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et de la méthode au sein de l’activité escalade

3. L’émergence d’une nouvelle complexité pour déterminer la méthode

3.1. Ouvertures et prises d’escalade : une nouvelle complexité pour déterminer la méthode

Lors des premières compétitions en structure artificielle d’escalade (SAE), les ouvreurs devaient non seulement construire un itinéraire permettant le classement des athlètes, mais également fabriquer les prises d’escalade. À l’origine, les ouvreurs officiaient pour leurs propres entrainements sur des « pans » construits par leur soin. Les premières sources d’inspirations, quant à la gestuelle réalisée, provenaient du milieu naturel. Pour beaucoup, il s’agissait de reproduire à l’identique les prises et la gestuelle du bloc ou de la voie naturelle en cours de travail, de façon à réaliser un entrainement spécifique pour performer en milieu naturel, but premier de ces ouvertures.

À l’origine, en France, les SAE étaient très proches du rocher : on parlait de « copy rock ». Ces SAE proposaient des fonds de plaques parsemées de prises inamovibles, puisque directement moulées dans la masse avec des formes de rochers typiquement rencontrés en falaise, sur lesquelles étaient vissées d’autres prises, essentiellement de petite taille, elles aussi inspirées du rocher. Certains « copy rock » étaient à ce point sculptés, qu’ils limitaient grandement la diversité d’ouverture des voies et l’équité du « à vue » en compétition. Le « copy rock » n’est plus utilisé aujourd’hui et le design des prises est parfois aux antipodes de ce qu’il est possible de trouver en milieu naturel. L’instauration du bloc dans les années 1990 s’accompagnait d’une recherche très prononcée de la difficulté. Les premières compétitions

23 de bloc indoor, à l’instar des compétitions de voies, proposaient des ouvertures orientées sur une escalade classique sur petites prises. L’escalade favorisait des placements de corps orientés sur la souplesse et la force. Jacky Godoffe, interviewé par le journal Libération, dira que « L’escalade était très lente et très ennuyeuse à ce moment-là et je me souviens d'une image très révélatrice faite par un journaliste : c'était aussi intéressant à regarder que de la peinture qui sèche »29. (Chambre, 2015)

Une évolution majeure des ouvertures dès les années 1990, a permis de limiter cette lenteur dans l’ascension. Celle-ci consiste à ne plus aménager des repos totaux 30 trop confortables, permettant aux grimpeurs de lâcher les deux mains au cours de l’ascension31. Sans être totalement écartées, ces particularités propres aux prémices de la compétition ont laissé place aux dévers, macro-prises32 et volumes33. Se dessine une identité singulière de la discipline du bloc. Il s’agit autant de favoriser un effort court et intense, qu’une gestuelle atypique, au demeurant presque impossible à trouver en milieu naturel.

Caractérisée dans un premier temps par des « run and jump », ce style d’escalade se formalise aussi autour de gestuelles quasiment inexistantes dans les autres disciplines telles que les « skates », les doubles et triples jetés autrement nommés « pif-paf ». On observe une volonté de valoriser des habilitées relatives à la coordination, l’explosivité, l’équilibre, tout en gardant l’utilisation de volumes, qui permis de complexifier la lecture par la multitude de préhensions possibles qu’ils proposent. Florian Escoffier, ouvreur international, explique que les volumes :

« (…) ça apporte énormément de gestuelle et de diversité dans les mouvements et surtout beaucoup plus de réflexion pour les grimpeurs. (…) On joue beaucoup avec ce type de préhensions (les modules) pour que ça ne soit pas donné, que les compétiteurs ne sachent pas tout de suite ce qu’il faut faire pour aller en haut. (…) » (Interview Escoffier, 2015)

Ce faisant, l’exploration de la méthode semble être complexe, comme l’explique Fanny Gibert (championne de France séniore 2017, 2018, 2019) à propos des Blocs n°1 et n°3 de la finale des championnats de France 2017.

29http://www.lavoixdunord.fr/46608/article/2016-09-18/mondiaux-d-escalade-l-incroyable-ascension-de-la-grimpe

30 Un repos total consiste pour le grimpeur à trouver un placement lui permettant de lâcher les deux mains. Il y a des repos totaux plus ou moins confortable. Par exemple, coincer les deux genoux dans une prise placée dans un toit et moins confortable que le placement en écart d’un grimpeur dans un dièdre.

31 Trop axé sur le développement de la force, traumatisants pour les doigts des grimpeurs et pas assez spectaculaire, les repos totaux, les dalles, les réglettes ne permettaient plus de classer les athlètes convenablement.

