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Chapitre 2 : La recension des écrits

6. Les limites de ces études

La plupart des études concernant les proches en contexte de morts hâtées médicalement sont pour la très grande majorité réalisées en contexte de suicide assisté, dans divers pays d’Europe ou aux États-Unis et cer- taines datent (Arnold et coll., 2004; Back et coll., 2002; Bascom et Tolle, 2002; Beder, 1998; Gamondi et coll., 2013, 2018; Ganzini et coll., 2003, 2009; Pott et coll., 2011, 2013, 2015; Starks et coll., 2007; Sullivan et coll., 2000; Wagner, Keller, et coll., 2012; Wagner, Müller, et coll., 2012; Zala, 2005).

De surcroît, très peu d’études récentes avec des données primaires portant sur les proches en contexte d’eu- thanasie ont été réalisées (Dees et coll. 2012; Kimsma et Van Leeuwen, 2007; Kuuppelomäki, 2000; Swarte el coll., 2003; Van Den Boom, 1995;). De plus, le suicide assisté est souvent réalisé à domicile sans professionnel de la santé présent pour la plupart du temps, et implique que la personne se donne elle-même la mort en s’autoadministrant la substance mortelle par voie orale, ce qui n’est pas le cas avec l’AMM. En ce sens, le

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suicide assisté est probablement un événement plus traumatisant pour les proches, surtout en cas de compli- cations comme le mentionnait Starks et ses collaborateurs (2007), que l’euthanasie active qui est prodiguée par injections intraveineuses par un médecin. Ainsi les répercussions chez les proches dans un contexte de suicide assisté ne sont pas transposables à l’AMM, étant dans les faits une euthanasie.

Comme mentionné ci-haut, l’accompagnement des proches et leur degré d’implication semble être un élément récurrent et central dans cette thématique de recherche, mais cet aspect n’est pas toujours pris en compte dans les études et lorsqu’il l’est, les résultats à ce sujet varient grandement dans les écrits scientifiques répertoriés. En effet, dans certains pays, les morts hâtées médicalement nécessitent une implication soutenue et concrète de la part des proches pour y accéder. Or, au Québec, la planification du processus de l’AMM est sous la responsabilité du médecin qui traite la demande de la personne en fin de vie. L’implication concrète des proches est limitée à l’accompagnement moral du mourant. De plus, l’enquête policière exigée après le décès du proche par suicide assisté, mentionné par Pott et ses collaboratrices (2015) et Zala (2005), semble être un élément fondamentalement différent dont les répercussions semblent importantes et dont celles-ci ne s’appliquent pas dans le cas de l’AMM au Québec. En effet, c’est plutôt la Commission des soins de fin de vie qui se charge d’étudier les démarches effectuées, une fois qu’elles sont complétées. De plus, les résultats de ces études européennes et américaines ne peuvent donc pas être généralisés sans précautions à la réalité québécoise en raison des différents contextes médicaux et culturels (Ontario HIV Treatment Network, 2017).

De surcroît, à l’exception de Wagner, Keller et leurs collaborateurs (2012), les chercheurs n’approfondissent pas leurs réflexions dans l’analyse de leurs résultats. En effet, ces études quantitatives pour la plupart ne re- cherchent pas les causes derrière les effets observés chez les proches endeuillés. Lorsque l’expérience des proches est jugée négative, les chercheurs tendent à créer un lien de causalité entre celles-ci et le type de décès. En effet, la plupart ne s’attardent qu’aux symptômes apparents mesurés à l’aide d’outils quantitatifs standardisés, mais très peu d’études qualitatives sur les causes de ces effets sont réalisées. Une autre limite constatée dans les études en général concerne la représentativité des participants. En effet, parmi les données sociodémographiques rapportées, celles-ci démontrent que la majorité des personnes ayant eu recours à ce soin et leurs proches provenaient de milieux relativement aisés et que la plupart possédaient des études post- secondaires (Ontario HIV Treatment Network, 2017; Oregon Public Health Division, 2017; Sullivan et coll., 2000; Swarte et coll., 2003).

En ce qui concerne l’euthanasie pratiquée aux Pays-Bas, il est difficile de transposer les résultats de ces études concrètement à l’AMM sans précaution puisque les critères pour y accéder sont différents ce qui peut avoir une incidence sur l’expérience des proches impliqués. En effet, dans les pays du Benelux, bien que le soin soit encadré par des professionnels de la santé au même titre que l’AMM, la fin de vie n’est pas une condition requise

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et d’autant plus qu’aux Pays-Bas les mineurs âgés de 12 ans et plus peuvent avoir accès à l’euthanasie (Ema- nuel et coll., 2016; Steck, Egger, Maessen, Reisch et Zwahlen, 2013). En Belgique, depuis 2014, l’âge importe peu, mais s’il s’agit d’un mineur l’enfant doit absolument être en fin de vie (Emanuel et coll. 2016). Il va sans dire que le contexte de la demande influence nécessairement l’expérience des proches et que lorsqu’une per- sonne n’est pas en fin de vie ou qu’elle n’est pas atteinte d’une maladie incurable, les répercussions ne sont pas comparables.

