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L'agnosie pour les visages, libellée 'prosopagnosie' par Bodamer (1947) (article partiellement traduit par Ellis et Florence, 1990), est un symptôme neuropsychologique clinique rare résultant

de lésions cérébrales bilatérales des moitiés postérieures des hémisphères cérébraux (Damasio et Damasio, 1986a; Damasio, et a1.,1986b), et qui peut être décrit comme I'incapacité (acquise) de reconnaître visuellement des individus qui étaient facilement identifiés avant les lésions (Bruyer, 1989).

Il

existe différentes formes de prosopagnosie, selon

la

sévérité et le type de visages non-reconnu;

s'il

s'agit

d'un

visage

familier

ou d'une personnalité connue, par exemple (Bruyer, Rec-tem et

Dupuis,

1986). Les sujets prosopagnosiques sont en mesure

d'identifier

un individu par des indices comme la

voix,

I'habillement, la démarche ou d'autres indices contextuels, confirmant la distinction entre

I'identité d'un individu

et son visage (la non-reconnaissance de

I'un n'implique

pas obligatoirement la non-reconnaissance de I'autre). Ce dernier point

vient

étayer les théories de I'existence de mécanismes cognitifs distincts pour le traitement des visages (perception et recon-naissance) et I'accès à

I'identité

d'un

individu

(Hay, et a1.,1982; Bruce, 1983;

Ellis,

1986b).

Mal-gré

I'incapacité

à reconnaitre les visages

familiers

(ou connus), les capacités de reconnaissance

7.

Pour des revues plus détaillées du sujet, voir Bruyer (1986; 1989) , Sergent (1987; 1989; 1994) et Dama-sio (1989a).

Pagc 39

2.1 Contributions de la psychologie

visuelle des autres classes d'objets, ainsi que des motS, restent intactes. Certains travaux décrivent une double dissociation entre I'agnosie des visages

et celle

des objets,

où les

sujets souffrent d'agnosie d'objets sans prosopagnosie (Newcombe et Russel,1969: Hécaen, et

al., !974: Albert,

Reches et

Silverberg,IgT5;

Newcombe,

Ratcliff

et Damasio, I}ST). L'existence même de patients prosopagnosiques semblait donc indiquer

qu'il

existait bel et bien des mécanismes spécifiques à

la

perception

et à la

reconnaissance des visages. Cependant, dans une revue importante

sur

le sujet,

Ellis

(1975;

Ellis,

er

al.,

1989) fait remarquer que les patients prosopagnosiques décrits dans la littérature ne sont généralement pas complètement indemnes d'autres troubles de la perception visuelle (ils ont des problèmes de reconnaissance d'autres classes d'objets, de perception des cou-leurs, de mémoire topographique)8. Bruyer (19ss)

fait

remarquer que si les problèmes de recon-naissance

concernent

essentiellement

les visages, cela pourrait être la

conséquence de I'importance des visages dans la vie quotidienne et de l'ampleur de la gêne occasionnée. D'autres auteurs vont plus

loin

en suggérant que la prosopagnosie n'est pas propre aux visages (Damasio, et

al., 1982).Il

ne

s'agirait

pas

d'un

déficit

cognitif

spécifique aux visages, mais

d'un

problème

plus

général

lié à

une

malfonction

de

la

mémoire. Les visages sont des

stimuli 'ambigus'

par nature, c'est à dire

qu'ils

font partie d'une classe d'objets (nombreux) de structures très similaires, et

il

n'existe pas d'autres classes d'objets qui soient aussi bien différenciés entre eux. Les auteurs formulent I'hypothèse selon laquelle un sujet prosopagnosique sera capable

d'identifier

un objet comme un livre ou une chaise, mais rencontrerait des problèmes similaires à ceux des visages

s'ils

devaient spécifier 'à

qui'

appartient ce

livre

ou cette chaise. La différence qui existe entre recon-naître une classe générique ('chaise', mémoire sémantique), du contexte historique de

I'objet (.la

chaise à Paul', mémoire épisodique).

Une nouvelle hypothèse sur

la

nature de

la

prosopagnosie a

vu

le

jour

ces dernières années: la déficience ne porterait pas sur la reconnaissance des visages

per

se, mais sur I'accès conscient à cette reconnaissance (Benton, 1990;

Bruye\ I99l;

Sergent et Signoret, I99Z; Wallace et Farah,

1992;

Young,

1992).

