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THEORIES ET PRATIQUES DE FORMATION DES ENSEIGNANTS

3.2. La formation des enseignants : des théories et des pratiques 1. Essai de définition de la fonction enseignante

3.2.3. La fonction enseignante, entre certitude et incertitude

Nous employons les termes de « certitude » ou d’« incertitude » pour désigner la fonction enseignante, vue sous l’angle de la prise en charge des tâches y afférentes. En effet, suivant les précédentes analyses des situations d’enseignant-apprentissage, nous voyons que l’enseignant est constamment interpellé entre le connu et l’inconnu, entre stabilité et instabilité. Comme dira De Landsheere (1979) « les situations pédagogiques sont intermédiaires entre l’incertitude et le risque » (De Landsheere, 1979, p. 284). Cela donnera chez Perrenoud (1996), la phrase très célèbre, par ailleurs, le titre d’un ouvrage : « enseigner », c’est « agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude ». Stabilité/instabilité ou certitude/incertitude sont deux conceptions qui ont toujours caractérisé la fonction enseignante.

Le paradigme de la certitude

Le paradigme s’incrémente dans le béhaviorisme et se positionne par rapport au caractère de stabilité, de certitude, de prévisibilité et de faible niveau de contingence de l’action pédagogique pour déduire d’un modèle de l’enseignant efficace. Ce modèle conçoit l’enseignement à travers ses deux fonctions de gestion (gestion de la matière, gestion de la classe). Suivant ce modèle, la réussite des élèves est largement dépendante du comportement de l’enseignant dont l’efficacité est perçue sous le prisme des réponses qu’il fournit aux diverses situations de classe, indépendamment des contingences dont elles découlent. C’est pourquoi ce modèle s’insère dans le courant des recherches processus-produit issues du béhaviorisme.

Suivant cette conception, l’enseignement obéirait à des règles et stratégies qu’il s’agirait d’appliquer pour être un enseignant efficace quelle que soit la situation. Cette vision de l’enseignement en tant qu’application de recettes toutes faites a donné lieu à d’importants travaux le plus souvent aux conclusions contradictoires, comme le rapportent Dunkin et Bidle (1974, cité par N’Diaye, 2003).

En effet, selon N’Diaye (2003), Riff et Durand (1993) ont montré que ces travaux font peu de place aux interactions maître-élèves, de même que leur niveau d’influence réciproque, etc., comme décrites dans les travaux de Donnay et Charlier (1990).

Ces critiques ont fait évoluer le modèle vers la prise en compte de la compréhension de l’enseignant dans sa tâche (Jackson, 1968). On en vient à l’idée suivant laquelle les comportements sont dépendants de la pensée de l’enseignant, suivant la rationalité de ses techniques et stratégies de traitement de l’information (Jackson, 1968 ; Shavelson, 1973, cité par N’Diaye, 2003).

Or, il s’avère qu’il est pratiquement impossible à l’enseignant de faire un traitement rationnel, dans tous les cas, conscient des problèmes qui surviennent dans le processus enseignement-apprentissage, du fait de leur extrême complexité. Cette considération va voir l’émergence du concept d’enseignant réflexif, lié au paradigme de l’incertitude inhérent à l’action pédagogique.

Le paradigme de l’incertitude

A la différence du modèle d’enseignant efficace qui se positionne par rapport aux comportements observables et la pensée de l’enseignant en tant qu’individu, le modèle de l’enseignant réflexif considère celui-ci par rapport aux multiples interactions qui l’interpellent, selon Huberman (1983), dans un espace temps plutôt limité. A la contrainte de temps donc s’oppose la multiplicité des actions et interactions, les sollicitations diverses auxquelles il est censé s’adapter.

Le maître mot du modèle réflexif est l’adaptation : ajustement au gré des situations. L’enseignant, « oscille entre bricolage et ingénierie, pédagogie et didactique, planification et improvisation, stress et ennui, relation intersubjective et savoirs universels, solitude et négociations, différenciation et gestion d'un groupe, peurs et espoirs, projets personnels et contraintes institutionnelles, intention d'instruire et résistances des élèves, utopie et échecs… » (Perrenoud, 2005).

Cette description renvoie à l’image du « praticien réflexif » dont parle Schön (1987). Le praticien réflexif est celui qui rallie sa pratique à sa réflexion. Cette conception repose sur l’idée suivant laquelle la pratique sert de cadre d’analyse et de réflexion sur le métier. C’est suivant les mêmes termes qu’Houssaye (1994) conçoit la pédagogie, en tant que « réflexion sur l’action éducative ». Pour lui, comme pour Mialaret (1977), la pédagogie est au confluent de la théorie et de la pratique. Car dit-il :

« Si la pédagogie est l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducative par la même personne, sur la même personne, le pédagogue est avant tout un praticien-théoricien de l’action éducative. Le pédagogue est celui qui cherche à conjoindre la théorie et la pratique à partir de sa propre action. C’est dans une production spécifique du rapport théorie pratique en éducation que la pédagogie prend son origine, se crée, s’invente et se renouvelle.

Par définition, le pédagogue ne peut être ni un pur et simple praticien, ni un pur et simple théoricien. Il est entre les deux, il est cet entre-deux » (Houssaye, 1994, p.11). Cette définition place l’enseignant dans une dynamique de recherche-action pour enseigner efficacement. L’enseignant apprend mieux son rôle à partir de ce qu’il fait. Le

principe repose sur la capacité innovante de l’enseignant à partir d’hypothèses et de questionnements qui seront expérimentés pour être ensuite intégrés.

Une telle capacité suppose que l’enseignant dispose de « schèmes » opératoires (Perrenoud, 1996 ; Vergnaud, 1996). Par schèmes, il faut entendre selon Vergnaud (1996), « l’organisation invariante de la conduite dans une classe de situations données ». Ces schèmes sont déclencheurs de l’assimilation et de l’accommodation dans les processus d’adaptation des structures cognitives.

N’est donc pas pédagogue qui veut, comme n’est pas enseignant qui veut. Le métier requiert une forte dose de prise d’informations, de traitement et d’interprétation de ces informations à des fins de communication. Tardif et Lessard (1998) parleront d’interactions significatives que l’enseignant développe en classe avec les élèves « selon une tâche à) d’interprétation de ce qui arrivent au fur et à mesure que cela arrive, b) d’imposition constante de significations, c) engageant un processus de communication complexe avec les élèves » (Tardif et Lessard, 1998, p. 288). Ces interactions significatives sont à assimiler à l’espace opérationnel dont fait référence Casalfiore (2000, cité par N’Diaye) qui est un espace de significations qui regorge d’indices situationnels. Or, ces objets informationnels n’informent véritablement que si les acteurs sont capables de les interpréter et de leur donner un sens. C’est à cette seule condition qu’ils peuvent influencer leur action.

Cette vision de l’enseignement et de la fonction enseignante interpelle beaucoup les modes de recrutement et de formation des enseignants à l’œuvre dans le contexte malien que nous avons précédemment décrits. En effet, cette conception de l’enseignant s’accompagne de questionnements sur les savoirs et compétences des enseignants qui n’ont pas toujours été mis au premier plan.

Toutefois, il convient de noter que cette conception de l’enseignement n’a pas été celle qui a toujours prévalue. D’un paradigme de stabilité, les théories pédagogiques ont évolué vers un paradigme d’instabilité qui met l’accent sur l’importance de la formation dans la définition des savoirs et compétences des enseignants. Cette évolution est à l’image de l’évolution des théories liées à la psychologie des apprentissages dont découlent différentes représentations de l’enseignant.