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composantes exploratoires de la méthode chez les grimpeurs Ce chapitre est organisé en 3 sections. La première section consiste à expliciter la

2. Les composantes de la méthode

2.2. La lecture en escalade comme objet de recherche scientifique

La lecture en escalade est ordinairement considérée comme une observation de l’itinéraire prospective à l’ascension. Il s’agit pour les grimpeurs « d’interpréter » ce qu’ils voient pour y discerner des mouvements, de « planifier » une action pour programmer à l’avance une/des séquences gestuelles (Fédération Française Montagne Escalade, s. d.) ou encore de « voir – comprendre – mémoriser, prendre le plus d’informations possible et les traiter efficacement pour arriver en haut en forçant le moins possible. De cette lecture découle, en effet, l’essentiel de vos choix tactiques : méthodes, rythme d’escalade, mousquetonnage » (Guyon & Broussouloux, 2004, p. 281). En compétition, le règlement impose un temps réservé uniquement à cet exercice pour chaque ascension à vue.

Les grimpeurs moins expérimentés ne parviennent pas à identifier comment utiliser les prises lors de cette exploration initiale (Boschker & Bakker, 2002 ; Sanchez et al., 2012). Ils effectuent donc cette exploration au cours de l’ascension, ce qui induit des phases statiques

37 destinées à l’observation visuelle notamment. En d’autres termes, l’ascension est impactée par la nature de la lecture déployée par le grimpeur, ce qui est également confirmé par les résultats de Sanchez et al. (2012). La lecture impacte les phases statiques durant l’escalade à vue. L’auteur a réalisé une étude comparative entre trois groupes de grimpeurs de niveau 6a+, 6c et 7c sur des voies correspondant à leurs niveaux, avec et sans lecture prospective. Les résultats indiquent que la lecture s’est accompagnée d’une diminution du nombre de phases statiques et d’une réduction de la durée de ces arrêts. En revanche, Sanchez ne note pas d’impact de la lecture sur la performance lors du protocole. En d’autres termes, les grimpeurs ayant profité d’une lecture n’ont pas davantage achevé la voie que lorsqu’ils en étaient privés. Les grimpeurs moins expérimentés réalisent une exploration haptique plus conséquente que les experts. Le but de ces explorations est de déterminer si une prise peut être atteinte et/ou tenue. Or la diminution de ces phases permet d’accroitre la fluidité du grimpeur en limitant les variations d’accélération et donc de diminuer sa dépense énergétique impliquant une optimisation gestuelle du sportif. La qualité de la lecture du grimpeur réside dans sa composante fonctionnelle. Boschker & Bakker (2002) se sont intéressés aux caractéristiques mémorielles de grimpeurs experts, novices et inexpérimentés, lors de l’exercice de lecture de voie (, 2. Leurs résultats indiquent que les experts profitent d’une mémorisation fonctionnelle des prises (tirer, pousser, se placer…) contre une mémorisation plus structurelle (forme, taille, orientation, localisation) pour les novices. Autrement dit, les experts discriminent dans le réel des éléments signifiants, du point de vue de la communauté des grimpeurs, contrairement aux novices qui interprètent cette réalité avec des concepts peu signifiants dans le domaine de l’escalade, ne leur permettant pas de saisir dans leur environnement les opportunités d’actions. Ils sont condamnés à adopter une exploration de type manuelle de la structure des prises pour en trouver la fonction en cours d’ascension. Voir et comprendre une disposition de prises sur un mur d’escalade activerait chez les grimpeurs experts une simulation motrice (« embodied simulation »), qui ne repose pas sur la simple saillance perceptive de ces prises, mais sur la compétence à les exploiter. La capacité à former cette simulation dépendrait du répertoire moteur individuel et de l’expert, éléments qui impactent fortement le rappel en mémoire (Pezzulo et al., 2010). En cela, la capacité à retenir en mémoire un itinéraire observé lors de la lecture dépendrait du niveau d’expertise et plus précisément de la compétence motrice du grimpeur. Les auteurs concluent que la meilleure capacité de rétention d’informations chez les experts n’est pas liée à une meilleure mémoire, mais à leurs compétences motrices, leur permettant de réaliser une simulation motrice elle-même source

