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Liens entre notre recherche et la recension des écrits

Chapitre 6 : La discussion

3. Liens entre notre recherche et la recension des écrits

3.1. Le respect de la demande ou l’acceptation sans équivoque ?

La notion du respect énoncé par Gamondi et ses collaboratrices (2013) Van Den Boom (1995) et Zala (2005), a été évoquée par plusieurs proches de notre étude concernant notamment le respect des dernières volontés soit de décéder par AMM ainsi que le respect de l’autonomie de la personne. Toutefois, dans deux de nos cas d’AMM il a été possible de constater que les proches ont accepté tardivement le choix de la personne mourante. Il est possible que l’opinion de ces personnes ait cheminé durant le processus, mais il est également envisa- geable de croire que la détermination des personnes mourantes ait fait pression sur les proches indécis ou réfractaires au début. Toutefois, la majorité des membres de la famille élargie des proches rencontrés avaient une opinion favorable de l’AMM, ce qui rejoint également les résultats de l’étude de Kuuppelomäki (2000). En revanche, tous les proches rencontrés directement dans ce projet de recherche supportaient la personne mou- rante dans son choix, principalement en raison de la proximité et de l’intensité de la relation qu’elle entretenait avec elle, ce qui pourrait se traduire par « l’amour qu’ils portent [envers la personne] » (p.279) comme le décrivait Pott et son équipe (2011).

Zala (2005) parlait d’un certain décalage entre le processus d’acceptation des proches quant à la mort prochaine et le stade d’acceptation des personnes en fin de vie déjà acquise. C’est en effet ce qu’il a été possible de remarquer dans au moins deux situations dans cette étude. Tout d’abord dans le cas où les proches vivaient un certain déni et agissaient avec la personne comme si elle n’était pas mourante et dans l’autre cas où la plupart des proches ne comprenaient pas pourquoi la personne avait demandé l’AMM. Ce décalage peut s’expliquer également par le fait que la majorité des personnes ayant demandé l’AMM étaient déterminées et savaient depuis longtemps qu’elles demanderaient ce type de soin s’il était légal et si elles répondaient aux critères, bien avant que l’AMM soit légalisée.

3.2. Les relations compliquées et les deuils difficiles

Concernant le deuil, comme mentionné dans la section des résultats, il n’y avait pas de différence significative sur le processus de deuil des proches rencontrés, soulignons qu’il y a tout de même des similarités avec quelques écrits. Quelques proches ont mentionné avoir vécu un prédeuil durant le processus d’AMM comme le suggère Zala (2005), mais la majorité relate que leur deuil n’a réellement débuté qu’après le décès, à l’instar d’une mort conventionnelle. L’AMM en soi ne compliquerait pas le deuil des proches selon la littérature. C’est plutôt les difficultés relationnelles, émotionnelles ou communicationnelles qui sont responsables des deuils plus difficiles, comme le soulignait Prigerson et Jacobs (2001, cités dans Bascom et Tolle, 2002). En effet, dans un

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cas, la famille a vécu cette situation et certains membres de la famille ont consulté une travailleuse sociale ou une psychologue après le décès seulement. Comme le souligne l’étude de Beder (1998) trois scénarios peuvent compliquer le deuil des proches: 1) La religion comme source de conflit puisque le suicide est perçu par plusieurs comme un péché, 2) Le désaccord envers le choix de la personne en fin de vie et les conflits non résolus engendrés par le choix et 3) Les proches sont réfractaires au choix, mais acceptent finalement et se sentent coupables de ressentir un certain soulagement. Or, la religion a très peu été représentée dans les récits des proches rencontrés. Toutefois, sachant que les générations plus âgées sont généralement plus croyantes et pratiquantes que les plus jeunes, il est important de porter une attention particulière à la religion et aux croyances dans les cas d’AMM où des personnes âgées sont concernées. Dans cette étude, il est possible de faire le lien avec un des cas d’AMM où une intervenante spirituelle s’était impliquée et où des conflits et des frictions ont été rapportés, ce qui avait nécessairement teinté négativement l’expérience d’accompagnement des proches. Or, comme le consentement aux soins est un aspect crucial dans l’AMM, il est primordial de respecter les croyances de chacun et ne pas imposer un accompagnement spirituel s’il n’est pas sollicité ou accepté par la personne en fin de vie ou ses proches. En ce sens, les personnes vivant difficilement un processus d’AMM en raison de leur religion ou de leurs croyances doivent pouvoir obtenir de l’aide professionnelle si elles le souhaitent.

