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Le verrouillage technologique au profit des énergies fossiles

renouvelables : avantages et opportunités

Section 1. L’effet de « verrouillage technologique »

3. Le verrouillage technologique au profit des énergies fossiles

Le changement climatique menace le bien-être futur et la stabilité économique. Son atténuation exige une réduction drastique des émissions des GES afin de passer d’une économie basée sur les combustibles fossiles à une économie sobre en carbone. Cependant, le système énergétique actuel semble très dépendant des combustibles fossiles.

Le rôle du « verrouillage technologique » dans les problèmes environnementaux a été traité par plusieurs auteurs. En effet, à partir des années 1990, un intérêt grandissant a été accordé à l’effet de « verrouillage au carbone » (carbon lock-in) et ses applications dans le domaine des problèmes environnementaux et du changement climatique. Cet effet est considéré comme un obstacle à une transition vers des technologies à faible émission de CO2 (Ayres, 1991 ; Kemp, 1994 ; Freeman et Soete, 1997 ; Unruh, 2000). En effet, les

arguments théoriques et les recherches empiriques suggèrent que le système énergétique actuel se trouve verrouillé en faveur des énergies fossiles (Unruh, 2000 ; Schmidt et Marschinski, 2009 ; Davis, Caldeira et Matthews, 2010 ; IEA, 2011).

De ce fait, l’économie reste dans un équilibre dans lequel les technologies à fortes émissions de CO2 dominent le marché, même si elles sont plus polluantes que leurs

concurrentes qui sont les ER. Ce qui fait que le verrouillage technologique et institutionnel au profit des énergies fossiles est considéré par plusieurs auteurs comme la barrière principale à la diffusion à grande échelle des technologies d’ER.

Mattauch, Creutzig et Edenhofer (2015) confirment le fait que l’obstacle majeur au passage à une économie à faible émissions de CO2 est l’effet de « verrouillage au

carbone ». Ils considèrent que les combustibles fossiles dominent le marché, bien que leurs alternatives non émettrices de CO2 soient dynamiquement plus efficaces. En effet,

plusieurs auteurs ont déclaré que les économies développées sont verrouillées dans un contexte complexe de technologies et d’infrastructures à forte émission de CO2, il s’agit du

« verrouillage au carbone » (Rip et Kemp, 1998 ; Arentsen, Kemp et Luiten, 2002).

Ce contexte de « verrouillage au carbone » a eu lieu, au début, à cause de l’abondance des combustibles fossiles et les connaissances limitées sur les conséquences

97 des émissions des GES sur le climat. Cependant, malgré la prise de conscience des impacts négatifs de l'utilisation des combustibles fossiles, les tentatives de se tourner vers des substituts propres se révèlent difficiles. Cela est dû au fait que les énergies fossiles ont bénéficié, durant plusieurs décennies, des économies d’échelle et des effets d'apprentissage grâce aux subventions et aux efforts de R&D. Ainsi, les technologies des énergies fossiles bénéficient de l’appui d’un ensemble d’acteurs et d’institutions qui entravent l'innovation et la diffusion de technologies qui se trouvent en dehors du paradigme technologique dominant.

Ce « verrouillage au carbone » crée un marché et des politiques qui peuvent ralentir ou même bloquer la diffusion des technologies à faibles émissions de CO2, en dépit de

leurs avantages environnementaux et économiques évidents. Ainsi, il existe des structures techniques, juridiques et institutionnelles qui empêchent l'adoption des nouvelles technologies. On peut citer, par exemple, les difficultés rencontrées par les gouvernements pour éliminer les programmes de subventions qui sont contre-productifs. Kemp (1997) considère que le verrouillage technologique et institutionnel en faveur des énergies fossiles bloque la diffusion à grande échelle des technologies d’ER, même si ces technologies deviennent de plus en plus compétitives. Par conséquent, ce verrouillage va retarder l’adoption des technologies propres.