38 de mémorisation (Ibid.). Cette simulation motrice serait permise par l’utilisation de souvenirs procéduraux. Reprenant les résultats de Boschker et al. (2002), les auteurs montrent que la caractéristique fonctionnelle de la lecture des grimpeurs experts semble expliquer leur meilleure capacité de rappel mnésique de la voie. Les auteurs notent également qu’aucune simulation n'est activée lorsque les grimpeurs observent des prises particulièrement saillantes, du point de vue de leur luminosité réfractée sur la rétine des grimpeurs (prises de couleurs vives contrairement aux autres prises de l’itinéraire de couleur grise), mais inutiles à l’ascension (placées volontairement par les chercheurs). En d’autres termes, les prises suscitent une simulation motrice incorporée et non uniquement une simulation visuelle (Pezzulo et al., 2010). Les experts profitent d’affordances35 imbriquées, à grain fin et à grain grossier (Boschker & Bakker, 2002). Les affordances à grain fin concernent la saisie des possibilités d’actions vis-à-vis des prises, telles que les possibilités d’atteinte, de saisie, de maintien. Les affordances à grain grossier consistent à saisir des informations fonctionnelles composées de plusieurs prises qui suggèrent un ensemble de mouvements, impliquant des affordances de type spatial, mais également temporel des prises (Seifert, Wolf, et al., 2017, p. 201). Autrement dit, l’unité de couplage dynamique entre la voie et le grimpeur change d’échelle. Cette échelle n’est pas fixe. Elle évolue en fonction du niveau d’expertise du grimpeur, mais également des circonstances (comme de la magnésie sur une prise) et des « besoins et désirs du grimpeur » (Boschker & Bakker, 2002). Le grimpeur peut réaliser des allers-retours sur les différentes échelles d’affordance en fonction des circonstances de la voie observée. La focale attentionnelle de la lecture chez les experts se déplacerait sur des caractéristiques intra-figurales (discrimination, choix des prises en fonction de leur caractéristique propre telle que la taille, le grain) et inter-figurale (interprétation, choix des prises en fonction du mouvement projeté) (Dupuy & Ripoll, 1989).

La tâche de remémoration exécutée lors de l’étude de Boschker (2002) et Pezzulo (2010) s’éloigne de l’activité écologique de l’escalade dans la mesure où les types de mémoires sollicitées pour réaliser la tâche ne sont 1) pas nécessairement les mêmes que lors de l’escalade et 2) leur sollicitation in situ (dans la voie par exemple) peut également revêtir des spécificités que le recueil de données précédemment explicité ne permet pas. Seifert (2017)

35 Affordance est issu de la théorie écologique de James Gibson (1979). Ce concept traduit cette faculté de l’homme, et de l’animal en général, à guider ses comportements en percevant ce que l’environnement lui offre en termes de potentialités d’actions (Luyia et Regia-Corte, 2009).

39 note qu’au moment de la séquence de rappel des acteurs, lors de la tache de remémoration pour l’étude de Boschker, les acteurs avaient la particularité de commencer la description des prises par le haut de la voie. Ce point contrevient à la pratique courante d’une lecture de voie dans laquelle une séquence de prises est perçue par les acteurs de façon ordonnée temporellement et non uniquement de façon spatiale.

Pour étudier la lecture de grimpeurs de niveaux avancé et intermédiaire, Grushko & Leonov, (2014) ont mis la focale sur les stratégies oculaires à l’aide d’un dispositif de mesure de type eyes-traking. Ce système de lunettes portables compare le vecteur (angle et distance) entre la pupille et la cornée, à partir duquel le logiciel du système calcule les points de focalisations de l’acteur. Les auteurs ont comparé la lecture des grimpeurs sur deux voies de niveau 6a+/6b et 7a+/7b. Quatre types de stratégies oculaires ont été identifiées (ascending, segmentary zigzagging, sequences of blocks). La stratégie nommée « sequence of blocks » est partagée par 52,2 % des participants sur la voie coté 6a+/6a et par 87 % sur la voie cotée 7a+/7b. Celle-ci correspond à une lecture progressive par groupes de deux à quatre prises de mains ou de pieds, avec une centration particulière sur ce qu’ils estiment être le « crux », section la plus difficile de la voie (Grushko & Leonov, 2014). Les auteurs estiment que cette stratégie est utilisée à des fins de planifications gestuelles sur la voie la plus difficile et correspond à une exploration profonde, alors que la stratégie « ascending » correspond davantage à un balayage visuel de l’ensemble de la voie. De façon complémentaire, Seifert et al. (2017) démontrent que la stratégie « sequence of block » est davantage le fait de grimpeurs en difficulté pour qui les prises n’affordent pas suffisamment. La durée de lecture, avancée sur les stratégies « sequence of blocks » et « zigzagging », est associée à une immobilité prolongée au cours de l’ascension. Les grimpeurs ayant le plus de facilité sur la voie usent d’une stratégie visuelle de type « ascending » et « fragmenratory », balayant rapidement et à peu de reprises l’ensemble de l’itinéraire. Ces stratégies d’inspections superficielles sont le fait des grimpeurs pour lesquels, saisir les fonctionnalités des prises n’est pas un problème. Faits intéressants, les données montrent que le temps de lecture, le nombre de fixations et la durée des fixations n’ont aucune relation avec le niveau des grimpeurs. Par ailleurs, 15 des 18 participants à l’étude usent des quatre stratégies de lecture (sept expérimentés et huit inexpérimentés). Les trois autres participants sont expérimentés et usent essentiellement des stratégies « ascending » et « fragmenratory ».

