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Androgynie et quête de fusion amoureuse

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 141-149)

Au cœur de l’eros romantique sommeille un mythe fondateur symptomatique de la quête affective engagée par Musset. Une approche diachronique du lexème « amour » met ainsi en exergue une évolution sémantique qui ne laisse pas d’être significative au cœur de notre problématique. Pour les lexicologues contemporains, l’« amour » correspond à une « disposition favorable de l’affectivité et de la volonté à l’égard de ce qui est senti ou reconnu comme bon, diversifiée selon l’objet qui l’inspire », à une « disposition à vouloir le bien d’une entité humanisée et à se dévouer à elle », ou encore à une « inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l’instinct sexuel mais entraînant des comportements variés ».1 Cependant, si l’on se réfère au Grand Larousse universel du

XIXe siècle, dont l’ambition est de rassembler toutes les connaissances accumulées au siècle

de Musset, on note la présence d’une nuance d’importance dont nos dictionnaires contemporains se sont insensiblement dépouillés : l’idée d’une aspiration de l’âme vers les idées absolues qui serait intrinsèque au sentiment amoureux. Conforme en tous points à l’acception romantique du terme qui a prévalu tout au long du siècle, cette définition se pare d’une dimension platonicienne qui a aujourd’hui disparu : « Sentiment qui porte l’âme vers ce qui est beau, grand, vrai, juste, et en fait l’objet de notre affection et de nos désirs. »2 Cette connotation idéaliste du substantif, trait définitoire de l’amour romantique, s’avère donc intimement liée à la définition même du sentiment amoureux que développe Platon dans

Phèdre : « Le mouvement de l’âme vers l’idée du beau, c’est-à-dire vers les idées éternelles,

est l’amour. »3 Par ailleurs, que cette conception du sentiment soit inféodée chez Platon à une mythologie de l’androgyne relève de nos jours du poncif littéraire. Il reste cependant à opérer une distinction entre les concepts d’hermaphrodisme et d’androgynie, tant ces deux termes sont aujourd’hui source de confusion, dans la mesure où ils sont parfois trop hâtivement considérés comme des synonymes. On ne peut les considérer comme tels qu’en adoptant l’acception étymologique du lexème « androgyne », qui désignerait alors, comme l’hermaphrodite, une personne physiquement porteuse des deux sexes. Quant au sens courant, l’androgynie permet de caractériser un être humain dont l'apparence seulement comporte les caractéristiques des deux sexes ; c’est ce sens-là que retiendra notre étude, afin d’éviter toute assimilation abusive et trompeuse.

Le romantisme français, sous quelque forme que ce soit, n’a pas manqué de s’approprier ce mythe de l’hermaphrodite, comme en témoignent Le sommeil d’Endymion du sculpteur Girodet, ou encore les œuvres de Joseph-Marie Vien, de Canova ou de Jean Broc. Ainsi, la figure de l’hermaphrodite primitif et les traits distinctifs qui lui sont propres ne pouvaient manquer de laisser leur empreinte chez notre poète, au cœur de la psyché d’un être qui entretenait lui-même cette ambiguïté, à la ville comme à la scène. La nostalgie de cette harmonie primitive entre les sexes, irrémédiablement perdue, le rêve d’une fusion entre le principe mâle et le principe femelle à reconquérir, marquent en effet profondément les amours romantiques et prennent chez Musset une acuité toute particulière. Il convient de rattacher le mythe de l'hermaphrodite du Banquet de Platon à la tradition biblique de la Chute, interprétée comme une dichotomie de l'Homme Primordial. La division sexuelle est une conséquence du péché, mais elle prendra fin à la « réunification » de l'homme, qui sera suivie par la réunion

1

Le Nouveau Petit Robert, par P. Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2003, « Amour ».

2

Grand Larousse universel du XIXe siècle, op. cit., « Amour ».