La situation de « verrouillage au carbone » résulte donc des interactions systémiques entre les technologies et les institutions. Pour expliquer ces idées dans un cadre conceptuel simple, Unruh (2000) a présenté la notion de « complexe technico-institutionnel » (techno-

institutional complex). Il considère que ce complexe technico-institutionnel se développe à

travers un processus co-évolutionnaire qui dépend du « sentier parcouru ». Ce sentier implique des rétroactions positives entre les infrastructures technologiques, les organisations et les institutions. Ce concept a été introduit pour expliquer l’existence d’un système technologique dominant basé sur les énergies fossiles. Unruh (2000) considère le système technologique comme étant un ensemble de composantes interdépendantes connectées en réseau et d’éléments physiques, sociaux et informationnels.

Ces idées du « verrouillage au carbone » peuvent être utilisées pour mieux comprendre et cerner l’adoption et la diffusion à grande échelle des technologies d’ER. Unruh (2000 ; 2002) soutient l’idée que les économies industrialisées sont dans une situation de verrouillage en faveur des énergies fossiles. Ce verrouillage résulte d’un processus de coévolution technologique et institutionnelle guidé par des rendements

98 d’échelle croissants qui dépendent du chemin parcouru. Les technologies existantes ont bénéficié des rendements croissants durant une longue période. Ces rendements croissants sont renforcés par des facteurs institutionnels. Quant à Unruh (2002), il a essayé d’expliquer d’une manière détaillée les sources du « verrouillage au carbone ». Ces sources peuvent être classées en cinq types qui sont : technologique, organisationnel, industriel, sociétal et institutionnel.

« La dépendance au sentier » qui implique que les événements passés ont un impact sur les choix actuels a conduit à l’existence de la situation de « verrouillage au carbone » dans laquelle le monde est verrouillé en une économie à forte émission de CO2 (Unruh,

2000). Par exemple, Wüstenhagen et Teppo (2006) ont identifié des preuves de l’existence de « la dépendance au sentier parcouru » dans les investissements en capital-risque, ce qui a ralenti le flux d’investissements en capital-risque dans le secteur émergent des ER.

Lovio, Mickwitz et Heiskanen (2011) ont discuté les effets de « la dépendance au sentier » sur les tentatives de la Finlande à diversifier ses ressources énergétiques, tout en diminuant le recours aux combustibles fossiles. « La dépendance de chemin parcouru » peut, non seulement se produire au niveau des industries ou des systèmes technologiques, mais aussi au niveau de l'entreprise. Par exemple, Pinkse et Buuse (2012) considèrent que les investissements passés dans les énergies fossiles peuvent influencer la perception des décideurs dans les compagnies pétrolières envers le couple rendement-risque, les amenant à voir plus d’opportunités sur leur trajectoire précédente que dans la trajectoire moins familière des ER.

Bien que convaincants et bien fondés, les principes fondateurs du « verrouillage technologique » ont été critiqués par deux économistes qui sont Liebowitz et Margolis (1994 ; 1995). En effet, ils ne confirment pas le fait que les rendements croissants, au cours des stades précoces et très incertaines de la concurrence, peuvent effectivement fournir à une technologie « inférieure » une avance de marché inattaquable. Selon les auteurs, il n’existe pas, dans la pratique, des preuves convaincantes qui soutiennent la présence de ces choix inefficaces du marché.

L’existence de l’effet de « verrouillage au carbone » paraît évidente pour la plupart des économistes. Cependant, le choix des options politiques les mieux placées pour effectuer un changement structurel vers une économie à faible émissions de CO2 est moins

99 pour éviter le « verrouillage au carbone » (Fischer et Newell, 2008 ; Gerlagh, Kverndokk et Rosendahl, 2009 ; Mattauch, Creutzig et Edenhofer, 2015).

