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L’amour, un rêve de pureté et d’innocence

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 149-165)

La sacralisation du sentiment amoureux : la femme rédemptrice

Au sein du renouveau spirituel qui marque toute la première moitié du XIXe siècle, caractérisée par la prolifération de la littérature religieuse, l’amour et son corollaire, une certaine divinisation de la femme porteuse de sacré, tradition dans laquelle s’enracine la poétique mussétienne, jouent un rôle déterminant. On observe, notamment à travers les écrits de Lamartine, d’Edouard Turquety (Amour et foi est publié en 1833), d’Auguste Brizeux, d’Hippolyte de La Morvonnais et de bien d’autres l’éclosion d’une véritable « religion de l’amour » qui aura valeur d’absolu chez Musset. Vécue comme une élévation vers le divin, l’expérience amoureuse semble subir une purification qui affleure dans cette remarque du narrateur de Raphaël, qui évoque « l’enthousiasme presque religieux qui [l’] inclinait devant cette sainteté de la beauté souffrante ».28 Le sentiment amoureux est donc révélateur du divin, dans une assimilation au christianisme que Chateaubriand mettait déjà en exergue dans le

Génie : « L’époux chrétien et son épouse vivent, renaissent et meurent ensemble ; ensemble

ils élèvent les fruits de leur union ; en poussière ils retournent ensemble, et se retrouvent ensemble par-delà les limites du tombeau. »29

25

A. de Musset, « Après une lecture », Poésies Complètes, op. cit., p.425.

26

A. de Musset, « Silvia », Poésies Complètes, op. cit., p.374.

27

A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., p.183.

28

A. de Lamartine, Raphaël-Graziella, Paris, Hachette, « Les Chefs-d’œuvre de Lamartine », 1930, p.22.

29

F. de Chateaubriand, Essai sur les Révolutions. Génie du christianisme, éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p.510.

Les femmes remarquables, dénuées des tares habituelles attribuées à la femme réelle foisonnent chez Musset comme dans la littérature romantique où elles apparaissent comme un véritable principe de civilisation, comme le note fort justement Alphonse Esquiros : « Une femme belle selon la nature et selon l’état élevé de la civilisation qu’elle exprime est en effet un des spectacles les plus saints que le monde nous offre. Quand même Dieu n’aurait pas envoyé d’autres anges sur la terre pour manifester aux hommes ses merveilles et sa toute- puissance, nous devrions encore croire devant elle à une révélation. »30 Elevée ainsi au rang d’entité rédemptrice, la figure féminine se pare alors, notamment chez George Sand et Germaine de Staël, de tous les atours de la divinité et du démiurge, dans l’amour qu’elle inspire à la gent masculine. Le maître de Consuelo parle de son élève exceptionnelle comme d’une créature céleste, d’une vestale « dépouillé[e] [du] voile terrestre », qui symbolise, à l’instar de Corinne, « l’hymen sacré [de la jeune fille] avec Dieu même »31 D’une manière générale, de nombreux penseurs placent la femme au cœur des différents systèmes philosophiques et religieux, jusqu’à l’assimiler à une figure christique dans le Saint- Simonisme. Ainsi Prosper Enfantin, disciple de Saint-Simon, met-il en lumière la dimension messianique de la femme qui se doit de préparer l’avènement de la « loi d’amour », c’est-à- dire le retour à Dieu : « La femme ! voilà la Rédemptrice, la Reine et la Mère du peuple ! », affirme une brochure saint-simonienne de 1833. Michelet, par ailleurs, se fera le chantre de cette vision idéalisée. Nombreux sont ceux à avoir partout recherché la « Femme-Messie » ou la « Femme-Guide », à laquelle George Sand offrit de nombreuses transpositions littéraires : Emile Barrault fonda même l’ordre des Compagnons de la Femme, qui se donnait pour tâche de sillonner toutes les routes d’Orient à la recherche de l’ « Elue », à la fois guide spirituel et instrument du salut humain. Dans une optique jumelle, toute l’œuvre d’Edgar Quinet est marquée par ce motif de la « Femme-Messie », d’Ahasvérus à La République, où il proclame que l’amour fut son unique « religion » et que la figure féminine reste l’outil privilégié d’une renaissance glorieuse de l’humanité. Cette « juste place » de la femme est mise en exergue aussi chez Hugo, qui engage tous les écrivains à en faire un véritable principe de création.32

