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de la méthode et de la lecture par l’entraineur en escalade

1. Concevoir la lecture et la méthode comme des jeux de langages

L’escalade de bloc « à vue » se caractérise par une forte indétermination relative à la qualité des prises, leur taille, leur positionnement et à la difficulté gestuelle nécessaire pour leur exploitation. Au-delà des modalités de préhension, les erreurs d’ascension commises dans la séquence des saisies et des appuis, dans la vitesse et le rythme des mouvements et déplacements peuvent engendrer l’échec d’un essai à vue. La préparation de l’ascension, notamment lorsque le grimpeur est « à vue » ou lorsqu’il a un nombre d’essais limités (en compétition), joue donc un rôle crucial dans la performance. Dans la pratique ordinaire, les grimpeurs découpent cette activité de préparation en deux phases. La première est une étape de préparation de l’ascension composée de deux activités. L’activité de « lecture » : elle consiste à observer le bloc le plus finement possible. L’activité de définition « d’une méthode » : elle consiste en une activité fictionnelle d’imagination des mouvements et des

100 préhensions à réaliser pour réussir l’ascension que le grimpeur déploie en amont et en aval de chaque essai. La deuxième phase correspond à « l’essai » proprement dit, durant lequel l’acteur réalise une tentative d’ascension. Suite à cela, le grimpeur qui n’aura pas réussi son « essai à vue », engage une série d’essais supplémentaires alternant, selon l’usage ordinaire des règles énoncées, des phases de préparation et d’essai de nouvelles méthodes imaginées. Sans doute en rapport avec l’importance cruciale de la phase de lecture, en termes d’anticipation de l’intensité de l’ascension, les entraineurs et les grimpeurs développent souvent une conception de l’activité d’exploration d’un bloc fondée sur une « rationalité forte » : le grimpeur doit d’abord prévoir ce qu’il peut réaliser puis l’exécuter à la lettre. Il procède ainsi à une série d’essais qu’il considère comme fortement planifiés, lui permettant d’expérimenter et rectifier des méthodes alternatives, jusqu’à ce qu’il parvienne à valider son bloc et à stabiliser « LA » méthode40.

Au sein du cadre conceptuel que nous retenons, la consistance de cette conception est mise à l’épreuve (Protocole 1), puis fait l’objet d’un étayage (Protocole 2) ancré sur les résultats d’analyse de l’activité d’exploration et ascension d’un bloc.

Au sein du Protocole 1, le concept ordinaire de lecture tel que défini ci-dessus a été formalisé comme une activité prospective de déchiffrage de l’itinéraire à suivre, ainsi que des prises à saisir, précédant bien souvent chaque essai (lecture prospective). Le concept de méthode a été défini comme une activité d’imagination (également prospective) des mouvements et préhensions à réaliser ou de rectification (rétrospective) de ceux-ci.

Au plan conceptuel cette définition doit être complétée, car la distinction « lecture » / « méthode » se révèle fragile dès l’observation macroscopique des activités réalisées par les grimpeurs in situ. En effet, une partie de la méthode est définie lors de l’activité de lecture et une partie de la lecture est rendue possible par l’existence de méthodes qui sont soit antérieures au premier essai, soit postérieures à celui-ci, inspirées des différents essais et de la connaissance de l’itinéraire. De fait, ces concepts renvoient à des activités qui ne sont ni étanches, ni séquentielles, mais bel et bien interdépendantes et interpénétrées au fil de l’activité d’exploration / ascension d’un bloc à vue.

40 Au passage, il est important de dire que c’est à partir de cette méthode et de la difficulté de son exécution, que le grimpeur propose une « cotation du bloc » à la communauté. Cette cotation est ensuite rectifiée ou confirmée par le collectif des grimpeurs ayant réussi l’ascension (avec la même méthode ou une autre).

