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La hantise de la duplicité féminine

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 165-192)

La crise de l’image féminine

Devant la ruine de ses idéaux, le sujet recherche donc une terre d’asile, où il aura la licence de laisser libre cours à ses passions exaltées, qu’elles soient réelles ou transfigurées dans une œuvre littéraire, ses élans lyriques, voire ses aspirations métaphysiques. Au plus fort de la désespérance, l’enfant du siècle croit entrevoir dans un monde déshumanisé l’ultime tremplin vers son absolu :

« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. »85

Incarnation de la Beauté terrestre, la femme ne tarde pas cependant à être offerte en holocauste au cynisme d’une jeunesse dévitalisée. A l’instar de la cruelle Foedora de La Peau

de chagrin, « la femme sans cœur », l’absolu féminin devient un puits sans fond où se

dissolvent les forces du mâle épris d’infini, mais victime désignée. Ainsi, en écho à la leçon sociale de Vautrin, Desgenais dévoile au jeune Octave trahi par sa maîtresse les faux- semblants de cette anamorphose :

« Je vois que vous croyez à l’amour tel que les romanciers et les poètes le représentent ; vous croyez, en un mot, à ce qui se dit ici-bas et non à ce qui s’y fait. […] Vouloir chercher dans la vie réelle des amours pareils à ceux-là, éternels et absolus, c’est la même chose que de chercher sur la place publique des femmes aussi belles que la Vénus. »86

La désillusion guette donc aussi cette sacralisation pernicieuse de la femme terrestre, aussi trompeuse que la société qui l’a engendrée. L’homme semble s’égarer dans la quête sans fin d’un infini féminin qui lui échappe d’autant plus qu’il contrevient aux infirmités de la femme terrestre. Il rêve une entité féminine qui n’est pas de ce monde et caresse un songe inaccessible qui s’accommode mal des réalités de la chair. La faute en incombe au sujet qui persiste à voir la femme par le prisme de l’art, comme le rappelle de son côté Thérèse-George Sand dans Elle et Lui :

« Hélas ! oui, cet enfant voudrait avoir pour maîtresse quelque chose comme la Vénus de Milo, animée du souffle de ma patronne sainte Thérèse, ou plutôt il faudrait que la même femme fût aujourd’hui Sapho et demain Jeanne d’Arc. Malheur à moi d’avoir pu croire qu’après m’avoir ornée dans son imagination de tous les attributs de la divinité, il n’ouvrirait pas les yeux le lendemain ! […] Puisqu’il faut absolument que tu m’adores au lieu de m’aimer, ce qui me vaudrait bien mieux, adore-moi, hélas ! sauf à me briser demain ! »87

Progressivement démystifié, l’idéal féminin cesse alors progressivement d’être porté au pinacle pour être relégué au rang de vecteur de socialisation, de moyen de parvenir. Ce scénario devient topos dans la littérature du XIXe siècle : la femme est alors, pour Balzac, la

85

A. de Musset, On ne badine pas avec l’amour, Théâtre Complet, op. cit., p.280.

86

A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., pp.61-62.

87

pierre de touche de l’arrivisme vénal ; ainsi Mme de Beauséant délivre-t-elle un catéchisme pragmatique au jeune Rastignac :

«N’acceptez les hommes et les femmes que comme des chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor ; ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendrez la victime. »88

Mais plus grave encore que cette instrumentalisation de l’image féminine, sa diabolisation semble dans l’air du temps : la déception et la rancœur face à l’imperfection essentielle de la Femme pousse les poètes à composer une sorte de « féminaire » de l’Ennemi, ou à imaginer des variantes à la fois tentatrices et répugnantes de la catin. Alfred de Musset, alors qu’il entre à peine dans l’âge de l’insouciance primesautière et des amours triviales, établit en 1831 un diagnostic précoce de l’entité féminine, assimilée à une goule :

« Là s’exerçait dans l’ombre un redoutable amour ; Là cette Messaline ouvrait ses bras rapaces Pour changer en vieillards ses frêles favoris, Et, répandant la mort sous des baisers vivaces,

Buvait avec fureur ses éléments chéris, L’or et le sang […]. »89

Le portrait-charge est remarquablement complet, tout comme le cortège des vices ataviques que le jeune Musset attribue aux femmes : luxure, vénalité, fureur vampirique, baiser mortifère, autant de caractéristiques dont nous aurons à reparler et qui traversent un large empan de son œuvre. Avatar de Lilith, la femme charnelle semble sortie tout droit de l’enfer pour emporter son frêle compagnon dans le néant du sépulcre. Car la femme est tout autant porteuse de sacré que de mort, comme le confesse Frank à Monna Belcolore dans « La Coupe et les lèvres » :

« […] Oh ma belle maîtresse,

Je me meurs ; oui, je suis sans force et sans jeunesse, Une ombre de moi-même, un reste, un vain reflet,