Une

reconnaissance 'cachée'

("covert recognition", en

anglais) prendrait place, mais le patient n'en aurait pas conscience. On a observé, chez certains patients prosopagno-siques une différence de potentiel électrodermale élevée lors de la présentation de photographies de visages

familiers,

suggérant que des processus automatiques et inconscients de traitement de

I'information visuelle

sont préservés après des lésions cérébrales.

L activité

électrodermale de sujets normaux augmente également lors de

la

vision de photographies de visages

(familiers

ou

non), qui

leurs

ont été

précédemment présentés durant des temps

d'exposition

supraliminaux, inférieurs au seuil nécessaire pour la reconnaissance (Ellis, Young et Koenken

,

Igg3)9.I1 existe un parallèle entre ces observations et certains aspects de

lareconnaissance'normale':

nous ne

pou-8. Remarquons que de Renzi (de Renzi, 1986; de Renzi, et at., l99I) décrit les cas de patients prosopagno-siques qui ne souffrent apparemment d'aucun autre déficit de perception visuelle.

IL Reconnaissance et Perception des Visages

vons pas regarder un visage et décider consciemment de ne pas le reconnaître; certains mécanis-mes de reconnaissance visuelle ne sont pas sous le contrôle du conscient.

Il

semblerait donc que certains d'entre eux soient préservés chez des patients prosopagnosiques (Young, L992).

L'observation

d'un

cas de prosopagnosie

'pure',

où la seule déficience est celle pour la reconnais-sance des visages, est très peu probable dans la mesure où la prosopagnosie résulte de lésions ou de tumeurs

qui

touchent des surfaces relativement grandes de tissus cérébraux,et par conséquent concernent plusieurs champs gnosiques.

Il

n'est pas surprenant

qu'un déficit

en reconnaissance des visages s'accompagne d'autres déficits, et que ces derniers varient suivant les patients. Des résultats récents sur

la

localisation des aires du cerveau impliquées dans le niveau d'attention, la perception de I'espace, des objets et des visages montrent des recouvrements importants entre les

voies

neurologiques impliquées dans

la

perception des objets

et celle

des visages (Cabeza et Nyberg, 1997).

2,L,5.4

Etudes neurophysiologiques

Un dernier axe de recherche important dans le débat sur la spécifité de la reconnaissance des visa-ges concerne les travaux neurophysiologiques sur les réponses spécifiques de neurones du cortex à la présentation de visages. Gross et al. (1972) publièrent la découverte de cellules du cortex tem-poral de macaques activées spécifiquement par les visages. Elles furent décrites spécifiques aux visages, car elles n'étaient pas activées par d'autres type de

stimuli.

Des lésions temporales

infé-rieures (abrégées

IT

en anglais) diminuent sévèrement la capacité des macaques à reconnaître, à apprendre

et à

mémoriser des

stimuli

visuels.

Les fonctions

visuelles (sensorielles)

de

base, comme I'acuité par exemple, restent cependant intactes (Gross, 1973). Ces lésions produisent des

déficits

dans

le

traitement

et le

stockage

d'informations sur les

formes

et les

couleurs. Chez

I'homme,

un syndrome similaire est également associé à

la

pathologie du cortex temporal

(Mil-ner, 1968).

Le

syndrome humain comprend souvent des déficits du traitement et de la reconnais-sance des visages identifrés comme prosopagnosie.

Les

premiers travaux décrivent différents types de cellules du cortex temporal du macaque rhésus activées selon que le visage est orienté de face ou de

profil

(Desimone, et

aL,1984;

Perrett, et a1.,1985; Perrett, et

al.,

1986). Plus récem-ment, Perett et

aI.

(1991) ont rapporté qu'une majorité de cellules du sulcus temporal supérieur (STS) seraient spécifiques à une orientation donnée. De plus, la même cellule répondrait à toutes les instances

d'une

vue donnée;

c'est

à

dire

quelque soit

la

position de

la

tête dans

I'image,

sa

taille

relative, son orientation ou les conditions

d'illuminations

ambiantes (Perrett, et

aI.,

1989;

Bauer ( I 984) fut le premier à publier des résultats dans ce sens. Des photographies de visages connus des sujets étaient présentées à des patients prosopagnosiques, et une série de noms étaient lus à haute voix.

Une différencé significative de I'activité électrodermale était enregistrée lorsque le nom correspondant au visage présente etait prononcé. Toutefois, le sujet était incapable de reconnaitre le visage' ou de deviner le nom correct du visage Présenté.

