• Aucun résultat trouvé

Le dilemme mettre plus d’intensité dans une méthode pour enchainer le bloc et s’épuiser ou tâtonner pour explorer/construire la méthode sans s’épuiser

la méthode des acteurs

1. La non-validation du bloc : deux profils de grimpeurs pour deux explorations antinomiques explorations antinomiques

1.1. Présentation des acteurs

1.2.3. Le dilemme mettre plus d’intensité dans une méthode pour enchainer le bloc et s’épuiser ou tâtonner pour explorer/construire la méthode sans s’épuiser

Dès les débuts du protocole, l’escalade de Jean-Michel se caractérise par la volonté d'éliminer des difficultés relatives aux types de préhensions, de façon à valoriser un style d’escalade typé « pan » (RP 27). Cette discrimination s’effectue sur la base de tâtonnements des prises lors de la lecture prospective, mais plus encore de façon synchrone. Couramment

155 utilisé, le mot « tâter » recouvre plusieurs usages dans la communauté des grimpeurs. Il est ici question d’exploration du passage et plus spécifiquement de discrimination des prises susceptibles de rentrer dans la méthode.

Capture d'écran 6. Jean Michel tente de décoller du sol sur le bloc Caresse basaltique

Extrait verbatim RP 1 et 1bis

Ch : Peux-tu me commenter ce que tu fais à ce moment-là ?

JM. : Là c'est le premier essai donc heu... (rires). J'essaie de voir si ce que j'ai vu correspond à ce qui va se passer en réalité.

Ch : À ce que tu as prévu ?!

JM. : Oui. Et déjà ce que je n'ai pas prévu, c'est que la prise soit aussi difficile à tenir, voilà, déjà. Je me suis fié au visuel on va dire, en posant les doigts dessus vite fait, en étant debout (la prise de départ). Et à partir du moment où tu te mets dans la position bah … Je me rends compte que ça ne va pas se dérouler comme prévu.

Ch : Ici tu avais prévu d'attraper quoi ? JM : J’avais prévu d'envoyer sur le côté. Ch : Là, au niveau du trait ?

JM : Oui au niveau de ce trait-là.

L’extrait documente l’exploration du passage par Jean-Michel à partir des préhensions de mains. Moyennant la pose des doigts sur la prise avant l’essai l’acteur engage son essai avec l’attente de « se fier au visu » et de saisir la prise tâtée, mais pas seulement puisqu’il avait prévu un mouvement supplémentaire « envoyer sur le côté ». La déception consécutive à la mise en « position » de l’acteur rend compte de la difficulté de Jean-Michel à sélectionner/étiqueter les prises susceptibles de rentrer dans la méthode (« je me rends compte que ça ne va pas se dérouler comme prévu »).

156

Capture d'écran 7. Jean-Michel démarre assis sur le bloc Ori-flamme et saisit la prise pour « tâter »

Extrait verbatim RP 4

Ch : Tu as établi un plan avant de partir ? Tu savais ce que tu allais faire ? Tu savais quelles prises tu allais prendre ?

JM : Heu plus ou moins. Je vois plein de prises, maintenant je ne sais pas encore dans quel ordre je vais les prendre. Disons que ma première intention est de tâter. Je me dis qu'il est possible d'y aller main gauche ou main droite. Ma première intention c'est de tâter la prise (le trou à côté de la gouttière) et de voir (coupé par le Chercheur)

Ch : Donc ce que tu te dis en faisant ce run c'est que ça allait être un peu plus facile que précédemment ?

JM : Voilà.

Ch : Et que tu allais attraper celle-là (le trou bi-doigt à côté de la gouttière) ? JM : Oui.

L’extrait documente cette même difficulté, mais cette fois au regard d’un « tâté » (Ms) de prises observées prospectivement, mais non étiquetées. Cet extrait rend compte de la difficulté pour Jean-Michel d’établir une méthode exclusivement appuyée sur la lecture prospective : « Je vois plein de prises, maintenant je ne sais pas encore dans quel ordre je vais les prendre. ».

Extrait verbatim RP 15

Ch : Là tu as quand même fait quelques runs. Tu n'es pas gêné par l'agressivité des prises ?

JM : Non, non, non. Enfin ça fait mal, mais disons que musculairement je suis encore présent, donc la douleur peu importe. Tant que j'ai encore de la peau sur les doigts, je ne suis pas en sang, je peux y aller. Ça reste des micro-essais. Je ne mets pas une grosse dépense d’énergie en fait. Donc oui je peux enquiller.

Ce dilemme relatif à faire un essai pour tâtonner et construire des attentes ou réaliser un essai plus incertain et plus physique pour enchainer est également observable lorsque l’on considère le nombre conséquent d’essais et de méthodes testés par l’acteur. L’extrait précédent nous montre une tendance chez Jean-Michel à davantage explorer la méthode à

157 l’aide de « micro-essais » plutôt que réaliser des essais en forçant physiquement « je ne mets pas une grosse dépense d’énergie ».

Capture d'écran 8. Jean-Michel tente de saisir le plat en épaule inversée

Le raisonnement pratique 18 peut être formulé ainsi : « Essayer une méthode dépend du ressenti du bloc » / vaut pour / « ne mettre pas plus de deux essais si ça ne le fait pas » / et

pour/ « mettre plus de niaque si c'est une question d'intensité ».

