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les conditions de l’exemption de la distribution sélective

Deuxième partie : Appréciation de la distribution sélective

Paragraphe 02 : les pratiques anticoncurrentielles

B) La justification des pratiques anticoncurrentielles

1) les conditions de l’exemption de la distribution sélective

Du point de vue de la concurrence, les clauses d’un contrat de distribution sélective risquent de restreindre la concurrence intramarque, de faciliter la collusion entre fournisseurs ou acheteurs et d’exclure une ou plusieurs catégories de distributeurs, en particulier en cas d’effets cumulatifs de réseaux parallèles de distribution sélective sur un marché.551

En général, la distribution sélective ne relève pas de l’interdiction prévue par les règles du droit de la concurrence pour autant que trois conditions soient satisfaites : premièrement, la nature du produit en question doit requérir un système de distribution sélective, deuxièmement, les distributeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs de nature qualitative et, troisièmement, les critères définis ne doivent pas aller au delà de ce qui est nécessaire.552

Aussi, le droit français et algérien prévoient qu’aucune sanction n’est prononcée lorsque la pratique de la distribution sélective est conforme à l’intérêt général. Ce mode de distribution, normalement anticoncurrentiel, est alors exempté. En effet, les deux droits admettent des exemptions individuelles fondées soit, sur le rachat de la pratique anticoncurrentielle par la loi soit sur un bilan économique.

L’article L.440-4 du code de commerce français prévoit l’exemption de pratiques « qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application. De même, l’article 9 al. 1er de l’ordonnance n° 03-03 exonère de l’interdiction

551M. P. PIRIOU, « La distribution sélective et les règles communautaires de la concurrence », RTD eur. 1978, p. 628

552J.J. BURST ET R.KOVAR, « la distribution sélective et le droit communautaire de la concurrence » RTD com, 1978, p. 462.

prévue aux articles 6 et 7 relatifs aux ententes et abus de position dominante, les pratiques qui résultent de l’application d’un texte législatif ou réglementaire pris pour son application. La doctrine française affirme que cette disposition est d’interprétation stricte, seule une loi ou un règlement peut exonérer le comportement anticoncurrentiel.553

Outre le rachat par la loi, le législateur algérien suit son homologue français, non sans nuance, dans la détermination de l’exemption tirée du progrès économique. Ainsi, l’article 9 alinéa 2 du droit algérien prévoit des faits justificatifs et suppose, pour s’appliquer, la conjonction de trois conditions. Pour bénéficier d’une exemption sur le fondement de cet article, un accord de distribution sélective doit : 1°) avoir pour objet ou pour effet d’assurer un progrès économique ou technique2°) contribuer à l’amélioration de l’emploi :

3°) permettre aux petites et moyennes entreprises de consolider leur position concurrentielle sur le marché.

Le législateur français quant à lui prévoit, en plus du progrès économique, de réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ni imposer des restrictions non indispensables.

Un accord de distribution sélective qui tombe sous le coup des dispositions du droit de la concurrence peut donc échapper à la condamnation, en bénéficiant d’une exemption accordée par les autorités de la concurrence après l’établissement du « bilan économique » de cette pratique et l’évaluation de ses aspects positifs et négatifs554.

En droit français comme en droit algérien, une comparaison des textes d’interdiction et ceux de l’exemption montre que cette technique du « bilan économique se traduit par la mise en balance des éléments positifs : apport économique et apport consumériste ou plus largement

553 M. MALAURIE-VIGNAL, op. cit, p. 211.

554Y. DITRICH ET A.MENAIS, la distribution sélective à l’épreuve du commerce électronique. , les cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux, n° 114 mai 1999.

utilitaire, et des éléments négatifs : atteinte aux capacités concurrentielles du partenaire et atteinte à la concurrence sur le marché555.

Par ailleurs, on retrouve en droit de la concurrence algérien le même traitement de faveur accordé par le législateur français à certains accords, notamment lorsqu'ils ont pour objet d'améliorer la gestion des entreprises moyennes ou petites556.

La PME algérienne est définie comme une entreprise de production de biens et/ou de services employant entre 1 et 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 2 milliards de dinars557. La contribution des petites et moyennes entreprises dans la croissance et le développement économique d'un pays est unanimement reconnue. Toutefois dans les pays nouvellement adhérent à l'économie de marché, à l'instar de l'Algérie, le tissu des PME reste peu développé et extrêmement vulnérable aux aléas du marché. En examinant les chiffres concernant les créations de nouvelles entreprises en Algérie, on se rend compte que le tissu de PME est peu développé. Selon les chiffres du Ministère des PME et de l’artisanat algérien, le nombre de PME en 2007 était de 410 959 entreprises pour une population de 33,8 millions d’habitants, soit 1,21 PME pour 100 habitants. Cette moyenne est très faible en comparaison avec les pays développés558.

