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de la méthode et de la lecture par l’entraineur en escalade

1. L’étayage de l’entraineur comme issue d’expériences-formations composites composites

1.3. L’expérience comme substrat de l’étayage

1.3.1. L’expérience de la méthode comme substrat de l’étayage

Il peut être difficile d'utiliser des experts pour enseigner et coacher, car les composantes de l’expertise complexifient la transmission de connaissances (Hinds, Patterson, & Pfeffer, 2001). Les catégories utilisées par les entraineurs ne sont pas nécessairement interrogées par les acteurs, tout est déjà là, telle une évidence (Duraffourg, 1997 ; cité par Saury, 1998). Les difficultés rencontrées par la science et les coaches eux-mêmes pour modéliser l’activité experte de coaching renforcent l’idée selon laquelle le coaching est un art qui ne s’apprend pas. Ce serait une activité essentiellement appuyée sur des connaissances issues d’une expérience de sportif de haut niveau, à laquelle une formation ne peut aboutir (Nash & Collins, 2006). Deux points étayent ce fait, 1) nombre de fédérations recrutent les coaches après leur carrière de sportif de haut niveau et 2) les formations diplômantes et/ou certifiantes de coach en France sont très courtes, peu nombreuses et leur accès est conditionné par un test d’aptitude technique.

La nature des connaissances expertes comme issues de l’expérience a fait l’objet de multiples recherches. Chase et Simon sont à l’initiative de « la règle des dix ans de pratique »

55 comme condition nécessaire à l’expertise des athlètes (Chase & Simon, 1973). Ericsson y ajoute le concept de « pratique délibérée » (Ericsson, Krampe, & Tesch-Romer, 1993), c’est-à-dire une activité d’entrainement accompagnée par un entraineur. Pour que cette expérience dépasse « les dix fois un an d’expérience », il est question de comprendre quels types d’expériences et comment ces expériences se sont révélées pertinentes pour la professionnalisation et l’expertise des acteurs. En effet, rien ne garantit que ces expériences de pratiquant soient efficaces pour devenir coach. La nature même de l’expertise et la rapidité des gestes sportifs limitent de fait la possibilité pour l’athlète de décrire l’ensemble de ses pensées et, par prolongement, d’en tirer profit (une fois devenu entraîneur) pour étayer l’activité d’un athlète. Pour Cushion, « sans une forme de processus de réflexion, les entraineurs accumulent simplement de l’expérience sans que cela ait un impact significatif sur leur pratique » (Cushion et al., 2010, p. 37)

Plusieurs études pointent pourtant le fait que nombre de professionnels de l’entrainement ont appris à devenir coach lors de leur expérience d’athlète (Abraham, Collins, & Martindale, 2006 ; Irwin, Hanton, & Kerwin, 2004 ; Jones, Armour, & Potrac, 2003 ; Jones, Armour, & Potrac, 2004 ; Salmela, 1995 ; cités par Davies & Grecic, 2012). Gilbert, a montré en sport collectif que les entraineurs avaient cumulé près de 4600 heures de pratique en tant qu’athlète (D. Gilbert, Côté, & Mallet, 2006). On peut également ajouter que le temps consacré au travail de coaching est bien plus conséquent que celui consacré à la formation officielle d’entraineur (Erickson, Côté, & Fraser-Thomas, 2007). Ces deux constats tendraient à minimiser l’impact des formations formelles au profit des expériences de terrain, et notamment celles d’athlètes, sur le savoir-faire de l’entraineur. Pour être plus précis, l’expérience d’athlète a permis aux entraineurs de : voir et apprendre de différents entraineurs (Lemyre, Trudel, & Durand-Bush, 2007 ; Wright, Trudel, & Culver, 2007), développer des capacités d’empathie envers leurs athlètes (Cushion et al., 2010, pour une revue ; Irwin, Hanton, & Kerwin, 2004 ; Jones, Armour, & Potrac, 2003). L’expérience en tant qu’athlète est utilisée à des fins relationnelles permettant au coach et à l’athlète d’entretenir un rapport de compréhension mutuelle, relatif à un registre sensoriel et émotionnel.