3

eschatologique du cercle terrestre avec le Paradis. Le Christ a anticipé cette réintégration finale. Selon Maxime le Confesseur, le Christ avait unifié les sexes dans sa propre nature, car, en ressuscitant, il n'était « ni mâle, ni femelle, bien qu'il fût né et mort mâle ». Rappelons aussi que plusieurs midrashims présentaient Adam comme androgyne. Selon le Bereshit rabba, « Adam et Ève étaient faits dos à dos, attachés par les épaules : alors Dieu les sépara d'un coup de hache en les coupant en deux. » Au coeur de la Genèse, l’analyse se heurte à des incohérences ou des difficultés de traduction. Pour L. Angliviel de la Baumelle, les deux versions de la Genèse se caractérisent par l'association intime des créations de l'homme et de la femme. En I, 26-29, « Dieu fit l'homme, selon l'image de Dieu et le fit, mâle et femelle ». En II, 7-25, Dieu qui a façonné Adam, prit un de ses pleura (côte ou côté) … et l'édifia pour en faire une femme et l'amena à Adam… ». La plupart des exégètes s’accordent à penser qu’il faut imaginer une première création, celle d’Adam, comme celle d’un être à double face (Genèse, 1, 27), dont une division ultérieure, au sixième jour, divisera les principes mâle et femelle (Genèse, 2,22). Le père de tous les hommes, au regard du dogme catholique, est donc conçu initialement comme une créature dotée des deux sexes, comme en témoigne le sens du nom Adam, « genre humain », terme générique pour une réalité humaine collective, mâle et femelle…

La perfection spirituelle consiste alors à retrouver en soi-même cet hermaphrodisme originel. Dans le Banquet, Platon décrivait par la bouche d’Aristophane l'homme primitif comme un être bisexué, à forme sphérique : « […] l’androgyne dont la nature comme le nom lui-même, tenait à la fois du mâle et de la femelle […], chaque homme était tout d’une pièce, ayant le dos rond, les flancs en cercle, quatre mains et autant de pieds ; deux visages opposés, bien que tout pareils, au sommet d’un cou soigneusement arrondi, mais n’en formant pas moins une seule tête ; quatre oreilles, deux sexes, et le tout à l’avenant. »4 Le lecteur averti ne peut s’empêcher de songer au catéchisme délivré par Desgenais à Octave dans La Confession

d’un enfant du siècle : « Aimer, c’est se donner corps et âme, ou, pour mieux dire, c’est faire

un seul être de deux. C’est se promener au soleil, en plein vent, au milieu des prés et des prairies, avec un corps à quatre bras, à deux têtes, et à deux cœurs. »5

Ainsi les néo-platoniciens, dont le courant de pensée a profondément influencé le Romantisme, définissent-ils la régénération promise à l’être humain comme un retour à la plénitude de l’hermaphrodite avant la chute. Car de l’hermaphrodite à l’ange, il n’y a qu’un pas, que nombre d’auteurs franchit allégrement. Les romantiques français n’ont pas manqué en effet de faire honneur à cette tradition séculaire, au travers notamment de la Fragoletta de Latouche en 1829, ou encore de nombreux écrits de Balzac qui témoignent de l’intérêt de l’auteur de la Comédie humaine pour cette figure mythique : Séraphîta, Béatrix, L’Enfant

maudit, La Cousine Bette…Dès 1830, Balzac consacre une nouvelle intitulée Sarrasine au

récit de la passion dévorante du sculpteur Sarrasine pour un castrat italien nommé Zambinella, dont, tel Pygmalion, il réalisera la statue, persuadé qu’il s’agit d’une femme. Reflétant l’absolu du Beau, le portrait éminemment féminisé de Zambinella témoigne de cette perfection dénuée de sexe, ou plutôt qui réunit en lui les séductions de l’homme et de la femme :

« Tout à coup des applaudissements à faire crouler la salle accueillirent l'entrée en scène de la prima donna . Elle s'avança par coquetterie sur le devant du théâtre, et salua le public avec une grâce infinie. Les lumières, l'enthousiasme de tout un peuple, l'illusion de la scène, les prestiges d'une toilette qui, à cette époque, était assez engageante, conspirèrent en faveur de cette femme. Sarrasine poussa des cris de plaisir. Il admirait en ce moment la beauté idéale de laquelle il avait jusqu'alors cherché çà et là les perfections dans la nature, en demandant à un modèle, souvent ignoble, les rondeurs d'une jambe accomplie ; à tel autre, les contours du sein ; à celui-là, ses blanches épaules ;

4

Platon, Le Banquet, [189E], Editions de l’Aire, Lausanne, 1979, p.69.