Et quelquefois la nuit mon spectre m’apparaît. Mon Dieu ! Si jeune hier, aujourd’hui je succombe. C’est toi qui m’as tué, ton beau corps est ma tombe. » 90

Un peu plus tard, le protagoniste complétera le tableau en faisant de la femme l’instrument funeste de la dispersion des ressources intellectuelles de l’homme irrémédiablement abruti par le commerce amoureux :

« Voilà bien la sirène et la prostituée, Le type de l’égout : -la machine inventée Pour désopiler l’homme et pour boire son sang ;

La meule de pressoir de l’abrutissement. » 91

Ces thèmes de la goule, de l’entité masculine épuisant ses ressources vitales dans le gouffre du corps féminin, de la femme luxurieuse et mortifère, sont promis à un bel avenir

88

H. de Balzac, Le Père Goriot, op. cit., p.280.

89

A. de Musset, « Octave », Poésies Complètes, op. cit., p.118.

90

A. de Musset, « La Coupe et les lèvres », II, 36, Poésies Complètes, op. cit., pp.173.174.

91

littéraire, puisqu’on les retrouvera aussi bien chez Baudelaire92, Mallarmé, que chez les décadents, quand le romantisme « noir »93 aura orienté la recherche esthétique vers des lendemains plus sombres et pessimistes.

Dans cette discordance entre le réel et le rêve, la femme naturelle, « c’est-à-dire abominable »94écrit l’auteur des Fleurs du mal, devient le repoussoir d’une image irréelle, supra naturelle, de la féminité : « Vue de près la femme réelle révoltait notre ingénuité, il fallait qu’elle apparût reine ou déesse, et surtout n’en pas approcher »95, écrit Nerval dans

Sylvie. Un tel idéalisme contrevient à la vision mussétienne de la femme qui ne sombre que

rarement dans l’angélisme. Au contraire, notre poète paraît chanter la femme dans toute son imperfection : en quelque sorte, Musset ose affronter la femme réelle dans La Confession, après le monologue de Desgenais qui l’engage à renoncer à l’absolu amoureux. Chez beaucoup au contraire, Chienne ou Madone, goule ou sylphide, l’entité féminine est l’objet d’un manichéisme qui ne laisse que peu de place à la réalité de la chair et à l’imperfection humaine. Cette répudiation de la femme réelle, cette rupture de la communication entre les hommes et les femmes est une conséquence du désenchantement d’une génération dépouillée de ses chimères, versant volontiers dans le cynisme ou le rêve éveillé : l’icône féminine va donc tout naturellement trouver sa terre d’élection dans des avatars fantasmatiques. Tout d’abord, reflet de la beauté et de la bonté suprêmes, porteuse de Sacré, elle assume le rôle d’auxiliaire du Salut dans la religion amoureuse et au cœur de l’esthétique mussétiennes. On peut aussi songer à la sylphide de Chateaubriand, à l’« ange » doňa Sol dans Hernani, ou encore à la figure séraphique d’Eloa chez Vigny qui, dans « La Maison du berger », voit en l’homme l’incarnation de l’humanité déchue, tandis que la femme en symbolise la rédemption :

« Mais si Dieu près de lui [=de l’homme] t’a voulu mettre, ô femme ! Compagne délicate ! Eva ! Sais-tu pourquoi ?

C’est pour qu’il se regarde au miroir d’une autre âme, Qu’il entende ce chant qui ne vient que de toi :

L’enthousiasme pur dans une voix suave. C’est afin que tu sois son juge et son esclave

Et règnes sur sa vie en vivant sous sa loi.

Ta parole joyeuse a des mots despotiques, Tes yeux sont si puissants, ton aspect est si fort,

Que les rois d’Orient ont dit dans leurs cantiques Ton regard redoutable à l’égal de la mort ; Chacun cherche à fléchir tes jugements rapides… -- Mais ton cœur, qui dément tes formes intrépides,

92

« Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde ! Salutaire instrument, buveur du sang du monde, Comment n’as-tu pas honte et comment n’as-tu pas Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ? La grandeur de ce mal où tu te crois savante Ne t’a donc donc jamais fait reculer d’épouvante, Quand la nature, grande en ses desseins cachés, De toi se sert, ô femmes, ô reine des péchés, -- De toi, vile animal, -- pour pétrir un génie ? Ô fangeuse grandeur ! Sublime ignominie ! »

C. Baudelaire, «Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle», Les Fleurs du mal, op. cit., p.28.

93

A ce sujet, consulter l’ouvrage de M. Praz : La Chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle, Paris, Denoël, 2001.