En raison de ce retard accusé par la PME algérienne et dans un objectif d’encourager sa création et son développement sur le marché, le législateur algérien, à la différence de son homologue français, n’insiste pas sur la gestion mais sur la consolidation de la position concurrentielle sur le marché. En effet, la stratégie de développement actuelle est basée sur la promotion de l’entrepreneuriat privé par la création et la multiplication des PME, c’est

555R. POESY, le rôle du conseil de la concurrence et du juge judiciaire en Algérie et en France en droit des

pratiques anticoncurrentielles, aspects procéduraux, in L’Algérie en mutation, les instruments juridiques de

passage à l’économie de marché, Sous la direction de R. CHARVIN et A. GUESMI, L’Harmattan, 2001, p. 161.

556Art. L 420-4 du code de commerce français.

557Art. 4 de la loi n° 01-18 du 12/12/2001 (loi d’orientation sur la promotion de la PME)

558M. BOUKHARI, Maître de conférences à l’Université SAAD DAHLAB de Blida, « Rôle de l’État vis-à-vis des

TPE/PME dans un pays nouvellement adhérent à l’économie de marché : cas de l’Algérie ». Colloque international, La vulnérabilité des TPE et des PME dans un environnement mondialisé, 11es Journées scientifiques du Réseau Entrepreneuriat, 27, 28 et 29 mai 2009, INRPME, Trois-Rivières, Canada.

pourquoi le législateur algérien adopte cette position en vue de diminuer la vulnérabilité des PME algériennes face à la mondialisation559.

Le législateur français après avoir posé que la distribution sélective lorsqu‘elle est anticoncurrentielle doit être condamnée en elle même ou « per se », tempère ce principe par l’admission de cette pratique commerciale nécessaire pour atteindre certains objectifs économiques, à savoir la protection et le développement du secteur du luxe qui constitue un revenu important pour l’économie française560. La mise en balance des effets proconcurrentiels et anticoncurrentiels adoptée en France trouve son origine dans l’article 81§3 du traité de Rome qui a pour objet de réguler le marché européen. Toutefois, le droit français n’a pratiquement jamais recours au système de l’exemption et admet plus facilement une autre règle inspirée d’une méthode américaine de traitement des pratiques anticoncurrentielles, qualifiée de « règle de raison ».561 De ce fait, l’article L. 420-1 est plus utilisé que l’article L. 420-4-1, 2.

Appliquée à un accord de distribution sélective, cette règle trouve son terrain d’élection et conserve tout son intérêt. Dès 1987 le conseil de la concurrence français consacre clairement son recours à la règle de raison pour l’appréciation des réseaux de distribution sélective et déclare que les systèmes de distribution sélective des produits cosmétiques sont admissibles si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif, sont justifiés par les nécessités d’une distribution adéquate des produits en cause, n’ont pas pour objet ou pour effet d’exclure par nature une ou des formes déterminées de distribution et ne sont appliquées de façon discriminatoires562.

C’est sur le fondement de l’article 7 de l’ordonnance de 1986 et non en application de l’article 10 qui prévoit l’exemption, que le conseil de la concurrence a tirer la justification de la

559Ministère algérien de la PME et de l’Artisanat (2008), Bulletin d’information économique N°12, Alger.

560F. FOURNIER, « L'équilibre des réseaux de franchise de parfumerie de luxe », dans Recueil Dalloz, 2002, p. 793.

561R. KOVAR, Le droit communautaire de la concurrence et la règle de la raison, RTD eur. 1987, p. 237.

562Déc. n ° 87-D-15, du 15 juin 1987, relative à la situation de la concurrence dans la distribution en pharmacie de certains produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, 1errapport d’activité du conseil de la concurrence, p. 43 cité par Blaise

distribution sélective des avantages d’une distribution adéquate pour apprécier l’atteinte à la concurrence563.