5

prenant enfin le cou d'une jeune fille, et les mains de cette femme, et les genoux polis de cet enfant, sans rencontrer jamais sous le ciel froid de Paris les riches et suaves créations de la Grèce antique. La Zambinella lui montrait réunies, bien vivantes et délicates, ces exquises proportions de la nature féminine si ardemment désirées, desquelles un sculpteur est, tout à la fois, le juge le plus sévère et le plus passionné. C'était une bouche expressive, des yeux d'amour, un teint d'une blancheur éblouissante. Et joignez à ces détails, qui eussent ravi un peintre, toutes les merveilles des Vénus révérées et rendues par le ciseau des Grecs. L'artiste ne se lassait pas d'admirer la grâce inimitable avec laquelle les bras étaient attachés au buste, la rondeur prestigieuse du cou, les lignes harmonieusement décrites par les sourcils, par le nez, puis l'ovale parfait du visage, la pureté de ses contours vifs, et l'effet de cils fournis, recourbés qui terminaient de larges et voluptueuses paupières. C'était plus qu'une femme, c'était un chef-d'oeuvre ! »6

Qu’il s’agisse de l’ambiguïté de Séraphîtus/Séraphîta, incapable de répondre aux vœux de Wilfrid et de Mina qui l’aiment respectivement comme une femme et comme un homme, ou du couple touchant d’Etienne et Gabrielle dans L’Enfant maudit, tout concourt à mettre en lumière cette forme d’amour idéalisé héritée du vieux rêve platonicien :

« […] tantôt c’étaient deux sœurs pour la grâce des confidences, tantôt deux frères pour la hardiesse des recherches. Ordinairement l’amour veut un esclave et un dieu, mais ils réalisèrent le délicieux rêve de Platon, il n’y avait qu’un seul être divinisé. […] Certes, ils ne pouvaient être comparés qu’à un ange qui, les pieds posés sur le monde, attend l’heure de revoler vers le Ciel. Ils avaient accompli ce beau rêve du génie mystique de Platon et de tous ceux qui cherchent un sens à l’humanité : ils ne faisaient qu’une seule âme, ils étaient bien cette perle mystérieuse destinée à orner le front de quelque astre inconnu, notre espoir à tous ! »7

Dans une optique voisine, Théophile Gautier propose dans son poème « Contralto » une vision de la créature idéale qui unit en son sein les prérogatives de Cupidon et les attraits de Vénus :

« On voit dans le Musée antique Sur un lit de marbre sculpté

Une statue énigmatique D’une inquiétante beauté

Est-ce un jeune homme ? Est-ce une femme ? Une déesse ou bien un dieu ? L’amour, ayant peur d’être infâme,

Hésite et suspend son aveu. […]

Pour faire sa beauté maudite, Chaque sexe apporta son don. Tout homme dit : c’est Aphrodite !

Toute femme dit : c’est Cupidon !

Sexe douteux, grâce certaine, On dirait ce corps indécis Fondu, dans l’eau de la fontaine,

Sous les baisers de Samalcis. »8

Perfection amoureuse et perfection esthétique s’unissent donc dans cet être, l’androgyne, à la fois un et double, qui opère un véritable syncrétisme entre les aspirations humaines et artistiques, et ressortit à la quête d’absolu du poète romantique. Il suffit pour s’en

6

H. de Balzac, Sarrasine, [1831], in La Comédie humaine, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1981, pp.1060-1061.

7

H. de Balzac, L’Enfant maudit, [1831], in La Comédie humaine, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1981, pp.947-951.