94

C. Baudelaire, Mon Cœur mis à nu, op. cit., p.91.

95

Cède sans coup férir aux rudesses du sort. » 96

Dans une optique voisine, Victor Hugo, dans La Fin de Satan, prend bien soin de préciser que l’Ange Liberté qui supplie le diable d’abandonner ses funestes desseins n’est autre qu’une « vierge adorable ». Peut-on nier de même chez Musset l’existence d’un salut par la femme qui fonde toute sa poétique ? Autre avatar féminin, autre figure romantique de l’ange, l’être hybride et androgyne, comme Séraphîtüs-Séraphita chez Balzac, ou la créature au sexe ambigu comme la Fragoletta de Latouche en 1829, que nous avons déjà évoqués. Plus encore, au sein de cette crise de l’image féminine où la femme naturelle est méprisée, le retour à la plénitude de l’hermaphrodite d’Aristophane, évoqué par Platon dans Le Banquet, semble être le seul idéal amoureux accessible à l’être humain, et l’androgyne devient le symbole de l’Unité retrouvée.

Par conséquent, derrière le « féminaire » romantique se profile non seulement l’ombre de l’Eve tentatrice, mais aussi la nostalgie de l’androgyne primitif, manifestations d’une quête hédoniste de la réconciliation et de la fusion des antagonismes sexuels, à une époque où fleurissent les premières revendications féministes. Car cette dichotomie de l’ange et de la putain, qui annonce les «femmes damnées» de Baudelaire et les créations misogynes des décadents, est loin de soulever un enthousiasme débordant chez des femmes érigées en idoles inaccessibles ou réduites à de simples objets de consommation, à « l’occupation d’un moment, [à] une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule »97 comme le regrette Marianne chez Musset. La femme « naturelle » n’est pas plus disposée à se fondre dans un moule érotique forgé par l’homme désenchanté qu’à figurer un absolu abscons et angélique qui l’arrache aux réalités de la chair. Ce fossé entre les sexes marque ailleurs de son empreinte tout un pan de la littérature féminine et féministe : l’aboulie sensuelle de Lélia dans le roman de George Sand n’est que le contrepoint tragique de l’impuissance des héros masculins, et révèle derrière la froideur de l’alcôve des préoccupations plus existentielles, comme en témoigne la douloureuse confession de Sténio-Musset au début du roman :

« Il faut qu'à chaque instant, effrayé de me voir seul et abandonné, je t'appelle et te force à descendre de ces régions inconnues où tu t'élances sans moi. Cruelle Lélia! Que vous êtes heureuse d'avoir ainsi l'âme libre et de pouvoir rêver seule, aimer seule, vivre seule! Moi je ne le peux plus, je vous aime. Je n'aime que vous. Tous ces gracieux types de la beauté, tous ces anges vêtus en femmes qui passaient dans mes rêves, me jetant des baisers et des fleurs, ils sont partis. Ils ne viennent plus ni dans la veille ni dans le sommeil. C'est vous désormais, toujours vous, que je vois pâle, et calme, et triste, et silencieuse, à mes côtés ou dans mon ciel. Je suis bien misérable! Ma situation n'est pas ordinaire; il ne s'agit pas seulement pour moi de savoir si je suis digne d'être aimé de vous. J'en suis à ne pas savoir si vous êtes capable d'aimer un homme et - je ne trace ce mot qu'avec effort, tant il est horrible - je crois que non! »98

De plus, au spleen intemporel lié à la condition humaine, au refuge dans la spiritualité, s’ajoute pour la femme un servage pesant dans une société phallocratique. Souvent privée d’éducation « Si nous l’osions nous donnerions aux jeunes filles une éducation d’esclave » note Stendhal dans De l’amour la femme honnête du XIXe siècle n’a souvent d’autres choix que la résignation ou le suicide. Elle ne s’affranchit de la stricte autorité paternelle que pour sombrer dans l’aliénation maritale, au terme d’une union légale souvent mercantile. De nombreuses voix s’unissent cependant pour dénoncer ce consensus masculin, comme George

96

A. de Vigny, « La Maison du berger », Les Destinées, op. cit., p.21.

97

A. de Musset, Les Caprices de Marianne, Théâtre Complet, op. cit., p.86.

98

Sand dans Indiana et Valentine, ou encore Balzac dans sa Physiologie du mariage, publiée en 1829 et qui lui attirera les faveurs de la gent féminine et des directeurs de revue :

« Physiologie, que me veux-tu ?

Ton but est-il de nous démontrer que le mariage unit, pour toute la vie, deux êtres qui ne se connaissent pas ?

Que la vie est dans la passion, et qu'aucune passion ne résiste au mariage ?

Que le mariage est une institution nécessaire au maintien des sociétés, mais qu'il est contraire aux lois de la nature ?

Que le divorce, cet admirable palliatif aux maux du mariage, sera unanimement redemandé ? Que, malgré tous ses inconvénients, le mariage est la source première de la propriété ? Qu'il offre d'incalculables gages de sécurité aux gouvernements ?

