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L’ombre portée de Jean-Jacques, de René et d’Oberman

On ne peut nier que cet univers romantique « carcéral » s’inscrive dans la droite ligne de l’héritage affectif propre au XVIIIe siècle français : «Les frissons nouveaux, la nouvelle sensibilité exacerbée et l’intronisation du moi spleenétique ont été des conquêtes du préromantisme »132, quand bien même cette notion de préromantisme reste sujette à caution et laisse encore les chercheurs fort partagés. Mais si cette expérience existentielle du mal-être est marquée par les stigmates spirituels et politiques d’un siècle, l’influence nocive de la mélancolie, dans la constitution du moi créateur, est encore plus probante dans les traductions littéraires de cette infirmité de l’âme.

Le lecteur averti en observe déjà les germes dans Les Rêveries du promeneur solitaire, où la mélancolie de Jean-Jacques résonne comme un signe avant-coureur du mal du siècle, à quelques nuances près. Certes, la mise à l’index de l’auteur « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. »133 semble présenter une cause identifiable, un bannissement consécutif à un ample « complot », à la différence du mal du siècle dont les sources restent plus diffuses. Cependant, une même vision eschatologique de l’impossibilité du bonheur terrestre semble se faire jour :

« Toujours en avant ou en arrière de nous, elles [les sensations] appellent le passé qui n’est plus ou préviennent l’avenir qui souvent ne doit pas être : il n’y a rien là de solide à quoi le cœur se puisse attacher. Aussi n’a-t-on guère ici-bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je doute qu’il soit connu. […] Comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après ?»134

A ce constat amer succède une ligne de conduite rigoureuse, une réforme au sens religieux et moral du terme, la quête d’un salut qui ne laissent pas de rappeler les atermoiements et « l’ascèse » romantiques. L’élan salvateur qui emporte le cœur de Jean- Jacques au sein de sa solitude angoissée, c’est tout d’abord le sentiment de sa propre innocence : « Ma seule innocence me soutient dans les malheurs, et combien me rendrais-je plus malheureux encore, si m’ôtant cette unique mais puissante ressource, j’y substituais la méchanceté ?»135 Comment ne pas penser à Lorenzaccio qui se fait le chantre de l’innocence perdue avant d’arborer le masque cynique de la débauche et du crime ? La « conscience dans le mal », dirait Baudelaire, est bien ce qui enferre le jeune Médicis dans un infernal cas de conscience qui ne peut aboutir qu’à un mépris de soi et à la haine des autres. Ainsi le

131

P. Bénichou, L’Ecole du Désenchantement, op. cit., p.179.

132

F. A. Leconte, op. cit., p.242.

133

J. J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, [1776-1778], « Première promenade », Paris, Gallimard, 1972, p.35.

134

Ibid., « Cinquième promenade », p.101.

135

personnage éponyme confie-t-il à Philippe Strozzi : « Philippe, Philippe, j’ai été honnête […] Il est trop tard. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau. »136

Irrémédiablement, l’individu semble condamné à une solitude narcissique et douloureuse, dont on trouve déjà des traces chez Rousseau, et qui empruntera à la fois la voie de l’introspection et celle d’une humanité conçue comme pure sensitivité, simple réceptacle des émotions suscitées par le spectacle de la nature. On peut lire ainsi sous la plume de Jean- Jacques : « C’est de cette époque que je puis dater mon entier renoncement au monde et ce goût vif pour la solitude qui ne m’a plus quitté depuis ce temps-là.»137 ; cette marginalité revendiquée est bien l’apanage de nombreux personnages mussétiens. Plus loin, dans la «Septième promenade » : « Mes idées ne sont presque plus que des sensations ; et la sphère de mon entendement ne passe pas les objets dont je suis immédiatement entouré. »138 Solitude dédaigneuse, conscience aiguë de la vanité de toutes choses, repli sur soi, autant de composantes du mal du siècle dont on peut déjà observer les prémices dès 1778 et qui traverseront, nous le verrons, toute l’œuvre d’Alfred de Musset.

