• Aucun résultat trouvé

La fixation d’un chiffre d’affaires minimum

Deuxième partie : Appréciation de la distribution sélective

Paragraphe 02 : les critères tenant aux distributeurs

B) la sélection quantitative

1- La fixation d’un chiffre d’affaires minimum

Par certaines clauses d’un contrat de distribution sélective, un fabricant impose souvent aux distributeurs d’atteindre des objectifs de vente. La réalisation d’un chiffre d’affaires annuel

423D. ZENNAKI, La discrimination entre agents économiques, séminaire international le 18 et 19 octobre2008 à

Oran sur les contrats de distribution, organisé par le laboratoire de droit économique et environnement, faculté de droit d’Oran en collaboration avec le centre d’étude et de recherches en droit des affaires et des contrats (CERDAC, université de Bordeaux IV).

424CJCE, arrêt du 10/07/1980 SA Lancôme et Cosparfrance Nederland BV c. Etos BV et Albert Heyn Supermart

BV affaire 99/79, rec. cour de justice 1980. 2327

minimum en est l’exemple parfait. C’est sans doute aussi un moyen pour le fabricant de s’assurer la maîtrise quantitative de son réseau de distribution426.

En effet, le critère de chiffre d’affaires minimum comporte un élément quantitatif en ce sens que les commerçants qui n’arriveraient pas à réaliser l’objectif fixé par le fabricant pourraient être exclus, mais il aurait l’avantage de permettre à tous les commerçants compétents et pouvant atteindre le chiffre d’affaires exigé d’accéder au réseau427.

Même lorsque les fabricants utilisent une terminologie variante428, la raison d’être de la clause de fixation du chiffre d’affaires minimum est en réalité la même : limiter le nombre de distributeurs agrées et garantir un certain rendement au fabricant. Un professionnel qualifié dans le domaine du luxe fait savoir que « le chiffre d’affaires est le moyen de régulation destinée à adapter le nombre de points de vente à la diffusion souhaitable ou possible du produit. En faisant varier le niveau du chiffre d’affaires réclamé auprès du détaillant, le fabricant va augmenter ou réduire la diffusion de ce produit en tenant compte de la structure de l’évolution du marché [...] le chiffre d’affaires minimum est une assurance de qualité429 ». Par une série de décision, la commission des communautés européennes a considérablement assoupli la position hostile qu’elle avait à l’égard des critères quantitatifs et en particulier celui de la fixation du chiffre d’affaires minimum par le fabricant. Ainsi, dans la décision Yves Saint Laurent du 16 décembre 1991, il a été jugé que seule l’annulation des clauses de sélection quantitative, à priori, a permis de légitimer la sélection effectuée sur la base de critères qualitatifs430.

Il faut, au préalable rappeler, que par cette décision hostile aux critères quantitatifs, la commission est restée fidèle à la jurisprudence de la CJCE, qui avait de puis longtemps posé en principe qu’un réseau de distribution sélective dont l’accès est subordonné à des conditions

426P. PIGASSOU : "La distribution intégrée" , RTD com 1980, p. 473.

427J.J. BURST ET R.KOVAR, op. cit.

428Les clauses de quota, de minima ou de minimum.

429Intervention de M. MOSSER, président de la fédération française de l’industrie des produits de parfumerie, de beauté et de toilette, lors d’un colloque le 22 mai 1991 sur les enjeux économiques, culturels et juridiques de la distribution sélective : Gaz. Pal. 1991, 1, doctr., p. 383.

allant au-delà des critères qualitatifs, ne peut être justifié, en particulier lorsqu’il est fondé sur des critères de sélection quantitative431. Cette interdiction préambulaire atteste de la méfiance des autorités et juridictions européennes de ce que la sélection du fournisseur ne devienne arbitraire et aboutit à exclure de la revente un nombre de commerçant qualifiés ou à écarter certaines formes de distribution tels que les supermarchés et les magasins de libre service. Bien qu’extrêmement contre les clauses de limitation quantitative des distributeurs au début, la commission européenne de la concurrence relève après que, dans le domaine de la distribution des produits de haute technicité, les contrats recelaient fréquemment l’obligation pour le distributeur d’effectuer une part minimal de ses achats auprès du fabricant, pour chacun des modèles de produits qu’il distribuait432. Ainsi, est justifiée, au regard du droit de la concurrence communautaire, la sélection quantitative basée su la fixation par le fabricant d’un chiffre d’affaires minimum. La commission analyse une telle exigence comme une des préoccupations principales des systèmes de distribution sélective : celle pour le distributeur sélectionné de disposer d’un stock suffisant de produit, afin de permettre au consommateur d’effectuer un vaste choix parmi toute la gamme des produits du fabricant433.

