• Aucun résultat trouvé

THEORIES ET PRATIQUES DE FORMATION DES ENSEIGNANTS

3.4. La professionnalisation des enseignants

3.4.1. Le concept de professionnalisation et ses avatars

Depuis plus de deux décennies, le concept de professionnalisation domine les théories et les pratiques d’enseignement. Le terme découle de « profession » que l’on retrouve dans l’expression « profession de foi » qui, au Moyen-âge, désignait une déclaration publique accomplie « lors de cérémonies rituelles d’intronisation dans les corporations » (Dubar, 1991, p. 134) qu’exigeait des travailleurs certains corps de métier. Par la suite, dans l’ancien régime, « la profession a servi à désigner les métiers d’origine intellectuelle (médecine, ingénieur, avocat) qui sont enseignés à l’université en opposition aux métiers manuels. Etablissant la différence entre profession et métier, Dubar (1991) écrit:

« Les professions relevant des sptem artes liberales qui s’enseignaient dans les universités et dont les productions appartiennent plus à l’esprit qu’à la main (…), les métiers relevant des arts mécaniques où les mains travaillent plus que la tête » (Dubar, 1991, p.134)

A l’origine, la notion de profession renvoie donc à un métier de l’esprit, un métier intellectuel par opposition aux métiers manuels.

Aujourd’hui, la notion de profession se conçoit comme « la capacité à mettre les savoirs scientifiques au service de la solution de problèmes humains de tous ordres » (Bourdoncle, 1993, p. 84). Par ailleurs, selon Bourdoncle (op.cit), la profession est caractérisée par l’utilisation des savoirs de haut niveau rationnalisés et son utilité reconnue pour les besoins de la société. Il s’agit là d’une approche « structuro-fonctionnaliste » de la notion de profession. Selon N’Diaye, cette approche a été celle privilégiée par plusieurs auteurs dont Flexner, 1915 ; Carr-Saunders et Wilson, 1933 ; Lieberman, 1956 ; Elliot, 1972 ; Chapoulie, 1973 ; Goodlad, 1984, etc. (N’Diaye, op.cit. p. 61).

Se situant dans la même perspective, Lemossé (1989) a identifié six caractéristiques des professions. En accord avec N’Diaye (op.cit.), nous estimons que ces six caractéristiques constituent une référence pour mieux cerner cette notion. Ces six caractéristiques sont :

- « que l’exercice d’une profession implique une activité intellectuelle qui engage la responsabilité individuelle de celui qui l’exerce ;

- Que c’est une activité savante et non de nature routinière, mécanique ou répétitive ;

- Qu’elle est pourtant pratique, puisqu’elle se définit comme l’exercice d’un art plutôt que purement théorique et spéculative ;

- Que sa technique s’apprend au terme d’une longue formation ;

- Que le groupe qui exerce cette activité est régi par une forte organisation et une grande cohésion interne ;

- Et qu’il s’agit d’une activité de nature altruiste au terme de laquelle un service précieux est rendu à la société » (Lemossé, 1989 ; cité par N’Diaye, 2003, p. 61).

En marge de cette approche fonctionnaliste, il existe une approche interactionniste qui définit le concept à partir de « la comparaison entre le symbole représenté par la notion de profession, avec toutes ses dimensions valorisées, à la manière dont les activités qui se prétendent telles sont conduites » (Bourdoncle, 1991, p. 84). Ce courant conçoit la profession, non à partir des savoirs, mais suivant la capacité des membres d’un corps de métier à faire accepter par la société leurs prétentions. Autrement dit, il s’agit, comme le dit N’Diaye à la suite de Maroy et Cattonar (2002), « c’est quand un métier est apte à afficher son mandat vis-à-vis de la société, c’est-à-dire à se voir reconnaître une compétence orientée vers l’ensemble de la société, qu’une profession apparaît et est reconnue comme telle » (Maroy et Cattonar, 2002 ; cité par N’Diaye, 2003, p. 61). L’approche interactionniste dont les tenants sont Hughes (1958, 1966), Becker (1962), Maroy et Cattonar (2002), etc., sans s’opposer à l’approche fonctionnaliste, vise à la nuancer. Il s’en suit une évolution conceptuelle qui fait qu’aujourd’hui, le terme « profession » renvoie à « n’importe quelle activité qu’une société donnée considère comme une profession » (N’Diaye, op.cit., p. 62)

Un métier peut donc évoluer pour avoir le statut de profession. Bourdoncle (1991) appelle cette dynamique évolutive « le professionnisme » qui désigne la place d’une profession dans la division sociale du travail.

Suivant le même auteur, le concept de « professionnalisation » possède un référentiel beaucoup plus étendu. Il renvoie tout à la fois au « statut de l’activité et du groupe de

personnes », aux « connaissances et capacités », à « l’individu » et « la formation ». Selon ces quatre objets auxquels, il distingue quatre niveaux ou types de professionnalisation.

Par rapport au « statut de l’activité», l’auteur parle de « professionnalisation de l’activité » (Bourdoncle, 2000). Ce type de professionnalisation recouvre deux aspects : le processus qui consiste à passer de l’exercice d’une activité par simple goût et amour à un exercice comme activité centrale pour tirer ses moyens d’existence parce que rémunéré et le processus consistant à l’explicitation des savoirs, leur rationalisation et leur accumulation à des fins de transmission par des études (learning) plus que par l’apprentissage (training).