A l’instar de Jean-Jacques, il semble de même indubitable que, pour un large empan de la jeunesse française, René fut ce que le Werther de Goethe était aux fameux « Stürmer

und Dränger » : un modèle absolu, une icône de la lutte métaphysique, un héros en quête

d’infini, sans espoir de libération ni faculté de décision. Ainsi, quand Chateaubriand éclaire le « vague des passions » dans le Génie du christianisme, il fait œuvre d’initiateur, puisqu’il décrit l’une des principales maladies du siècle, que René, sorte d’autobiographie didactique, devait illustrer : «Mon humeur était impétueuse, mon caractère inégal. Tour à tour bruyant et joyeux, silencieux et triste, je rassemblais autour de moi mes jeunes compagnons ; puis, les abandonnant tout à coup, j’allais m’asseoir à l’écart, pour contempler la nue fugitive, ou entendre la pluie tomber sur le feuillage. »139 Ce que les dictionnaires appelleront longtemps le « mal de René », avant d’en donner une définition plus anonyme, met précocement en exergue l’insupportable distorsion qui préside à la destinée humaine : la fange de la réalité dans laquelle l’homme se débat, et les sphères éthérées où navigue son idéal sans espoir. L’insondable ennui semble être le seul sentiment qui rattache l’individu aux enceintes terrestres et l’anathème dont il est frappé le contraint à se mettre au diapason dissonant d’une société médiocre où l’esprit romanesque n’est pas de mise et qui répond si mal aux nobles aspirations de l’âme :

« On m’accuse d’avoir des goûts inconstants, de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère […] ; on m’accuse de passer toujours le but que je puis atteindre : hélas ! Je cherche seulement un bien inconnu, dont l’instinct me poursuit. Est-ce ma faute, si je trouve partout des bornes, si ce qui est fini n’a pour moi aucune valeur ? […] Il me manquait quelque chose pour remplir l’abîme de mon existence. […] Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs. »140

Ce vague des passions, que nous avons défini dans le premier chapitre, royaume de mille chimères, reste chez Chateaubriand la conclusion fatale du mariage entre la civilisation, la femme, et la religion chrétienne, dont les effets pervers fusionnent pour faire naître « cette coupable mélancolie qui s’engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet,

136

A. de Musset, Lorenzaccio, in Théâtre Complet, op. cit., p. 202.

137

J. J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, op. cit., p.61.

138

Ibid., p.127.

139

F. de Chateaubriand, René, 1802], Paris, Gallimard, 1971, p.144.

140

se consument d’elles-mêmes dans un cœur solitaire.»141 La lecture même du Génie du

Christianisme, qui réaffirme les liens ténus entre la poésie et le sacré, peut prendre une

dimension paradoxale et atteindre un but opposé à celui qui était visé, tant il prend dans le premier quart du XIXè siècle une couleur particulière. Ainsi George Sand confie-t-elle que le chef-d’œuvre de Chateaubriand a eu pour effet…de la détourner pour un moment du catholicisme et de bâtir une forme de foi supérieure :

« Chose étrange, cette lecture destinée par mon confesseur à river mon esprit au catholicisme, produisit en moi l’effet tout contraire de m’en détacher pour jamais. Je dévorai le livre, je l’aimai passionnément, fond et forme, défauts et qualités. Je le fermai persuadée que mon âme avait grandi de cent coudées, […] que désormais j’avais acquis une force de persuasion à toute épreuve, et que non seulement je pouvais tout lire, mais encore que je pouvais étudier tous les philosophes, tous les profanes, tous les hérétiques, avec la douce certitude de trouver dans leurs erreurs la confirmation et la garantie de ma foi. […] , je sentis ma dévotion se redorer de tout le prestige de la poésie romantique. »142

