• Aucun résultat trouvé

Une « écriture double » : la figure féminine entre amour sublimé et châtiment

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 192-200)

Désir de revanche et transfiguration littéraire : un salut par l’écriture ?

A cette prolifération des avatars mortifères correspond une forme d’atomisation du sentiment amoureux qui peine à reconquérir son unité originelle, et l’on pourrait dans cette optique suivre la répartition qu’adopte Yves Lainey dans son ouvrage intitulé Musset ou la

difficulté d’aimer : George Sand incarnerait l’amour passionnel, laissant à Aimée D’Alton-

Shée le privilège de la sensualité, Madame D’Allan serait une figure maternelle de la tendresse, tandis que la princesse Belgiojoso aurait l’apanage de l’interdit amoureux194. Cependant ce panorama féminin ne saurait dissimuler des déchirures plus profondes et des réalités plus complexes.

C’est qu’au dédoublement de l’âme répond une fracture amoureuse qui s’affirme comme le centre moteur de toute l’esthétique mussétienne. De la dualité de l’âme et du corps,

191

C. Baudelaire, « Le Portrait », Les Fleurs du mal, Œuvres Complètes, op. cit., p.88.

192

On peut songer à la geisha Sameyama de Champsaur, « avide du sourire des plaies », qui se nourrit du sang de son ancien fiancé Genso supplicié à mort sous ses yeux, et qui cueille les fleurs souillées du sang de sa victime pour confectionner un bouquet mortuaire.

F. Champsaur, Poupée japonaise, Paris, Charpentier, 1900, p.335.

193

A. de Musset, « Namouna », Poésies Complètes, op. cit., p.250.

194

renvoyant au spiritualisme religieux comme laïque, découle une inconciliable alternative du sentiment humain. Pourtant, Musset ne sombre pas comme bien d’autres dans un manichéisme radical à cet égard : ainsi se livre-t-il à des commentaires sur le personnage d’Hasan dans « Namouna » :

« M'y voilà. - Je disais qu'Hassan, près d'une femme, Etait très expansif, - il voulait tout ou rien. Je confesse, pour moi, que je ne sais pas bien Comment on peut donner le corps sans donner l'âme,

L'un étant la fumée, et l'autre étant la flamme. »195

S’il constate ponctuellement ce douloureux divorce, Musset n’en fait pas un principe, ni l’effet d’une fatalité, car à ses yeux, pour paraphraser La Confession, aimer, c’est avant tout se donner corps et âme…Au contraire, amour idéalisé et amour sensuel ne peuvent ainsi, chez Philothée O’Neddy, se conjuguer mais seulement s’incarner dans deux corps distincts, jetant à bas le rêve de fusion amoureuse dans une sorte de mise en garde à l’encontre d’une périlleuse sacralisation du sentiment :

« De l’espoir qu’à la fin je prendrai le loisir De vous initier aux transports du plaisir. Je ne vous aime, moi, que d’un chaste amour d’ange,

Je ne veux entre nous que le mystique échange Des illusions d’or qu’au monde intérieur Nos pensers vont cueillir, loin du siècle rieur. Non que je sois de marbre et que rien n’évertue

L’impassibilité de mes sens de statue : Bien loin de là ; mon corps brûle aussi libertin,

Aussi luxurieux qu’un corps napolitain ; Mais le ciel m’a pourvue d’un mari légitime, Qui dans l’amour des sens déploie un art sublime.

En revanche il est nul à faire trouver mal, Dès qu’il s’agit des fleurs de l’amour idéal. »196

Cette dichotomie n’est pas non plus absente chez Musset. Il suffit de songer au couple Octave/Coelio des Caprices de Marianne, Clavaroche et Fortunio dans Le Chandelier, ou encore au poème « Idylle », dans lequel Rodolphe et Albert incarnent successivement l’amour plaisir et l’amour idéalisé. Libertin invétéré avide de voluptés faciles et tarifées, Rodolphe brocarde la gravité de son acolyte pour se faire le chantre des plaisirs d’un soir :

« Que la fortune abonde en caprices charmants ! Des nos premiers regards nous devînmes amants.