En matière de vente de produits de haute technicité, le conseil de la concurrence français a eu une saisine contre un fabricant d’appareils photographiques qui se réservait certains travaux de réparation et refuser de livrer aux réparateurs indépendants les pièces détachées nécessaires à la réparation des produits de sa marque. Le conseil a statué que « les limitations de vente peuvent être justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d’un service après vente de qualité, élément essentiel de l’image de marque du fabricant et ne constituent pas des abus de position dominante ».

le commentaire de cette décision par certains auteurs démontre que le conseil ne s’est pas basé sur le progrès économique en raison du service après vente de qualité rendu au consommateur mais emprunte une autre voie en décidant que le refus de vente ne restreint pas la concurrence car il contribue à la protection de l’image de marque, résultat des efforts et d’un investissement du fabricant564.

Récemment, la Cour de cassation française, en écartant l’application de l’article L. 420-4-1, 2, a adopté le même raisonnement en déclarant qu’un réseau de distribution sélective doit être justifié en raison des « propriétés des produits », en présence de produits de haute technicité justifiant un personnel spécialisé et de produits de luxe justifiant une commercialisation valorisante.565

Si le juge français est favorable à la règle de raison, le juge communautaire entend limiter la portée de cette règle en l’appliquant que dans le cadre de l’article 81 para 3, c’est à dire du bilan économique permettant de racheter la pratique anticoncurrentielle. Pour examiner un accord de distribution sélective au regard de l’article 81§1 il faut successivement :

563GAST, OLIVIER ; GRILLAULT LAROCHE, HAYETTE, La distribution sélective et la franchise, JCP E, n° 50, 14/12/2000, pp. 36-46.

564J.B. BLAISE, « L'utilisation de la règle de raison en droit interne de la concurrence », in Le droit de l'entreprise dans ses relations externes à la fin du XXe siècle, Mélanges en l'honneur de Claude Champaud, Paris, Dalloz, 1997, pp. 85-100.

-rechercher si l’accord correspond à une catégorie bénéficiant d’un règlement d’exemption ; si la réponse est affirmative, l’accord est réputé compatible avec le droit communautaire. Or, il n’existe pas de règlement d’exemption par catégorie pour les accords de distribution sélective sauf pour le cas de la distribution automobile.566Cependant, elle est intégrée dans le règlement d’exemption des accords verticaux n °2790/1999 et les lignes directrices sur les restrictions verticales. En application de ce règlement, la distribution sélective, qu’elle soit qualitative ou quantitative, bénéficie de l’exemption par catégorie pour autant que la part de marché du fournisseur n’excède pas 30% et que l’accord ne contient pas de clauses dites « noires » énumérées à l’article 4 du règlement comme les clauses de fixation du prix ou les clauses de non rétrocession567.

-En l’absence de ces conditions posées par le règlement, un accord de distribution sélective échappe à l’interdiction de l’article 81§1. Dans le cas contraire, il convient d’examiner si l’accord pourrait bénéficier d’une exemption individuelle à condition de remplir les exigences du paragraphe 3 du même article.

-Si l’examen est favorable, il convient de procéder à la notification de l’accord auprès de la commission de la concurrence européenne et si l’examen est défavorable, il est conseillé de mettre fin à l’accord ou de le modifier pour éviter des dépenses souvent de grande importance et se voir sanctionné par la résiliation de l’accord en cas d’intervention des autorités de la concurrence.

Ces principes bien posés par le droit communautaire et interne ne s’appliquent qu’aux ententes illicites et pratiques concertées et ne peuvent exonérer un abus de domination infligée par une entreprise en position de force.568 En droit communautaire, « l’abus d’une position dominante n’est susceptible d’aucune exemption, de quelque façon que ce soit ».569En revanche, le droit français dispose d’une possibilité d’exempter individuellement un

566Règl. (CE) n° 1400/2002 de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.

567 Sylvaine Poillot-Peruzzetto, « Règl. 2790/1999 concernant l'application de l'art. 81, § 3, du traité à des

catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées », RTD com 2000, p. 507.

568Y. SERRA, Le droit français de la concurrnce. Editions Dalloz – 1993, p. 93.

comportement abusif par l’article L. 420-2 du code de commerce qui renvoie à l’article L.420-1prévue pour les pratiques anticoncurrentielles dont l’abus de position dominante en fait partie.570 En effet, la Cour de cassation française a censuré un arrêt d’appel qui avait retenu l’abus de position dominante contre la société Nikon.571

Cela dit, il convient de préciser que le conseil de la concurrence français applique à la fois les dispositions du droit national et du droit communautaire et que sa compétence n’est que subsidiaire puisqu’il doit cesser toute poursuite si la commission européenne décide d’intervenir dans la même affaire572.

Après avoir étudié les conditions et les formes d’exemption de la distribution sélective, il convient de démontrer les procédures à suivre par le promoteur d’un réseau sélectif pour faire exonérer son accord.