101 On constate au moins deux activités interdépendantes qui sont peu formalisées ordinairement et qui complexifient la conception présentée ci-dessus. Une activité de lecture réalisée pendant l’essai même (synchrone) et une activité d’imagination de la méthode couplée à cette lecture (synchrone) permettant de suivre un itinéraire en rapport avec des informations prélevées et des connaissances construites au cours de l’ascension elle-même.

La fragilité d’une conception binaire de l’exploration-ascension d’un bloc est probablement due au fait qu’elle hypertrophie les situations dialogiques (entre entraineur et athlète) ou monologiques, au cours desquelles il est possible de (se) rendre compte (à soi-même) à autrui des caractéristiques de l’itinéraire et/ou des mouvements et préhensions à réaliser. Redéfinies à partir du cadre conceptuel qui est le nôtre, on dira que ces règles ordinaires renvoient à un jeu de langage spécifique, permettant aux grimpeurs et aux entraineurs de parler ou se représenter des étapes d’exploration d’un bloc et de son ascension. En deçà de cette « appréhension » de l’expérience, ces règles ne s’appliquent pas à l’activité située d’exploration et d’ascension du bloc proprement dites. Cette activité est « gouvernée » par d’autres règles et renvoie à un autre jeu de langage qui ne nécessite pas que l’expérience soit « appréhendée » délibérément au cours d’un récit (auto)adressé. En effet, si le premier jeu de langage est clairement un jeu dialogique, réflexif, d’énonciation de la téléologie de l’action du grimpeur, le second est un jeu de langage pratique, de réalisation d’actions réglées ne nécessitant pas de description réflexive et dialogique.

Vu avec les concepts du cadre théorique mobilisé, ce deuxième jeu de langage a une autonomie forte au regard du premier et renvoie à un régime de « rationalité faible ».

En effet, la lecture de l’itinéraire renvoie à la mobilisation « d’attentes », fondées sur des échantillons d’expériences passées ayant un air de famille avec la situation présente. Ce qui dans d’autres cadres conceptuels renverrait à l’idée d’affordance (Seifert & Davids, 2017) ou de « référentiel » de connaissances antérieures (Saury & Durand, 1998 ; Saury et al., 2002), se rapporte ici au concept « d’échantillon » ou de signification d’une règle, permettant à l’acteur de percevoir son expérience actuelle sous une certaine description (Pastorini, 2010), sans référence à des représentations symboliques ou à des formulations langagières (Taylor, 1995). À ce niveau de mobilisation des attentes, en vue de pré-orienter l’action, c’est la méthode elle-même qui est la principale condition de possibilité de réalisation de la lecture de l’itinéraire. C’est le souvenir de l’action passée, le rapatriement d’un échantillon d’expérience vécue, ayant un air de famille avec les circonstances actuelles, qui constituent alors les ressources pour la délibération présente.

102 À ce niveau d’activité, lecture et méthode se révèlent donc consubstantielles et synchrones, ce qui en fait un « objet » insaisissable pour l’entraineur qui souhaite les étayer, comme pour le grimpeur qui voudrait en faire un objet de réflexivité pour en disposer à sa guise. Hors de portée des instructions de l’entraineur et « dans l’ombre de la conscience », pour le grimpeur, ces activités d’exploration et d’ascension du passage choisi se déroulent de façon autonome et inattendue, même lorsqu’on avait l’impression de les avoir prescrites ou anticipées.

Pour autant, l’étayage que l’entraineur apporte à l’athlète se réalise régulièrement avant et/ou après l’action et constitue le mode privilégié (et habituel) d’interaction en situation d’entrainement ou compétition. Tout en prenant les précautions d’usage dans la comparaison, il est possible de considérer que le problème technologique qui affecte cette modalité ordinaire d’interaction est, au moins d’un point de vue conceptuel, proche des difficultés qui affectent l’alternance en formation d’enseignants. Compte tenu de l’autonomie relative des circonstances de la formation réflexive et de l’action réglée, comment est-il possible de concevoir un étayage efficace pré/post actu à partir d’énoncés analytiques et d’un dialogue sur la performance ?

2. Concevoir l’entrainement comme l’accès aux règles de la pratique ou à la

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