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Les deuils difficiles des morts hâtées médicalement

Chapitre 2 : La recension des écrits

3. Les dommages collatéraux des suicides assistés

3.1. Les deuils difficiles des morts hâtées médicalement

L’engagement soutenu auprès du mourant pendant le processus de la mort assistée, peut amener un sentiment de vide et de la nostalgie chez les proches après le décès. Zala (2005) explique que lorsque les proches ac- compagnent la personne en fin de vie dans ce processus, leurs émotions négatives face à la perte sont souvent masquées ou étouffées par l’accompagnement actif durant cet épisode. En effet, Zala (2005) énonce que ces émotions négatives sont plutôt repoussées à la période post mortem. Après l’accompagnement, lorsque le dé- cès est intégré dans leur esprit, les proches peuvent donc vivre cette perte « de manière inattendue et violente » (p.81), même s’il s’agit d’une mort planifiée.

Dans leur étude, Prigerson et Jacobs (2001, cités dans Bascom et Tolle, 2002), mentionnent qu’il existe un risque de deuil compliqué7, si la famille et le proche malade vivent des tensions et des conflits avant un décès hâté médicalement. Hayley et Lee (1998, cités dans Bascom et Tolle, 2002), énoncent que les familles peuvent avoir des opinions divergentes par rapport au choix relié à la fin de vie, de même que l’équipe médicale à propos du suicide assisté. En effet, l’étude de Pott et ses collaboratrices (2015) révèle que le choix de recourir au suicide assisté a mené dans certains cas à des ruptures de liens familiaux, ce qui rejoint également les propos de Zala (2005). Pott et ses collaboratrices (2015) précisent toutefois que ces conflits étaient préexistants au sein de la famille, tandis que Zala (2005) indique que les divergences d’opinions à ce moment dans le processus sont causées par un décalage entre le processus d’acceptation des proches quant à la mort future de l’être cher et le stade d’acceptation de la mort déjà acquis par la personne en fin de vie. En effet, hâter un décès, demande à la personne mourante des réflexions préliminaires sur le sujet et un certain travail, ce qui expliquerait un décalage entre le processus d’acceptation du mourant et celui propre aux proches (Zala, 2005). L’enthousiasme de la personne mourante envers son décès imminent peut également affecter négativement les proches. En effet, selon l’auteure, cette attitude peut même être source de conflits si l’entourage n’est pas prêt pour affronter le décès.

Comme mentionné ci-haut, si le temps peut être un allié pour les proches selon Zala, (2005), il peut également devenir une contrainte et même un adversaire puisqu’il renvoie inévitablement à la mort. Pour les proches, ce temps d’attente est vécu péniblement puisqu’ils sont déchirés entre « l’exaltation de l’appétence relationnelle », décrite précédemment, et la rupture prochaine de cette relation. Toutefois, selon l’auteure, cette situation aurait également comme conséquence positive d’exacerber l’envie de profiter de la vie et de jouir du moment présent. Selon Zala (2005), lorsque le délai entre l’annonce de la personne désirant hâter sa mort et le moment de son décès est trop court, l’entourage ne parvient pas à cheminer vers l’acceptation et leur participation au processus

7 Le deuil compliqué en question ici, réfère au « deuil pathologique, impliquant la colère, l’incrédulité et des hallucinations ». Traduction

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est contrainte. Selon l’auteure, les proches peuvent alors percevoir le décès comme étant plus violent et sou- dain, à l’instar d’un suicide traditionnel. Zala (2005) énonce que les personnes n’ayant pas participé au proces- sus de suicide assisté ou n’ayant participé que partiellement à celui-ci peuvent vivre ce décès comme un suicide « commun » et qu'ainsi leur deuil peut être plus difficile pour celles-ci. Ce qui rejoint également les propos de l’étude de Dees et son équipe (2012) en contexte d’euthanasie et de suicide assisté aux Pays-Bas. En effet, les auteurs mentionnent que le processus entre la demande et le décès semble rapide et qu’il était parfois difficile pour eux de comprendre. De plus, les auteurs soulignent que les proches ont été déstabilisés par la planification des adieux, en raison notamment des difficultés à parler du sujet tabou de la mort. Finalement ces auteurs mentionnent que les proches, durant le processus, ont souhaité plusieurs fois que la mort soit reportée à plus tard.

