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de la méthode et de la lecture par l’entraineur en escalade

4. Le contrôle et l’accompagnement des premiers suivis de règles

L’apprentissage ostensif se déroulant à un régime de réflexivité qui est de l’ordre de « l’appréhension de l’inhérence » relativement autonome de celui de l’action réglée, l’essentiel de la difficulté pour le chercheur-entraineur consiste à exercer un suivi réel de la règle conjointement élaborée pour s’assurer que 1) la méthode employée puisse être étalonnée le plus finement possible et 2) que les essais du grimpeur soient consistants avec les attentes construites au cours du dialogue et de l’étayage. En ce sens le chercheur-formateur se livre à une activité de contrôle (Nelson, 2008) de la conformité des premiers suivis de règles par le grimpeur, dont la principale fragilité est précisément d’être réalisée pré et/ou post actu. Le chercheur-formateur interroge l’acteur concernant ses sensations lui permettant de décrire son action et dresse un lien entre la description fournie de l’action observée à l’écran et les données du JERK. De son côté, le grimpeur interroge le chercheur-formateur sur ses incompréhensions. Au mieux, le chercheur-formateur peut intervenir oralement pendant l’action pour rappeler les consignes au grimpeur de façon synchrone en faisant irruption dans son activité d’exploration/ascension.

Le grimpeur participant à la conception des méthodes (ou règles) introduites dans le dispositif de formation aux côtés du chercheur-entraineur, il contribue à la formulation de l’instruction à suivre pendant l’action et à la genèse instrumentale même de l’artefact au sein d’un « espace d’action encouragée » (Durand, 2008).

Le développement de l’activité du grimpeur dans ce contexte nécessite une interprétation des règles codéfinies, c’est-à-dire une « substitution d’une expression de la règle à une autre »

106 (Cometti, 2004, §201). Cette substitution correspond à un usage « extensif » des règles ayant fait l’objet d’un enseignement « ostensif » (Chaliès, Bertone, Flavier, & Durand, 2008).

Compte tenu du fait que les experts disposent de significations déjà stabilisées de bon nombre des concepts énoncés permettant de désigner et juger des actions ou des faits observés, l’entreprise qui consiste à identifier l’émergence et suivre à la trace le développement d’une nouvelle interprétation (resignification de l’expérience passée) est un enjeu majeur du Protocole 2. Il s’agit ici de repérer les méthodes les plus efficientes du point de vue de la communauté de pratiques en correspondance avec les données accélérométriques. Cette démarche est soutenue par l’hypothèse que sous une certaine description les circonstances vécues « parlent » (ou ne sont pas « muettes ») et que s’ouvre pour l’apprenti la possibilité d’une explication nouvelle par les règles suivies (correctement ou incorrectement) et d’un contrôle conjoint des actions réalisées par la suite.

Un développement est ainsi constaté lorsque l’acteur agit conformément aux attentes conjointement élaborées avec le chercheur-formateur et qu’il est en mesure d’énoncer l’intention et l’étayage associés au suivi adéquat de la règle. Il est également constaté lors de l’utilisation par le grimpeur d’un jeu de langage ordinairement étranger. Cette activité d’interprétation et resignification de l’expérience peut être rapprochée du phénomène de développement du « pouvoir d’agir » par Clot (2008), dans le sens où l’actualisation de nouvelles attentes permet d’obtenir des résultats satisfaisants pour l’acteur. Tel que le définit Clot, « Le pouvoir d’agir peut (…) se développer si l’action dépassant les résultats escomptés par le sujet au travers même des buts accomplis débouche sur une situation inattendue : la découverte d’un nouveau but possible ignoré jusque-là (…) dont l’activité peut se saisir » (Clot, 2008, p.14). Dans notre vocabulaire, la réalisation d’une action indexée à une attente collectivement définie, engendre la découverte par l’acteur de circonstances nouvelles de suivi d’une règle et des résultats obtenus ce faisant. Ce développement de la signification de la règle suivie trouvant un écho dans le développement de l’action réglée correspondante, l’échantillon d’expérience construit devient pour le grimpeur en formation un instrument d’anticipation ou de signification rétrospective de ses ascensions.