Or, comme toute religion a besoin d’un dieu, le panthéon romantique se tourne tout naturellement vers Vénus-Uranie, qui préside aux amours purifiées des affres de la chair. L’amour est alors un vecteur divin, qui signe l’harmonie retrouvée du ciel et de la terre et en constitue le lien indéfectible :

« Tout est amour en toi, Monde matériel ! En toi tout est amour, Monde intellectuel ! Dans l’infini des cieux les sphères réparties N’offrent qu’affinités, concerts et sympathies,

Tout est analogie, accord, cohésion ! C’est l’amour que Newton appelle attraction.

De tout c’est l’harmonie et la force vitale ; Des lois de l’univers c’est la loi générale. »33

30

A. Esquiros, « De la beauté de la femme selon le christianisme », L’Artiste, 19 avril 1846.

31

G. Sand, Consuelo, 1842], éd. Cellier et Léon Guichard, Paris, Garnier Frères, 1959, p.146.

32

Ainsi peut-on lire sous la plume d’Hugo : « Il semble que Dieu ait voulu lui donner en ce monde tous les martyres, sans doute parce qu’il lui réserve ailleurs toutes les couronnes. Mais aussi quel rôle elle joue dans l’ensemble des faits providentiels d’où résulte l’amélioration continue du genre humain ! Comme elle est grande dans l’enthousiasme sérieux des contemplateurs et des poètes, la femme de la civilisation chrétienne ; figure angélique et sacrée, belle à la fois de la beauté physique et de la beauté morale, car la beauté extérieure n’est que la révélation et le rayonnement de la beauté intérieure ».

V. Hugo, Œuvres Complètes, éd ; dirigée par Jean Massin, Paris, Le Club Français du Livre, 1967-1969, t. VII, p. 65.

33

Villenave père, De l’amour considéré dans tout ce qu’il y a de bon et de beau, Paris, Imprimerie de Bruneau, 1841, p.2.

Ainsi les romantiques distinguent-ils au sein de l’entité féminine les vertus rédemptrices de sa sacralisation qui confère au poète désorienté la légitimité de son existence. Et Musset de stigmatiser celui qui se tient à l’écart de ces voluptés salvatrices, à rebours de nombreux autres artistes qui tendent vers une asexualité plus propices selon eux au processus créatif.

« Celui qui ne sait pas, durant les nuits brûlantes Qui font pâlir d’amour l’étoile de Vénus, Se lever en sursaut, sans raison, les pieds nus, Marcher, prier, pleurer des larmes ruisselantes, Et devant l’infini joindre des mains tremblantes, Le cœur plein de pitié pour des maux inconnus ;

[…]

Que celui-là rature et barbouille à son aise ; […] »34

Fuir la femme réelle, tentation toute romantique, prive la création poétique de sa substance et de sa légitimité aux yeux de Musset. Car c’est bien en effet l’essence divine et énigmatique du sentiment amoureux que l’œuvre du poète ne cesse d’interroger, cette aura ineffable du sentiment qui constitue un point cardinal de son esthétique. Le reste des contingences terrestres ne se module, ne se pense, ou ne se rêve qu’au travers de ce prisme, comme en témoigne Frank dans « La Coupe et les lèvres » :

« Doutez si vous voulez de l’être qui vous aime, D’une femme ou d’un chien, mais non de l’amour même.

L’amour est tout,-l’amour et la vie au soleil. Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse ? Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? »35

Dernière échappatoire au marasme existentiel et historique, ultime reliquaire de l’Idéal perdu, l’amour, comme plus tard chez Eluard, et l’exultation charnelle constituent la pierre de touche de la seule véritable forme d’existence, en réalisant le fantasme d’unité première propre à la sérénité de l’androgyne. Dans cette perspective, le concept même de communion et d’eucharistie de la religion amoureuse de Musset donne tout son sens à la notion de consubstantialité. Car, nous l’avons évoqué rapidement, aimer, pour le poète, c’est tout autant être avec l’autre qu’être en l’autre, comme un trait d’union entre l’infini des cieux et les turpitudes du séjour terrestre. Ainsi Desgenais confie-t-il à Octave :

