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De Melmoth à Musset : la figure de « l’homme errant »

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 120-126)

Parmi les masques du désespoir qu’aime à arborer le poète, il en est un qui, issu d’une longue tradition religieuse et littéraire, doit beaucoup au roman gothique et alimente tout le « Romantisme noir » : la figure de l’ange déchu. Reportons-nous en 1796, date de la publication en France du chef-d’œuvre de M. G. Lewis, Le Moine. Nul doute que les romantiques français ne pouvaient qu’apprécier dans cet ouvrage l’une des rares œuvres où le prince des ténèbres déchu, après avoir été invoqué, choisit l’apparence séraphique qui était la sienne avant d’entamer sa fatale sédition. Le Moine conte l’histoire d’Ambrosio, prieur des Capucins de Madrid, qui versera dans la luxure et le crime après avoir cédé à la séduction d’une émissaire de Satan. Le roman s’achève sur la damnation éternelle du « moine infortuné » après cette funeste révélation : la jeune fille qu’il a violée et assassinée n’est autre que sa sœur, et la femme qu’il a étouffée, sa mère. Si chez Lewis les dogmes catholiques sont explicitement battus en brèche comme chez Ann Radcliffe, il est nouveau d’introduire les motifs du blasphème et de la profanation.

Or, l’ange déchu, tel qu’il apparaît chez Lewis, n’est pas sans annoncer l’ « homme fatal » de Byron, indissociable de son œuvre et qu’il définit lui-même dans les stances du Chant I de Lara :

« Qu’avait-il été, qu’était-il cet inconnu qui venait comme une apparition, et dont on connaissait seulement les ancêtres ? Un ennemi des hommes ? […] Ce sourire venait jusqu’à sa lèvre, mais

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Ibid., p.313.

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n’allait jamais au-delà. Nul n’avait retrouvé son rire dans son regard. […] On eût dit une pénitence que s’imposait un homme dont les affections avaient autrefois peut-être troublé le repos, une douleur vigilante qui le condamnait à haïr, pour avoir trop aimé. […] Il y avait dans lui un mépris vital de toute chose, comme s’il eût épuisé le malheur. Il demeurait étranger sur la terre des vivants ; esprit exilé d’un autre monde, et qui venait errer dans celui-ci. […] Cette même impulsion, dans un moment de tentation, l’égarait pareillement dans la voie du crime : tant il planait au-dessus ou retombait au- dessous des hommes au milieu desquels il se sentait condamné à vivre ! tant il avait à cœur de se séparer en bien ou en mal de quiconque partageait sa condition mortelle ! Cette condition, il l’avait en horreur, et son âme avait fixé son trône bien loin du monde, dans des régions de son choix. »88

Le type de l’homme fatal, égaré sur la terre, flottant au-dessus du vacarme humain, aux allures de séraphin oublieux de ses origines célestes, connut un grand succès auprès de la jeunesse romantique et explique en partie l’admiration dont fit l’objet un autre roman de Charles-Robert Maturin : Melmoth ou l’homme errant. Le héros éponyme, étrange composé de Faust, de Méphistophélès, du Juif errant et du Prisonnier de Chillon, est qualifié par Baudelaire dans Les Paradis artificiels d’ « admirable emblème ». Le poète reconnaît en lui l’une des figures les plus aimées des romantiques auxquels il apparaît véritablement comme un avatar prométhéen, et va jusqu’à en faire l’incarnation même de la dimension essentiellement satanique du rire :

« Quoi de plus grand, quoi de plus puissant relativement à la pauvre humanité que ce pâle et ennuyé Melmoth ? Et pourtant, il y a en lui un côté faible, abject, antidivin, antilumineux. Aussi comme il rit, comme il rit, se comparant sans cesse aux chenilles humaines, lui si fort, si intelligent, lui pour qui une partie des lois conditionnelles de l’humanité, physiques et intellectuelles, n’existe plus ! Et ce rire est l’explosion perpétuelle de sa colère et de sa souffrance. Il est, qu’on me comprenne bien, la résultante nécessaire de sa double nature contradictoire, qui est infiniment grande relativement à l’homme, infiniment vile et basse relativement au Vrai et au Juste absolus. Melmoth est une contradiction vivante. »89