Mattauch, Creutzig et Edenhofer (2015) ont contribué à cette tâche par l'étude de l'impact de l'élasticité de substitution entre le secteur énergétique polluant et celui propre sur les réponses politiques appropriées. Ils ont constaté que les possibilités de substitution entre les deux secteurs ont un effet ambivalent : même si une forte élasticité de substitution nécessite des politiques d'atténuation moins drastiques que celles dans le cas de faible substitution, elle crée une perte de bien-être plus grande à travers « le verrouillage au carbone » en l'absence de réglementation. Ils ont utilisé un modèle d'équilibre général inter temporel à deux secteurs afin d'établir ce résultat et identifier les options politiques qui sont suffisantes pour éviter les pertes élevées de bien-être qui sont dues au « verrouillage au carbone ». Le résultat principal de cette étude est que, même si une élasticité de substitution plus élevée exige des politiques moins agressives d'atténuation, elle crée des pertes plus élevées de bien-être à partir d'un « verrouillage ». La réponse socialement optimale consiste à l’application d'une taxe permanente sur le carbone et d'une subvention de l'apprentissage pour les technologies propres. Les résultats soulignent également que la fourniture d'infrastructures nécessaires est essentielle pour faciliter le passage vers une économie sobre en carbone.

Carley (2011) a essayé de savoir si le secteur de l'électricité, aux États-Unis, est dirigé loin de la situation du « verrouillage au carbone » et de déterminer les facteurs qui contribuent, ou sont susceptibles de contribuer, à une éventuelle réorientation de l'industrie. Avec l'application d'une analyse historique du secteur de l'électricité, cette étude aboutit à la conclusion suivante : bien que ce secteur repose encore, principalement, sur les combustibles fossiles à forte intensité de CO2, plusieurs tendances récentes indiquent que

le secteur de l’électricité est devenu moins émetteur de CO2, avec des systèmes de

production plus petits et plus propres. Ces changements sont faits à travers des interactions à différents niveaux. En effet, les firmes, la structure de marché, l’intervention du gouvernement, la participation des citoyens et les modèles de comportement ont joué un rôle important dans ces changements. Ces résultats indiquent que l’évasion complète du secteur de l’électricité du « verrouillage au carbone » bien qu’importante, elle n’est pas encore définitive. Cependant, il reste à voir si ce secteur est en mesure de se transformer entièrement et rapidement avant qu’une catastrophe climatique puisse avoir lieu.

100 D’autres auteurs ne voient pas dans les ER une solution pour se débarrasser du « verrouillage au carbone ». Par exemple, Karlsson (2012) considère que seule l’énergie nucléaire, sera capable de briser le processus actuel de « verrouillage au carbone », en Chine et dans d'autres PED, mais à condition que plus d’efforts soient déployés pour baisser le coût de cette technologie.

« La dépendance au sentier » aura certainement des implications sur les efforts des décideurs politiques pour stimuler l'investissement dans les ER. Une première recommandation est que les décideurs politiques tiennent compte des trajectoires passées. En effet, les technologies d’ER ne peuvent pas entrer sur le marché brusquement et rapidement. Il faut, plutôt, analyser en détails et prendre en compte les intérêts des parties prenantes et leurs perceptions du risque-rendement. Ces perceptions sont généralement basées sur l'expérience passée et sont déterminants pour les choix présents et futurs.

Il convient de souligner que la situation de « verrouillage au carbone » n’est pas une situation permanente, mais plutôt un état persistant qui crée des barrières à des alternatives pour les technologies dominantes. En effet, cet effet se manifeste dans la réalité par une situation dans laquelle l’investissement dans des projets d’ER rencontre plusieurs risques. Ainsi, l’investissement dans des projets d’ER fait face à plusieurs barrières d’investissements de types différents (économique, institutionnel, social, etc.) qui représentent des risques importants aussi bien pour les investisseurs que pour les bailleurs de fonds. Nous allons, tout d’abord, détailler ces risques pour prouver la nécessité de l’approche du management des risques qui sera utilisée dans cette thèse.

Section 2. Les risques d’investissements dans les projets

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