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composantes exploratoires de la méthode chez les grimpeurs Ce chapitre est organisé en 3 sections. La première section consiste à expliciter la

2. Les composantes de la méthode

2.1. Les composantes de la méthode comme objet d’étude scientifique

L’activité de grimper engage le grimpeur dans une recherche d’équilibre postural, au cours de laquelle il cherche à atteindre un sommet grâce à des prises sur lesquelles il exerce des forces afin de déplacer son corps dans l’espace et notamment sur l’axe vertical. Rougier et Blanchi ont été les premiers chercheurs à utiliser des prises instrumentées de capteurs de force pour étudier les stratégies d’équilibration chez les grimpeurs (Rougier, Billat, Merlin, & Blanchi, 1991 ; Rougier & Blanchi, 1992a). Le centre de masse du grimpeur sur un mur vertical est en dehors de la base de sustentation, ce qui implique un déséquilibre (Quaine & Martin, 1999). Pour compenser le moment du poids du corps autour des prises de pieds, le grimpeur applique des forces au niveau des prises, tenus par les mains et réduit le moment de rotation en rapprochant son centre de masse du mur, tantôt en position « grenouille » tantôt en position de « profil ».

En d’autres termes, le grimpeur a deux possibilités pour lutter contre les deux forces précédemment explicitées : 1) la force musculaire des fléchisseurs des doigts et 2) le positionnement du corps permettant a) de partager les forces entre les préhensions et appuis de pieds et b) de limiter ces forces exercées sur les mains en distribuant le poids de corps davantage sur les pieds (Quaine, Martin, & Blanchi, 1997; Rougier & Blanchi, 1992a) Sur les murs déversants, la force normale est davantage assumée par les mains alors que sur les murs verticaux cette force est davantage assumée par les pieds chez des grimpeurs experts (Noé, Quaine, & Martin, 2001). L’inclinaison du support induit chez les grimpeurs experts des postures leur permettant de répartir les forces entre les membres, de façon à minimiser les forces exercées sur les mains. La force est considérée comme un facteur de performance essentiel (Magiera et al., 2013). Les experts ont davantage de force que les non grimpeurs, quel que soit le type de préhensions utilisées (Quaine, Vigouroux, & Martin, 2003 ; Vigouroux & Quaine, 2006), mais des différences interindividuelles existent quant à la

32 capacité à maintenir un niveau de force élevé durant une tâche fatigante. Une étude, consistant à tester la force des grimpeurs experts lors d’un exercice intermittent de contraction maximale volontaire des fléchisseurs des doigts sur une prise de 3 cm, montre des différences individuelles chez les grimpeurs (Seifert, Wolf, & Andreas, 2017, p. 137 ; Vigouroux & Quaine, 2006). Ces profils de force sont tantôt orientés sur un style typé « force », tantôt orienté sur un style typé « endurance de force ». Dans le premier cas, le grimpeur est en mesure de produire une quantité de force importante, mais rencontre des difficultés pour la maintenir dans le temps. Dans l’autre, la production de force est moins conséquente, mais le grimpeur parvient à maintenir ce niveau de force plus longtemps. Les auteurs en concluent que ces différents profils de capacité de production de force et d’endurance de force sont relatifs au type de fibres musculaires qui composent le muscle du grimpeur et invitent les entraineurs à adopter des programmes d’entrainement adaptés à ces profils (Seifert, Wolf, et al., 2017, p. 142 ; Vigouroux & Quaine, 2006). Pour exercer cette force sur les prises, les grimpeurs usent de trois grands types de préhensions : arquée, tendu, et semi-arquée. Le type de préhension engage des modifications dans la répartition des forces entre les doigts de la main. Une position en tendu organise les forces sur les doigts de façon plus équilibrée que la position en arquée au cours de laquelle les doigts les plus forts, le majeur et l’annulaire, supportent l’essentiel des forces (Seifert, Wolf, et al., 2017, p. 133). La force supérieure de ces deux doigts ainsi que l’équilibre du poignet qu’ils procurent expliquent pourquoi les grimpeurs en usent préférentiellement lorsqu’ils utilisent des bi-doigts, prises dans lesquelles seuls deux doigts peuvent entrer. Ordinairement, la préhension en arqué est considérée comme plus sûre et permet de générer plus de force que les deux autres types de préhensions. Les performances de force enregistrées varient en fonction de la taille des prises et des types de préhension utilisés. Plus la taille de la prise diminue, plus la force déployée par le grimpeur est élevée, quelles que soient les méthodes de saisie de prise utilisées (tendu, arquée, semi-arquée). Amca en conclut qu’il n’y a pas d’avantages biomécaniques dans l’utilisation d’un type de préhension sur une prise d’un centimètre d’épaisseur, et que la préhension optimale dépend des spécificités des prises utilisées (Amca, Vigouroux, Aritan, & Berton, 2012). Pour le grimpeur, l’avantage d’utiliser un type de préhension semi-arquée ou arquée est de favoriser une orientation antéro-postérieure de la force, permettant au grimpeur de rester davantage près du mur ou de s’y maintenir (Ibid.). L’usage du pouce, par contre, lors de la position arquée améliore les performances en termes de force déployée (Quaine, Vigouroux, Paclet, & Colloud, 2011) et favorise l’équilibre du poignet.