C’était un mardi gras dans une mascarade ; Nous soupions ;-la Folie agita ses grelots, Et notre amour naissant sortit d’une rasade, Comme autrefois Vénus de l’écume des flots. »197 A quoi Albert, épris d’absolu, répond :

« C’est une vision que la réalité. Non, des flacons brisés, quelques vaines paroles Qu’on prononce au hasard et qu’on croit échanger,

Entre deux froids baisers quelques rires frivoles,

195

A. de Musset, « Namouna », Poésies Complètes, op. cit., p.252.

196

P. O’Neddy, Feu et Flamme, op. cit., p.148.

197

Et d’un être inconnu le contact passager, Non, ce n’est pas l’amour, ce n’est pas même un rêve,

Et la satiété, qui succède au désir, Amène un tel dégoût quand le cœur se soulève, Que je ne sais, au fond, si c’est peine ou plaisir. »198

D’une part, c’est la plénitude d’un sentiment passionné, d’une union d’âme à âme, d’une rêverie romantique, de l’autre, l’univers de la satisfaction immédiate, frénétique, la spirale fatale et presque mécanique de ce chancre que Musset nomme la débauche. Trahi ou non, celui qui aime se découvre de deux façons qui lui semblent bientôt incompatibles, à l’instar du poète lui-même qui, très jeune, a fait l’expérience intime de cette double postulation. Par conséquent, la voie de l’apostasie amoureuse semble tentante, dans ce siècle au cœur brisé qui, sous couvert de l’ironie romantique, se livre à un reniement résonant comme le pendant obscur de l’idéalisme. Ainsi cette discussion entre deux amis chez Pétrus Borel, dans l’un des contes de Champavert, qui rappelle le catéchisme de Desgenais à Octave dans La Confession d’un enfant du siècle :

« Tu m’affligerais, d’honneur, mon ami, si j’étais affligeable, de te voir prendre les choses si à cœur ; après tout, qu’est-ce donc ? Une méchante mésaventure, vulgaire, rebattue ! Tu veux absolument aimer, renonces-y, je t’en prie ; partout tu ne trouveras que des êtres méprisables ; partout, sous un émail de candeur, un argile vil et grossier ; jeune, des maîtresses décevantes, infidèles, sordides ; vieux, des épouses adultères et marâtres. Ne va jamais rôder autour des femmes pour tisser du sentiment, mais seulement par raison joyeuse ou sanitaire ; encore, seulement, quand la nature t’y poussera par les épaules. […] , c’est absurde d’exiger d’une femme de la fidélité, de la constance ; c’est absurde que d’appeler vertu tout ce qui est antipathique et impossible à la constitution. Il est dans la nature de la femme d’être légère, volage, étourdie, changeante, elle doit l’être, il le faut, c’est bien. […] Il faut qu’elle soit toujours et toujours étourdie, entraînée d’une chose à l’autre, pour passer légèrement sur les souffrances départies à sa misérable condition et pour qu’elle n’entrevoie pas l’abjection où la société l’a refoulée. »199

Au-delà des clichés misogynes, cette perception de la femme et de l’amour qu’elle inspire est révélatrice autant de la fracture entre l’âme et le corps que d’une désacralisation du sentiment qui obère à terme tout commerce amoureux. C’est le sens du dénouement d’On ne

badine pas avec l’amour, où Perdican, pris entre son amour idéalisé pour Camille et

l’affection teintée de sensualité qu’il éprouve pour Rosette, perd simultanément les deux objets de ses vœux, dans une double mort, physique pour Rosette, métaphorique pour Camille, qui se réfugie au couvent :

« PERDICAN-Non, en vérité, je n’entrerai pas; je sens un froid mortel qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener. (Camille sort.) Je vous en supplie, mon Dieu! ne faites pas de moi un meurtrier! Vous voyez ce qui se passe; nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort; mais notre cœur est pur; ne tuez pas Rosette, Dieu juste! Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute; elle est jeune, elle sera riche, elle sera heureuse; ne faites pas cela, ô Dieu! vous pouvez bénir encore quatre de vos enfants. »200

Cette perte de la foi place l’amour sous la coupe d’un fatum tragique qui a partie liée avec le renoncement absolu et la mort, comme en témoigne encore cet avatar de Byron dans

Héléna la Vénitienne chez Alphonse Brot, en 1829 :

« -Vous n’avez demandé qu’un éclair d’amour, qu’un moment de bonheur, et je vous ai donné tout cela, comtesse.