« Le statut de l’activité elle-même et du groupe de personne qui la mettent en œuvre : ce n’est pas un métier mais une profession, c’est-à-dire un groupe de personnes dotées d’un fort prestige social à cause du service essentiel qu’elles rendent à la société en accomplissant leur activité et à cause de la nature élevée des connaissances et capacités qu’elles mobilisent pour cela » (Bourdoncle, 1993, p. 16).

Par rapport aux « connaissances et capacités », il parle de « professionnalisation des savoirs » qui « désigne le processus d’amélioration des capacités de rationaliser et de spécification des savoirs mis en œuvre dans l’exercice de la profession, ce qui entraîne une plus grande maîtrise et une plus grande efficacité individuelle » (Bourdoncle, 1993, p. 16). Ailleurs, l’auteur dira que la professionnalisation des savoirs fait référence « plus à l’action avec sa finalité et son efficacité qu’à la connaissance qu’elle mobilise, sans s’y réduire » (Bourdoncle, 2000, p. 124).

En ce qui concerne les individus : c’est la professionnalisation des personnes ; dès lors qu’ils acquièrent les compétences requises pour l’exercice de la profession. « L’individu dont on dit qu’il se professionnalise parce qu’il maîtrise de mieux en mieux l’activité et répond aux normes établies collectivement » (Bourdoncle, 1993, p. 16). La professionnalisation des personnes, renvoie donc au cas où l’activité est exercée par les personnes dans un processus d’acquisition « de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être professionnels en situation réelle et d’une identité qui se construit progressivement par identification au rôle professionnel » (Bourdoncle, 2000, p.125).

En dernier lieu, nous retrouvons la formation. A ce niveau l’auteur parle de professionnalisation de la formation qu’il définit comme « le processus grâce auquel la formation est plus fortement orientée vers l’activité professionnelle, dans ses contenus comme dans ses formateurs » (Bourdoncle, 1993, p.16). La professionnalisation de la formation se construit autour d’un certain nombre d’invariants : un mode de recrutement plutôt sélectif, la mise en place d’un modèle de regroupement construit autour de l’identité professionnelle et un mode d’attribution et de reconnaissance sociale des diplômes « extério-référencié » (Bourdoncle, 2000)

A la lumière de tout ce qui précède, le concept de professionnalisation a trois référentiels, pour le moins complémentaires : le processus qui fait qu’un métier tend à devenir une profession et les critères sous-jacents à cette transformation ; l’individu et comme dira Lang (1996, p. 27), le « processus de construction et d’approfondissement des savoirs et compétences nécessaires à la pratique du métier » (Lang, 1996, p. 27), c’est-à-dire :

- des savoirs et savoir-faire spécifiques propres à l’activité professionnelle ;

- des agents de plus en plus expérimentés vers l’acquisition d’une expertise ;

- des agents efficaces et efficients ;

- une expertise partagée par un groupe ;

- des savoirs de la pratique objectivés et transmissibles.

Il s’agit là, des trois dimensions de la professionnalisation : professionnisme, professionnalisme et professionnalité. Ces termes qui sont le plus souvent pris l’un pour l’autre, dans tous les cas, employés indifféremment, ont pourtant leurs spécificités. En effet, le professionnisme renvoie aux « savoirs et savoir-faire spécifiques propres à l’activité professionnelle » ; le professionnalisme aux « agents de plus en plus expérimentés vers l’acquisition d’une expertise » et la professionnalité est liée aux « agents efficaces et efficients ». Il s’agit d’une entrée plutôt pédagogique de la professionnalisation ayant trait aux aspects liés à la construction, à la formation du professionnel. Comme dira Bourdoncle (1991), elle renvoie à « la nature plus ou moins élevée et rationnalisée des savoirs et des capacités utilisés dans l’exercice professionnel » (Bourdoncle, 1991, p. 76).

Le modèle de l’enseignant réflexif, dans la dynamique de situations d’enseignement-apprentissage perçues comme instables, décrit au mieux le concept de professionnalisation. Suivant cette conception, le professionnel est celui qui exerce une profession avec ses caractéristiques, dès lors que cette personne est dotée de professionnalisme : savoirs, savoir-faire et savoir-être nécessaires à l’exercice de cette profession.

Par rapport à l’enseignement, l’enseignant professionnel désigne un praticien efficace qui maîtrise les tours de main du métier et fait preuve d'une « expertise pratique » dans le domaine de l'enseignement. En outre, il est capable, seul et avec d'autres, de définir et d'ajuster des projets dans le cadre d'objectifs et d'une éthique, d'analyser ses pratiques et, par cette analyse, de s'auto-former tout au long de sa carrière (Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud, 1996). Cela donne chez Altet (1994), « une personne dotée de compétences spécifiques, spécialisées » (Altet, 1994, p. 24). Bourdoncle (1993) y ajoute une dimension liée aux normes et à l’éthique établies par la profession.

Le concept de professionnalisation des enseignants a donc un certain nombre de référentiels du point de vue psychosocial, la question est de savoir comment cette professionnalisation se construit, au niveau pratique. Si tant est que la professionnalisation est un processus, un construit, la formation au métier d’enseignant est un enjeu majeur de ce processus. C’est pourquoi, après avoir balisé les contours de ce concept en lien avec ses avatars, nous nous intéressons maintenant à la question de sa construction.