Une partie de la doctrine voit en ce revirement de la jurisprudence européenne une solution paradoxale, puisqu’elle peut avoir pour effet d’inciter des distributeurs, dans des zones géographiques économiquement saturées, à demander l’agrément d’un nombre de marques dont ils ne pourront jamais réaliser le chiffre d’affaires minimum.

C’est bien, paradoxalement, cette situation qui risque d’entrainer des investitures, suivies en série d’exclusions ultérieures du réseau, favorisant de la sorte une concentration de la distribution434.

A l’issue des arrêts « DUO », la cour de cassation française n’exclue pas de prendre en considération les critères quantitatifs de sélection lorsqu’ils sont justifiés435. Pour le critère de

431CJCE, arrêt du 10/07/1980 SA Lancôme, préc.

432Avis de la commission du 9 oct. 1986 sur le marché de l’électronique : BOCCRF 29 janv. 1987, p. 35.

433Ibid.

434C. VLIMART, « la décision d’exemption du contrat type Yves Saint Laurant Parfums : Son incidence sur les

tiers » Gaz Pal 1992, n° 136, 137 p. 28.

fixation du chiffre d’affaires minimum, la cour de cassation française, lors de l’arrêt Guerlain, a déclaré que ce critère est l’une des manifestations de la limitation de la liberté commerciale du distributeur436.

C’est dire que, la capacité ou non de réaliser ce chiffre d’affaires est, en réalité, un élément menant à la limitation quantitative du nombre des distributeurs : seuls les points de vente capables d’assurer une bonne rentabilité seront agrées437. De ce fait, la jurisprudence française n’est pas restée insensible au caractère douteux de ce critère. Sans censurer complètement la fixation du chiffre d’affaires minimum comme condition pour l’agrément, la cour d’appel de Paris admet que ce critère quantitatif « est de nature à affecter la liberté d’approvisionnement des membres du réseau de distribution » car il « a pour effet, d’un côté, de réserver l’accès au réseau de distributeurs qui sont en mesure de souscrire à un tel engagement et, de l’autre, de contraindre les distributeurs agréés à consacrer une part significative de leurs efforts à la vente des produits contractuels ». La cour d’appel de Paris ajoute que « cette clause de fixation du chiffre d’affaires minimum qui évite une extension excessive du réseau, des coûts de distribution accrus et une détérioration progressive de l’image des produits n’est pas, en soi, illicite438».

A moins d’être raisonnable et proportionné, la fixation d’un chiffre d’affaires minimum par le fabricant ne peut être légitime et tombe de ce fait sous le coup de l’article 09 de l’ordonnance de 1986 devenu article L420-3 du code de commerce français.

Toutefois la cour d’appel admet le droit du fournisseur d’imposer cette clause afin de garantir une certaine rentabilité et protéger l’image de marque de ses produits439.

A ce critère de sélection mis au point par le propriétaire du réseau comme condition pour revendre ses produits s’ajoute un deuxième critère qui consiste à limiter directement le nombre de distributeur sélectionnés par secteur géographique.

436CA Paris : arrêt Guerlain 26 mai 1965 : Gaz Pal 1965, 2, 76

437JEAN-PIERRE PAMOUKDJIAN, op. cit, p. 50.

438CA Paris, 1erfév 1995, Lettre distrib 1995, n° 4, p. 1,cité par beauchard.

439F. FOURNIER, « L'équilibre des réseaux de franchise de parfumerie de luxe », dans Recueil Dalloz, 2002, p. 793.

2-La limitation du nombre de distributeurs par zone géographique

La fixation d’un contingent maximum de revendeurs par secteur géographique par le propriétaire d’un réseau de distribution sélective se traduit généralement par les clauses de numerus clausus, clauses insérées dans le contrat d’investiture au réseau. Se fondant sur des exigences légitimes et loin de traduire une volonté d’éviction de certains concurrents, la limitation volontaire et directe du nombre des points de vente agréés doit permettre une distribution efficace de produits de luxe ou de produit caractérisés par une certaine technicité440.