L’expérience d’athlète permet au coach de montrer ce qu’il attend du sportif. Autrement dit, de démontrer un exercice, un geste. Ce point constitue selon nous l’argument principal quant à l’utilité de l’expérience d’athlète, ainsi que du niveau exigé comme prérequis pour entrer en formation. De ce point de vue, plus le niveau des athlètes est élevé, plus l’intérêt est grand pour le coach d’avoir lui-même un niveau élevé lui permettant de

56 recourir aux démonstrations. À notre connaissance, les recherches scientifiques dans l’entrainement de haut niveau montrent que ce type de démonstration reste à un certain degré d’abstraction et passe davantage par le mime, le dessin et les métaphores que par la démonstration exacte d’une gestuelle performante (Cizeron & Rolland, 2010 ; Rolland & Cizeron, 2015). Dastugue a par ailleurs pointé que l’expérience en tant que pratiquant chez des professeurs d’EPS débutants n’était pas nécessairement utilisée par ces derniers pour enseigner (Dastugue, 2017). Les acteurs rapatriaient ce qu’ils avaient retenu de l’enseignement du formateur universitaire et non de la pratique en tant que telle. En escalade, 1) les entraineurs professionnels entretiennent un niveau correct en termes de performance (Bass, 2014)37 et 2) les coaches grimpent régulièrement aux côtés des athlètes. « Jacky (Godoffe) nous met des roustes parfois sur des blocs en dalles à placements » (Entretien, Alban Levier, 2016). Ces deux points nous encouragent à penser qu’à minima l’activité de démonstration, fait partie de l’activité d’entrainement en escalade. Pour autant, nous ne pouvons pas nous avancer sur 1) les intentions de l’entraineur lors de ces démonstrations et 2) sur l’activité exacte de celui-ci au cours de cette démonstration.

À ce jour, un haut niveau de performance en escalade est rendu nécessaire par le double rôle d’entraineur-ouvreur (Donzé & Durand, 1997). Une étude sur l’ouverture pour la compétition et l’ouverture pour l’entrainement révèlerait certainement des dissemblances. L’expérience d’athlète de haut niveau et le niveau de performance des entraineurs lors de ces deux moments d’ouverture sont peut-être charriés de façon différente. En pratique, rien n’impose à l’entraineur d’enchainer le bloc ouvert par ses soins. Les entraineurs peuvent ouvrir sans tester l’itinéraire ou user de la présence d’un collègue pour le grimper. Notons que le vocable « caler un bloc » décrit une dernière phase du processus d’ouverture qui consiste à essayer le bloc de façon à l’ajuster le plus finement possible.

Dans le cadre de l’entrainement, il est possible que réaliser le bloc permette aux entraineurs d’améliorer leurs connaissances des méthodes et variantes proposées aux athlètes. L’étayage du coach serait partiellement indexé à l’expérience vécue du bloc et/ou aux connaissances relatives à son ouverture. Du point de vue de l’expérience d’athlète de l’entraineur, son niveau en termes d’escalade permettrait 1) d’ouvrir des itinéraires adéquats, 2) de réaliser des

37 Enquête métier 2014 du Syndicat National des professionnels de l’escalade et du canyon. « Quasiment 100%

des personnes ayant répondu à l’enquête pratiquent l’escalade, dont 93% entre le 7 et le 9ème degré » (Enquête métier, SNAPEC, 2014).

57 démonstrations sur ces itinéraires et 3) d’entrer en collaboration avec l’athlète dans le cadre d’une co-construction de méthode. Ce point reste à investiguer.

Synthèse

Les études scientifiques ne sont pas unanimes quant à l’utilité de l’expérience de pratiquant et/ou d’athlète de haut niveau dans le métier d’entraineur. Au-delà de l’intérêt relationnel entre athlète et coach que cette expérience permettrait de développer, un argument majeur en faveur de l’importance d’une telle expérience réside dans le fait que les entraineurs en escalade sont également ouvreurs. Cette singularité relative au double rôle entraineurs-ouvreurs nous amène à poser la question de savoir si cette expérience de création du bloc (et d’escalade du même bloc dans la majorité des cas) se révèle utile à l’étayage de la méthode chez les entraineurs. Se faisant, cette hypothèse rencontre l’aporie selon laquelle l’activité sportive ne se laisse pas aisément décrire et conscientiser par les acteurs eux-mêmes. De ce point de vue, il n’est pas certain que l’expérience de l’itinéraire soit mobilisée de façon efficace dans l’étayage transmis à l’athlète et/ou que cet étayage ainsi indexé soit source de signification pour l’athlète.