32 Une macro-prise est une prise en résine ou polyuréthane permettant de multiples préhensions.

24 L’athlète est en difficulté pour identifier les détails nécessaires à l’ascension.

« on avait lu super longtemps avant, donc on ne se rappelait pas de tous les détails, il y avait beaucoup de prises, il y avait du grain, mais pas sur toutes les faces de chaque volume ». (Interview, Gibert & Levier, 2017)

Est également pointé par la grimpeuse, la composante fine de la méthode comme le montre l’extrait suivant :

« (…) Parfois ça se joue à un petit centimètre, un petit positionnement et tu ne vois pas le truc donc ça

ne passe pas. Je ne trouve pas la méthode et je pense que je n’étais pas très loin de trouver (…) ». « Je fais un premier essai vraiment pas mal, mais là-haut c’était glissant et je n’ai pas su trouver une

position suffisamment confortable pour aller doucement à la dernière prise qui n’était pas bonne

donc on ne pouvait pas se précipiter. Du coup, je fais le choix de me reposer beaucoup en prenant le sac à pof pour que ça pouiffe moins là-haut (…). Là-haut je pense que je n’étais pas loin de trouver le

calage, mais ça se joue à des micro-mètres ». (Interview, Gibert & Levier, 2017)

Il est question pour la grimpeuse d’identifier « des petits centimètres », « petits-positionnements », « calages », relatifs à une cinétique du mouvement : « y aller doucement ». Ces qualificatifs laissent présager des explorations complexes à élaborer, à signifier et à étiqueter à l’œil nu impliquant un hiatus potentiel avec un observateur, et plus spécifiquement pour ce qui intéresse cette thèse, avec l’entraineur.

Ce hiatus entre l’observation du coach et le ressenti du grimpeur est étayé par C. Thi Nguyen (2017) au sujet d’un bloc aux USA dans lequel « (…) l’équilibre minuscule dépend du maintien de la tension du corps, du contrôle du centre de gravité et de la progression lente autour de celui-ci, avec un soin minutieux ». Dans cette ascension particulière, même un grimpeur expert ne parvient pas à comprendre ce que vit le grimpeur : « tous ces mouvements internes fascinants sont invisibles à l'œil extérieur. L'esthétique du mouvement, ici, est réservée au grimpeur » (Nguyen, 2017, p. 3)

Cette complexité des blocs proposés aux athlètes semble également le fait d’une prise en compte progressive du temps d’ascension. La prise en compte du temps est aujourd’hui utilisée à des fins, 1) réglementaire, puisqu’il est question aujourd’hui de limiter le temps d’ascension des grimpeurs, et 2) comme critère d’efficacité dans la mesure où le vocable se rapportant au temps est régulièrement utilisé pour qualifier une prestation. Aussi, la complexité de la méthode serait également tenue par le concept de temps et les vocables s’y rapportant.

Se pose la question de savoir comment s’effectue cette identification des trajectoires utiles sur chaque passage, autant que de savoir comment l’enchaînement des mouvements

25 efficaces se stabilise. Ces interrogations se posent tout d’abord du point de vue ordinaire au travers des concepts quotidiens de « lecture » et de « méthode ». Dans le cadre de notre démarche technologique, il nous semblait intéressant de recourir à un système d’aide à l’observation de « ce petit centimètre » dont parle Fanny Gibert.

Synthèse

La complexité des itinéraires proposés en bloc s’est considérablement accrue ces 15 dernières années. L’utilisation de prises d’un nouveau genre ainsi que l’élaboration d’un style d’escalade orienté sur l’équilibre et la coordination ont eu pour conséquence de complexifier l’identification de la méthode lors de la lecture. Ce faisant, l’exploration de la méthode semble être davantage orientée lors de la phase d’ascension. Au cours de cette phase, il est question pour le grimpeur d’identifier un nombre conséquent de placements, de sensations, plus ou moins microscopiques. Ce faisant, il est possible que l’élaboration intuitive de la méthode, autant que l’étiquetage de sensations par le grimpeur fassent l’objet d’un hiatus avec un observateur, et plus spécifiquement pour ce qui intéresse cette thèse, avec l’entraineur.

3.2. La vitesse comme discipline ou comme paramètre d’efficacité

La prise en compte du temps est devenue une contrainte avec laquelle les athlètes et entraineurs doivent compter, non plus uniquement dans la discipline de vitesse, mais aussi dans le bloc et la difficulté. Dans ces deux disciplines, l’athlète doit valider l’ascension dans un temps imparti. Modifié en prévision des Jeux olympiques, le temps d’ascension en difficulté passe de 8 à 6 minutes. En bloc, ce temps passe de 4 minutes majorées du temps du dernier essai, à 4 minutes sèches. Si le grimpeur n’a pas les deux mains posées sur la prise finale à l’issue du temps décompté en bloc, ou mousquetonné la dernière dégaine en difficulté, le juge interrompt l’ascension. En difficulté, la vitesse d’ascension est devenue un critère de classement lorsque les grimpeurs sont à égalité à l’issue des finales, ce qui permet d’éviter d’organiser une « super finale »34. Ces modifications du règlement ont des conséquences nouvelles sur les tactiques d’ascension des grimpeurs. Les accélérations au

34 Une super finale est une voie supplémentaire imposée aux grimpeurs lorsque ceux-ci sont à égalité à l’issue de la finale.