Autrement dit, la lecture des experts se révèle difficile à comprendre. Seifert propose le terme d’affordance « nested » dans la mesure où les prises discriminées par l’acteur le sont

40 également d’un point de vue temporel suggérant un ordre dans leur saisie (Seifert et al., 2017). Les grimpeurs examinent la voie par « grappe de prises » et par « emboitement de grappes », suggérant que la saisie des fonctionnalités irait de l’aspect spatial (prise atteignable, serrable) à l’aspect temporel (réaliser un repos, prendre les prises dans un ordre précis. « Nous avançons pour atteindre et nous atteignons pour saisir ; cela suggère que les grimpeurs expérimentés perçoivent des affordances « groupées » voir même des affordances « imbriquées » (comme atteindre, saisir, se tenir debout et les possibilités d’escalade) » (Seifert et al., 2017, p.19)36. Si la lecture prospective semble nécessaire à la création de la méthode, tout spécialement lors de l’escalade à vue, celle-ci modifie la « forme » de l’ascension (Sanchez et al., 2012) chez les grimpeurs expérimentés qui effectuent des arrêts moins nombreux et plus courts lorsqu’ils profitent d’une lecture. La question se pose alors de connaître la nature de cette exploration au cours de l’ascension et de son impact sur la construction de la méthode en bloc. Ce point est l’objet de la prochaine section.

Synthèse

La lecture se définit comme l’observation visuelle placée en amont de l’ascension. La littérature montre que celle-ci impacte les phases statiques au cours de l’ascension sans nécessairement relever de différence en termes de performance chez des individus n’ayant pas profité de la lecture. Les données montrent que chez les grimpeurs expérimentés, la lecture active chez eux une simulation motrice, ce qui contrevient à l’idée que la lecture est perceptive ou interprétative. En d’autres termes, les grimpeurs expérimentés voient spontanément ce qu’ils ont déjà expérimenté ou vu par le passé. Les prises affordent chez les grimpeurs. Ces affordances prennent des formes imbriquées tributaires du niveau d’expertise, mais également des intentions et du niveau de force du grimpeur. La structure de la lecture va d’une différenciation en termes d’échelle jusqu'à une différenciation en termes de temporalité chez les plus expérimentés.

36 “Thus, we move to reach and we reach to grasp, and it could be added, we grasp to use; it suggests that

experienced climbers perceived `clustered’ affordances or even ‘nested’ affordances (such as reaching, grasping, standing and climbing possibilities)” (Seifert et al., 2017, p.19)