8

convaincre de songer à l’ambiguïté de Lélia (et de George Sand elle-même !), d’Edmée dans

Mauprat, roman narrant le parcours initiatique et l’éducation amoureuse de Bernard, jeune

rustre élevé par des oncles sanguinaires et malfaisants, par Edmée, une jeune femme à laquelle le protagoniste masculin prêtera son concours pour fuir l’abominable Roche-Mauprat, repère des brigands de sa famille. Dépeinte en amazone aux vertus viriles tout au long du roman, Edmée façonnera l’âme mal dégrossie de Bernard pour en faire un partenaire amoureux idéal, si bien qu’au cours de cette lente éducation sentimentale, les clivages sexuels ne tarderont pas à s’estomper :

« L’âme forte et sincère d’Edmée était devant moi comme la pierre du Sinaï, où le doigt de Dieu venait de tracer la loi immuable. Sa vertu n’était pas feinte, son couteau était aiguisé et toujours prêt à laver la souillure de mon amour. […] En même temps que le sentiment de l’estime et du respect se révélait à moi, mon amour, changent pour ainsi dire de nature, grandissait dans mon âme et s’emparait de mon être tout entier. Edmée m’apparaissait sous un nouvel aspect. Ce n’était plus cette belle fille dont la présence jetait le désordre dans mes sens ; c’était un jeune homme de mon âge, beau comme un séraphin, fier, courageux, inflexible sur le point d’honneur, capable de cette amitié sublime qui fait les frères d’armes, mais n’ayant d’amour passionné que pour la Divinité, comme ces paladins qui, à travers mille épreuves, marchaient à la terre sainte sous une armure d’or. »9

Dans une optique jumelle, George Sand force le trait dans Lélia, où l’héroïne éponyme est présentée comme une femme phallique et indépendante qui use des armes habituellement dévolues aux hommes pour « torturer » le cœur transi d’amour du poète Sténio, avatar littéraire d’Alfred de Musset. C’est l’ambiguïté même du protagoniste féminin, semblant évoluer dans les troubles de l’entre-deux sexes et de l’entre-deux mondes, qui mine dès le début du roman l’échange épistolaire et le commerce amoureux :

« "Qui es-tu? et pourquoi ton amour fait-il tant de mal? Il doit y avoir en toi quelque affreux mystère inconnu aux hommes. A coup sûr tu n'es pas un être pétri du même limon et animé de la même vie que nous! Tu es un ange ou un démon, mais tu n'es pas une créature humaine. Pourquoi nous cacher ta nature et ton origine? Pourquoi habiter parmi nous qui ne pouvons te suffire ni te comprendre? […] Lélia, j'ai peur de vous. Plus je vous vois, et moins je vous devine. Vous me ballottez sur une mer d'inquiétudes et de doutes. Vous semblez vous faire un jeu de mes angoisses. Vous m'élevez au ciel et vous me foulez aux pieds. Vous m'emportez avec vous dans les nuées radieuses, et puis vous me précipitez dans le noir chaos! Ma faible raison succombe à de telles épreuves. Epargnez-moi, Lélia! […]Vous, Lélia, ce qui m'effraie, c'est que, quand vous descendez de vos gloires, vous n'êtes plus même à notre niveau, vous tombez au-dessous de nous-mêmes, et vous semblez ne plus chercher à nous dominer que par la perversité de votre coeur. Par exemple, qu'est-ce donc que cette haine profonde, cuisante, inextinguible, que vous avez pour notre race? Peut-on aimer Dieu comme vous faites et détester si cruellement ses oeuvres? Comment accorder ce mélange de foi sublime et d'impiété endurcie, ces élans vers le ciel et ce pacte avec l'enfer? Encore une fois, d'où venez-vous, Lélia? Quelle mission de salut ou de vengeance accomplissez-vous sur la terre? »10

Au cœur de ce renversement des rôles, de l’inversion avérée des principes féminins et masculins, se profilent la quête héroïque de l’angélisme et l’espoir d’une fusion, en même temps qu’une interrogation douloureuse sur la possibilité humaine d’une harmonie retrouvée.