« Aimer, c’est se donner corps et âme, ou, pour mieux dire, c’est l’élan même de la vie, à entrer en osmose avec le mouvement cosmique par lequel l’être se découvre lui-même à travers la volupté : « Amour ! Ô principe du monde ! Flamme précieuse que la nature entière, comme une Vestale inquiète surveille incessamment dans le temple de Dieu ! Foyer de tout, par qui tout existe ! »36

Il ne faudrait pas avancer pour autant qu’au centre de cette perception éthérée de la femme, la chair soit oubliée. Car, comme le montre Agnès Spiquel dans La Déesse cachée.

Isis dans l’œuvre de Victor Hugo, l’équivalence de la beauté féminine et de l’infini qui ronge

le poète se rejoignent dans le double sens du mot « nue », qui évoque à la fois la nudité de la chair et la voûte céleste.37 Ajoutons cependant que cette nudité féminine sanctifiée reste

34

A. de Musset, « Après une lecture », Poésies Complètes, op. cit., p.425.

35

A. de Musset, « La Coupe et les lèvres », ibid., p.157.

36

A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., p.80.

37

Hugo lui-même fait d’ailleurs référence à cette équivocité : « La femme nue, c’est le ciel bleu. Nuages et vêtements font obstacle à la contemplation.. L’infini et la beauté veulent être regardés sans voiles. Au fond, c’est

exempte des souillures de la chair et semble indissociable de la chasteté. Incontestablement, la femme est porteuse de sacré et a pour vocation première de rappeler à l’homme égaré ses célestes origines ; elle est le vecteur d’une renaissance et d’une transfiguration. Lorsque la reine lui demande : « Pourquoi donc étiez-vous, comme eût été Dieu même, /Si terrible et si grand ? », Ruy Blas répond : « Parce que je vous aime. »38 Chez Musset en revanche, le corps nu de la femme, s’il est bien le théâtre d’une palingénésie, n’est pas porteur d’une admiration aussi épurée et mêle toujours à l’abstraction de la transcendance la concrétude de la jouissance charnelle. Si l’on considère la fin de « Rolla », le doute n’est en effet pas permis. Ainsi le jeune débauché décrit-il Marion, la jeune prostituée qu’il ne va pas tarder à emporter avec lui dans la tombe, signe d’un désaveu des facultés rédemptrices de la femme :

« Oh ! qu’elle est belle encor ! quel trésor, ô nature ! Oh ! quel premier baiser l’Amour se préparait ! Quels doux fruits eût portés, quand sa fleur sera mûre,

Cette beauté céleste, et quelle flamme pure Sur cette chaste lampe un jour s’éveillerait !

Pauvreté ! pauvreté ! c’est toi la courtisane. C’est toi qui dans ce lit as poussé cet enfant Que la Grèce eût jeté sur l’autel de Diane !

[…]

C’est toi qui, chuchotant dans le souffle du vent, Au milieu des sanglots d’une insomnie amère,

Es venu un beau soir murmurer à sa mère : “Ta fille est belle et vierge, et tout cela se vend !” »39

L’amour sacré et l’amour profane, voire la jouissance tarifée, se mêlent donc chez Musset. C’est là l’une de ses spécificités qui prendra un visage plus manichéen chez Baudelaire, chez qui la madone et la putain ne fusionnent jamais.

Au-delà du désenchantement de la jouissance charnelle et de l’ombre de Lilith, l’esprit humain tend par la médiation de l’amour à rejoindre l’acte idyllique et démiurgique de sa propre création. Le simple vertige sensuel l’engage alors à restaurer sa configuration identitaire, à se situer « au plus près d’une source ontologique »40, comme l’écrit Jean-Pierre Richard. Véritable matrice, l’amour ouvre la voie du salut de l’âme en soutenant une existence individuelle dont les multiples virtualités se trouvent sublimées. Le poète rencontre dans la promiscuité de l’altérité féminine sa propre transcendance, selon des modalités paradoxales : à la fois désir et profession de foi, l’amour met en scène l’élan aventureux vers l’aliénation radicale et l’adhésion totale, préalable, presque aveugle à l’essence de l’être aimé, une confiance absolue en la plénitude de l’Autre. La perte de la bien-aimée prend donc tout naturellement la face inquiétante d’une mort symbolique, morale et affective, de l’amant esseulé :

« Ah ! C’est plus que mourir ; c’est survivre à soi-même. L’âme remonte au ciel quand on perd ce qu’on aime.