Dans son étude portant sur l’euthanasie, Van Den Boom (1995) a rencontré 60 proches de 52 personnes at- teintes du sida dont 17 d’entre ceux-ci sont décédés ainsi. L’étude a révélé qu’il n’y avait pas de différence significative entre la prévalence de la dépression ainsi que les deuils compliqués chez les proches endeuillés par euthanasie et ceux par décès conventionnels, toutefois lorsque le processus d’euthanasie s’avère compli- qué, le deuil des proches l’était également. Bien que les morts hâtées médicalement soient réalisées méthodi- quement, les imprévus sont des éléments potentiellement perturbateurs. Van Den Boom (1995), identifie quatre scénarios qui compliquaient significativement le processus : 1) la personne est décédée au moment de l’injec- tion, 2) après l’injection la personne est demeurée semi-consciente pendant quatre à six heures, 3) au moment de l’euthanasie le médecin a demandé au proche d’administrer la médication à la personne en fin de vie et 4) lorsque les proches devaient décider du moment de l’euthanasie. Les imprévus vécus lors du moment d’un décès hâté médicalement sont également mentionnés par Zala (2005), comme étant pénibles pour les proches et que ceux-ci doivent absolument être informés des étapes et du processus, afin de ne pas être secoués par ce qu’ils voient lors de la procédure.

Sullivan et son équipe (2000) croient pour leur part que l’expression du deuil après la mort d’un proche par suicide assisté est profonde. En ce sens, selon Van Den Boom (1995), même si le décès par euthanasie est prévisible et que les proches se disent outillés pour faire face au décès, la mort demeure une expérience acca- blante. Ce qui rejoint également les propos de Zala (2005) qui énonce que, bien que la mort soit annoncée, les deuils anticipés ne peuvent pas « désamorcer l’impact de cette mort certaine » et le deuil post mortem, qui de plus, peut être davantage « délicat et chargé de chagrin » (p.81). Comme mentionné précédemment, Zala (2005) énonce en effet que ce n’est pas pendant le processus que les proches souffrent le plus, mais bien après le décès. En ce sens, Swarte et ses collaborateurs (2003) relatent qu’il existe des risques de manifestations sévères des symptômes du deuil lors de morts provoquées, comme le suicide. En effet, les auteurs expliquent

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que puisque l’euthanasie et le suicide assisté sont considérés comme des morts non naturelles, il est possible de dire qu’ils peuvent impliquer des deuils traumatiques.

En ce sens, selon l’étude suisse de Wagner, Müller et leurs collaborateurs (2012), 13% des proches dont un membre de la famille est décédé par suicide assisté rencontraient des symptômes du TSPT, 6.5% étaient légè- rement sous le seuil du TSPT et 4.9% manifestaient des symptômes du deuil compliqué. Les auteurs concluent également que le taux de prévalence de dépression était de 16% et celui de l’anxiété était de 6%. Toutefois, bien que la prévalence du deuil compliqué soit relativement faible comparé à la population suisse en général, les données concernant le TSPT concernent près de 20% des répondants ayant les critères diagnostics de ce trouble après avoir perdu un proche par suicide assisté.

Comme mentionné précédemment, si certains proches respectent le choix de fin de vie de la personne mou- rante, certains s’y opposent également. En effet, dans les situations de suicide assisté, tout comme dans celles d’euthanasie active, les proches se sentent parfois contraints d’accepter le choix de la personne ayant recours à ce soin en raison de la persistance de sa demande (Ganzini et coll., 2003; Van Den Boom, 1995). Zala (2005) explique que ce type d’acceptation réfère au concept de la loyauté dévouée qui provoque des remords et de la culpabilité, où le proche sacrifie ses principes et ses ambitions au détriment du bien d’autrui et du respect de ses droits et de son désir de mourir ainsi. Les proches vivent de la culpabilité et des remords en regard des choses non accomplies ou non réglées ou des discussions non tenues avec le mourant. Le degré d’acceptation de ces proches est alors remis en question et il est difficile pour eux de valoriser ce type de décès. Seguin et Huon (1999, cités dans Zala, 2005), énoncent que dans les cas extrêmes, la culpabilité ressentie par les proches endeuillés par suicide peut amener les proches à se remettre en question sur leur relation antérieure avec la personne décédée, ce qui donne lieu à un sentiment de responsabilité dans la décision de fin de vie de la personne décédée et qui entraîne un sentiment d’incompétence.

En ce sens, selon Starks et son équipe (2007) l’inconfort avec le choix du suicide assisté a parfois contraint les familles à se retirer complètement du processus et à se distancer du contexte de proche aidance en soins palliatifs. De plus, même si les proches supportaient le choix de la personne, ceux-ci étaient faiblement préparés pour assumer leur rôle. En effet, lorsque ces familles n’avaient pas recours aux organisations venant en aide afin de planifier les suicides assistés ou qu’elles n’avaient pas accès à des cliniciens pouvant les guider et les préparer à ce qui pourrait arriver durant le processus, elles étaient laissées à elles-mêmes en ce qui concerne les préparatifs liés au suicide assisté et également avec les diverses conséquences se produisant pendant la mort de la personne ou après (Starks et coll., 2007).

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