 199771) où

l’ordinateur est utilisé pour dispenser des cours. C’est à partir de là que se sont développés des programmes pluridisciplinaires de recherches (informatique, psychologie, sciences de l’éducation, etc.) visant la conception d’artefacts informatiques qui favorisent l’apprentissage humain. On parle d’Environnement Informatique pour l’Apprentissage Humain (EIAH) qui découle de la notion Environnements Interactifs d’Apprentissage avec ordinateur (EIAO) (Baron, Gras, et Nicaud, 1991).

Selon Bruillard (1997), ce domaine de recherche a permis la convergence des techniques développées en informatique (intelligence artificielle, hypertextes, réseaux) avec les recherches en sciences de l’éducation et en psychologie. C’est alors que l’ordinateur va devenir un support de cours. Au départ, il était utilisé pour orienter l’apprenant sur différentes parties du cours suivant ses réponses à un questionnaire. En devenant support de cours, on a pu trouver également le moyen de développer des systèmes permettant de guider l’apprenant par l’enregistrement de ses réponses aux questions de cours, lequel n’a pas manqué d’avoir un effet sur la stratégie d’apprentissage ; car, cette stratégie est construite en fonction du cheminement et des réponses de l’apprenant.

C’est dans ce contexte de recherche que l’intelligence artificielle va faire son introduction à partir des années 1970. A l’enseignement assisté par ordinateur (EAO) va se substituer l’enseignement intelligemment assisté par ordinateur (EIAO) avec l’arrivée de « tuteurs intelligents ». Il s’agit, en fait, de la mise en place de systèmes permettant à

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l’apprenant de diagnostiquer ses problèmes et partant d’avoir une proposition de solutions adaptées. La machine contrôle l’interaction.

Dans le même temps, se sont développés d’autres types d’environnement où il est loisible à l’apprenant d’exprimer ses idées, afin d’en mesurer l’impact. Ici, c’est l’apprenant qui contrôle l’interaction, contrairement à l’approche précédente. L’idée est de créer des « micromondes », afin de faire prendre conscience à l’apprenant des conséquences de ses actions et de lui permettre de rétroagir avec son environnement, sous diverses formes (langagière, graphique, etc.). Les évaluations sur l’utilisation de « micromondes » ont tendance à les considérer comme source de motivation et de liberté totale pour l’apprenant (Bruillard, 1997).

Plusieurs travaux ont tendance a montré que les TIC, d’une manière générale, placent l’apprenant au centre du processus d’apprentissage et permettent à celui-ci d’avoir un contrôle plus grand sur son apprentissage. C’est la notion « learner control » (degré de control) en Anglais issu de l’utilisation d’Internet et des réseaux. En effet, avec les liens hypertextes, ils donnent à l’apprenant une grande liberté de navigation, en lui permettant de naviguer au gré de ses intérêts.

Régina Grégoire Inc, Robert Bracewell, Thérèse Laferrière (1996) et plus récemment Françoise Poyet (2009) ont fait une revue de la littérature sur l’apport des TICE. Il ressort de ces travaux que :

Par rapport aux apprenants, les TIC:

aident au développement de diverses habiletés intellectuelles,

peuvent contribuer à l’acquisition de connaissance et au développement

d’habiletés connexes,

suscitent la motivation et l’intérêt chez les élèves,

augmente le niveau de concentration des apprenants,

développent l’esprit de recherche et de collaboration72,

72 Voir, Régina Grégoire inc, Robert Bracewell, Thérèse Laferrière, « L’apport des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) à l’apprentissage des élèves du primaire et du secondaire », revue documentaire, une collaboration de l’Université Laval et de l’Université McGill, août, 1996. (site)

Par rapport aux enseignants, les TIC :

- facilitent l’accès des enseignants à divers ressources pédagogiques,

- facilitent leur collaboration aussi bien à l’intérieur d’une école, qu’avec d’autres

écoles et même à l’extérieur du système scolaire,

- contribuent au changement de rôle de l’enseignant : évolution vers un

enseignement qui privilégie l’apprentissage au détriment de l’enseignement ; l’enseignant joue alors un rôle d’animateur (changement de la vision de l’enseignement au niveau des enseignants eux-mêmes).

Il existe, par ailleurs, à travers la toile de multiples échanges à caractère professionnel, avec souvent une dimension formative, auxquelles, on peut ajouter des réseaux pédagogiques, les listes de diffusion associatives interpersonnelles, syndicales… et

autres communautés virtuelles (Wallet, 200773). Les technologies créent les conditions

d’une culture de formation autorégulée en fonction de nos besoins propres de formation. Cette culture est par ailleurs soutenue par la mise en réseau, la coopération entre paire où l’interactivité est source de motivation.

Les TIC placent l’apprenant au centre du processus d’apprentissage comme le préconisent les pédagogies actives d’inspiration constructiviste. L’apprenant réalise ainsi son apprentissage partant de ses propres activités mentales, sans l’action de l’enseignant. En outre, les TICE favorisent le travail coopératif, non seulement entre les élèves, qu’entre les enseignants. Les études ont tendance à montrer l’aspect positif du travail de coopération entre pairs.

Le développement d’habiletés intellectuelles, motivationnelles, comme les pratiques coopératives, par delà l’individualisation, la liberté dans l’apprentissage, etc., nous semble être des enjeux pédagogiques que le système éducatif doit exploiter au mieux au profit de l’amélioration des performances scolaires des apprenants. Mais, tout cela n’est pas donné en soi.

En effet, les études relatives aux effets des TICE sur les performances des apprenants concluent à des résultats fort mitigés. Analysant plus de 300 recherches sur le sujet,

73 Wallet J., « Note sur la formation à distance des enseignants de l’éducation de base », Laboratoire CIVIIC, 21/01/2007.

Russel (1999) ne parvient pas à conclure à un effet systématiquement positif. Pour Lebrun (2002), l’effet induit de l’usage des TICE est léger et relativement peu contrôlé. Plus récemment, la réunion d’experts de l’OCDE/CERI de mars 2007 a fait un constat similaire. On peut en effet lire la phrase suivante dans le rapport de la réunion : « il n’est pas surprenant que les résultats, comme le montrent un certain nombre de comptes rendus sur les recherches, sont au moins indécis, voire contradictoires » (cité par Françoise Poyet, 2009). Ce qui amène cet auteur à conclure : « si certaines caractéristiques semblent bien établies, il apparaît délicat de mesurer l’impact des TIC sur la performance des élèves et de tendre à une généralisation des résultats tant les contextes et les situations pédagogiques sont spécifiques ».

Les technologies sont plurielles. Cette pluralité est subséquente à une variété de possibilités et de situations pédagogiques. Leur usage, au-delà de l’accès, impose un programme de formation des enseignants, de soutien technique et une planification soignée (UNESCO/IIPE, 2004). En somme, leurs effets positifs relèvent plutôt de postures méthodologiques que technologiques.