33 Ces recherches expliquent pourquoi les grimpeurs usent de plusieurs types de préhensions et comment ces préhensions leur permettent des ajustements moteurs lors de l’ascension.

Ces points communs dans l’usage et les forces requises par les différents types de préhensions sur différents supports ne préfigurent pas une utilisation commune des techniques de saisie et de la force déployée par les grimpeurs pour les utiliser. Les préhensions mesurées dans ces études peuvent ainsi être relativement éloignées des circonstances réelles de l’activité dans la mesure où les préhensions mixtes sont courantes (par exemple le majeur en arquée, les autres doigts en tendu). À l’aide d’une prise instrumentée, Fuss et al. (2006, 2008) ont étudié les cinétiques de force exercées par les grimpeurs en situation écologique lors de trois protocoles. Le premier protocole s’est déroulé lors d’une compétition nationale (demi-finale homme), le deuxième lors d’une coupe du monde (quart de finale femme) à Singapour en aout 2002, et le troisième lors d’un entrainement avec trois grimpeurs de niveau 5b, 5c, 6c. Les résultats montrent que plus le grimpeur a un classement élevé plus l'impulsion est faible dû à une force et à un temps de contact plus faibles. Plus l’impulsion sera importante, plus le muscle se fatiguera, dû à des niveaux de force élevés et/ou des temps élevés d’application de la force. Pour cette raison les auteurs estiment qu’une escalade rapide correspond à une escalade efficiente (Legreneur, 2017).

Cependant, la cinématique de la force est également un paramètre important de la performance en escalade. La notion de « smoothness » (délicatesse) fait référence à la capacité des grimpeurs à exercer une force progressive sur la prise, (Fuss & Niegl, 2006 ; Lechner, Filzwieser, Lieschnegg, & Sammer, 2013). Bien que les experts profitent d’une force supérieure aux moins expérimentés (Cutis & Bollen, 1993 ; Franck Quaine et al.,.2003), celle-ci est utilisée de façon plus économique lors d’un mouvement (Fuss & Niegl, 2006). Pour produire cette force, les athlètes usent d’ajustements moteurs leur permettant d’user des prises de façon à maximiser une force de friction. Celle-ci n’est pas uniquement dépendante du placement de la main sur la prise, mais d’une gestuelle qui consiste à garder le centre de masse près du mur (Franck Quaine et al., 1997 ; Rougier & Blanchi, 1992b).

Afin de mieux comprendre cette cinétique de force, (Fuss & Niegl, 2006) nous pouvons décrire trois phases chronologiques d’une tenue de prise. La phase de « set up » (organisation) correspond à une exploration haptique pour positionner les doigts le plus adéquatement possible. La phase « crank » (levier) correspond au moment où le centre de gravité se déplace. La phase « lock off » (verrouillage) correspond au moment où le poids de corps change de prise. La phase de « set-up » est presque inexistante chez les grimpeurs classés au-dessus de la

34 cinquantième place lors de la compétition (protocole 2). Ce résultat induit que les grimpeurs concernés disposent d’une capacité à comprendre comment saisir la prise lors de l’exploration visuelle et ainsi exercer une force plus adéquate.