41 2.3. L’exploration des grimpeurs au cours de l’ascension

Dupuy et Ripoll (Dupuy & Ripoll, 1989) ont étudié l’exploration visuelle de grimpeurs experts à l’aide d’un système « eyes tracking », pendant l’ascension d’une voie en milieu naturel. Les auteurs ont séparé les données en trois types de fixation. Toutes diminuent au fil des répétitions, mais aucune ne disparait complètement. La connaissance de la voie facilite la prise de décision lors du travail de voie, réduisant ainsi l’exploration visuelle, dans la mesure où le nombre de fixations ainsi que le temps de ces fixations diminuent avec la répétition de la voie. Lors de l’escalade à vue, la création de la méthode est réalisée au cours d’ascension à l’aide d’explorations visuelles nombreuses et longues. Lorsque la voie est connue des grimpeurs, et qu’une méthode est stabilisée, les fixations visuelles (EVE et PV) de type exploratoire deviennent secondaires dans leur activité (Nieuwenhuys, Pijpers, Oudejans, & Bakker, 2008). Les trois types de fixations étudiées dans l’étude de Dupuy et al. (1989) décroissent, mais perdurent lors de la condition après travail. C’est ce que montre également Button lors de la répétition d’une voie d’un niveau submaximal (6b+) par des grimpeurs experts sur deux voies de niveau identique, mais dont la complexité en termes de diversité de prises a été délibérément limitée (voie dite « régulière ») ou au contraire accentuée (voie dite « irrégulière ») (Button, Orth, Davids, & Seifert, 2018). Ainsi, la voie régulière est composée exclusivement de deux types de prises contre dix-huit pour la voie irrégulière. Les grimpeurs ont réalisé plus de fixations, et de façon plus prolongée, lors de l’ascension de la voie « régulière » (prises identiques) comparée à l’ascension sur la voie « irrégulière » (dix-huit types de prises). Les auteurs en concluent que la voie « régulière » a fait l’objet d’une exploration plus approfondie que la voie « irrégulière » ce qui induit, paradoxalement, que la complexité informationnelle chez les grimpeurs experts facilite leur exploration. Les résultats de Button (2018) sont de ce point de vue contre-intuitifs, puisqu’ils traduisent une augmentation de l’exploration post et synchrone à l’ascension, lors de conditions d’escalade considérées ordinairement plus faciles.

L’exploration visuelle en cours d’ascension revêt des différences de profondeur d’exploration, relatives à la complexité de la voie (Button et al., 2018), à l’expertise des grimpeurs (Boschker & Bakker, 2002 ; Pezzulo et al., 2010), mais également à leur niveau d’anxiété, comme l’ont montré Pijpers (Pijpers, Oudejans, Bakker, & Beek, 2006) et Nieuwenhuys (2008). Pijpers (2006) a montré que l’anxiété affectait la perception de la distance des prises atteignables. En diminuant les capacités physiques des acteurs, l’anxiété impacte leur capacité

42 à détecter les affordances. Par conséquent, les grimpeurs exécutent plus de mouvements en conditions anxiogènes. Ces résultats ont été confirmés par Nieuwenhuys (2008) qui caractérisent les fixations 1) comme performatives lorsque celle-ci sont accompagnées d’un mouvement de la hanche, 2) comme exploratoires lorsque la hanche reste immobile. Lors de conditions anxiogènes, les fixations exploratoires sont accrues, au point que pour une fixation performative les grimpeurs réalisent trois exploratoires. Les auteurs en concluent que l’état interne du grimpeur joue un rôle dans la perception et la réalisation des actions (Pijpers et al., 2006). De ce point de vue, l’exploration est aussi relative à des caractéristiques individuelles. En cascade de glace, les intentions, chez des grimpeurs novices, sont davantage orientées sur « la stabilité », conduisant à des frappes de piolets répétées et prononcées dans la glace pour en assurer la solidité. À contrario, les intentions des experts sont tournées vers « l’économie d’énergie », poussant ainsi à rechercher des trous formés dans la glace pour poser le piolet (Seifert et al., 2014c). En d’autres termes, les circonstances de l’action vécues par les grimpeurs ont un impact sur leur exploration.

Dans le but d’objectiver l’activité des grimpeurs, les chercheurs infèrent des intentions aux grimpeurs, au regard de leurs comportements moteurs. Orth regrette qu’il soit généralement considéré « que le but de la tâche corresponde aux intentions individuelles : (a) ne pas tomber, (b) réaliser l’itinéraire jusqu’à la fin, et (c) utiliser une méthode efficiente et des mouvements qui réduisent les temps d’arrêt » (Orth, Davids, & Seifert, 2016 ; Orth, Kerr, Davids, & Seifert, 2017, p13).

Synthèse

L’exploration visuelle des grimpeurs en cours d’ascension est modifiée suivant les conditions d’ascension (à vue, flash, après travail). Cette exploration est également tributaire des états internes du grimpeur tels que l’anxiété. La littérature dénombre plusieurs types de fixations. Celles-ci sont tantôt relatives à des activités d’explorations tantôt relatives des activités performatives. La durée de ces différents types de fixations diminue au fil des répétitions, mais toutes perdurent. En d’autres termes, les acteurs continuent leur exploration visuelle, mais celle-ci change de nature.

43 2.4. Les stratégies, automatismes, focalisations, émotions au cœur de l’activité

d’enquête des sportifs

Le positionnement philosophique des recherches menées dans le cadre des théories de la cognition située (Suchman, 1987), puis des différents courants en ergonomie (Amalberti, 2001 ; Theureau, 1992), aborde l’entrainement de façon holistique, en considérant les acteurs et l’environnement comme formant un système autonome. Perçue comme complexe et en perpétuelle instabilité, l’activité est décrite à partir des concepts significatifs de l’acteur, respectant ainsi la dynamique des raisonnements et stratégies du sportif.