A priori, la sélection quantitative directe exercée par le fabricant constitue une restriction de la concurrence tombant sous le coup de l’interdiction des ententes de l’article 81§1 du traité de Rome441. Or, la commission des communautés européennes affirme que ce type de sélection peut s’avérer économiquement bénéfique dans certains cas, et peut bénéficier d’une exemption au titre de l’article 81§3442.

Dans l’affaire OMEGA, la limitation directe des points de vente fut essentiellement justifiée par la nécessité d’assurer à chacun des distributeurs OMEGA une capacité d’écoulement suffisante. La commission retint d’abord la quantité relativement restreinte des montres qu’OMEGA a la possibilité de fabriquer et l’étroitesse de la clientèle potentielle pour des articles durables de ce prix. Elle considéra ensuite que l’agrément en qualité de revendeurs de tous les détaillants satisfaisant aux conditions de qualification et de standing exigées par OMEGA réduirait à quelques unités par an les possibilités de vente de chacun d’entre eux443. En conséquence, les revendeurs seraient peu enclins à soutenir un réel effort de promotion des ventes et des services à la clientèle, et ne pourraient offrir en permanence aux acheteurs une

440C. VILMART, Distribution des produits de parfumerie et refus de vente, Cah. Dr. entr, 1981/4, 7.

441G. LE TALLEC, « une symbiose entre le droit communautaire et le droit national : la distribution sélective des

parfums ». RTD eur 1988, p. 437.

442P. PIRIOU, La distribution sélective et les règles communautaires de la concurrence, RTD eur. 1978. p. 602

gamme suffisante de modèles récents en raison du faible taux de rotation de leur stock. Ainsi, l’absence de sélection quantitative aboutirait à une détérioration plutôt qu’à une amélioration de la distribution444.

Ultérieurement, la commission avait évolué dans le sens d’une sévérité accrue à l’encontre d’une fixation d’un nombre maximum de distributeurs agréés, à tel point qu’elle a fini par condamner catégoriquement la sélection quantitative dans ses décisions Yves Saint Laurent et Givenchy445.

De façon analogue à l’approche communautaire, les autorités administratives et judiciaires françaises n’admettent pas d’une manière générale la limitation du nombre des membres du réseau pour les contrats de distribution sélective. Concernant la décision relative aux pratiques constatées dans la distribution des montres Rolex, le conseil de la concurrence français estime que la clause relative aux « possibilités locales de ventes des produits Rolex » introduite dans l’accord cadre Rolex, manque de précision et se prête à une application subjective et éventuellement discriminatoire. Dès lors, cette clause constitue une pratique visée par les dispositions de l’article 81§1 du traité de Rome, et l’article 07 de l’ordonnance de 1986 devenu article L 420-1 du code de commerce français446.

De son côté la société Rolex avait fait valoir que cette clause de limitation du nombre de distributeurs agréés Rolex, figure aux accords cadre Rolex en raison de l’impossibilité dans laquelle se trouve la société d’alimenter en marchandises sur le territoire français ou sur le territoire de l’union européenne « tout distributeurs ayant fait la demande à Rolex, même s’il répond pleinement aux critères fixés aux accords Rolex ».

De plus, la société Rolex affirme qu’elle tient objectivement compte de critères démographiques et économiques, à savoir les caractéristiques de la population habitant la

444P. PIGASSOU, La distribution sélective. JCP 1985 éd. E ΙΙ, 14423.

445Affaires du 12 décembre 1996 du Tribunal de Première Instance de la Communauté Européenne:Yves Saint Laurent (affaire T-19/92) et Givenchy (T-88/92) Rec CJCE, II p. 1851 et s., Contrats, Conc., Consom. 1997, n°1, p. 13, note Vogel L.

zone de chalandise et l’évolution du chiffre d’affaires chez les distributeurs situés déjà dans cette zone et dans les secteurs environnants447.

Il faut rappeler que par ce type de clause, tout fabricant de produits de luxe cherche essentiellement à pouvoir surveiller efficacement l’activité des membres de son réseau, s’assurer qu’ils ne commercialisent pas ses articles dans des conditions dévalorisantes. L’image de marque des produits est en cause448.