9

Page 4

I

2.I Contributions de la psychologie

Perrett, et

al.,

1992). Cependant,

il

n'est pas aisé d'établir le rôle

d'un

groupe particulier de neuro-nes à

partir

de leurs propriétés réceptrices. Ces rôles peuvent être

la distinction

des visages, ou

leur

reconnaissance,

la

perception des expressions, des émotions,

de I'orientation

du visage ou une combinaison du tout.

L

interprétation en termes de comportement de

I'activation

d'une

cel-lule

à un signal donné est pour le moins délicate. De ce

fait, il

n'est pas surprenant que

la

seule interprétation raisonnable des résultats obtenus à partir de sondes implantées dans les cellules du lobe temporal du macaque est que ces dernières sont spécialisées dans

le

traitement des

stimuli

visuels 'visage' (Desimone, 1991). Remarquons cependant que des auteurs ont décrit des cellules répondant sélectivement

à I'identité faciale (Baylis, Rolls et Leonard,

1985),

aux

expressions (Hasselmo,

Rolls

et

Baylis,

1989), à la position des yeux et de la tête (Perrett, et a1.,1985). Ces résultats électrophysiologiques ont relancé

le

débat sur I'existence de systèmes indépendants de reconnaissance

visuelle,

chacun spécialisé dans

le

traitement

d'un type de stimuli

particulier.

L

hypothèse proposée par ces auteurs est que la prosopagnosie observée chezl'homme résulterait de lésions de la région homologue à celle du STS du macaquelO.

Ces arguments semblent être en faveur de la thèse de la spécificité des mécanismes de reconnais-sance, et concordent avec certains résultats obtenus sur I'homme. Cependant, quelques remarques s'imposent: les régions étudiées par

Perett

et

al.

où sont situés la majorité des neurones spécifi-ques

aux

visages

(le

sulcus temporal supérieur) ne correspondent pas exactement à celles des lésions les plus souvent observées dans les cas de prosopagnosie (le fasciculus

longitudinal infé-rieur, ou lésion bilatérale-

ventromédiale occipito-temporale

(Damasio,

1989a).

De plus,

ces régions contiennent à

la fois

des cellules répondant spécifiquement aux visages,

et

des cellules répondant

à

d'autres types

d'objets (la

prosopagnosie est généralement accompagnée d'autres troubles de la reconnaissance).

Un

autre problème se pose concernant la fonction de ces cellules spécifiques aux visages: une lésion dans la région spécifique aux visages du STS ne semble pas

provoquer (ou provoque peu) de déficit de

reconnaissance

des

visages

chez les

macaques (Heywood, et

al.,1992;Eacott,

et a1.,1993). La recherche d'une région du cerveau qui soit entiè-rement dédiée à la perception et à la reconnaissance des visages, ainsi que de déficits spécifiques à ces derniers, semble donc

illusoire.

Sans parler des difficultés de mise au

point

de tests équiva-lents pour l'homme et pour le macaque rhésus.

10. Une manière de tester cette hypothèse est d'évaluer les performances de macaques cérébrolésés (ablation du, ou d'une partie du STS) dans des tâches des patients prosopagnosiques humain sont déficients.

L ablation bilatérale complète de Ia région néocorticale contenant des cellules spécifiques aux visages ne produit qu'un déficit mineur dans une séries de tâches impliquant la reconnaissance de visages. De plus, lorsqu'un déficit est observé il n'est pas spécifique aux visages (Heywood etCowey,1992).

IL Reconnaissance et Perceptiott des Visages

Nous manquons donc de données pour conclure que la prosopagnosie résulte de lésions cérébrales situées dans des régions de cellules spécifiques aux visages, de même que

pour

affirmer

I'exis-tence de processus spécifiques à la perception et à la reconnaissance des visages.

Pour bon nombre de chercheurs, un mécanisme spécifique est nécessairement inné, donc inscrit quelque

part

dans nos gènes. Or, nous ne disposons pas à I'heure actuelle de travaux

qui

décri-raient des cellules à reconnaissance spéciflque des visages d'animaux n'ayant jamais I'occasion d'en voir. Ces arguments étaient déjà critiqués dans la première revue sur le sujet par

Ellis

(1975).

La perception des visages est certainement 'spéciale', mais pas 'unique'.

2.1.6 La structure duvisage humain (taitement structurel)

Comment les visages sont-ils stockés, comparés et extraits ? Ou comment devons-nous décrire

I'information

faciale, et comment

le

système visuel représente-t-il cette

information

de façon à subvenir à ses différents besoins ?

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