Qu'il y a quelque chose de touchant dans l'association de deux êtres pour supporter les peines de la vie ?

Qu'il y a quelque chose de ridicule à vouloir qu'une même pensée dirige deux volontés ? Que la femme est traitée en esclave ?

Qu'il n'y a pas de mariages entièrement heureux ?

Que le mariage est gros de crimes, et que les assassinats connus ne sont pas les pires ? Que la fidélité est impossible, au moins à l'homme ? […] »99

Comme on peut le pressentir, Mme de Staël, Balzac, Sand, les saint-simoniens qui voyaient dans le couple régénéré le « nouvel individu social » et bien d’autres encore, ouvrent la voie à l’émancipation féminine demandée en 1838 par Flora Tristan dans Pérégrinations

d’une paria : « Les femmes indiennes embrassent cette vie volontairement et en supportent

les fatigues, en affrontent les dangers avec un courage dont sont incapables les hommes de leur race. Je ne crois pas qu’on puisse citer une preuve plus frappante de la supériorité de la femme, dans l’enfance des peuples; n’en serait-il pas de même aussi chez ceux plus avancés en civilisation, si une éducation semblable était donnée aux deux sexes ? » Musset, de son côté, dénoncera l’éducation délétère du couvent qui ne laisse sortir de ses cellules que des spectres insensibles comme la Camille d’On ne badine pas avec l’amour…

Du même coup, la galerie des personnages féminins bénéficie dans la fiction de cette émulation pour donner vie à des femmes renonçant à l’amour sans avoir encore goûté au fruit défendu : par exemple une jeune oie blanche comme Camille qui s’adonne « à un être factice créé par [son] orgueil et [son] ennui »100, ou encore une femme rêvant de destinées héroïques comme Mathilde dans Le Rouge et le noir. L’archétype de l’esthète au féminin, susceptible de rivaliser avec l’homme, est inauguré par Corinne, « la gloire et le bonheur de l’Italie »101, chez Mme de Staël, avant de se révéler avec Consuelo chez George Sand. Déjà sous l’enfant chantant le Salve Regina percent les traits de l’artiste incomparable que la jeune héroïne éponyme va devenir :

« Alors Consuelo, avec simplicité et avec aisance, éleva purement, sous les profondeurs de la cathédrale, les accents de la plus belle voix qui les eût jamais fait retentir. Elle chanta le Salve Regina sans faire une seule faute de mémoire, sans hasarder un son qui ne fût complètement juste, plein, soutenu ou brisé à propos ; et suivant avec une inexactitude toute passive les instructions que le savant maître lui avait données, […] elle fit, avec l’inexpérience et l’insouciance d’un enfant, ce que la science, l’habitude et l’enthousiasme n’eussent pas fait faire à un chanteur consommé : elle chanta avec perfection. »102

Nulle trace chez Musset de cette artiste au féminin dans ses protagonistes. Certes, il chantera les louanges de la Malibran après sa mort, livrera des compliments fugaces à Sand et

99

H. de Balzac, Physiologie du mariage, [1829], « Méditation I », Paris, Acamédia, 1842-1848, p.4.

100

A. de Musset, On ne badine pas avec l’amour, Théâtre Complet, op. cit., p.280.

101

G. de Staël, Corinne ou l’Italie, op. cit., p.59.

102

à Rachel, mais les figures d’artistes qui traversent son œuvre sont irrémédiablement mâles. Nulle incarnation du génie féminin dans ses fictions : au mieux, la femme fait figure d’inspiratrice, ou d’auxiliaire, comme la compagne du Tizianello qui exhorte le fils oisif à reprendre le flambeau sacré du père :

« Tu ne penses qu’à te divertir, et tu ne réfléchis pas que ce qui est un égarement pour les autres est pour toi une honte. Le fils d’un marchand enrichi peut jouer aux dés, mais non le Tizianello. A quoi sert que tu en saches autant que nos plus vieux peintres, et que tu aies la jeunesse qui leur manque ? Tu n’as qu’à essayer pour réussir et tu n’essaies pas. »103

Ainsi, par-delà ces avatars fluctuants se dessine la figure de l’ange tutélaire et réconciliateur, un idéal féminin concentrant toutes les facettes de la femme, une synthèse des inlassables conquêtes de Don Juan. Transcendant les infirmités de la femme réelle, l’homme recompose, par le prisme de ses souvenirs, de ses fantasmes, et de son imaginaire, un absolu féminin dont Chateaubriand adolescent nous livre la « recette » dans les Mémoires d’outre-

tombe :

« Je me composai donc une femme de toutes les femmes que j’avais vues : elle avait la taille, les cheveux et le sourire de l’étrangère qui m’avait pressé contre son sein ; je lui donnai les yeux de

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