Cette double nature qui l’égale à Lucifer et Prométhée réunis est tout autant une composante du mal du siècle qui allie goût de l’infini et sécheresse du monde réel, qu’il symbolise les affres de l’être céleste chu dans la matière, dans l’abîme douloureux de l’entre- deux mondes. Ces postulations paradoxales de l’âme trouvent une touchante illustration dans la première des Lettres d’un voyageur, où Sand brosse le portrait désespéré d’un poète aux allures d’aiglon foudroyé qui a oublié dans le stupre ce qu’il devait à son génie :

« Quel amour de la destruction brûlait donc en toi ? Quelle haine avais-tu contre le ciel, pour dédaigner ainsi ses dons les plus magnifiques ? Est-ce que ta haute destinée te faisait peur ? (…] L’ange de la poésie, qui règne à la droite [ de Dieu] , s’était penché sur ton berceau pour te baiser au front ; mais tu fus effrayé sans doute de voir si près de toi le géant aux ailes de feu. […] A peine assez fort pour marcher, tu voulus courir à travers les dangers de la vie, embrassant avec ardeur toutes ses réalités, et leur demandant asile et protection contre les terreurs de ta vision sublime et terrible. Comme Jacob, tu luttas contre elle, et comme lui tu fus vaincu. Au milieu des fougueux plaisirs où tu cherchais vainement ton refuge, l’esprit mystérieux vint te réclamer et te saisir. »90

Le cas de Musset et de ses protagonistes théâtraux ou poétiques, s’il s’inspire sans aucun doute de la longue tradition littéraire de l’ange déchu, propose néanmoins une variante de ce motif. Car chez le poète de « Rolla », on observe, en deçà de toute entreprise littéraire, une véritable volonté de déchoir. Qu’il s’agisse de sa prédilection pour les effets dévastateurs de la passion amoureuse, des relations privilégiées avec les filles des rues, ou de son goût trop prononcé pour le fameux cocktail bière-cognac-absinthe, Musset semble avoir vécu dans

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G. G. Byron, Lara, Stances XVII-XVIII, Paris, C. Vanier, 1856, pp.102-104.

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C. Baudelaire, De l’essence du rire, [1855], Œuvres Complètes, t. II, op. cit., p.531.

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l’insouciance de ce pernicieux et vertigineux entraînement, presque dans la jouissance de se détruire lui-même, de descendre dans les tréfonds du désespoir, à l’instar de Philotée O’Neddy dans la « Nuit dixième » de son recueil Feu et Flamme :

« Puisque Liberté, Gloire, Amour,

T’ont défendu l’accès de leurs temples sublimes ; Puisque, d’abîmes en abîmes,

Tes trois plans de bonheur ont roulé tour à tour ; Prépare-toi, jeune homme, à descendre la pente Qui mène au réceptacle où, sur un trépied noir,

Siège le démon pâle à la robe sanglante, Qu’on appelle le désespoir ! »91

Ce défi, Musset se le lance très tôt dans un poème que l’on date de 1832, où il répond aux remontrances de son entourage :

« On me demande par les rues Pourquoi je vais bayant aux grues,

Fumant mon cigare au soleil, A quoi se passe ma jeunesse, Et depuis trois ans de paresse Ce qu’ont fait mes nuits sans sommeil.

[…]

Mon imprimeur crie à tue-tête Que sa machine est toujours prête, Mais que la mienne n’en peut mais. D’honnêtes gens, qu’un club admire,

N’ont pas dédaigné de prédire Que je n’en reviendrai jamais.

Julie, as-tu du vin d’Espagne ? […]

On dit que ma gourme me rentre, Que je n’ai plus rien dans le ventre,

Que je suis vide à faire peur ; Je crois, si j’en valais la peine, Qu’on m’enverrait à Sainte-Hélène

Avec un cancer dans le cœur.

