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les ententes prohibées

Deuxième partie : Appréciation de la distribution sélective

Paragraphe 02 : les pratiques anticoncurrentielles

A) Ententes prohibées et abus de domination :

1) les ententes prohibées

L’entente anticoncurrentielle, pratique prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce français, est un accord ou une action concertée qui a pour objet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence sur un marché de produits ou de services déterminé. Cette entente peut prendre diverses formes ; écrite ou orale, expresse ou tacite, horizontale entre concurrents sur un même marché ou verticale, comme par exemple entre un producteur et un distributeur495.

Compte tenu du nombre et de la diversité des ententes anticoncurrentielles, il serait impossible d’en fournir une liste exhaustive. Aussi, le législateur français et algérien se bornent-t-ils à citer les exemples les plus caractéristiques : les accords ou pratiques concertées qui tendent à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises, ceux qui tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, ceux qui tendent à limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissement ou le progrès technique… Des pratiques visées par d’autres dispositions du code de commerce, tels les prix imposés, peuvent également relever de l’interdiction du droit de la concurrence lorsque celles-ci sont constitutives d’ententes496. Dans un contexte de libéralisation du commerce et de privatisation, les autorités judiciaires et administratives algériennes ont été confrontées à des pratiques anticoncurrentielles découlant des différentes activités de production, de distribution

495.M. MALAURIE-VIGNAL,Droit de la concurrence interne et communautaire, Armand Colin, 3émeéd., 2005, p. 161.

496R. POESY, le rôle du conseil de la concurrence et du juge judiciaire en Algérie et en France en droit des

pratiques anticoncurrentielles, aspects procéduraux, in L’Algérie en mutation, les instruments juridiques de

et de services497. Les pratiques anticoncurrentielles peuvent également résulter des activités des personnes publiques lorsque celles-ci n’interviennent pas dans le cadre de l’exercice de prérogatives de puissance publique ou dans un accomplissement de missions de service public498.

Face à ce phénomène qui suscite inquiétude et interrogation, le droit de la concurrence algérien s’est doté, récemment, de dispositif législatif et réglementaire qui, en prenant en considération les caractéristiques structurelles du marché algérien, tente d’en préserver, à priori, le fonctionnement régulier.

Ainsi, l’ordonnance n° 03-03 relative à la concurrence modifiée et complétée prohibe à travers l’article 06 les pratiques et actions concertées, conventions et ententes expresses ou tacites.

Le dispositif mis en place par le législateur algérien a pour objectif d’interdire les ententes anticoncurrentielles lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre le libre jeu de la concurrence dans un même marché ou dans une partie substantielle de celui-ci. Le législateur algérien adopte la même approche suivie par le législateur français et pose certaines conditions pour l’application de l’article 6 de l’ordonnance n° 03-03 relative à la concurrence499.

En premier lieu, le législateur algérien impose l’existence d’une volonté de concertation de plusieurs opérateurs économiques pour pratiquer des actions communes tendant à fausser la concurrence dans un même marché ou, une partie substantielle de celui-ci. Faute de cette volonté, la condition de concertation ou d’entente n’est pas remplie500. Selon l’article 6, l’entente peut être expresse et c’est le cas des contrats et conventions écrites qui, même si ils

497Ibid.

498MINISTERE DU COMMERCE, DIRECTION GENERALE DE LA REGULATION ET DE L’’ORGANISATION DES ACTIVITES COMMERCIALES, Présentée par Mme S.MEZIANI, « Modernisation de la legislation et de la

reglementation applicables aux activites commerciales », Journée d’étude du 11 avril 2007.

www.mincommerce.gov.dz

499Ord. n° 03-03 du 19 Joumada El Oula 1424 correspondant au 19 juillet 2003, modifiée et complétée, relative à la concurrence.

sont valables au regard du droit commun, ne sauraient échapper à l’application de l’article 6, car ce qui est visé est précisément le comportement des entreprises face au respect des règles du marché. L’entente peut également être tacite et s‘exerce par une simple action concertée sans laissé de traces écrites ce qui rend le contrôle du conseil de la concurrence compliqué en raison de la difficulté liée à la recherche sur le terrain économique des indices probants d’entente constituant une entrave au libre jeu de la concurrence501.