Il ne reste de nous qu’un cadavre vivant ;

la même extase, l’idée de l’infini se dégage du beau, comme l’idée du beau se dégage de l’infini. La beauté n’est pas autre chose que l’infini contenu dans un contour. »

V. Hugo, Le Tas de pierres, cité par A. Spiquel, La Déesse cachée. Isis dans l’œuvre de Victor Hugo, Paris, Honoré Champion, 1998, p.161.

38

V. Hugo, Ruy Blas, [1838], acte III, scène 3, Œuvres Complètes, Théâtre II, Paris, Robert Laffont, 1985, p.81.

39

A. de Musset, « Rolla », Poésies Complètes, op. cit., p.282.

40

Le désespoir l’habite, et le néant l’attend. »41

Par voie de conséquence, le sentiment amoureux est la terre d’asile de cette fêlure ontologique venue frapper l’enfant du siècle, le palliatif de ce malaise ontologique qui a rompu l’harmonie entre l’homme et le monde. Si la profession de foi de Musset s’adresse davantage au sentiment idéalisé qu’à la dépouille charnelle qui l’incarne, le poète est bien le grand prêtre de cette religion amoureuse qui délivre à ses ouailles un salut terrestre, un idéal de bonheur humain, une extase de la vie que les autres voies de la sublimation, l’art, la foi chrétienne, lacunaires, peinent à offrir au désenchanté, comme en témoigne l’exergue du poème intitulé « Suzon » : « Heureux celui dont le cœur ne demande qu’un cœur, et qui ne désire ni parc à l’anglaise, ni opera seria, ni musique de Mozart, ni tableaux de Raphaël, ni éclipse de lune, ni même un clair de lune, ni scène de roman, ni leur accomplissement. »42 La vie sentimentale elle-même devient alors un art.

Ainsi, à la suite des Amours des anges de Thomas Moore, le sentiment amoureux devient le viatique qui nous pousse vers un ange que les cieux semblent nous avoir destiné et qui excède largement l’idéalisme artistique. Les œuvres de Chateaubriand regorgent de sylphides marmoréennes, comme dans les Mémoires d’outre-tombe où la fille de la princesse de Radzvill est « charmante comme une de ces nues à figure de vierge qui entourent la lune d’Ossian », et où la duchesse de Cumberland est perçue comme « une aimable fille des trônes descendue de son char comme la déesse de la nuit pour errer dans les forêts ! »43 En corollaire, ces femmes angéliques sont fréquemment porteuses de mort, incitant une fois encore l’amant à tourner ses regards vers le ciel.44 Ces créatures d’élection, porteuses des plus célestes voluptés comme des plus douloureuses absences au monde, rejoignent au-delà de la mort le panthéon astral et viennent s’incarner dans les étoiles surplombant les mortels ; c’est le cas de Lélia qui demande à Sténio-Musset :

« N’avez-vous jamais pleuré d’amour pour ces blanches étoiles qui sèment les voiles bleus de la nuit ? […], ne vous est-il point arrivé de vous passionner pour l’une d’elles ? […] Oui, vous avez interrogé ces astres avec d’ardentes sympathies et vous avez cru rencontrer des regards d’amour dans le tremblant éclat de leurs rayons, vous avez cru sentir une voix qui tombait de là-haut pour vous caresser, pour vous dire : “ Espère, tu es venu de nous, tu reviendras vers nous ! C’est moi qui suis ta patrie. C’est moi qui t’appelle, c’est moi qui te convie, c’est moi qui dois t’appartenir un jour ! ”»45 Dans cette sainte tension vers les cieux éthérés, l’âme humaine est conviée à s’unir à son étoile, par-delà la souffrance de la perte de l’être physique.