Le mal de René jette alors dans certains esprits le germe d’une Réforme. Ce « mal de René » fait figure, à bien des égards, d’aïeul de ce qui deviendra chez Musset et les poètes romantiques, le « mal du siècle ». Dans son inclination pour l’évasion, sa perception de la vacuité de toute chose, l’inertie dont il est frappé, dans la lente déliquescence de sa volonté, il annonce les nombreux avatars que la postérité lui a donnés : tous les Rolla, Mardoche, Octave et autre Lorenzaccio affleurent sous cette lassitude face au néant de l’existence qui envahit René, pour lequel même l’ultime recours du suicide reste inaccessible, dans la mesure où il requiert une volonté de décision. L’essence même du mal de René tient à cette irrésolution. Ainsi choisira-t-il la résignation et l’exil volontaire : «Traité pourtant d’esprit romanesque, honteux du rôle que je jouais, dégoûté de plus en plus des choses et des hommes, je pris le parti de me retirer dans un faubourg pour y vivre totalement ignoré. »143

Cet appel à l’infini qui reste sourd, ce besoin de transcendance qui ne peut trouver ni appui ni satisfaction, cette souffrance du confinement dans les enceintes terrestres, s’ils témoignent d’une expérience intérieure de l’auteur - « Chateaubriand souffre déjà du mal de René, de ce désir inassouvi de l’absolu»144 affirme Maïja Lehtonen– déclinent et anticipent le paradigme des insatisfactions de la jeunesse romantique. Ce sont autant d’avatars plus ou moins dévoyés de ce même homme soumis à la dictature de l’hybris, avide d’absolu, qui, renonçant à l’exploration horizontale d’un monde insipide et rebattu, opte pour l’élan vertical, la contemplation béate du firmament où flotte l’Etre, le démiurge « qui remplit de son immensité ces espaces sans bornes. »145 Ce même archétype du surhomme incompris, incarcéré dans les barrières étroites de l’existence humaine, cette quête d’un Eden où la spiritualité pourra s’épanouir et l’ennui s’estomper trouveront à s’exprimer chez Musset, pour ne citer qu’un exemple, dans « La Nuit de Mai» :

« Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu. Eveillons au hasard les échos de la vie, Parlons-nous du bonheur, de gloire et de folie,

Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l’on oublie. » 146

141

F. R. de Chateaubriand, Le Génie du Christianisme, Paris, Gallimard, 1971, p.309.

142

G. Sand, Histoire de ma vie, IV, 4, op. cit., pp.1037-1038.

143

F. R. de Chateaubriand, René, op. cit., p.155.

144

M. Lehtonen, L’expression imagée dans l’œuvre de Chateaubriand, Helsinki, Société Néophilologique, 1964, p.54.

145

Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, op. cit., p.130.

146

Le jeune Flaubert, alors âgé de dix-huit ans, reprendra à son compte cette intolérable asthénie qui paralyse les facultés créatrices et entrave les élans de l’âme. Ainsi confie-t-il à Ernest Chevalier :

« Car je suis de ceux qui sont toujours dégoûtés le jour du lendemain, auxquels l’avenir se présente sans cesse, de ceux qui rêvent ou plutôt rêvassent , hargneux et pestiférés, sans savoir ce qu’il veulent, ennuyés d’eux-mêmes et ennuyants. J’ai été au bordel pour m’y divertir, et je m’y suis embêté. Magnier me ronge, l’histoire me tanne. Le tabac ?!! j’en ai la gorge brûlée. Les petits verres ? j’en suis hérissé, […]. Autrefois je pensais, je méditais, j’écrivais, je jetais tant bien que mal sur le papier la verve que j’avais dans le cœur. Maintenant je ne pense plus, je ne médite plus, j’écris encore moins. La poésie s’est peut-être retirée d’ennui et m’a quitté. Pauvre ange, tu ne reviendras donc pas ! […] Mon existence que j’avais rêvée si belle, si poétique, si large, si amoureuse sera comme les autres, monotone, sensée, bête. »147

Certes, la mélancolie de Flaubert n’est pas celle de Rousseau ou de Sénancour, elle annonce plutôt le spleen et l’ennui dévorateur chez Baudelaire, néanmoins elle s’ancre dans les névroses et le mal-être de ses prédécesseurs.