En second lieu, il est exigé que cette entente constitue effectivement une entrave à la concurrence soit en l’empêchant, soit en la restreignant ou en faussant le libre jeu des forces du marché. Par conséquent, les ententes qui n’ont pas pour vocation ou n’ayant pas pour effet de faire obstacle à une concurrence loyale ne peuvent constituer un délit et n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 de l’ordonnance n° 03-03502.

La distribution sélective est une variante des contrats d’affaires qui permet au fournisseur de conclure des accords verticaux avec un nombre limité de distributeurs sélectionnés dans la même zone géographique. D’une part, les accords de distribution sélective restreignent le nombre de revendeurs agrées et, d’autres part, interdisent les ventes à ceux non agrées, les seuls acheteurs possibles des membres du réseau étant alors les autres distributeurs agrées et les consommateurs finaux. L’application des clauses de ce type de contrats risque de restreindre la concurrence intra marque, de faciliter les ententes entre fournisseurs ou acheteurs et d’exclure une ou plusieurs catégories de distributeurs, en particulier en cas d’effets cumulatifs de réseaux parallèles de distribution sélective sur un marché503.

Au regard des articles 7 et 8 de l’ordonnance de 1986, pour être licite et échapper à la prohibition des ententes, un système de distribution sélective doit être justifié par les nécessités d’une distribution adéquate des produits en cause, et être fondé sur une sélection des distributeurs en fonction de critères objectifs, qualitatifs et non discriminatoire. Lorsqu’ils

501Y. SERRA, Le droit français de la concurrence, Dalloz 1993, p.80.

502Les conditions de la condamnation d’une entente sont illustrées par le législateur algérien à l’article 06 de l’ordonnance n° 03-03 susvisée.

503JEAN -PIERRE CHAMOUX ET HENRI LEPAGE,Distribution sélective et droit de la concurrence : critique d’une

sont appliqués uniformément à tous les distributeurs, les critères de sélection permettent d’appliquer une sélection non restrictive de concurrence504.

En effet, si une entreprise considère qu’une exigence de spécialisation technique dans la distribution de ses produits, justifie la possibilité de sélectionner son réseau, sur la base de critères ayant trait à l’installation matérielle et la qualification du personnel, « ces critères doivent s’imposer à l’ensemble des points de vente commercialisant sa production ».505Toute clause contraire imposée par le fabricant serait considérée comme anticoncurrentielle.

A titre d’exemple, d’une part, la Cour d’appel de Paris a condamné comme entente prohibée, tout système de distribution sélective conduisant « à exclure par nature une ou des formes déterminées de commerce qui seraient aptes à cette distribution »506: un tel système constituant une restriction discriminatoire et non proportionnée aux nécessités des produits en cause, et, d’autre part, la conseil français de la concurrence condamne comme ententes anticoncurrentielles, notamment, les clauses limitant la libre détermination par le distributeur sélectionné, de ses prix de revente et ses marges ; les clauses limitant excessivement la liberté commerciale des revendeurs ; les clauses de non rétrocession entre revendeurs agréés.507 Toutefois, une distinction est généralement opérée entre les systèmes de distribution sélective qualitative et les systèmes de distribution sélective quantitative. Les premiers sont fondés sur la base d’une sélection objective requise par la nature des produits et sans limitation directe du nombre des distributeurs agréés. Les systèmes de distribution sélective quantitative ajoutent, en revanche, d’autres critères de sélection qui limitent plus directement le nombre des

504SYLVAINE POILLOT-PERUZETTO, « Exemption par catégorie des accords verticaux : franchise », dans Revue

trimestrielle de droit commercial, 2001, p. 550.

505Les automobiles de haute technicité (Déc. n° 75/73/CEE de la Commission, 13déc. 1974, JOCE 3 févr. 1975, n° L 29), les articles d’horlogerie d’une grande complexité technique (CJCE, 21déc. 1976, aff. 77/10, Junghans, JOCE 2 févr. 1977, n° L 30), le matériel informatique (Déc. n° 84/233/CEE de la commission, 18 avr. 1984, IBM-computer, JOCE 4 mai 1984, n° L 118), le matériel électronique de divertissement (CJCE, 25 oct. 1977, Metro І, Rec. CJCE 1977, p. 1875 ; CJCE, 22oct. 1986, aff. 75/84, Metro ІІ, Rec. CJCE, p. 3021). Lamy droit économique 2003, n° 4516.

