DEUXIÈME CHAPITRE : LE CADRE CONCEPTUEL
1. LE « MANGER PLUS QUE SES BESOINS »
1.1 Manger sans faim
/¶HQIDQWHQYHQDQWDXPRQGHYLHQWDXFRQWDFWGHVKXPDLQVTXLYRQWV¶RFFXSHU de lui, mais aussi de O¶DOLPHQWDWLRQTX¶LODXUDjDEVRUEHUSRXUVHPDLQWHQLUHQYLH. Ainsi, le nourrisson qui ne peut se nourrir seul, est dépendant de sa mère ou de O¶HQWRXUDJH maternant16 (Anzieu, 2009),OV¶HQUHPHWjHOOHHWjODUHODWLRQTX¶HOOHHQWUHWLHQWDYHFOD nourriture, son corps et les autres humains alentour puisque sa vie en dépend. En fait, il entre dans le champ des représentations de celle ou celui qui le nourrit.
À la question « pourquoi mangez-vous ? », nombreuses réponses adultes fusent : « SDUFHTXHF¶HVWO¶KHXUH », « SDUFHTXHM¶DLHQYLHGHPDQJHU ». D¶DXWUHV, après un temps de réflexion, parlent de courage et de réconfort avant ou après une tâche, un événement qui les touche ou les a touchés émotionnellement en disant « F¶HVWSOXVIRUW que moi ª'¶DXWUHVHQFRUHLQYRTXHQW la fatigue17, notamment en rentrant du travail ou GHO¶pFROHSRXUO¶HQIDQWNotons que la fatigue, souvent non nommée disparaît avec un appoUW DOLPHQWDLUH VRXUFH G¶pQHUJLH Ceux et celles qui prononcent le mot faim, nous O¶H[SOLTXHQW VRXYHQW GDQV GHV WHUPHV WUqV IORXV ,O DSSDUDvW DLQsi, une confusion entre faim, envie de manger et appétit18. Peut-il en être autrement ? En effet, le rapport à O¶DOLPHQWDWLRQ UHFRXYUH QRXV O¶DYRQV GpMj SUpFLVp XQ FDUDFWqUH aussi bien culturel, social que corporel. &HUWDLQV DXWUHV FRQVWDWHQW TX¶LOV PDQJHQW TXDQG LOV V¶HQQXLHQW comme si manger était une occupation. Quant aux enfants, ils mangent en se remettant
16 Terme usité par Anzieu dans son livre Le Moi-peau (2009) pour désigner les personnes ayant un rôle
maternant auprès du nourrisson.
17 Selon de le Petit Robert, la fatigue est un état résultant du fonctionnement excessif G¶XQRUJDQHRXG¶XQ organisme qui se traduit par une diminution des forces, de l'activité, généralement accompagné d'une
sensation caractéristique (sentiment de fatigue).
18 6HORQOHGLFWLRQQDLUHpW\PRORJLTXHO¶DSSpWLWYLHQWGXODWLQ appetitio GpULYpG¶appetere signifiant désir
GDQVOH VHQVGH FRQYRLWLVH /¶HQYLH YLHQWGXODWLQ invidia qui signifie jalousie, est passée en français au sens de désir. La faim est aussi issue du latin de fames dérivé du bas latin fameliculare donnant famelicus GDQV OH VHQV G¶DYRLU IDLP HQ pFKR j XQH IDPLQH HQ 6HORQ O¶(QF\FORSDHGLD 8QLYHUVDOLV physiologiquement, les centres de commande de la régulation alimentaire, de localisation cérébrale, en FRQQH[LRQ SHUPDQHQWH VRQW VRXPLV j O¶LQWHUYHQWLRQ GH O¶K\SRWKalamus qui détecte les signaux PpWDEROLTXHV FRPPH OD JO\FpPLH HW O¶LQVXOLQpPLH /H FHQWUH GH OD IDLP GpFOHQFKH OD SULVH DOLPHQWDLUH DSSpWLW HW OH FHQWUH GH OD VDWLpWp RX UDVVDVLHPHQW DUUrWH OD SULVH DOLPHQWDLUH DYHF O¶DLGH GHV UpFHSWHXUV périphériques situés dans la zone gastrique.
WRWDOHPHQW j O¶DGXOWH GH O¶HQWRXUDJH SDUHQW QRXUULFH JUDQG-mère, babysitter ou SHUVRQQHOGHFDQWLQHRXPrPHG¶XQHIDoRQJpQpUDOHjODVRFLpWpFXOWXUHOOHHWUHOLJLHXVHj laquelle ils appartiennent. Les horaires de repas ne sont, en effet, pas tous les mêmes G¶XQERXWjO¶DXWUHGHODSODQqWH, ni leur fréquence au cours de la journée. Les enfants en mesure de répondre à cette question, notamment ceux à partir de 9-10 ans, ont sensiblement les mêmes réponses que lHVDGXOWHVHQSDUODQWGHO¶KHXUHGHPDQJHU. Une autre réponse est liée à la croissance.
