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La prise en considération des styles d’ascension dans la construction de la méthode : la controverse sur la validation des performances

et de la méthode au sein de l’activité escalade

2. Évolution de la conception du « à vue »

2.1. La prise en considération des styles d’ascension dans la construction de la méthode : la controverse sur la validation des performances

L’instauration progressive de l’escalade libre s’est accompagnée de spécification des ascensions en termes de « style » et d’ouvertures spécifiques à la discipline. Au cœur de cette controverse, la question du « à vue » reste prédominante. Le travail de voie en moulinette et l’ouverture par le haut ont été acceptés au fil des performances d’une nouvelle génération de grimpeurs, dans les années 1980 (Aubel, 2005, p. 124). Jusqu’alors, grimper en commençant la voie du bas, en tête, et revenir au sol après une chute était la norme. À l’époque, note David

16 Chambre, « le onsight17 s’entendait de manière très stricte : aucune dégaine en place, ne pas regarder la paroi avant de l’attaquer, baisser la tête en assurant son partenaire pour ne pas récolter d’informations ». (Chambre, 2015). L’américain Toni Yaniro18 s’attirera les foudres de la communauté en ne la respectant pas lors de la réalisation de la voie Grand Illusion (Lake Tahoe, Californie) en 1979, premier 8a mondial. Il choisit en effet de travailler les mouvements section par section et en moulinette : « Le style d’une ouverture est certes important, mais aussi étrange que cela puisse paraitre, la seule chose qui, personnellement m’intéresse est le résultat final, soit une belle voie, aussi esthétique et naturelle que possible. Une voie sans intérêt attaquée par le bas restera une voie sans intérêt, on l’oubliera dix ans plus tard, même si le style était bon »19 .(« Toni Yaniro », s. d.)

La pratique de la moulinette a permis de travailler spécifiquement une section et ainsi centrer la pratique sur une gestuelle de plus en plus exigeante. Ce faisant, le grimpeur n’est plus « à vue ». Cette multiplicité des styles d’ascension a donc nécessité, dans les années 1980, de préciser les modalités de réalisation des performances, en distinguant le « à vue »20 du « après travail »21 ou du « flash »22. Chacun de ces styles accorde ainsi une place décroissante à la lecture de l’itinéraire et à la construction autonome de la méthode par le grimpeur. Paradoxalement, alors que la chute en escalade libre est devenue plus sécure, on constate qu’une partie de la communauté limite celle-ci autant que possible en privilégiant le « après travail », au point d’utiliser un matériel (la perche23) et des techniques spécifiques (le clou à

17 Onsight est la traduction anglaise de « à vue »

18 Toni Yaniro est grimpeur américains très actif dans les années 1980 connu pour avoir créé un geste d’escalade portant son nom le « Yaniro » notamment utilisé dans la voie Chouca à Buoux.

19 Biographie de Toni Yaniro sur grimpavranche.com consulté le 29/06/2019

20L’escalade à vue consiste en la réalisation d’une voie au premier essai sans avoir obtenu au préalable d’information sur ladite voie. Cela signifie de ne pas avoir observé de grimpeur dans la voie, ne pas avoir eu de description d’aucune sorte ou observé de vidéo la concernant. Ce mode d’ascension est considéré comme le plus difficile.

21 L’escalade après travail consiste à réaliser une voie après plusieurs essais. Le grimpeur est alors en droit de répéter, travailler chaque section autant qu’il le juge utile à l’enchainement intégrale de la voie.

22 L’escalade flash consiste à réaliser une voie au premier essai, mais en ayant obtenu au préalable autant d’informations que le grimpeur le souhaite.

23 Une perche est une tige de bois ou de métal, longue de deux mètre en moyenne, au bout de laquelle est placée une dégaine avec la corde mousquetonné. Cet outil permet de placer une dégaine sur un point d’ancrage en gardant les pieds au sol, et/ou de réaliser une ascension sans avoir à grimper au-dessus du point d’assurage. Autrement dit cet outil permet de monter la corde au relais en partant du bas de la voie, sans avoir à grimper en tête et risquer une chute.