506C. A. Paris : 10 déc 1985 ; Gaz Pal 1986, 2, p. 581.

507Avis du 9 oct 1986 ; "Situation de la concurrence dans le négoce des composants électroniques actifs" BOCCRF 19 janv 1987.

revendeurs agréés508. Le droit français est attaché à la détermination de critères d’ordre purement qualitatif pour la sélection des distributeurs, par opposition à un système dans lequel le fournisseur pourrait se fonder sur des critères quantitatifs. Ce principe paraît conforme à la jurisprudence communautaire, en matière de distribution sélective509.

Cependant, dans son règlement d’exemption n°1400/2002 du 31 juillet 2002 spécifique à la distribution automobile, la Commission européenne a introduit une brèche dans ce principe en permettant l’exemption de systèmes de distribution sélective fondés sur des critères de sélection qui ne seraient pas purement qualitatifs510. La Cour de cassation française a néanmoins fait une interprétation très restrictive de cette possibilité, dans un arrêt « Garage Gremeau / Daimler »du 28juin2005, imposant en pratique au fournisseur de définir et de mettre en œuvre des critères qualitatifs objectifs pour bénéficier de l’exemption prévue par les règles du droit de la concurrence interne et communautaire511.

D’une manière générale, le contenu des arrêts de la cour de cassation française, laisse clairement penser qu’un réseau de distribution sélective n’est licite que dans la mesure où il satisfait aux conditions suivantes :

La nature du produit doit justifier le recours à ce type de distribution (le principe de nécessité).

Les distributeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs à caractère qualitatif et appliqués sans discrimination (le principe d’objectivité).

Les critères de sélection ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne commercialisation des produits (le principe de proportionnalité)512.

508PH. LE TOURNEAU, Les contrats de concession, éd. Litec, collection Affaires finances, 2003, p. 08.

509M. ZOÏA, Concession libre : la distribution sélective, J-Cl. Concurrence-consommation, Fasc. 1020, n° 32.

510Règl. (CE) n° 1400/2002 de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.

511Cass. Com,Arrêt n° 982 du 28 juin 2005, www. Lexinter.com.

512Cass. crim., 3 nov. 1982, Lanvin, Nina Ricci et Rochas : Gaz. Pal. 1982, 2, jurispr. P. 658, note J. – P. Marchi ; D. 1983, inf. rap. P. 211, obs. C. Gavalda et C. Lucas de Leyssac.

Du côté procédurale, pour condamner une entente illicite, les règles du droit de la concurrence obligent de démontrer l’existence d’un accord ou d’une concertation entre deux partenaires économiques. Cependant, en matière de distribution, si certaines restrictions de concurrence peuvent clairement découler des clauses de l’accord de distribution, d’autres types de pratiques comme la sélection des distributeurs dans le cadre d’un réseau de distribution sélective ne font généralement pas l’objet d’un accord spécifique des distributeurs. L’exigence stricte de la démonstration d’un accord de volonté entre fournisseur et distributeur, telle qu’elle résulte d’une tendance de la jurisprudence européenne et française513, rend dans ce cas très difficile la démonstration d’une infraction au règles du droit de la concurrence par les autorités compétentes et les éventuels plaignants514.

Cependant, la cour de cassation a également affirmé que l’agrément par un fournisseur de produits de marque en faveur de certains distributeurs se fonde sue l’acceptation de ces derniers de la politique commerciale menée par le fournisseur. Donc, cet agrément ne constitue pas un acte unilatéral tant il est perçu comme un contrat515au sens de l’article 07 de l’ordonnance de 1986 du droit français et de l’article 81 du traité de Rome en droit européen. En effet, ce contrat peut cacher une entente prohibée et constitue dès lors une pratique restrictive à caractère anticoncurrentiel. Toutefois, un réseau de distribution sélective qui réuni les conditions d’application de l’article 10 de l’ordonnance peut échapper à l’interdiction prévue par l’article 07 devenu article L. 420-1 du code de commerce français516.