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de la méthode et de la lecture par l’entraineur en escalade

3. Fondement théorique et syntaxe des règles constitutives, arbitraires

Les règles « constitutives » génèrent des jeux sociaux ou des jeux de langage par l’assignation arbitraire de fonctions à des objets et de significations à des actions ou des faits (Wittgenstein, 1992). Ces règles constituent des systèmes de signification injonctifs : une fois appris, l’acteur qui les suit ne perd pas la possibilité logique de s’en émanciper, mais il est contraint de les mobiliser s’il souhaite « jouer » correctement le jeu, se faire comprendre et se coordonner avec les autres joueurs. Pour comprendre le rôle que les règles constitutives jouent dans la signification et la réalisation des actions, il est intéressant de se référer à ce que Ricœur dit de la relation entre ces actions et les règles.

« Prise en ce sens l’idée de règle ou de norme n’implique aucune contrainte ou répression. Avant de contraindre les normes ordonnent l’action, en ce sens qu’elles la configurent, lui donnent forme et sens. Il peut être utile ici de comparer les manières dont les normes

92 règlent l’action à la manière dont les codes génétiques règlent le comportement pré-humain » (Ricoeur, 1986, p. 272).

Cette métaphore se révèle intéressante et erronée à la fois. Intéressante parce qu’elle donne à voir la relation de consubstantialité qui lie les règles constitutives et les actions réglées que l’on apprend. Erronée parce que les codes génétiques ne sont pas des codes « appris », mais hérités et ne constituent pas des capacités normatives propres à une culture, que l’on peut suivre ou transgresser, mais des dispositions anthropologiques de l’espèce qui se manifestent quand bien même le sujet ne le souhaiterait pas39. Nous choisissons malgré tout de filer la métaphore, car elle permet de poser qu’il existe, pour les langages arbitraires comme pour les codes génétiques, la possibilité d’en écrire la syntaxe et, ce faisant, d’accéder à la signification (cette fois-ci collective et culturelle) des actions qu’ils génèrent lorsqu’un sujet agit conformément aux règles. La syntaxe des règles constitutives est la suivante : Faire « x » (ou ceci) / compte ou vaut pour / faire « y » (ou cela) / dans les circonstances « c ».

Voici quelques exemples de règles constitutives en escalade : Amener les deux mains sur la dernière prise du bloc / vaut pour / réussir l’ascension du bloc / dans les circonstances d’une compétition d’escalade de bloc ;

Se rétablir debout au-dessus du bloc / vaut pour / valider l’ascension du bloc / dans les circonstances d’une réalisation d’un bloc naturel.

Un exemple inspiré des aphorismes Wittgensteiniens peut être fourni. Dans un jeu arbitraire prototypique comme le jeu d’échecs, un équivalent de ces règles pourrait être la règle de l’échec et mat du roi dont on peut tenter ici une formulation : poser une pièce sur une case depuis laquelle elle peut atteindre directement le roi adverse lors du coup suivant / vaut pour / mettre en échec et mat le roi / dans les circonstances où / le roi ne peut plus se déplacer sans tomber sur la trajectoire directe d’une autre pièce adverse. Cette règle qui définit ce que l’on doit « attendre » comme résultat final du jeu des échecs (mettre en échec et mat le roi adverse / vaut pour / gagner la partie / dans les circonstances / du jeu d’échecs), suppose bien entendu que l’existence et les propriétés de chacune des pièces soient définies. Par exemple, dans le

39 Certes « penser » ou « compter » supposent l’existence d’une fonction symbolique en tant que disposition anthropologique commune à tous les hommes, mais il est tout à fait possible de ne savoir jamais compter ou de ne pas pouvoir penser, parce qu’on n’a pas appris d’autrui (ou que l’on ne souhaite pas utiliser) les signes artificiels que sont les chiffres et les mots. Ce qui différencie une capacité normative comme penser ou compter, d’une capacité anthropologique comme entendre ou digérer, c’est qu’il n’est pas possible pour l’individu d’empêcher l’actualisation de ces dernières : il est impossible pour un bébé d’empêcher son estomac de digérer, ses oreilles d’entendre des sons, ses yeux de percevoir des lumières, etc. Ceci parce qu’il est impossible d’apprendre les capacités anthropologiques qui fonctionnent dès la naissance et se développent au cours de la maturation de l’organisme (il n’a pas de sens de dire qu’un bébé apprend à digérer, à percevoir des lumières, à entendre des sons, etc. Tout au plus, il développe ces fonctions)

93 cas du roi, une règle constitutive institue l’existence même de la pièce : « ceci » / vaut pour / « un roi noir » soit « la pièce la plus importante » / dans les circonstances / « du jeu des échecs ». Une seconde règle constitutive en définit les propriétés de déplacement : « déplacer le roi d’une case quelconque autour de lui » / vaut pour / « un déplacement autorisé » / dans les circonstances où / « la case n’est pas occupée par une pièce de la même couleur ou tombant sous l’emprise d’une pièce de couleur différente ». De cette même manière sont définies les règles du jeu qui se prêtent à un enseignement ostensif indispensable pour que chaque joueur puisse se sentir « tenu » par elles dans le cadre du jeu, mais libre de les transgresser (car elles sont à la fois injonctives et arbitraires) en acceptant cependant de « sortir du jeu » et d’être inintelligible par autrui.

Ces règles définissant l’ensemble des significations constitutives des jeux de langage, elles génèrent des actions conformes (ou non) et des finalités attendues de ces actions permettant de « jouer des coups » (plus ou moins pertinents) dans le jeu des échecs. Elles ne sont pas négociables (toute action non conforme à ces règles est exclue et non intelligible par la communauté des joueurs familiarisés). L’apprentissage et l’acceptation de ces règles par les acteurs est une condition de leur familiarisation avec le domaine d’activité et la réalité sociale instituée qui lui donne existence. Plus fondamentalement, le refus d’apprentissage de ces règles ou le refus de les suivre est toujours possible, car ces règles ne « déterminent » pas l’action ni elles ne s’imposent à l’acteur. En effet, la règle ne comporte pas de pouvoir causal susceptible de déterminer l’activité de l’acteur. Celui-ci peut s’en écarter à tout instant (Descombes, 2004) et peut étalonner une expérience par le truchement d’autres expériences. Dit autrement, « Une règle est un standard de correction et elle ne commande que celui qui veut s’y soumettre. Le propre d’un mécanisme, à l’inverse, est d’opérer de manière automatique et les notions de correction et d’incorrection ne peuvent normalement lui être appliquées » Le Du (2004, p. 46). Ce n’est donc pas la règle qui s’impose inexorablement à nous, mais au contraire « nous, qui ayant « intériorisé la règle », sommes inexorables envers nous-mêmes : la règle ne me contraint que si je décide de me contraindre à la suivre » (Chauviré, 2002, p. 40).

Cependant, dans ce cas l’acteur, qui n’utilise pas les artéfacts dans le sens attendu et ne signifie pas les faits spécifiques au domaine d’activité de la même façon que ceux qui le maîtrisent se mettent pour ainsi dire « hors jeu ». C’est en ce sens précis qu’il faut les considérer comme arbitraires (non conventionnelles et non négociables) et injonctives (elles

94 ne « déterminent » pas l’action, comme le feraient des dispositions ou des capacités anthropologiques de l’espèce).

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