3.3. Les difficultés psychosociales des proches à l’approche de la mort

Dans notre étude, le délai entre l’acceptation de la demande et la concrétisation du soin n’était pas vécu comme un allié au même sens que Zala (2005) le décrivait. D’autre part, Zala (2005) énonçait également que le délai avant le jour du décès pouvait être été vécu difficilement pour les proches. Dans cette étude sur les proches ayant vécu une expérience d’AMM, plusieurs difficultés ont été rencontrées pendant ce délai notamment : diffi- cultés relationnelles et communicationnelles, mort prochaine suscitant des malaises, courtes périodes de temps pour les préparatifs (pour ceux dont le processus n’était pas fixé à jours) et incertitudes quant à la concrétisation du soin de fin de vie.

De plus, dans notre étude, quelques membres de l’entourage de la personne mourante ont effectivement eu de la difficulté à concevoir que l’AMM était l’option de fin de vie choisie et l’annonce a parfois été vécue violemment, comme le mentionnait Zala (2005). En effet, dans un cas, le fils de la personne mourante a partagé à sa famille sa vision de l’AMM comme étant un meurtre.

Dans deux cas, une rupture de liens familiaux a été remarquée, comme le suggère Pott et ses collaboratrices (2015) dans les cas de suicide assisté. En effet, une proche a révélé que l’ami de cœur de la personne mourante s’était retiré complètement du processus, et une autre proche a mentionné que certains membres de la famille ne se sont pas rendus aux funérailles du défunt en signe de protestation envers l’AMM. En ce qui a trait au

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degré d’implication des proches dans le processus d’AMM mentionné par Zala (2005), il est vrai que les proches ayant participé à cette étude étaient bien plus préparés et comprenaient davantage l’AMM ainsi que les motifs de la demande. En revanche, ceux ayant vécu le processus partiellement ou de façon plus distancée n’ont pas vécu de difficulté liée au deuil, mais ont plutôt éprouvé des problèmes de compréhension. En effet, dans le cas où la famille élargie ne parvenait pas à comprendre les raisons de ce choix, c’est en partie en raison de la distance relationnelle entre la personne en fin de vie et eux, n’ayant pas été présents dans toutes les étapes de la maladie et du processus de fin de vie. Dans la situation de Madame Roy, où des membres de la famille ne sont pas allés aux funérailles en guise de protestation, ces gens n’avaient pas fait partie du processus et ne comprenaient probablement pas les motifs ayant mené à ce choix de fin de vie.

Dans son étude Van Den Boom (1995) a révélé quatre situations perturbatrices dans les décès par euthanasie. En guise de rappel, 1) la personne en fin de vie est décédée au moment de l’injection, 2) après l’injection la personne est demeurée semi-conscient pendant quatre à six heures, 3) au moment de l’euthanasie le médecin a demandé au proche d’administrer la médication à la personne et 4) lorsque les proches devaient décider du moment de l’euthanasie. Dans le cas de l'AMM, les perturbateurs potentiels diffèrent en raison des différences techniques dans les soins. En effet, dans le cas de l’AMM, les personnes en fin de vie décèdent rapidement (quelques minutes) après la série d’injection, seul le médecin peut administrer ce soin de fin de vie et seule la personne en fin de vie peut décider du jour de sa mort, pas ses proches. Toutefois, il demeure que les éléments imprévus, à l’instar de ceux décrits par Van Den Boom (1995), demeurent des perturbateurs dans l’expérience des proches ayant été présents dans le processus d’AMM. En effet, le fait de demander à la mourante de repousser sa date, le fait de commettre une erreur médicale (en lien avec la pose de cathéters), le fait de donner de l’information manquant de nuance (sur la durée du délai ou de la procédure), le fait d’être confrontés à des travaux de construction, le fait de vivre une intrusion dans la chambre le jour J ou encore le fait de devoir contrôler l’entourage désirant assister au décès sans préavis, ont été des événements perturbateurs dans cette étude. Par le fait même, il s’avère intéressant de mentionner que les proches impliqués dans une AMM semblent vouloir contrôler l’ensemble des paramètres environnementaux lors du jour du décès, puisque le moment exact est connu, afin de préparer la mise en scène de la mort. Toutefois, lorsque certains paramètres semblent hors de leur contrôle et sont imprévus, ces événements qui semblent anodins à première vue suscitent des inquié- tudes et du stress important chez les proches, ce qui pourrait fortement expliquer une partie de leur insatisfaction quant à leur expérience globale d’accompagnement et des soins reçus.