17 clou24). Malgré la diminution conséquente des risques de blessures, grâce à l’utilisation d’ancrages à demeure, nombre de grimpeurs de bon niveau ne chutent absolument jamais, et préfèrent se faire prendre « sec »25. Leur priorité étant de réaliser une méthode, plutôt que de la découvrir ou l’explorer pendant l’ascension « à vue ».

Aujourd’hui, le grimpeur est en droit de prendre autant d’informations visuelles qu’il le souhaite avant son ascension, autrement dit le grimpeur peut réaliser une lecture26 et même user de jumelles pour l’y aider. Les dégaines, en place ou non, ne font plus véritablement l’objet de controverses, même si une ascension « à vue » avec pose de dégaines par le grimpeur est considérée comme plus difficile qu’une ascension sans pose de dégaines. On observe par contre des discussions relatives au pré-mousquetonnage. En raison d’un mousquetonnage difficile ou exposé, certains grimpeurs mousquetonnent la première ou la deuxième dégaine avant l’ascension, ce qui contrevient à l’idée selon laquelle une ascension réussie est une ascension réalisée intégralement en tête27.

Notons que l’escalade en compétition alterne les trois styles d’ascension et un temps spécifique est réservé à l’exercice de la lecture de l’itinéraire. Aujourd’hui, le mot style, est davantage utilisé pour étiqueter des qualités physiques et/ou techniques, jugées préférentielles au regard 1) de difficultés gestuelles (des mouvements dynamiques, à placements, retords, en boite, sur réglettes, en compression / décompression …), et 2) des spécificités de l’itinéraire (en dalle, en devers, en toit, sur volumes, sur macro prises, …).

De récentes modifications du règlement compétitif, innovations gestuelles et évolutions sociétales sont venues transformer, complexifier l’identification de la méthode pour les grimpeurs. Ce point est l’objet de la prochaine section.

24 Faire du « clou à clou » consiste à réaliser une ascension en s’arrêtant à chaque points d’ancrages, pour s’assoir dans le baudrier.

25 Se faire prendre sec : lors de l’ascension le grimpeur demande à l’assureur d’avaler la corde au point de pouvoir s’assoir dans le baudrier sans chuter.

26 Observation de l’itinéraire par le grimpeur avant et/ou après son ascension.

27L'escalade en tête consiste à réaliser une ascension sans que la corde ne soit installée en haut de la paroi. Au fil de sa progression le grimpeur place une dégaine dans un point d’assurage puis entre sa corde dans le mousqueton inférieur de la dégaine. Si le grimpeur chute au-dessus de la dégaine, il tombera d'une hauteur au moins égale à deux fois la distance du dernier point mousquetonné avant d’être stoppé par la corde.

18 Synthèse

L’instauration progressive de l’escalade libre s’est accompagnée de modalités d’ascensions et d’ouvertures spécifiques à la discipline. Au cœur de cette controverse, la question du « à vue » reste prédominante. Le travail de voie en moulinette et l’ouverture par le haut ont été acceptés au fil des performances d’une nouvelle génération de grimpeurs dans les années 1980. Jusqu’alors, grimper en commençant la voie du bas, en tête, et revenir au sol après une chute était la norme. La pratique de la moulinette a permis de travailler spécifiquement une section et ainsi centrer la pratique sur une gestuelle de plus en plus exigeante. Ce faisant, le grimpeur n’est plus « à vue ». Cette multiplicité des styles d’ascension a donc nécessité une stabilisation du vocable destiné à discriminer les performances : « à vue », « flash », « après travail ». Chacun de ces styles accorde ainsi une place décroissante à la lecture de l’itinéraire et à la construction autonome de la méthode par le grimpeur. Paradoxalement, alors que la chute en escalade libre est plus sécure, on constate qu’une partie de la communauté limite celle-ci autant que possible, en privilégiant le « après travail », au point d’utiliser un matériel et des techniques spécifiques.

2.2. L’usage des vidéos comme modification profonde de l’activité d’enquête

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