Ces recherches orientent leur focale sur un plan essentiellement phénoménologique (Theureau, 1992) en déconstruisant les stratégies, coordinations et automatismes potentiellement méconnus des sportifs. Elles ont permis 1) une capitalisation de savoirs au sein de la pratique et 2) d’enrichir le répertoire de ressources partagées chez les athlètes (Sève, Poizat, Saury, & Durand, 2006a ; Yvon & Durand, 2012), permettant de nouvelles formes de pratiques réflexives. En d’autres termes, les remédiations apportées à la communauté de pratique s’étoffent à mesure que les acteurs s’approprient de nouvelles propositions et/ou controversent. Elles permettent de penser l’activité de façons nouvelles. L’enquête menée par des sportifs, consistant à créer de nouvelles connaissances, a été décrite avec finesse par (Sève, Saury, Theureau, & Durand, 2002) auprès de joueurs de tennis de table de haut niveau. Deux composantes principales du jeu des joueurs ont été déterminées. Des points joués à visée exploratoire et d’autres à visée exécutoire. Les pongistes mobilisaient des connaissances sur leurs adversaires construites antérieurement et testaient la validité de celles-ci durant des « séries exploratoires ». Pour valider une connaissance antérieure, les sportifs n’avaient besoin que d’une seule confirmation, alors que l’invalidation nécessitait 4 à 5 tests négatifs. Parallèlement, le nouveau système de comptage de points modifiait cette stratégie d’enquête et obligeait les sportifs à construire des connaissances sur un nombre limité d’hypothèses. Ces recherches ont mis en exergue les diverses focalisations internes et/ou externes des sportifs au cours de leurs interactions avec le milieu. Haw a montré que la phase d’atterrissage des skieurs freestyle n’était pas le résultat univoque de la dernière phase du saut, mais bien d’un ensemble des phases que l’acteur mobilise in situ, de façon à s’adapter au terrain. Ainsi, les athlètes améliorent leurs connaissances du milieu et de leur saut étape par étape lors de l’action et adaptent la rotation aux modifications qu’ils perçoivent à chaque instant. En d’autres termes, le saut du skieur est accompagné par un ensemble d’ajustements

44 et de perceptions que l’analyse a révélé. Non conscientisées, ces phases du saut ne faisaient pas l’objet d’une attention particulière de la part des entraineurs et sportifs (Hauw, Renault, & Durand, 2008). Cette complexité perceptive a été explicitée en trampoline chez des athlètes de haut niveau. Il a été pointé l’utilisation de différents modes d’organisation sur une même figure entre les athlètes qui « perçoivent des nuances infimes et subtiles dans les façons d’entrer en contact avec la toile ou de décoller » (Hauw, Bardy, & Jarrys, 2003 ; Hauw, Berthelot, & Durand, 2003). Les coureurs de demi-fond sont constamment pris dans des conflits vécus entre des « représentations extrinsèques » (i.e. informations chronométriques, venant de l’entraineur, des concurrents, des partenaires...) et des « représentations intrinsèques » (sensations musculaires, aisance, etc.). L’évaluation que l’acteur opère sur la base de ces deux types de connaissances a tantôt constitué une aide, tantôt été la source d’une fatigue supplémentaire. L’auteur pointe également la nature collective de la course puisque concurrents et partenaires constituent des représentations extrinsèques sur lesquels le sportif appuie constamment ses propres représentations avec des conséquences directes sur sa performance (Berteloot, Trohel, & Sève, 2010).

Bertrand Donzé et Marc Durand, dans une étude non publiée sur l’auto-entrainement de grimpeurs, sont parvenus à des conclusions analogues quant à l’antagonisme des préoccupations des athlètes (Donzé & Durand, 1997). Sur la base d’observations lors des entrainements et d’autoconfrontations de grimpeurs membres de l’équipe de France, les auteurs pointent des dysfonctionnements dans l’organisation et la gestion des séances. Ces dernières « confrontent le grimpeur à deux systèmes de contraintes en interaction, parfois contradictoires : les principes d'efficacité, et l'état de forme physique et mentale du grimpeur » (Ibid., p. 90).

Les temps de repos sont ainsi parasités par une attention accrue du grimpeur sur des repères

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