Observons OH SDUFRXUV GX SHWLW G¶KRPPH GHSXLV VD QDLVVDQFH SXLVTXH OH premier contact avec la nourriture terrestre se produit à partir de ce moment-là. En effet, à sa naissance, le nouveau-né comme tous les bébés de mammifère, est dépendant de ses parents et principalement de sa mère qui le nourrit de son lait4X¶LOVRLWDOODLWpou pas par sa mère HWPrPHV¶LODSSDUDvW confortable, il est nourri à chaque fois qX¶LOVHUpYHLOOH de trois à douze fois par vingt-quatre heures. La mère répond ainsi à chaque babillage de son bébé.
À PRLQV G¶DYRLU XQH FHUWDLQH H[SpULHQFH DXFXQH PDPDQ QH SHXW DYRLU OD prétention de connaître les besoins de son nouveau-né dans leur intégralité. Toutefois, le premier cri du nouveau-né est attendu comme « première manifestation propre » qui suscite chez la mère des conduites. Sa cDSDFLWp j O¶DSDLVHU SDUWLFLSH à lui conférer le VHQWLPHQW G¶rWUH PqUH GH FH EpEp 3ROODN-Cornillot, 2004). Elle va vivre ce qui se SUpVHQWHGDQVVDUHODWLRQDYHFOXLHWWHQWHUG¶LQWHUSUpWHUDXSOXVMXVWHFHTX¶HOOHSHUoRLWGH lui et qui relève, selon McDougall (1978), de son désir de donner un sens à ses cris et à ses gestes. Mais sera-t-elle si pertinente dans ses compréhensions ? Le réveil et le babillage de son enfant ayant valeur de signal, ne seront-ils pas pris pour un besoin de nourriture ? Alors, pouvons-nous penser que cette confusion entre sensation de faim et manifestation comme les babillages et les pleurs, puisse induire O¶LQLWLDOLVDWLRQGXUHSDV sans sensation de faim tangible ? Pour autant OHV EHVRLQV GH O¶HQIDQW HW OHXU interprétation proviennent pour la plupart des mères du monde, de modèles plus ou moins abstraits reposant sur le passé, sur des mythes, des croyances, un certain
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mimétisme, des messages QRUPDWLIV RX G¶pTXLOLEre alimentaire relativement récents et même des peurs propres à ces mères qui peuvent être loin de la réalité de celui qui est nourri. La nature et la quantité des aliments sont issues des recommandations scientifiques minimales en fonction du poids et GHO¶kJHSRXUpYLWHUGéficits et carences (Dupin, 1992). De plus, les messages actuels comme des injonctions à ne pas sauter de repas, notamment le petit déjeuner, induisent à ne pas être connecté à ses sensations corporelles de faim et de satiété et à manger prioritairement pour entrer en relation avec son groupe social.
Poursuivons notre compréhension du manger sans faim dans un « SDUFHTXHM¶DL envie de manger » ou « F¶HVW SOXV IRUW TXH PRL ». Cette expression semble prononcée GDQV OH VHQV GH QH SRXYRLU V¶HPSrFKHU GH FRPPH VL FHWWH RULHQWDWLRQ YHUV O¶DOLPHQW répondait à un besoin irrépressible, à des forces inconnues en soi, incontrôlables et vécues comme aliénantes ou à une autre motivation. De quelle motivation V¶DJLW-il ? &HOOH GH OD UHFKHUFKH GH SODLVLU RX G¶DSDLVHPHQW Ge sensations inconfortables sans TX¶HOOHVQHVRLHQWFRPSULVHVLQWHOOLJLEOHPHQW ?
Le projet de tout parent pour son enfant grandissant est qX¶LO PDQJH DYHF VD famille à la même table et à la même heure. L¶HVSDFHPHQW HQWUH OHV WpWpHV RX OHV ELEHURQVV¶RSqUHDVVH]QDWXUHOOHPHQWHWODGXUpHHQWUHFKDFXQHGHVHVSULVHVDOLPHQWDLUHV se fait plus grande, lui permettant de vivre avec le monde, de se socialiser et de se sociabiliser. Ces espacements entre les repas et ces réductions des temps de portage parental sont des avancées vers le sevrage voire même une composante. Le sevrage est ODUUrWGHO¶DOlaitement maternel chez l'humain. Selon le Petit Robert, le mot sevrage est XWLOLVp DXMRXUG¶KXL DXVVL pour qualifier OD FHVVDWLRQ GH O¶DOlaitement artificiel19. /¶pW\PRORJLH GX PRW sevrage QRXV LQGLTXH TX¶LO vient du verbe sevrer issu du latin classique separare signifiant séparer. Par extension, la notion de privation est observée
19 /¶DOODLWHPHQWDUWLILFLHO FRUUHVSRQGDXQRXUULVVDJH G¶XQHQIDQWSDUGXODLWDUWLILFLHORXVXEVWLWXWGHODLW
PDWHUQHO,OHVWQRPPpDLQVLSDURSSRVLWLRQjO¶DOODLWHPHQWPDWHUQHO&HGHUQLHUVLJQLILHQRXUULUGHVRQODLW produit par les mamelles pour une mammifère après la gestation.