En revanche, chez Edgar Quinet, la réponse semble moins équivoque : Ahasvérus et Rachel élèvent leurs amours, après bien des turpitudes, jusqu’à l’unité retrouvée de l’androgyne séraphique, qui symbolise l’équilibre restauré entre les sexes, et la reconquête d’une forme de communication disparue : « Voyez ! Deux âmes amoureuses qui ont longtemps pleuré, et dont un poète m’a parlé, vivent ici dans un même sein, dans un même cœur, et ne font plus qu’un ange. […] Dans une seule poitrine tressaillent deux bonheurs,

9

G. Sand, Mauprat, [1837], Paris, Garnier-Flammarion, 1969, p.147.

10

deux souvenirs, deux mondes. Moitié homme, moitié femme, pour deux vies, ils n’ont qu’un souffle. »11

En quelque sorte, dans le paradis terrestre rêvé par les écrivains, le douloureux hiatus, l’irrémissible fracture entre les sexes, devient caduque…La figure de l’hermaphrodite demeure chaste, pure, ignore les souillures du commerce vénal, et restaure les hommes écornés par le péché originel dans leur unité divine première.

Au sein de cette thématique cruciale, Musset occupe, comme souvent, une place à part. De l’aveu de nombreux contemporains, la personnalité complexe du poète a toujours joué de cette dualité sexuelle, en a exploré les virtualités, sans jamais chercher à dissimuler la part féminine de son caractère ; sa connaissance et son expérience intime du beau sexe expliquent d’ailleurs probablement l’intensité de vie exceptionnelle qui se dégage de ses personnages de théâtre. Dans une certaine mesure, la scène lui a permis d’incarner son androgynie personnelle et de la diviser dans le dialogue théâtral masculin-féminin, qui forme l’essentiel d’un drame comme On ne badine pas avec l’amour. C’est sans doute la raison pour laquelle ses protagonistes féminins témoignent du même réalisme criant de vérité que leurs homologues masculins.

A la princesse di Belgiojoso qui se pique d’écrire du théâtre, Musset glisse une confidence-clé pour toute son œuvre dramatique :

« Vous me parlez du moyen de déguiser les personnages. Il y en a un bien simple, c’est de changer les sexes. Il s’agit, je suppose, d’une femme qui a un mari qui l’ennuie et un cousin qui l’adore ; ce sera un mari que sa femme excède et que sa cousine idolâtre. Cela vous paraîtra peut-être bizarre, mais songez que le ridicule n’a pas de sexe, sinon dans quelques nuances qu’on sacrifie ou qu’on retourne. […] Je l’ai déjà essayé et plus aisément que je le croyais. »12

Fort satisfait de sa trouvaille il répète le même jour à Madame Jaubert, la « Marraine » : « Pour ma part, je n’ai qu’un moyen, et je l’ai proposé. C’est de garder les faits autant que possible, les caractères idem, et de changer les hommes en femmes et réciproquement. »13 Notons cependant à ce sujet que, dans le théâtre mussétien, les femmes sortent souvent victorieuses de la joute amoureuse, si l’on excepte la pièce d’inspiration sadienne Gamiani ou deux nuits d’excès : c’est le cas de Camille, de Madame de Léry dans

Un Caprice, ou de la Marquise dans Il ne faut jurer de rien. Il n’est qu’à songer aussi au ton

paternaliste des propos de Madame de Léry à Chavigny :

« Quand nous nous serons prouvé l’un à l’autre que je suis une coquette et vous un libertin, uniquement parce qu’il est minuit et que nous sommes en tête-à-tête, voilà un beau fait d’armes que nous aurons à écrire dans nos mémoires ! C’est pourtant là tout, n’est-ce pas ? Et ce que vous m’accordez en riant, […] vous le refusez à la seule femme qui vous aime, à la seule femme que vous aimiez ! »14

Cet inlassable balancement est symptomatique de la plupart des romans et des pièces de théâtre du XIXe siècle : les femmes ont des idées mâles et une apparence masculine très prononcée. Pensons à l’ombre de moustache et aux poignets épais de Madame Arnoux dans

L’Education sentimentale, à « l’air dur, hautain et presque masculin »15 de Mathilde de La

11

Cité par S. Bernard-Griffiths, « Quinet l’enchanteur : mythologie de l’amour et philosophie de l’histoire », art.

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 141-149)