198

Ibid., p.364.

199

P. Borel, Champavert, op. cit., pp.332-333.

200

-C’est vrai, répondit la Vénitienne, mais j’en mourrai…

-On ne meurs plus d’amour, Héléna, et comment en mourrait-on ? on ne comprend plus ce mot, même pas moi !...

-De grâce, dites que vous m’avez aimée, que vous m’aimez toujours…

-Je ne vous aime pas, et ne vous ai point aimée, je ne crois même point à votre amour !...

-je vous forcerai d’y croire, Byron, je vous forcerai d’y croire ; oui, vous inscrirez un jour dans Don Juan qu’une dame vénitienne, éprise de vous, pour vous s’est tuée. […] Vous inscrirez cet épisode en lettres de sang, et, si vous ne le faites pas, les pavés qui longent l’église Saint-Marc, à Venise, apprendront aux races futures qu’un matin ils ont brisé le corps de la comtesse Héléna. »201

Face à cette érosion, il ne reste plus au poète qu’à pousser son cri désespéré, qu’à appeler en vain un amour trop idéal pour répondre aux infirmités humaines et qui renverse le rapport eros/thanathos. Le poète se retrouve muré dans un sentiment de solitude qui paraît devoir rester éternel.202

Cette irrémissible dualité de l’être qui frappe de son anathème le songe de fusion amoureuse réclame alors une transcendance, une manne qui se déploiera au gré des subterfuges et de la sublimation de l’acte créateur. Pour éluder le triste constat de la duperie amoureuse et de ses effets pervers, l’esthétique mussétienne recourt volontiers au ton euphémisant de l’humour et de la désinvolture. A l’amertume de la perfidie féminine, aux postulations paradoxales de l’amour terrestre, le poète oppose un détachement serein où pointent la résignation joviale et un certain fatalisme ; ainsi Rodolphe, et à travers lui Musset lui-même :

« Est-ce peine ou plaisir, une alcôve bien close, Et le punch allumé, quand il fait mauvais temps ?

Est-ce peine ou plaisir, l’incarnat de la rose, La blancheur de l’albâtre et l’odeur du printemps ?

Quand la réalité ne serait qu’une image, Et le contour léger des choses d’ici-bas, Me préserve le ciel d’en savoir davantage ! Le masque est si charmant, que j’ai peur du visage,

Et même en carnaval, je n’y toucherais pas. » 203

Cette parole apaisée et narquoise, cette insolence du rire conjurateur laissent une empreinte manifeste dans la poétique mussétienne, sous le sceau de ce que l’on a pu nommer l’ « ironie romantique », cette forme de détachement badin et jovial qui n’est que la manifestation d’un désarroi sans fond face à la chute de l’idéal et dont nous aurons à reparler plus loin. Aux grandes figures tragiques de son théâtre, Lorenzo et consorts, Musset oppose des protagonistes teintés d’humour, de dérision et de sensibilité. La transfiguration littéraire permet ainsi d’exorciser l’impossible amoureux dans la fiction en postulant des dénouements heureux qui subliment les imperfections des amours terrestres. Que l’on évoque les issues de

Margot, de Croisilles, ou de La Marche, toutes témoignent du souci cathartique d’une

sublimation par l’écriture, comme le montre la scène finale du Chandelier :

201

A. Brot, Héléna la Vénitienne, in Chants d’amour et poésies diverses, op. cit., p.48.

202

C’est ce que montre cette lamentation de Pétrus Borel dans le poème intitulé « Isolement » : « Quand viendra cette fée ? en vain ma voix l’appelle !

Apporter ses printemps à mon cœur isolé. Pourtant jusqu’aux cyprès je lui serais fidèles ! Sur la plage toujours resterai-je esseulé ? Sur mon toit le moineau dort avec sa compagne ; Ma cavale au coursier a donné ses amours.