26 cours de l’ascension n’ont plus pour unique mobile de faciliter un passage, par le franchissement rapide d’une section jugée épuisante par exemple. Réduire le temps d’ascension en voie peut permettre un meilleur classement, ce qui n’est pas le cas en bloc. Cela dit, le temps limité pour valider le bloc conduit aussi les athlètes à réaliser des accélérations. Le jeune Iliann Chérif est ainsi devenu champion de France minime de bloc, en 2017, en réalisant ce type d’accélérations pour valider son troisième bloc de finale. Le temps est donc devenu une variable avec laquelle les athlètes doivent compter dans les trois disciplines. Ce point commun permet de poser l’hypothèse d’un pont en termes d’entrainement à la vitesse pour les deux disciplines phares que sont le bloc et la difficulté. La confirmation de cette hypothèse serait un argument supplémentaire pour légitimer 1) la vitesse comme critère d’entrainement fécond et 2) la vitesse comme discipline.

Malgré la résistance de la communauté à considérer cette discipline, la prise en compte du temps fait partie de l’escalade et de l’alpinisme depuis toujours, et dépasse largement la dichotomie indoor / outdoor, ou pratique compétitive / non compétitive. Aussi, les premières compétitions modernes organisées, étaient des compétitions de vitesse. La filiation historique de l’escalade et de l’alpinisme amène à considérer qu’un itinéraire d’alpinisme en montagne porte le nom de « course en montagne ». Le mot « course » est employé pour caractériser la notion de vitesse d’ascension, qui permet d’éviter de se confronter à une météo capricieuse. À la description de l’itinéraire, les topos d’alpinisme ajoutent une durée d’ascension que les alpinistes tentent de ne pas dépasser. La filiation de l’escalade avec la vitesse est également observable en falaise. La voie du Nose à El Capitan est le théâtre d’une compétition de vitesse depuis quelque 35 ans. Cette voie est en effet marquée de plusieurs records de vitesse aujourd’hui détenu par Alex Honnold et Tommy Caldwell en 1 heure 58 minutes 7 secondes. L’entrainement des athlètes consiste à réaliser l’itinéraire à de multiples reprises et non à faire face à un environnement changeant. Aussi, la vitesse ou les variations de celle-ci recouvrent des différences importantes aujourd’hui en escalade. Ainsi, la vitesse n’est pas incarnée de façon identique par Alex Honnold, pour gravir les quelque 1000 mètres du Nose, par le champion junior des USA 2018, Jordan Fishman, pour gravir la voie de vitesse homologuée, par le jeune Iliann Chérif pour valider un bloc de finale, ou par Romain Desgranges, en voie, pour faire la différence entre compétiteurs ex aequo. Pour Jean-Baptiste Tribout, grimpeur emblématique des années 1980, la vitesse d’ascension est une marque stylistique propre à une nouvelle génération de grimpeurs. Il parle ainsi d’une performance de Adam Ondra (Super Plafond, 8c+, 1992, Volx) « (…) ces grimpeurs actuels posent mieux les pieds que nous, sont

27 plus rapides, plus forts physiquement et surtout avancent avec une fluidité énorme qui leur permet d’enchainer, en sautant aussi beaucoup de points, des difficultés impossibles à faire en grimpant au rythme de notre époque ». (Interview de J.B. Tribout, Jurjon, 2015).

Les rythmes d’ascensions de Adam Ondra et Margo Hayes avaient d’ailleurs fait l’objet d’une présentation de la part de Eric Hörst lors du congrès de l’IRCRA en 2018. L’auteur avait ainsi étiqueté des ressemblances fortes dans les variations de rythmes d’ascension des deux protagonistes, relatives, d’après lui, aux systèmes énergétiques engagés dans ce type d’effort.

Synthèse

Le temps d’ascension est devenu un critère avec lequel les grimpeurs doivent compter en compétition. Force est de constater que l’exploration s’est complexifiée du fait 1) de la réduction de ce temps en compétition, mais également de sa prise en compte dans les ascensions en milieu naturel et 2) des styles d’ouvertures orientées sur des mouvements, dynamiques ou en équilibre, précaires.

4. Vers une prédéfinition de l’objet d’étude autour de la lecture et de la

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