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Chapitre 3. Vers une délimitation des hypothèses auxiliaires

Dans le cadre d’une étude relative à la recherche de méthodes chez des grimpeurs de blocs experts (Baux & Bertone, 2017) nous avons constaté que cette recherche peut être déclinée à deux niveaux d’activité située correspondant à deux « types » de méthodes : l’architecture globale de l’action, ou « macro-méthode » et les ajustements mineurs permettant de réussir chaque « mouvement », ou « micro-méthodes ».

L’observation des données montre que, chronologiquement, l’activité d’enquête des grimpeurs s’axe d’abord sur ce que nous avons nommé l’architecture globale de l’action ou macro-méthode puis, dans un deuxième temps, sur des micro-ajustements des saisies, du placement des pieds, des postures, etc. (Exemples de focalisation globale sur la macro-méthode : Jean-Michel : « je vois des prises et je m’engage avec parce que je me dis que je vais pouvoir faire quelques mouvements » ; Tristan : « pour le moment il faut que je règle le problème de la méthode le reste on verra après » ; « mon intention ici était d’aller chercher le bi-doigt »).

Les micro-ajustements font davantage (pas exclusivement) l’objet de réalisations peu conscientisées et rarement énoncées par les grimpeurs. Elles ont été formulées au cours des entretiens d’autoconfrontation à l’occasion du visionnage détaillé des essais réalisés (Tristan : « ici je gratouille parce que je ne sais pas trop comment me placer »).

Ces micro-ajustements sont rarement (voire pas) intégrés à la formulation réflexive de la méthode par les grimpeurs (ils ne font que peu l’objet d’attentes formulées).

Souvent considérés comme des allants de soi, les micro-ajustements ne sont pas identifiés dans les moments de formulation réflexive de leur méthode par les grimpeurs. Aussi, lorsque la méthode d’une section est jugée satisfaisante, l’optimisation de cette dernière par la convocation consciente des micro-ajustements réalisés n’est possible que dans des situations aménagées de visionnage des essais, comme en situation d’autoconfrontation. C’est de cette façon qu’il est possible d’interpréter provisoirement le fait couramment constaté que les grimpeurs se focalisent sur les sections du bloc où ils ont commis des erreurs ou qu’ils n’ont pas encore explorées.

La question de savoir comment l’échantillonnage des athlètes peut être alimenté par une connaissance plus détaillée de la cinématique du mouvement est posée au travers de

108 l’introduction d’un artéfact destiné à transformer la situation de recherche de méthode d’un athlète sur un bloc à vue en milieu naturel.

Plusieurs questions liées à cette hypothèse auxiliaire vont être examinées ci-après. - Comment les grimpeurs réalisent cette recherche d’itinéraire ?

- L’utilisation d’artefact décrivant la cinématique du mouvement métaphorisé par le chercheur permet-il aux grimpeurs d’échantillonner dans une phase réflexive plus précisément leur activité ?

- Si un nouvel échantillonnage a lieu, comment parvenir à en contrôler la mobilisation par les grimpeurs lors des essais ? Comment en constater le développement au fil des essais et lors du changement des circonstances d’ascension ?

Au plan conceptuel il est possible de modéliser les transformations que nous souhaitons apporter à cette situation ordinaire d’escalade, à partir de l’introduction d’un artefact symbolique (Norman, 1993) permettant de stimuler autrement les focalisations des grimpeurs pendant l’étape de formalisation réflexive de leurs méthodes. L’enjeu étant de leur faire percevoir et considérer des micro-ajustements réalisés (ou à réaliser) autour des macro-méthodes construites, l’artefact à introduire doit renseigner de façon métaphorique et compréhensible les athlètes sur leur motricité fine à partir de critères marquants en termes d’optimisation de la performance. Le critère retenu étant principalement le JERK (ou coefficient de changement d’accélération), il s’est agi d’introduire une mesure de ce coefficient au cours de la réalisation d’une performance et d’adresser aux grimpeurs les résultats de cette mesure entre deux essais. L’exploitation réflexive de ces données est susceptible d’introduire dans la formalisation réflexive des méthodes, des attentes en rapport avec des micro-ajustements d’ordinaire négligés par les grimpeurs.