vers le XIVème siècle. Ainsi, peut-on « sevrer un enfant » ou « sevrer du lait maternel ». /¶HQIDQW perd un substrat de choix puisque le lait de sa mère, dans ses constituants, est spécifique pour chaque famille de mammifères. Avec le sevrage commence la diversification alimentaire qui est nécessaire pour satisfaire les besoins nutritionnels de croissance que le lait maternel ne permet plus au-delà de trois ans (Le Berre, 1990). Au sens élargi, il SHUPHWDXVVLjO¶HQIDQWG¶DOOHUjODUencontre du monde extérieur, au-delà de la dyade et la triade TX¶LODIRUPpDYHFVDPqUHou O¶HQWRXUDJHPDWHUQDQWnotamment ses deux parents HW GH V¶DGDSWHU j VRQ HQYLURQQHPHQW DOLPHQWDLUH HW KXPDLQ $XMRXUG¶KXL OH VHYUDJH HVW UpDOLVp Slus précocement notamment dans nos sociétés occidentales en raison de la reprise du travail de la plupart des mèresFHTXLQ¶pWDLWSDV le cas même au début du XXème siècle. /¶HQIDQWSHUGde ce fait ce que sa mère lui donne dans le portage et la chaleur de son étreinte dans ces temps de tétée et de biberon. Elle répondait MXVTX¶jSUpVHQWSURPSWHPHQWjVHVpWDWVG¶LQFRQIRUWGHbesoin de nourriture, de proximité (Pollak-Cornillot, 2004), de sommeil HWGHVWLPXODWLRQTX¶LOpeut manifester par des pleurs plus ou moins forts souvent interprétés comme des colères. Ces pleurs sont O¶H[SUHVVLRQGe ses ressentis.
Explorons quelques situations fréquentes de début vie, génératrices de sevrage GHO¶DWWHQWLRQPDWHUQHOOHUn soir, maman et papa sortent au cinéma et demandent à une
babysitter de venir garder leur enfant. Un jour, maman reprend son travail, bébé va chez
la nourrice et cesse de téter son sein. Une autre situation très précoce dans la vie de bébé, quasi banale peut se produire même dès la maternité. Un soir, pour permettre à la PDPDQGHVH UHSRVHUXQHSXpULFXOWULFHELHQLQWHQWLRQQpHSURSRVHGHV¶RFFXSHUGHOXL Mais, bébé se réveille, appelle et maman ne vient pas. Il poursuit en pleurant ou en criant même. La babysitter Q¶HQWHQGou ne connaît pas les babillages de bébé et la puéricultrice GRLW V¶RFFXSHU GH plusieurs autres nourrissons. Il ne reconnaîtra ni la voix et le ton DSDLVDQWQLO¶RGHXU de sa mère ce qui lui donnera à vivre des émotions. Celui nourrit du lait de sa mère aura à se détacher aussi physiquement de son corps. Face à ses pleurs, les SHUVRQQHVFKDUJpHVGHV¶RFFXSHUGHOXLUpSRQGURQWen lui donnant le biberon.
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Plus tard, ces évènements de sevrage prendront la forme d¶XQ départ comme celui G¶XQSDUHQWde O¶DUULYpHG¶XQautre membre dans la famille, de O¶KRVSLWDOLVDWLRQGH O¶HQIDQWlui-même ou de la maman, du GpFqVG¶XQJUDQGSDUHQWFKH]TXLO¶HQIDQWSDVVDLW tous ses mercredis. Il est fréquent dans notre pratique, de repérer le début de la prise pondérale aussi ORUV G¶XQH VpSDUDWLRQ WHO XQ GpPpQDJHPHQW XQH UXSWXUH dans le fonctionnement de vie.