Seul, moi, dans cet esquif, que nul être accompagne, Sur le torrent fougueux je vois passer mes jours. » P. Borel, « Isolement », Rhapsodies, op. cit., pp.33-34.

203

« MAITRE ANDRÉ-Grâces au ciel, nous voilà tous joyeux, tous réunis, et tous amis. Si je doute jamais de ma femme, puisse mon vin m'empoisonner ! »204

Au cœur de cette singulière dramaturgie, la figure de la femme est la clef de l’infortune ou du bonheur : dans Le Chandelier, histoire d’amoureux berné « tenant la chandelle », comme Musset avec Madame Beaulieu, le dénouement heureux fait exception. Fortunio venge le spectre du Coelio des Caprices de Marianne : l’amoureux sans espoir n’est plus méconnu et rebuté, mais reconnu et promu. A la différence de Coelio, Fortunio clame, il est vrai, son amour pour Jacqueline à qui veut l’entendre, mais son amour ne se contente pas d’être oblatif, il devient tout bonnement sacrificiel : « Quel que soit le caprice du hasard à qui je dois cette faveur, permettez-moi d’en profiter. Je ne puis que répéter mes paroles ; je mourrais de bon cœur pour vous. »205 C’est bien cette marque d’abnégation qui achève de conquérir Jacqueline, repentante, et prélude à l’illumination finale :

« JACQUELINE- Vous saviez que je mens, que je trompe, que je vous raille et que je vous tue ? Vous saviez que j’aime Clavaroche et qu’il me fait faire tout ce qu’il veut ? Que je joue une comédie ? Que là, hier, je vous ai pris pour dupe ? Que je suis lâche et méprisable ? Que je vous expose à la mort par plaisir ? Vous saviez tout, vous en étiez sûr ? Eh bien ! Eh bien !...qu’est-ce que vous savez maintenant ?

FORTUNIO- Mais, Jacqueline, je crois…je sais…

JACQUELINE- Sais-tu que je t’aime, enfant que tu es, qu’il faut que tu me pardonnes ou que je meure, et que je te le demande à genoux ? »206

Cet agenouillement de la femme d’un notable devant un tout jeune employé produit un effet scénique considérable, qui, dans un impossible salut, impose l’acte démiurgique de l’écrivain.

Outre la mise à mort de l’idéal féminin à l’œuvre dans l’univers moral de Musset, que nous envisagerons dans la suite de notre étude, l’écriture mussétienne se met en quête d’un exutoire : il s’agit de débarrasser les amours humaines de leurs scories pour en délivrer une image idéalisée, apaisée et épurée.

Mais cet effort de sublimation emprunte aussi d’autres voies que celui de la badinerie ou de la réécriture du réel. En effet, le poète se montre habile à inverser les systèmes de valeurs, à revisiter les mythes séculaires à des fins justificatrices. Le regard de Musset sait modifier sa perspective jusqu’à faire, pour parodier Baudelaire, de l’or avec de la boue. La dualité de l’amour éthéré et de l’amour sensuel se résorbe, sans se résoudre, dans une figuration inversée du mythe de Don Juan. En effet, au XIXe siècle, le motif donjuanesque, nous l’avons dit, subit une métamorphose idéalisante et nous sommes loin de l’anathème divin dont il est frappé, chez Molière notamment. Le reniement de l’amour absolu au profit d’un défi sensuel à Dieu se transforme chez Musset en une quête spirituelle de l’Idéal, par laquelle le célèbre libertin se trouve comme sacralisé :

« Il en est un plus grand, plus beau, plus poétique, Que personne n’a fait, que Mozart a rêvé, Qu’Hoffmann a vu passer, au son de la musique,

Sous un éclair divin de sa nuit fantastique, Admirable portrait qu’il n’a point achevé, Et que de notre temps Shakespeare aurait trouvé. »207

204

A. de Musset, Le Chandelier, Théâtre Complet, op. cit, p.374.

205

Ibid, p.344.

206

Ibid., p.374.