Malgré la qualité des informations fournie par les prises instrumentées et les progrès technologiques réalisés dans leur conception, la mise en place de ce matériel rencontre plusieurs inconvénients. D’une part, les informations étudiées ne sont relatives qu’à l’emplacement précis de la ou des prises placées sur le mur, limitant ainsi la description cinétique du grimpeur à la seule, ou aux seules, prise(s) utilisée(s). Du point de vue de l’énergie dépensée, un surplus de serrage sur une prise peut être compensé par le grimpeur, par de multiples repos par exemple (Fryer et al., 2012). Ce matériel ne peut décrire l’activité du grimpeur sur l’ensemble de l’itinéraire, or une tenue de prise est également tributaire de la gestuelle /posture qui lui fait suite ou qui la précède (Bourdin et al, 1999 ; Nougier, Orliaguet, & Martin, 1993). D’autre part, il ne peut être utilisé sur les macro-prises ou volumes (type de prises fréquemment présentes sur les compétitions), car ce type de prises propose plusieurs préhensions possibles que le matériel électronique existant ne permet pas de mesurer. Enfin, l’activité de grimper ne se limite évidemment pas à la saisie de prises. Les études portant sur la cinétique des grimpeurs permettent d’exploiter des données portant sur l’ensemble d’une ascension. Patrick Cordier est le premier à décrire la complexité et l’optimisation gestuelle de grimpeurs sur l’ensemble d’un itinéraire (Cordier, Mendés France, Bolon, & Pailhous, 1993). Le chercheur a reconstruit en deux dimensions le parcours réalisé par le centre de masse d’un grimpeur en milieu naturel, à l’aide de l’indice géométrique d’entropie. Cet indice permet de reconstruire l’enveloppe de déplacement du centre de masse du sportif en deux dimensions. Les résultats montrent que, lors de conditions « à vue », l’escalade des grimpeurs moins expérimentés est davantage entrecoupée de phases statiques que l’auteur nomme des « nœuds » (Cordier, Mendés France, Pailhous, & Bolon, 1994 ; Cordier et al., 1993). Ces temps d’arrêt sont considérés comme consommateurs d’énergie (Billat, Palleja, Charlaix, Rizzardo, & Janel, 1995), et de forces (Fuss & Niegl, 2008) pour le grimpeur. De ce point de vue, l’indice géométrique d’entropie exprime la dépense énergétique des grimpeurs (Watts, 2013). Pour autant, l’entropie ne décrit pas les mouvements antéro-postérieurs du grimpeur et ne prend pas en compte l’aspect temporel de l’ascension (Seifert, Orth, et al., 2014,). Comme le note l’auteur, « Les mesures d'entropie ne considèrent pas la manière dont cette trajectoire est réalisée. Par conséquent, lorsqu'un grimpeur marque une pause dans le but de rechercher un itinéraire ou de régler sa posture, cela n'est pas pris en compte par l'index d'entropie

35 géométrique » (Seifert, Orth, et al., 2014, p. 1). Pour pallier ce problème, plusieurs chercheurs ont étudié les mouvements du grimpeur en trois dimensions à l’aide de centrales inertielles. En partant du postulat selon lequel la réduction des moments statiques permet une meilleure fluidité, source d’économie d’énergie, ces chercheurs usent d’indicateurs spatio-temporels dont ils tirent un coefficient de saccade, le JERK. Celui-ci est calculé à partir de la courbe de la dérivée de l’accélération par le temps. L’accélération d’un système étant dépendant de la force exercée sur lui et de sa masse, les variations d’accélération dans le temps (valeur de la dérivée de l’accélération) rendent ainsi compte en escalade des variations de force exercée sur les prises d’un point de vue macroscopique (rate of force development, RFD). Le JERK a ainsi été corrélé avec la performance en compétition (Ladha, Hammerla, Olivier, & Plötz, 2013), au niveau d’expertise des grimpeurs (Pansiot, King, McIlwraith, Lo, & Yang, 2008), et à la complexité des préhensions (Seifert et al., 2014).

Tout comme l’indice géométrique d’entropie, le JERK, qui représente le taux de variation de force, décroit avec la répétition de la voie (Hacques, Komar, Bourbousson, & Seifert, 2018 ; Seifert et al., 2014). Ce fait traduit selon les auteurs la capacité des grimpeurs à identifier les caractéristiques fonctionnelles des prises lors de phase d’exploration. Au fil des répétitions, ces phases d’explorations diminuent, ce qui permet aux acteurs de minimiser les saccades qui y sont associées. Cette phase d’exploration n’est pas exclusivement synchrone. Elle est également le fait d’une observation de l’itinéraire (la lecture) prospective à l’ascension. La nature de cette lecture a une incidence sur la fluidité des grimpeurs (Sanchez, Lambert, Jones, & Llewellyn, 2012 ; Seifert, Cordier, Orth, Courtine, & Croft, 2017). Les grimpeurs moins expérimentés compensent leur manque d’habileté lors de la lecture prospective par la réalisation de multiples arrêts au cours de l’ascension de façon à saisir les informations de l’itinéraire. Ce point est l’objet de la prochaine section.

36 Synthèse

Conformément à la pré-délimitation de notre objet d’étude portant sur l’exploration de la méthode, nous avons souhaité comprendre les composantes de celle-ci d’un point de vue scientifique. Cette première section nous a permis de discerner un certain nombre d’activités réalisées par les grimpeurs lors d’un déplacement quadrupédique.

L’ascension nécessite de produire des forces sur les prises et de réaliser des ajustements posturaux afin de maintenir son équilibre en fonction de l’inclinaison du mur. La force constitue un facteur essentiel dans la performance en escalade, mais la production adéquate de celle-ci est liée au niveau d’expertise et aux types de prises tenues par le grimpeur. La cinétique des forces exercées sur les prises ainsi que la prise en compte globale d’une ascension par l’utilisation de l’indice géométrique d’entropie et le JERK ont permis d’identifier des régularités propres au niveau d’expertise des grimpeurs. Les grimpeurs expérimentés réduisent la quantité de force exercée sur les prises et réalisent des ascensions plus fluides que les grimpeurs moins expérimentés. Ces résultats attestent de la capacité des grimpeurs expérimentés à identifier comment saisir les prises pour produire des gestuelles et des forces adaptées.

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