Tous les bébés vivent de telles situations. Une relation dyadique bonne ou moins ERQQHWRXWHQIDQWO¶DYpFXe. À quelque moment de sa vie, chaque enfant aura à faire avec son sevrage, sevrage de lait, G¶DWWHQWLRQ et de portage. Il lui a fallu O¶DFFHSWHU pour VHGpWDFKHUHWSDUWLUjODGpFRXYHUWHGXPRQGHGHO¶DOWpULWpHWG¶DXWUHVQRXrritures que terrestres. /H VHYUDJH GX ODLW HW GH O¶DWWHQWLRQ PDWHUQHOOH HW PDWHUQDQWH FRQVWLWXH donc une étape indispensable à la découverte du monde mais tout le monde ne développera pas un état de surcharge pondérale à ce moment-là. Cette ouverture à O¶DOWpULWp SHXW V¶RSpUHU SDUIRLV EHDXFRXS SOXV WDUGLYHPHQW GDQV OD YLH et des prises pondérales nous sont rapportées à ces moments-là. Ce sont les cas de la poursuite des études GDQV XQH DXWUH YLOOH RX G¶XQ VpMRXU j O¶pWUDQJHU SRXU FHUWDLQHV MHXQHV ILOOHV qui WHQWHQWO¶H[SpULHQFHGHODIRQFWLRQGH© jeune fille au pair ªGDQVXQHIDPLOOHG¶XQDXWUH pays qui présente XQH DXWUH RUJDQLVDWLRQ DXWRXU GH O¶DOLPHQWDWLRQ. Ils donnent inéluctablement à vivre des sensations et émotions, notamment liées à la séparation, O¶LVROHPHQWO¶LQFRPSUpKHQVLRQToutes ces ruptures et séparations sont des évènements ravivant les mêmes ressentis du sevrage. Nous pouvons donc imaginer ce qui peut se passer lors de naissances prématurées nécessitant la mise en couveuse induisant la VpSDUDWLRQ EUXWDOH G¶DYHF OD PqUH Dans notre pratique, nous interrogeons toujours sur les premiers jours de la naissance afin de repérer de tels évènements.
&HVSUHPLHUVpOpPHQWVG¶H[SOLFDWLRQFRQWH[WXHOOHFRPPHO¶pYROXWLRQGHVPRGHV GHYLHV¶DVVRFLHQW parfois à des facteurs développementaux. Observons-les maintenant.
1.2 Manger au-delà de sa faim
Ce sous-titre « Manger au-delà de sa faim » pour expliquer le fait de « manger plus que ses besoins » suppose en effet que la prise alimentaire ait été initialisée avec une sensation de faim. Explorons en pratique cette expression.
'LVWLQJXRQV SRXU FRPPHQFHU O¶DOODLWHPHQW PDWHUQHO GH O¶DOLPHQWDWLRQ (Q HIIHWGXIDLWTX¶aucune quantité de lait absorbée QHVRLWPHVXUDEOHO¶DOODLWHPHQWV¶DUUrWH sans inquiétude lorsque le nourrisson lâche le sein de sa mère et s¶il paraît confortable.
Tandis que lRUVTXH OD TXDQWLWp G¶DOLPHQW SHXW rWUH mesurée, par un biberon gradué ou un volume dDQV XQH DVVLHWWH O¶HQIDQW HVW soumis à cette quantité évaluée suivant son âge SDU O¶DGXOWH qui le nourrit. En effet, dès que le volume préétabli est absorbé, une mesure de lait en poudre en plus est très souvent ajoutée. Une autre raison pouvait autrefois être avancée comme le respect implicite de la personne qui a préparé le reSDV RX WUDYDLOOp SRXU HQ SHUPHWWUH OD FXOWXUH RX O¶DFKDW Il ne fallait pas gâcher la nourriture difficilement gagnée ou acquise. L¶HQIDQWest le plus souvent encouragé, incité à finir la portion préétablie ou à en manger une à deux bouchées de plus, même V¶LOD abandonné spontanément la tétine ou détourné la tête de la cuillère présentée pour signifier son rassasiement donc la fin de sa prise alimentaire. À notre sens de praticien, cette sollicitation plus que courante a invalidé les ressentis de rassasiement que le nourrisson a perçus en lui-même et a manifestés. Non reconnu dans son expression, l¶HQIDQW, SUHQDQW DLQVL O¶KDELWXGH GH FHVVHU VHV SULVHV DOLPHQWDLUHV DYHF XQH VHQVDWLRQ autre que celle de son rassasiement, aura plus tard tendance à la rechercher pour terminer toutes ses prises alimentaires pensant que cette sensation correspond à son rassasiement. De même, les bonV DXJXUHV OHV IpOLFLWDWLRQV UHoXHV SDU O¶HQIDQW VXLWHV DX[ PLPLTXHV gusto-faciales et aux paroles encourageantes, ont été des supports à la surconsommation GDQV O¶LUUHVSHFW GHV VHQVDWLRQV H[SULPpHV Nous pouvons aussi nous demander si ces FRPSOLPHQWVQ¶RQWSDVpWpGHYpULWDEOHVVWLPXODQWVSUpFRFHV FDULOHVWKDELWXHOG¶HQWHQGUH les parents dire qu¶en sortant de table, et ce dès son plus jeune âge, leur unique enfant en