Pour tous les jeunes cœurs et les âmes enfiévrées comme celle de Musset, les chimères, les délires du cœur, les songes et les turpitudes des passions étaient enfin fixés, capturés par la magie incantatoire des mots, dans une œuvre unique, aussi acerbes que soient les dénégations didactiques du père Souël dans René, à travers un héritage pesant que viendra consacrer une autre figure légendaire du mal-être, l’Oberman de Senancour.

En effet, obsédé par l’harmonie du bonheur originel, Senancour fait l’expérience douloureuse de l’irrémédiable clivage entre la pensée et l’action, le passé imaginaire, idéal, et la réalité présente : « L’ennui naît de l’opposition entre la sphère illimitée, rapide ou brillante, que nous imaginons, et la sphère étroite, lente ou triste, où nous nous trouvons circonscrits.»148 Mais à la différence du René de Chateaubriand, Oberman ne fait pas l’expérience d’un ennui qui ne serait que le résultat d’une éclipse de la jouissance. La lassitude du héros naît plutôt d’une surabondance des plaisirs et des activités de la vie, dont les promesses d’enchantement meurent avec les limites de l’imagination et retombent dans le néant. Ainsi peut-on lire, en écho, sous la plume de Musset, cette profession de foi en négatif de Frank, dans « La Coupe et les lèvres » :

« Je renierai l’amour, la fortune et la gloire ; Mais je crois au néant, comme je crois en moi. Le soleil le sait bien, qu’il n’est sous la lumière

Qu’une immortalité, celle de la matière. La poussière est à Dieu; - le reste est au hasard. »149

L’imagination riche, mais le cœur vide, l’individu ne peut que constater la vacuité effrayante de la réalité, du monde et s’abandonner à une apostasie généralisée qui ne trouvera son salut que dans la froideur du sépulcre, comme si le cénotaphe faisait figure d’allégorie de la condition humaine.

Satiété et saturation deviennent donc les maîtres mots de l’esthétique de Senancour, comme on peut s’en convaincre à la lecture d’Aldomen, en même temps qu’ils s’affichent comme le pur produit de la civilisation. Oberman orientera ce malaise vers une forme plus

147

G. Flaubert, Lettre à Ernest Chevalier, 24 février 1839, Correspondance, Paris, Gallimard, 1975, pp. 38-39.

148

Senancour , Rêveries sur la nature primitive de l’homme, tome I, Paris, Droz, 1939, p.74.

149

profonde et inquiétante, vers un « mysticisme négatif »150, selon l’expression de Reinhard Kuhn, dont l’insatiabilité, la vacuité, l’appel inextinguible du néant seront les manifestations les plus apparentes. La dissolution du moi prend chez Senancour une dimension proprement métaphysique, et l’imaginaire salvateur n’est plus qu’une entité vide qui entraîne dans sa déréliction la justification de l’existence : « Toujours attendre, et ne rien espérer, toujours de l’inquiétude sans désirs, et de l’agitation sans objet ; des heures constamment nulles […] C’est la lente agonie du cœur ; ce n’est pas ainsi que l’homme devait vivre. »151

Cette angoisse venue entraver les élans de l’être ne parvient pas à trouver de salut dans une réforme de l’esprit, et condamne sa victime à une impuissance vague, mais réelle. Cet ennui incurable atteint toutes les facultés de l’âme pour la conduire vers sa dislocation totale, sans résistance. On retrouve des traces de cette lente déliquescence chez les protagonistes de Musset, pour lesquels le spectacle intemporel de la nature n’est même plus ce baume qui apaisait les angoisses d’Oberman. Le scepticisme fondamental de Rolla n’est pas sans évoquer ce reniement de soi inhérent à la désespérance :

«Le néant ! Le néant ! Vois-tu son nombre immense Qui ronge le soleil sur son axe enflammé ? L’ombre gagne ! Il s’éteint, --l’éternité commence. »152

