• Aucun résultat trouvé

L’innovation en termes d’ingénierie de formation : la nécessité d’une collaboration chercheurs-entraineurs

de la méthode et de la lecture par l’entraineur en escalade

2. L’innovation scientifique comme substrat de l’étayage

2.3. L’innovation en termes d’ingénierie de formation : la nécessité d’une collaboration chercheurs-entraineurs

De récents travaux menés sur l’objet d’étude « activité » ont éclairé d’une nouvelle façon l’entrainement, en le considérant comme un travail et non comme un objet d’étude défini par les catégorisations usuellement utilisées (physiologie de l’effort, spécification des planifications, etc.).

Plusieurs recherches ont tourné leur analyse vers la co-construction d’objet de recherche et de formation au sein d’un dispositif de recherche-formation. Le but est tout autant de permettre l’introduction de solutions nouvelles pour les professionnels que de délimiter un objet de recherche hybride (Saury, 1998, 2012 ; Tribet & Chaliès, 2017) dans lequel scientifiques et coaches trouvent un intérêt. Composées de dispositifs à deux volets, ces recherches tentent dans un premier temps d’isoler par un traitement inductif des données, un problème spécifique de la communauté étudiée, puis, dans un second volet, d’y introduire un artefact symbolique ou matériel, destiné à régler le problème. Ces recherches-formations ne reposent pas sur un modèle de transmission de connaissances entre un émetteur et un récepteur dans la mesure où les chercheurs et professionnels collaborent à la définition d’un problème hybride sur la base d’un relationnel à faible dissymétrie. Elles s’écartent également du modèle de

67 formation par alternance, composé d’un cours théorique que l’acteur devra appliquer dans un second temps lors de son activité professionnelle. L’action est au cœur de ces perspectives épistémologiques et ontologiques. Perez (2009) parle de « form-action ». La cognition est envisagée comme une construction de significations. Ces collaborations tentent de transformer l’activité de l’acteur au cours même de la recherche par une mise en récit de l’action des entraineurs eux-mêmes. La description des acteurs portant sur la propre activité permet ainsi de former une expérience sur l’expérience (Diallo & Clot, 2003) et de permettre un développement du coach. D’autres recherches menées au moyen d’autoconfrontations croisées, destinées à mener des controverses entre experts, ont abouti à 1) la délimitation de dilemmes de métier (Balas, 2016 ; Fleurance, s. d. ; Sève et al., 2006a) stabilisés par la communauté professionnelle autour desquelles vont s’appuyer des recherches, formations (Couckuyt, 2016). Il ne s’agit plus de concevoir la formation par connaissances relatives à des catégories scientifiques usuelles telles que les facteurs de performance, mais à interroger les catégories utilisées dans le travail par les praticiens. Ces recherches aboutissent à des propositions et des modélisations maintenant un lien étroit avec l’expérience vécue des acteurs, permettant de travailler à un niveau qui fait sens pour les professionnels (Sève, Poizat, Saury, & Durand, 2006b). Automatismes, routines et connaissances sont étudiés du point de vue de leurs organisations situées, distribuées et sous-jacentes à l’activité conscientisée des acteurs. La description de ces raisonnements complexes et fins, menés par les entraineurs et athlètes, a permis de proposer des remédiations en termes d’entrainement. Par exemple, Carole Sève décrit les stratégies de pongistes comme une alternance de phases exécutoires, exploratoires et dissimulatoires. L’agencement de ces phases peuvent être vécu de façon dilemmatique, et ne faisant l’objet d’aucun entrainement spécifique : (a) identifier les actions efficaces tout en limitant la perte de points, (b) reproduire des coups efficaces tout en préservant leur efficacité, et (c) construire un modèle de l’interaction présente tout en empêchant l’adversaire de le faire (Sève et al., 2002). L’étude aboutit à des propositions d’exercices destinés à entrainer cette activité d’enquête auprès des athlètes. Par exemple, les joueurs choisissent un thème de jeu que le joueur adverse doit déterminer. En trampoline, Denis Hauw (Hauw, Bardy, et al., 2003 ; Hauw, Berthelot, et al., 2003 ; Hauw & Durand, 2007) a identifié des différences interindividuelles quant aux focalisations et sensations des trampolinistes. Certaines phases de saut font l’objet de « phases aveugles » de la part de certains athlètes, alors que d’autres usent d’un repère visuel sur la réception. Alors que ce sport est considéré comme une activité fermée, l’auteur montre que les sportifs se livrent à