Allons, Julie, il faut t’attendre A me voir quelque jour en cendre

Comme Hercule sur son rocher. Puisque c’est par toi que j’expire,

Ouvre ta robe, Déjanire, Que je monte sur mon bûcher. »92

Cette inconduite stérilisante qu’il stigmatise lui-même le réduit à l’état de fantôme, d’ange déchu bradant son idéal contre les faux-semblants de la débauche. Si l’on ne peut pas encore parler de stérilité poétique, la machine d’autodestruction est mise en marche, jusqu’à l’issue fatale que l’on connaît. Loin de l’ « homme-Dieu » des Paradis artificiels de Baudelaire, le stupre reste pour Musset une force dévitalisante qui laisse le poète exsangue, comme le confirme Alfred-Octave dans La Confession d’un enfant du siècle :

« Une espèce d’inertie stagnante, colorée d’une joie amère, est ordinaire aux débauchés. C’est une suite d’une vie de caprice, où rien n’est réglé sur les besoins du corps, mais sur les fantaisies de

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P. O’Neddy, « Nuit dixième », Feu et Flamme, op. cit., p.129.

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l’esprit, où l’un doit être toujours prêt à obéir à l’autre. […] Tout ce qu’aime le débauché, il s’en empare avec violence ; sa vie est une fièvre ; ses organes, pour chercher la jouissance, sont obligés de se mettre au pair avec des liqueurs fermentées, des courtisanes et des nuits sans sommeil. »93 Cette déchéance librement consentie atteint même le cœur de la relation amoureuse au sein de laquelle le poète masochiste recherche lui-même l’instrument de sa propre douleur, dans un fantasme complexe de Faute et de culpabilité refoulée :

« Elle m’avait donné son portrait en miniature dans un médaillon ; je le portais sur le cœur, chose que font bien des hommes ; mais ayant trouvé un jour chez un marchand de curiosités une discipline de fer, au bout de laquelle était une plaque hérissée de pointes, j’avais fait attacher le médaillon sur la plaque et le portais ainsi. Ces clous, qui m’entraient dans la poitrine à chaque mouvement, me causaient une volupté si étrange, que j’y appuyais quelquefois ma main pour les sentir plus profondément. »94

Mais cette « chute de l’ange » qui amène le poète à se mortifier dans l’amour peut aussi prendre une forme plus virulente et sarcastique, recourir à l’iconoclasme pour englober dans cette inéluctable déchéance les sacro-saints canons de la religion. A Guttinguer qui, en 1838, sermonne Musset et Tattet dans son sonnet « A deux jeunes amis », Alfred répond de manière cinglante par une belle profession d’immoralité, en imaginant un Jésus qui aurait eu la sagesse de renoncer au firmament et au royaume des anges pour se faire homme et devenir un joyeux drille buveur d’absinthe :

« Pour un chrétien, quel agrément ! Jugez combien l’ivresse est sainte, Puisque, avec deux verres d’absinthe,

On peut doubler le firmament. Ne riez pas, l’absinthe est bonne ;

L’Ecriture en parle beaucoup, Et quelque part, Dieu me pardonne !

Notre seigneur en but un coup. » 95

Ainsi le culte du plaisir apparaît-il comme une réponse ironique, amère et désespérée à la douleur presque platonicienne d’être tombé du monde idéal dans la fange de la froide réalité. Existence, relations amoureuses, sphères divines, ce sentiment intime de déchéance envahit tous les champs, et trouve naturellement à s’exprimer dans les personnages imaginés par Musset.

Publié en 1833, André del Sarto met en scène un artiste ruiné par un amour malheureux qui le conduira au suicide. Amalgamant le sentiment de déchéance personnelle et la mort de l’art en général, le poète livre une parabole esthétique de cette conscience de la chute qui renvoie l’idéal artistique au néant et le sujet à la mort. Ainsi André conclut-il l’homélie qu’il adresse à Césario et Lionel, deux de ses apprentis : « Nous vieillissons, mon pauvre ami. La jeunesse ne veut plus guère de nous. Je ne sais si c’est que le siècle est un nouveau-né, ou un vieillard retombé en enfance. »96

Ange déchu, peintre déchu, poète déchu, autant de visages de la pureté violée et d’un absolu s’étiolant dans le sentiment de la finitude humaine.