A la suite des sanctions du conseil de la concurrence, 449la société Rolex a porté le litige devant les juridictions françaises par un recours en annulation de la décision du conseil, et ce au niveau de la cour d’appel de Paris. La cour a statué que « le choix des revendeurs doit reposer sur des critères objectifs, sans exclure certaines formes déterminées de distribution de manière discriminatoire, ni aller au-delà de ce qui est nécessaire à la bonne distribution des produits et en tenant compte de l’intérêt du consommateur »450.

Elle affirme par la suite, que la société Rolex n’a pas respecté ces principes en réservant la revente de ses produits à ses distributeurs initialement agréés. Elle n’a de plus pas permis une application objective des critères de sélection en recrutant ses revendeurs selon « les possibilités locales de ventes des produit ». Un tel critère est trop vague pour qu’un distributeur, qui souhaiterait intégrer le réseau, puisse en apprécier la portée. Cette imprécision favorise également une application subjective et discriminatoire du critère. Comme le montrent la décision du conseil de la concurrence et l’arrêt de la cour d’appel de Paris, la position française reste attachée à la détermination de critères d’ordre qualitatifs et appliqués de manière objective, par opposition à un système dans lequel le fournisseur pourrait se fonder sur des critères quantitatifs451.

447C. A. Paris, 25 oct 1991 ? SA BARICHELLA c SAF MONTRES ROLEX, Rev contrat-concurrence-consommation 1992, n° 50.

448JEAN-PIERRE PAMOUKDJIAN, op. cit., p.44.

449La société Rolex France a été condamnée par le conseil de la concurrence, à une sanction pécuniaire de 178 000, et reçu injonction de modifier les contrats avec les distributeurs.

450Cour d’appel de Paris du 2 décembre (BOCCRF du 9 décembre 1997).

Ce principe parait conforme à la jurisprudence communautaire452 dont les décisions s’imposent à la commission et aux juridictions nationales des pays membres de l’union européenne et qui donnent priorité à la liberté du commerce qui emporte la liberté pour le distributeur d’acheter et de vendre tout produit commercialisable453.

Il convient toutefois de relever que dans le nouveau règlement d’exemption sur la distribution automobile, le règlement communautaire n° 1400/2002, la commission européenne a introduit une brèche dans ce principe en permettant l’exemption de systèmes de distribution sélective fondés sur des critères de sélection qui ne seraient pas purement qualitatifs454.

Cependant, la cour de cassation française a fait une interprétation restrictive de cette possibilité d’admettre les critères quantitatifs dans un arrêt « Garage Gremeau / Daimler » du 28 juin 2005, imposant en pratique au fournisseur de définir et de mettre en œuvre des critères qualitatifs objectifs pour bénéficier de l’exemption455.

Au-delà des critères tant qualitatifs que quantitatifs de sélection des distributeurs, c’est la mesure de l’atteinte au libre jeu de la concurrence qui constitue la clef fondamentale de validation des contrats de distribution sélective. Il conviendra, dès lors, de rechercher la licéité

452La jurisprudence communautaire avait déjà posé les conditions de licéité, notamment dans l’arrêt « Yves Saint Laurent » 12 décembre 1996 (T-19/92) dans lequel le Tribunal de Première instance estime qu’un système de distribution sélective est conforme à l’article 81 § 1 TCE, « s' il est satisfait à quatre conditions, à

savoir: premièrement, que les propriétés du produit en cause nécessitent un système de distribution sélective, en ce sens qu' un tel système constitue une exigence légitime, eu égard à la nature des produits concernés, et notamment à leur haute qualité ou technicité, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage ; deuxièmement, que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif fixés d' une manière uniforme à l' égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire ; troisièmement, que le système en cause vise à atteindre un résultat de nature à améliorer la concurrence et donc à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective, notamment en matière de prix ; et, quatrièmement, que les critères imposés n' aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. La question de savoir si ces conditions sont remplies doit être appréciée d' une façon objective, en tenant compte de l' intérêt du consommateur ».

453D. FERRIER, op. cit, p. 264.

454S. P. PERUZZETTO, « Règlement 1400/2002 de la commission du 31 juillet 2002 concernant l'application de

l'article 81, paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le domaine automobile » RTD com 2002, p. 750. L. VOGEL, Le droit de la distribution automobile, Lawlex, 2006, p.

12.

des réseaux de distribution sélective au regard des règles du droit de la concurrence et plus spécialement celles régissant le refus de vente et les pratiques anticoncurrentielles