Cette introduction pro/rétrospective d’informations cinématiques lors de l’anticipation / observation de chaque essai, doit permettre notamment de reconsidérer des actions et des sections de bloc qui, d’ordinaire, n’attirent pas ou plus l’attention des grimpeurs du fait qu’elles ont été déjà réalisées et (parfois partiellement) réussies.

Au plan théorique, dans notre vocabulaire, cet artéfact rapatrie l’idée générale selon laquelle un « signe » (qui est un artefact symbolique), est un instrument de contrôle de fonctions psychiques telles que la perception et l’attention. Le fait d’apprendre du protocole des

109 métaphores modélisant la cinématique de chaque essai, doit alimenter l’attention et la perception des grimpeurs41.

Nous formulons ainsi l’hypothèse technologique selon laquelle, en apprenant une règle énoncée par le chercheur (ici en position de formateur) qui formule de façon métaphorique les caractéristiques biomécaniques de la cinématique d’une ascension, l’athlète sera en mesure de resignifier dans un nouveau jeu de langage « extra-ordinaire » cette ascension et d’anticiper et juger son expérience future dans des circonstances changeantes.

Cette transformation doit alors se traduire dans les situations de formation engendrées par le protocole par :

1) Un ré-échantillonnage de l’action passée de l’athlète, mené sur la base de règles nouvelles est attendu. L’entrée par les connaissances de l’athlète n’étant cependant pas aisée il est probable qu’elle nécessite fréquemment une métaphorisation plus ou moins rigoureuse des données issues de l’artefact : ici des courbes produites par un système d’accéléromètres permettant d’identifier un coefficient fortement corrélé à la performance en escalade (le « JERK »), pourrait comporter des distorsions liées à la liberté d’expression et traduction par le chercheur des graphiques pour qu’ils soient compréhensibles par un grimpeur qui ne peut être formé à l’usage de ces outils lourds. En d’autres termes, il s’agirait pour le chercheur de pointer du doigt des éléments jusque-là invisibles pour l’athlète sans trahir outre mesure le sens des courbes produites par le traitement des informations des accéléromètres.

2) Un développement conséquent des attentes, sur la base de nouveaux suivis de règles formulés lors des étapes réflexives de construction de la méthode, est également attendu. Le chercheur qui participe à cette étape de l’étude avec un statut de « formateur » doit assumer le fait qu’il aide le grimpeur à signifier autrement son expérience par l’apport de règles nouvelles issues du processus de métaphorisation du JERK. Dans notre vocabulaire on retiendra que si toute signification de règle suppose que l’apprenant est en mesure de « voir que la règle est en train de jouer », (Wittgenstein, 1992), il est possible de considérer que l’inflexion conséquente des interprétations et des jugements produits lors de la construction réflexive des méthodes permette aux grimpeurs d’intégrer des micro-ajustements habituellement négligés.

41 De la même façon, l’apprentissage des concepts permet au sujet de contrôler délibérément leur attention et leur perception. On retrouve cette idée générale en psychologie historico-culturelle (« C’est à l’aide du mot justement que l’enfant dirige son attention sur certains traits distinctifs » de l’objet ou de la situation, selon Vygotski, 1985, p. 197) et dans les théories de l’action collective (lorsqu’il « apprend le langage, il apprend du même coup ce qu’il y a lieu d’examiner et ce qui ne suppose pas d’examen », selon Wittgenstein, 2004, p.115).

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PARTIE 3. MÉTHODE

Cette troisième partie est constituée de trois chapitres.

Le premier est consacré à la présentation des deux dispositifs supports à l’étude. La procédure adoptée pour le recueil des données est détaillée dans le Chapitre 2. Le Chapitre 3 présente le cadre d’analyse des données.

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Chapitre 1. Présentation des dispositifs de recherche et formation

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