Cette irrémédiable souillure se fait encore plus palpable dans le poème « Rolla », où Musset met en scène un jeune homme ruiné qui vient dépenser son ultime pièce d’or entre les

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A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., p.201.

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Ibid., pp. 57-58.

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A. de Musset, « A Ulric Guttinguen », Poésies Complètes, op. cit., pp. 534-535.

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bras d’une prostituée de quinze ans, avant de se donner la mort sur le sein de sa dernière maîtresse. Le royaume des hommes est bien, pour l’auteur, soumis à la domination de Lucifer qui répand sur lui son indigne décadence :

« Lui, chrétien, homme, fils d’un homme ! Et cette femme, Cet être misérable, un brin d’herbe, un enfant, Sur son cercueil ouvert dormait en l’attendant.

Ô chaos éternel ! Prostituer l’enfance ! Ne valait-il pas mieux, sur ce lit sans défense, Balafrer ce beau corps au tranchant d’une faux !

[…]

Ne valait-il pas mieux lui poser sur la face Un masque de chaux vive avec un gant de fer, Que d’en faire un ruisseau limpide à la surface,

Réfléchissant les fleurs et l’étoile qui passe, Et d’en salir le fond des poisons de l’enfer ? » 97

La double nature de l’ange déchu, à la fois chassé de l’Eden, exilé à jamais mais qui conserve le souvenir de sa pureté disparue, invalide alors le bien fondé du séjour terrestre qui ne le condamne qu’à une détestable solitude et au mépris de ses facultés créatrices, comme c’est le cas dans le fragment intitulé « Spleen » chez Philotée O’Neddy, où la rancœur du « petit romantique » cède le pas à une blessure plus irrémédiable et profonde :

« Pleure : il faut te résoudre à languir dans les villes. Adieu l’enthousiasme. En des travaux serviles

On t’ensevelira, comme en un froid linceul. Ah ! Pleure-mais tout bas, de peur que l’ironie

De misère et d’orgueil n’accuse ton génie. Et point d’amis encore ! Il te faut pleurer seul. »98

Cette tragique discordance apparaît de façon éclatante dans le chef-d’œuvre théâtral de Musset, Lorenzaccio, où la thématique de l’irrémissible souillure reste un point cardinal des vicissitudes du personnage principal. C’est en substance la teneur des propos de sa mère Marie, qui ne peut que constater l’inéluctabilité de la destinée de son cher débauché : « Ah, Catherine, il n’est même plus beau ; comme une fumée malfaisante, la souillure de son cœur lui est montée au visage. Le sourire, ce doux épanouissement qui rend la jeunesse semblable aux fleurs, s’est enfui de ses joues couleur de soufre, pour y laisser grommeler une ironie ignoble et le mépris de tout. »99 Cependant, cette « tache originelle » n’est pas imputable à un déterminisme divin ou une damnation initiale, car ce fatum, c’est Lorenzo lui-même qui se l’est infligé pour séduire le Duc : « Pour devenir son ami, et acquérir sa confiance, il fallait baiser sur ses lèvres épaisses tous les restes de ses orgies. »100 Pris au piège par son propre jeu, Lorenzo s’est enferré dans le rôle qu’il s’est choisi, et la découverte de la Vérité, entendons le commerce avec la réalité des hommes, rend son périple irréversible : « La main qui a soulevé une fois le voile de la vérité ne peut plus le laisser retomber ; elle reste immobile jusqu’à la mort, tenant toujours ce voile terrible, et l’élevant de plus en plus au-dessus de la tête de l’homme, jusqu’à ce que l’Ange du sommeil éternel lui bouche les yeux. »101 D’un point de vue biographique, les stigmates ineffaçables de la dépravation qui touchent le poète

97

A. de Musset, « Rolla », Poésies Complètes, op. cit., pp. 281-282.

98

P. O’Neddy, « Spleen », Feu et flamme, op. cit., p.133.

99

A. de Musset, Lorenzaccio, Théâtre Complet, op. cit., p.160.

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Ibid., p.200.