68 une forte activité d’interprétation dès la phase de décollage puisque les athlètes ne sont jamais placés tout à fait comme ils l’aimeraient. Il en va de même chez les skieurs de ski freestyle qui évoluent dans un environnement considéré ordinairement comme peu changeant, l’auteur montre que la phase d’élan se réalise sur une surface en constante évolution d’une compétition à l’autre. L’activité de l’athlète consiste à générer des repères de natures diverses dans l’environnement pour « timer » leur prise d’élan. Cette incertitude ressentie lors de ces phases de sauts est pour certains athlètes un frein à la performance en compétition. En trampoline, les chercheurs ont proposé des « entrainements du dedans » consistant à réaliser une autoconfrontation après chaque essai des athlètes. En voile, les chercheurs ont montré que la collaboration entre le barreur et l’équipier est considérée dans la culture de ce sport comme devant être partagée de façon stricte, car tenue par une intention d’optimisation de l’équipe. Ce type de fonctionnement semble efficace dans les situations familières, mais pas dans les situations plus complexes et incertaines. Lors de ces dernières, les acteurs s’orientent sur une enquête qui consiste à comprendre les jugements et interprétations du partenaire sans pour autant expliciter clairement cette démarche, car perçue comme une remise en question des compétences du partenaire qui nuit à la collaboration (Saury, 2007). Les sportifs tentent ainsi d’influencer la prise de décision du partenaire en hypotrophiant ou hypertrophiant leur jugement, sur une information par exemple, induisant une forme de concurrence entre équipiers. La mise à jour de ce type de dysfonctionnements dans l’équipage a fait l’objet d’un travail au cours des entrainements. Un autre type de formation s’est appuyé sur le décalage entre l’enseignement réalisé de la formation et les besoins réels de l’enseignant pour agir en situation (Couckuyt, 2015). Ces recherches ont permis tantôt la description de facettes de l’activité méconnues des entraineurs, des athlètes et des scientifiques, tantôt de pointer des dysfonctionnements appuyés sur la culture du domaine ou les théories scientifiques dominantes. Ces recherches ont le mérite de réquisitionner, à notre sens, les concepts d’implicite et d’explicite de l’activité indexés à des expériences passées, ou tenues par la subculture du domaine étudié. Elles ont également à notre sens soulevé des problématiques sur les concepts d’automatisme dans le sport de haut niveau et questionnent le seuil auquel le normatif devient exclusivement processuel et, inversement, le seuil auquel le processuel est, ou devient normatif. Enfin, elles ont montré 1) que les acteurs se plongeaient dans une activité d’enquête fortement incertaine et complexe, et 2) que certaines facettes implicites et non conscientes de l’activité n’étaient pour autant condamnées à le rester. Ce deuxième point interroge l’idée selon laquelle ce qui est non encore conscient n’est pas pensé. L’innovation

69 est ici indexée à une ingénierie de formation pour les coaches et/ou les athlètes.

Synthèse

La prise au sérieux du discours des acteurs au sein de recherche-formation a permis d’obtenir des résultats intéressants du point de vue de la formation des entraineurs et des sportifs. La littérature montre un changement d’objet d’étude au sein des sciences de l’entrainement qui passe ainsi de l’étude des mécanismes à l’œuvre chez les acteurs à l’étude de ce qui est signifiant chez les sportifs et entraineurs. Ce changement d’objet d’étude a permis une ingénierie de formation construite à partir des problèmes professionnels et tente d’y apporter des solutions in situ. Une collaboration chercheur-acteur nous semble nécessaire à toute tentative visant à solutionner un problème professionnel.

Outline

Documents relatifs