207

C’est un Don Juan « en odeur de sainteté » que nous livre le poète, renvoyant dans les limbes du passé « le roué sans cœur, le spectre à double face »208. La sublimation du sentiment passe ainsi par la réactivation d’un mythe qui symbolisait essentielle la soif frénétique, compulsive, de voluptés charnelles dénuées de toute perspective transcendante. A l’inverse de son homologue féminin, le libertinage masculin devient le symptôme d’une quête déceptive de l’âme sœur, de la tragédie humaine d’un être épris d’absolu :

« Tu retrouvais partout la vérité hideuse, Jamais ce qu’ici-bas cherchaient tes vœux ardents,

Partout l’hydre éternel qui te montrait les dents ; Et poursuivant toujours ta vie aventureuse, Regardant sous tes pieds cette mer orageuse, Tu te disais tout bas : « Ma perle est là dedans » »209

Evoluant du statut de bourreau à celui de quasi victime et de héros romantique, le légendaire séducteur devient l’icône d’une recherche effrénée de bonheur, l’emblème tragique de la condition humaine. Cet espoir de l’apothéose amoureuse, profondément ancré dans la foi romantique, passe donc par le truchement rhétorique d’une vision épique, mythifiée, du sentiment, où l’on peine parfois à dissocier l’autopersuasion de l’artifice littéraire.

Quoi qu’il en soit, cette transfiguration esthétisée de l’imperfection ontologique de l’homme jalonne toute l’œuvre de Musset, comme sa correspondance intime. Afin de pallier les turpitudes de sa liaison avec George Sand, le poète se livre à une véritable célébration de la communion entre deux esprits. La réalité biographique de leur commerce amoureux, comme ses errances, s’effacent là encore devant une sacralisation scripturale qui mêle archétypes littéraires et images bibliques. Ainsi Musset s’inscrit-il allègrement dans la lignée douloureuse des impossibles amours, évoquant la rédaction de ce qui allait devenir La

Confession d’un enfant du siècle : « La postérité répétera nos noms comme ceux de ces

amants immortels qui n’en ont qu’un à eux deux, comme Roméo et Juliette, comme Héloïse et Abélard […] Ce sera là un mariage plus sacré que ceux que font les prêtres. »210 Force est de constater que cette même postérité ne l’a pas désavoué…

Plus loin, dans un rêve mystique de palingénésie, il se pose même en avatar messianique, sous le symbole du Christ humanitaire : « Je sonnerai aux oreilles de ce peuple blasé et corrompu, athée et crapuleux, la trompettes des résurrections humaines, que le Christ a laissé aux pieds de sa croix. »211

Cette transfiguration littéraire du moi et de ses déchirures, de l’infirmité de nature des sentiments qui agitent les hommes, aiguille alors le poète sur la voie d’une rédemption par l’acte d’écriture qui fige dans sa mémoire le souvenir « béatifié » d’une passion. Mais comme toujours chez Musset, cette sacralisation a son pendant délétère, tant l’enfer côtoie l’Eden dans la fantasmagorie amoureuse. A la schizophrénie de l’âme romantique répond une dualité de l’écriture ; la célébration de l’amour doit cohabiter alors avec le châtiment de l’entité féminine, qui peut sombrer à tout instant dans la plus abjecte perversité au cœur de l’univers mussétien : et le poète de briser ses idoles…

Cette mise à mal de l’ « angélisme » initié par Thomas Moore et perpétuée par Musset, trouvera chez Balzac un autre mode d’expression. Si sa correspondance témoigne d’un goût certain pour le mysticisme amoureux, de nombreuses œuvres traitent ce motif sur un ton éminemment parodique. L’exemple de La Cousine Bette s’impose ici, tant il est vrai que le 208 Ibid., p.260. 209 Ibid., p.267. 210

A. de Musset, lettre à G. Sand du 30 avril 1834, Correspondance, op. cit., pp.118-119.

211

thème de l’angélisme y semble déconsidéré et soumis à des transfigurations tendancieuses. 212 Aux yeux de Balzac, les vertus angéliques de la femme ne sont souvent qu’un vernis dissimulant plus ou moins adroitement des desseins autrement plus funestes et démoniaques :

«Hulot] devait ignorer absolument les façons de l'amour moderne. Les nouveaux scrupules, les différentes conversations inventées depuis 1830, et où la pauvre faible femme finit par se faire

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 192-200)