Quand bien même l’amour, nous aurons à le voir, reste la source privilégiée d’indicibles maux, il faut, pour pérenniser sa sacralisation, adopter la philosophie du Pangloss de Voltaire et célébrer comme un bien tout mal qui naîtrait de lui. Musset aimait ainsi à glorifier en son ami Ulric Guttinguer le modèle de l’amour malheureux qui, pour confiner au pléonasme chez le poète, n’en demeure pas moins le seul bien accessible ici-bas :

41

A. de Musset, « Lettre à Monsieur de Lamartine », Poésies Complètes, op. cit., p.333.

42

A. de Musset, « Suzon », Poésies Complètes, op. cit., p.438.

43

F.R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, op. cit ;, p.65.

44

C’est le cas de Julie dans Raphaël de Lamartine : « […] tout la faisait ressembler à une statue de la mort, mais de la mort qui attire et qui enlève l’âme au sentiment des angoisses humaines, et qui l’emporte dans les régions de la lumière et de l’amour sous les rayons de l’heureuse et l’éternelle vie. […] ? Si cette angélique apparition était la mort, eh bien, c’était la mort que j’adorais ! Peut-être l’amour immense et complet dont j’étais altéré n’était-il que là ? Peut-être Dieu ne m’en montrait-il une lueur prête à s’éteindre sur la terre que pour me le faire poursuivre, à la trace de ce rayon, jusqu’à la tombe et jusqu’au ciel ? »

A. de Lamartine, Raphaël, op. cit., p.32.

45

« Mais laisse-moi du moins regarder dans ton âme, Comme un enfant craintif se penche sur les eaux ; Toi, si plein, front pâli sous des baisers de femme, Moi si jeune, enviant ta blessure et tes maux. »46

Dans une célèbre lettre à George Sand, Musset va même jusqu’à sublimer leurs amours mortes en comparant leur destinée à celle d’autres amants légendaires, Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard. La Confession à venir servira alors d’autel et de Mémorial venus immortaliser leur valse amoureuse. Nulle part ailleurs peut-être que dans cette missive magnifique et étonnante n’apparaît l’essence éminemment divine et sacrée du sentiment mussétien, mêlée à l’amour profane, dans une fusion entre eros et agapé :

« Notre amitié est consacrée, mon enfant. Elle a reçu hier, devant Dieu, le saint baptême de nos larmes. Elle est immortelle comme lui. Je ne crains plus rien ni n’espère plus rien. […] Celui qui est aimé de toi ne peut plus maudire, George. Je puis souffrir encore maintenant ; mais je ne peux plus maudire. […] Mais je ne mourrai pas sans avoir fait mon livre, sur moi et sur toi (sur toi surtout). Non, ma belle, ma sainte fiancée, tu ne te coucheras pas dans cette froide terre sans qu’elle sache qui elle a porté. Non, non, j’en jure par ma jeunesse et par mon génie, il ne poussera sur ta tombe que des lis sans tache ; j’y poserai de ces mains que voilà ton épitaphe en marbre plus pur que les statues de nos gloires d’un jour. La postérité répétera nos noms comme ceux de ces amants immortels qui n’en ont plus qu’un à eux deux, comme Roméo et Juliette, comme Héloïse et Abélard ; on ne parlera jamais de l’un sans parler de l’autre. Ce sera là un mariage plus sacré que ceux que font les prêtres ; le mariage impérissable et chaste de l’Intelligence. Les peuples futurs y reconnaîtront le symbole du Dieu qu’ils adoreront […] ».47

L’amour, panacée face au naufrage humain : la femme, mère et éducatrice

Ainsi, la figure de la femme salvatrice renvoie chez Musset aux aspirations idéalistes d’un enfant du siècle en mal d’absolu. Mais ce désir d’infini, condamné à demeurer désir, cette sublimation de la femme charnelle dans une vision fantasmatique se décline selon des modalités diverses. Il s’enracine dans une rêverie édénique et virginale, celle d’avant la Chute, et emprunte tout d’abord la voie consacrée de l’innocence enfantine dont Ninon et Ninette sont les représentantes canoniques dans « A quoi rêvent les jeunes filles » :

« L’eau, la terre et les vents, tout s’emplit d’harmonies.

Dans le document La difficulté d'être dans l'oeuvre de Musset (Page 149-165)