De plus, concernant les délais d’attente entre la demande et le décès pour un suicide assisté ou une euthanasie, au Luxembourg et aux Pays-Bas il n’y a pas de délai imposé. De son côté la Belgique impose un délai d’un mois pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Aux États-Unis, concernant le suicide assisté, 15 jours sont demandés. Partout au Canada, rappelons qu’un délai 10 jours (plus ou moins selon l’état de la personne en fin de vie) est demandé par la loi pour l’AMM. (Emanuel et coll. 2016) Il est important de souligner que ces différences concernant la présence et la durée d'un délai peuvent également jouer un rôle important dans l’ex- périence des proches, notamment dans leur sentiment d’acceptation et dans la préparation à la mort prochaine annoncée.

Quant à l’étude de Van Den Boom (1995), qui date et qui se déroule aux Pays-Bas, il s’agit d’euthanasie active et passive, où les proches pouvaient faire des choix concrets et éprouvants en lien avec la fin de vie, et ce à la place de la personne mourante. C’est-à-dire qu’ils avaient un pouvoir décisif sur le moment du décès et qu’au moment de l’euthanasie, le médecin pouvait leur demander d’administrer la médication. Dans le cas de l’AMM, l’implication des proches est limitée à l’accompagnement.

Les études de Swarte et ses collaborateurs (2003) et de Ganzini et son équipe (2009) énoncent comme limites principales la non-réponse de certains proches et la plus forte participation des familles dont le proche était décédé par euthanasie active. Ils expliquent que les participants de l’étude étaient peut-être uniquement ceux qui vivaient un deuil relativement positif, ce qui expliquerait leur forte participation et donc l’envie de partager leur expérience. En ce sens, Kuuppelomäki (2000) souligne dans ses résultats que les personnes en fin de vie rencontrées n’éprouvaient pas de malaise à discuter d’euthanasie. Les familles de ces personnes n’éprouvaient peut-être pas non plus de malaise, les résultats peuvent donc potentiellement être biaisés par ceux ayant une attitude et une expérience positive. Ganzini et ses collaborateurs (2009), mentionnent également comme fai- blesse le fait de ne pas avoir utilisé de groupe contrôle pour l’étude, mais plutôt un échantillon de comparaison provenant d’une autre étude. Cette limite pourrait compromettre la généralisation à l’ensemble de la population. Wagner, Müller et leur équipe (2012), énoncent également cette limite et qu’ils ne pouvaient donc pas établir que les familles des personnes décédées ainsi ressentaient davantage de symptômes négatifs que ceux décé- dés naturellement. Wagner, Keller et leur équipe (2012) pour leur part énoncent que leur étude aurait été plus

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significative si elle avait été longitudinale puisque les symptômes et les effets sur le long terme auraient pu être mesurés et analysés.

L’étude de Lamontagne et Beaulieu (2006) se consacrait uniquement aux soins palliatifs à domicile et concernait des proches aidants conjoints exclusivement, toutefois les éléments influençant la réalité des membres de la famille en soins palliatifs sont fort probablement généralisables dans tous les milieux de fin de vie. Pour ce qui est de l’étude de Bascom et Tolle (2002), il ne s’agissait pas de résultats originaux, mais bien d’une recension des écrits peu récente sur l’euthanasie et n’accordait qu’une place très restreinte aux proches. Dans les limites de Ganzini et son équipe (2003), les auteurs soulignent le possible biais dans la transmission de l’information recueillie concernant les familles, puisque celle-ci provenait d’entrevues réalisées auprès de médecins, et non des proches directement.

Finalement, concernant le peu d’écrits mentionnant concrètement l’accompagnement psychosocial des proches durant le processus, notamment par les travailleuses sociales ou par d’autres intervenants de la santé, l’article d’Arnold et ses collaborateurs (2004) ne proposait aucune intervention ayant pour objectif de soutenir la per- sonne dans son choix de fin de vie, ainsi que les proches, et semblait axé sur l’intervention de crise suicidaire, ce qui ne reflète pas le soin de fin de vie qu’est l’AMM. Tandis que les pistes d’intervention proposées dans Beder (1998) provenaient d’écrits datant de plusieurs décennies déjà.

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