Au fil de son exploration, l’acteur teste quelque cinq méthodes. Toutes sont écartées après un nombre d’essais variable. La persistance de Jean-Michel dans l’application d’une méthode, en matière d’intensité à investir pendant l’essai et de persévérance sur plusieurs essais, est tributaire du « ressenti » du grimpeur.

Le dilemme que doit résoudre Jean-Michel est relatif à persévérer dans une méthode en mettant davantage d’énergie et/ou d’essais, ou changer de méthode et repartir au point zéro de l’exploration d’une méthode.

Capture d'écran 9. Jean-Michel est surpris par la prise du trou main gauche et la prise main droite « sans préhension »

Extrait verbatim RP 6 et 7

JM : Bon effectivement là (main droite) il n'y a pas de préhension, mais ça va être une compression, ça va le faire. Sauf que la surprise du trou (heu hésitation).

Ch : Ça t'a calmé direct ?!

JM : Oui ça m'a calmé et finalement je n'ai pas mis heu... je ne pense pas avoir mis l'énergie qu'il fallait pour dire que j'allais compresser (regarde la vidéo et le Ch) et me dire « dans tous les cas c'est dur. Je fais le mouv' dur et j'avance ». Là c'est la surprise qui a pris le dessus je pense. (…)

158 Le dilemme de l’énergie investie est d’autant plus prégnant lorsque le grimpeur est « surpris » par la mauvaise qualité des préhensions. L’extrait nous montre qu’il est difficile pour l’acteur de réaliser un retour réflexif concernant son investissement énergétique, ce qui limite d’autant ses possibilités d’interprétation de la méthode.

Pour compléter cette lecture prospective, Jean-Michel réalise des tâtonnements de deux types : 1) en dehors des essais, les pieds au sol : des tâtonnements prospectifs et 2) pendant les essais : des tâtonnements synchrones. Ces deux types de tâtonnements ont des visées exploratoires pour compléter une lecture prospective typée « pan ».

Les tâtonnements sensitivo-prospectifs consistent à poser « les doigts vite fait dessus (sur la prise) en étant debout ». Il est suivi d’un test dans l’essai pour « voir si ce que j’ai vu correspond à la réalité » (RP1 et 1bis).

Ce type de tâtonnement semble peu concluant dans la construction de la méthode pour le grimpeur, qui élimine (plus ou moins rapidement) ces méthodes à composantes sensitivo-prospectives, tantôt parce que la prise est plus « difficile à tenir » (RP1bis) que prévu, tantôt parce que l’évaluation de sa distance est sous-estimée « (la prise est) plus loin que ce que j’avais estimé et pour la charger il fallait vraiment pousser sur le pied » (RP9) ce qui a notamment pour résultat de ne pas saisir la prise comme prévu lors du tâtonnement , «Je suis arrivé légèrement en vrac dessus. J'ai essayé de replacer les doigts pour être bien, mais j’avais les doigts relativement écartés » (RP 9).

Les tâtonnements synchrones ont pour principale raison la discrimination des prises observées, mais non étiquetées avec précision. En d’autres termes, il s’agit de réduire l’étendue des possibles qu’une lecture prospective ne peut réaliser parce que « Je vois plein de prises, maintenant je ne sais pas encore dans quel ordre je vais les prendre. » (RP 4).

Synthèse

Les tâtonnements de différentes natures réalisées par l’acteur confèrent aux essais une valence exploratoire forte, mais n’aboutissent pas à la sensation de confort attendue pour valider l’objet du test. De cette attente dépend l’investissement physique plus élevé de l’acteur, nécessaire à la réalisation de la méthode. En d’autres termes, Jean-Michel repousse son investissement physiquement au fil des essais en réalisant des « micro-essais » parce qu’aucun d’entre eux ne fait l’objet d’un ressenti positif.

159 À ce stade de l’analyse, il convient de souligner qu’un seul raisonnement pratique relatif aux poses de pieds a été formulé par le grimpeur. Ce constat pourrait sembler imputable au chercheur qui n’a pas ouvert de questionnements à ce sujet. L’analyse déresponsabilise la méthode employée. Elle pointe que les attentes indexées aux prises de mains constituent une priorité pour l’acteur. Ce faisant, l’exploration indexée aux placements de pieds devient secondaire, voire négligée.

Cette non obtention des résultats souhaités prolonge au fil des essais la recherche de ces derniers et repousse d’autant l’investissement physique de l’acteur.

Ces résultats nous permettent d’avancer deux hypothèses : 1) des raisonnements pratiques établis prospectivement ont ici fortement influencé l’ensemble de la recherche de méthodes de l’acteur, 2) les essais de l’acteur se caractérisent tantôt par une valence exécutoire, tantôt par une valence exploratoire. Ce deuxième type d’essais est animé par des attentes fermées relatives « au confort ». Ces dernières sont constamment remobilisées dans les essais suivants. La relative exclusivité de ce type d’essais se révèle peu féconde dans la recherche de méthode chez l’acteur.

Outline

Documents relatifs