Cependant, si ce malaise se montre incoercible chez Oberman, il s’avère aussi indispensable à son existence, puisqu’il en est la justification même : c’est par le sentiment d’ennui même qu’il existe, dans une possession totale qui exige une soumission complète de l’être. Ce témoignage âpre d’une véritable lutte de l’âme contre les affres de l’existence met en exergue une douleur ontologique, une lassitude d’ordre métaphysique qui affleurent sous la perception carcérale de l’espace chez Senancour : «Aussi toutes les issues semblent-elles bouchées, et dans la cage du temps, l’homme s’agite-t-il parfaitement en vain. »153 Par conséquent, s’attaquant à une imagination échevelée et anarchique qu’il se doit de soumettre à l’intelligence, le héros doit s’imposer une restriction spatiale, se fixer en lui-même ses propres frontières : « C’est en limitant son être qu’on le possède tout entier, l’extension n’est que misère et dépendance. »154

La plénitude de l’esprit ne se conquiert qu’en abandonnant le doux rêve de l’infini, insondable et aveuglant, qui ne sera jamais qu’un défi aux désirs, à la volonté métaphysique de l’homme.

Ainsi, latente dans la sensibilité maladive de Jean-Jacques, préfigurée par le vague des passions de Chateaubriand, et annoncée par les angoisses métaphysiques d’Oberman, la profonde apathie propre au mal du siècle pourra éclore sur les ruines de l’Empire, s’immiscer dans les cœurs romantiques, dont la galerie composera un vaste panthéon des douleurs incarnée dans toute l’œuvre de Museet. Définitivement, les grandes incarnations du mal-être romantique trouveront leur inspiration dans ce paradoxe existentiel qu’Oberman lui-même met en lumière dans son amer autoportrait : « Cependant l’apathie m’est venue comme naturelle, il me semble que l’idée d’une vie active m’effraie ou m’étonne. Les choses étroites me répugnent, et leur habitude m’attache. Les grandes choses me séduiront toujours, et ma paresse les craindrait. Je ne sais ce que je suis, ce que j’aime, ce que je veux ; je gémis sans cause, je désire sans objet, et je ne vois rien, sinon que je ne suis pas à ma place.»155

150

R. Kuhn, The demon of noontide, Princeton University Press, 1976, p.226.

151

Senancour, Oberman, tome I, Paris, Arthaud, 1947, p.232.

152

A. de Musset, « Rolla », Poésies Complètes, op. cit., p.290.

153

Senancour, Oberman, op. cit., p.233.

154

B. Le Gall, L’imaginaire chez Senancour, Paris, Corti, 1966, p.401.

155

Il serait tendancieux cependant d’imputer aux œuvres phares du Romantisme européen toute la responsabilité de l’introspection douloureuse qui mine les jeunes cœurs. Pour George Sand, la cause de cette vague mélancolie est à rechercher dans des sources plus profondes : la nature même du cœur humain et d’une individualité dans laquelle l’œuvre se réfracte :

« Ma mélancolie devint donc de la tristesse, et ma tristesse de la douleur. De là au dégoût de la vie et au désir de la mort, il n’y a qu’un pas. Mon existence domestique était si morne, si endolorie, mon corps si irrité par une lutte continuelle contre l’accablement, mon cerveau si fatigué de pensées sérieuses trop précoces, et de lectures trop absorbantes aussi pour mon âge, que j’arrivai à une maladie morale très grave : l’attrait du suicide. A Dieu ne plaise que j’attribue cependant ce mauvais résultat aux écrits des maîtres et au désir de la vérité. Dans une plus heureuse situation de famille et dans une meilleure disposition de pensée, ou je n’aurais pas tant compris les livres, ou ils ne m’eussent pas tant impressionnée. […] Les philosophes, pas plus que les poètes, ne sont coupables du mal qu’ils peuvent nous faire, quand nous buvons sans à-propos et sans modération aux sources