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ont marqué au fer rouge la moindre de ses aventures, jusqu’à la plus célèbre et ont inoculé leur venin dans un sentiment amoureux qui s’était rêvé pur de toute tache :

« Tu daignas croire à un autre qu’à toi-même, orgueilleux infortuné ! tu cherchas dans son cœur le calme et la confiance. Le torrent s’apaisa et s’endormit sous un ciel tranquille. Mais il avait amassé, dans son onde, tant de débris arrachés à ses rives sauvages, qu’elle eut bien de la peine à s’éclaircir. […] Ainsi fut longtemps tourmentée la vie nouvelle que tu venais essayer. Ainsi le souvenir des turpitudes que tu avais contemplées vint empoisonner, de doutes cruels et d’amères pensées, les pures jouissances de ton âme encore craintive et méfiante. »102

Une fois tombé de son piédestal, après avoir voulu accomplir le rêve d’Icare, l’homme qui s’est cru ange se condamne lui-même à végéter dans une fange qui rend désormais tout espoir caduc. Il ne peut que porter, dans son cœur, cette béance, qui rend tout bonheur inaccessible. C’est le cas d’Octave qui, à trop s’être adonné au jeu périlleux de la débauche, constate son incapacité à aimer :

« Mais les souffrances que j’avais endurées, le souvenir des perfidies dont j’avais été le témoin […], le monde corrompu que j’avais traversé, les tristes vérités que j’y avais vues, celles que, sans les connaître, j’avais comprises et devinées par une funeste intelligence, la débauche enfin, le mépris de l’amour, l’abus de tout, voilà ce que j’avais dans le cœur sans m’en douter encore, et au moment où je croyais renaître à l’espérance et à la vie, toutes ces furies engourdies me prenaient à la gorge et me criaient qu’elles étaient là. »103

La dimension biographique de cet extrait est évidente, tant il correspond à une expérience personnelle de la déchéance et au désir de reconquérir le statut d’ange pur et lumineux. Il convient de se souvenir que Musset avait envisagé d’écrire une suite à La

Confession intitulée, titre révélateur s’il en est, Le Poète déchu, dont il ne nous reste

malheureusement que quelques chapitres dépareillés, en raison notamment de la censure imposée par le zèle fraternel d’un Paul de Musset toujours soucieux de préserver l’hagiographie de son cadet. Les fragments qui subsistent semblent dresser le bilan d’une vie. Faisant sien l’antique adage « On naît poète, on devient prosateur », Musset y définit le génie poétique comme un perpétuel état d’enfance, et évoque une dépression chronique qui lui ôte jusqu’au goût même du plaisir. C’est ce qu’il confiera à son frère dans ce qui est certainement un passage de l’hypothétique Poète déchu :

« L’exercice de nos facultés, voilà le plaisir ; leur exaltation, voilà le bonheur. C’est ainsi que, depuis la brute jusqu’à l’homme de génie, toute cette vaste création se meut sous le soleil dans l’accomplissement de sa tâche éternelle. C’est ainsi qu’à la fin d’un repas, les uns, échauffés par le vin, saisissent des cartes et se jettent sur des monceaux d’or, le front sous une lampe ; les autres demandent leurs chevaux et s’élancent dans la forêt ; le poète se lève, les yeux ardents, et tire son verrou derrière lui ; tandis qu’un jeune homme silencieux court au logis de sa maîtresse. Qui peut dire lequel est le plus heureux ? Mais celui qui reste immobile à sa place, sans prendre part au mouvement qui l’entoure, est le dernier des hommes ou le plus malheureux. »104

Si Alfred a bien joué tous les rôles qu’il évoque, c’est sans doute dans ce spectateur

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