1.3.2. L’activité de lecture comme substrat de l’étayage ou la collaboration athlète- entraineur

Le fait de lire le bloc, pour soi ou pour un autre, est régulièrement observé à l’occasion de séances d’escalade entre pairs, aux cours desquelles les athlètes échangent et/ou se proposent des méthodes sur la base de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils voient du bloc et de ce qu’ils ont vu d’un autre grimpeur. Ces différents types d’observations constituent, à nos yeux, des expériences constitutives de l’étayage de l’entraineur. La différence fondamentale, que constitue la lecture dans le métier d’entraineur, est évidemment le fait que cette lecture n’engage pas la performance du coach, mais celle de l’athlète. Aussi, est-il nécessaire pour le coach d’apprendre à lire pour l’athlète, tout en se rendant intelligible pour celui-ci que ce soit lors de condition « après travail » ou « à vue ». Une difficulté majeure dans ce type de procédure consiste « à isoler dans la complexité ambiante, ce qui constitue réellement la cause (ou les causes) des effets occasionnés. » (Krantz & Dartnell, 2001, p. 10). Pour les acteurs, cette difficulté est vécue de façon dilemmatique. Par exemple, l’élaboration d’une

58 méthode avec l’athlète consiste à stabiliser la méthode antérieurement utilisée ou au contraire en diverger. Dans le cas où coach et athlète décident d’insister sur une méthode, il est possible de modifier légèrement le rythme, de prononcer ou d’infléchir une rotation segmentaire, d’user de l’inertie du mouvement précédent, de changer un placement de quelques millimètres, etc. En d’autres termes, une fois le dilemme tranché, s’ajoute une multitude de possibilités tout aussi dilemmatiques. En escalade, Mitchell a étudié les stratégies visuelles d’entraineurs experts et novices équipés d’un dispositif « eyes traking » lors de l’observation de grimpeurs en bloc, auxquels sont associés des entretiens semi-structurés. Chez les entraineurs novices, les données dénombrent moins de fixations, mais de plus longues durées, et des zones de fixations spécifiques, avec une attention plus élevée sur la zone proximale du corps de ces derniers. Par ailleurs, les experts anticipent davantage les mouvements des grimpeurs. Leurs yeux se posent sur une zone cible avant même que l’acteur y ait posé un membre. Cette recherche s’appuie sur un ensemble de connaissances, expériences, à partir desquelles sont organisées l’exploration des entraineurs experts. Les auteurs en concluent que les observations des entraineurs experts se rapprochent d’un modèle en " top down" composé de « « règles empiriques », guidant leurs stratégies de recherche visuelle, et basées sur un ensemble de principes de mouvement. ». Il n’est pas fait mention dans cette recherche d’échange athlète-entraineur (Mitchell, Giles, & Taylor, 2018). Plusieurs recherches montrent que les entraineurs experts n’appuient pas leur décision uniquement à l’aide de ce qui est observé, mais au regard 1) de leur connaissance de l’athlète et 2) de circonstances précises. Plusieurs résultats scientifiques décrivent des co-constructions de solutions entre l’entraineur et l’athlète, au sein d’une collaboration et non d’une relation étanche entre deux mondes (Saury & Durand, 1998). Autrement dit, il est envisageable que l’activité de lecture du coach en escalade s’élabore avec celle de l’athlète dans une « collaboration ». Saury parle de « régulation conjointe » pour qualifier le fait que les consignes des entraineurs font l’objet d’interprétations par les athlètes qui participent de l’efficacité ou de l’inefficacité de l’entrainement, mais également des interprétations des coaches (Saury et al., 2004, p. 48). À notre connaissance aucune recherche sur une collaboration de ce type en escalade n’a été réalisée. Les recherches s’orientent tantôt sur les stratégies visuelles des grimpeurs (Dupuy & Ripoll, 1989 ; Grushko & Leonov, 2014) tantôt sur les stratégies visuelles des entraineurs (Mitchell et al., 2018).

59 Synthèse

Les données scientifiques montrent que les coaches n’appuient pas exclusivement leur décision sur ce qu’ils voient de l’athlète, mais sur un ensemble de connaissances-circonstances. En escalade, une organisation hiérarchique des connaissances serait à l’origine de l’organisation des points de fixation du regard permettant aux entraineurs experts de comprendre les situations observées. La littérature scientifique nous amène à envisager l’étayage de la lecture comme indexé à un relationnel entraineur-athlète. La connaissance de l’athlète et les circonstances de l’action sont certainement des ressources participant au raisonnement de l’entraineur en escalade.

Cette section nous amène à prendre en considération la dimension relationnelle forte entre l’entraineur et l’athlète. Au risque de nous avancer quelque peu, il nous parait que la création de ce relationnel constitue un geste de métier chez l’entraineur qu’une formation de terrain doit prendre en compte. L’ambition d’une transformation de l’activité d’étayage du professionnel doit ainsi s’inscrire dans dispositif dans lequel le relationnel ne doit pas être éludé.

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