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3.4. L’accompagnement humain par les équipes soignantes, un phénomène en voie de

disparition ?

L’étude québécoise de Lamontagne et Beaulieu (2006) mentionnait qu’il y avait cinq éléments pouvant influencer les représentations de l’expérience en soins palliatifs : 1) les caractéristiques du conjoint malade, 2) celles de l’aidant, 3) l’histoire familiale, 4) l’aide formelle et 5) l’aide informelle. Dans notre étude, parmi les divers éléments ayant pu influencer l’expérience des proches, c’est davantage l’aide formelle, de la part des intervenants du milieu de la santé et des services sociaux qui a marqué les récits des proches rencontrés. En effet, les interac- tions sociales, ou l’absence de celles-ci avec les médecins, les infirmières, les travailleuses sociales, etc. sont la pierre angulaire de l’expérience des proches dans le processus d’AMM.

En ce sens, le partage d’information aux proches concernant les procédures médicales est important dans les cas de morts hâtées médicalement, afin d’éviter les imprévus durant le processus (Zala, 2005). Toutefois dans l’un des cas d’AMM, la répétition de la description graphique de ce soin par l’équipe médicale, a marqué les proches et en a traumatisé certains. De surcroît, cette focalisation sur les procédures médicales avait comme conséquence de mettre l’accent sur l’aspect médical de la mort, en évacuant plutôt l’aspect humain et social de l’accompagnement des soins. En revanche, la relation de proximité des infirmières a été soulignée dans la plupart des cas d’AMM, comme le mentionnait l’étude de Kuuppelomaki (2000), sauf dans deux cas, en soins actifs, où ces intervenantes de la santé ont été absentes et où leurs interactions n’ont pas dépassé l’ordre du médical.

L’étude de Teno et ses collaborateurs (2001) effectuée dans le cadre de soins palliatifs traditionnels soulignait qu’il est vital de prendre en considération les besoins des proches également, puisque forcément leur expé- rience sera influencée par les soins et le soutien reçu. Or, tout comme les participants de leur étude, les proches de notre étude ont souligné le manque de soutien psychosocial durant le processus et également en prévision du deuil. De plus, lorsque les proches ne se sentaient pas écoutés ou considérés dans le processus, leur expé- rience était plus difficile et de la même manière que dans l’étude de Teno et ses collaborateurs (2001), ils se sentaient quelque peu abandonnés par l’équipe médicale. Or, en regard du contexte politique néolibéral des dernières années et des fusions au sein du système de santé au Québec, il est possible de penser qu’en raison des coupes budgétaires en santé et des surcharges de travail, les intervenants du milieu de la santé et des services sociaux parviennent difficilement à tisser des liens significatifs avec les personnes en fin de vie et leurs proches, ce qui compromet par le fait même l’accompagnement et le soutien psychosocial de qualité.

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3.5. La communication ouverte entre les personnes mourantes et les proches

La majorité des proches ont mentionné que l’AMM avait favorisé la communication et l’ouverture du dialogue entre la personne en fin de vie et son entourage, comme le mentionnait Starks et ses collaborateurs (2007) et Swarte et son équipe (2003). Toutefois, dans deux situations, les personnes mourantes vivaient des difficultés émotionnelles et communicationnelles avec leurs proches et n’étaient pas enclines à discuter ouvertement de l’AMM ou de la mort. De plus, contrairement aux propos de Zala (2005), lorsque les personnes mourantes exprimaient leur enthousiasme envers la date prochaine de décès, cela n’affectait pas négativement les proches. Au contraire, cette révélation suscitait de l’empathie profonde chez les proches qui comprenaient alors l’ampleur des souffrances vécues.

3.6. L’AMM, un sujet de discussion sans tabou

Contrairement aux études de Wagner, Keller et son équipe (2012) et de Gamondi et ses collaboratrices (2013), les proches de cette étude n’avaient aucun problème de discuter ouvertement d’AMM avec leur entourage. En ce sens, ces proches sont plutôt dévouées à faire connaître ce qu’est l’AMM afin de déstigmatiser ce soin de fin de vie. Or, les proches ayant accepté de participer à cette étude en avaient beaucoup à dire sur le sujet et la majorité a vécu une expérience positive, ce qui expliquerait leur ouverture.

En revanche, pour les proches ayant vécu une expérience plus négative, il est intéressant de constater qu’ils étaient également très ouverts sur le sujet puisqu’ils désirent améliorer l’expérience des proches qui traverseront une épreuve semblable.

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