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La vision de la durabilité pour les matériau

CHAPITRE I Les paradoxes esthétiques du mouvement environnemental en design

1.1. Les rémanences de l’esthétique du Mouvement moderne au sein des pratiques du design durable

1.1.3. La vision de la durabilité pour les matériau

Que signifie la durabilité des matériaux au sein des outils concrets destinés à la mise en œuvre des principes de développement durable? Quelle est la nature des matériaux dits durables? Toute une industrie a vu le jour pour opérationnali- ser les principes de performances énergétiques. En design, divers outils, méthodes et protocoles sont utilisés. Parmi eux, les plus connus sont l’analyse de cycle de vie (ACV), la certification LEED, l’empreinte écologique, le principe 3RV (Réduire, Réutiliser, Recycler et Valoriser), Cradle to cradle (C2C), l’empreinte éco, le Bilan Carbone. Selon les pays, les outils et les concepts mobilisés varient, et leurs inté- grations reposent sur une démarche volontaire des parties prenantes. Par exemple, LEED, Leadership in Energy and Environmental Design, est un système de certifica- tion écologique mondialement réputé, orienté vers la construction de grandes œuvres et aménagements urbains, né aux États-Unis en 1998. En France, son équivalent est la HQE, Haute Qualité Environnementale. Et selon l’architecte Rudy Ricciotti, qui la critique sévèrement, la « HQE génère une surconsommation de matériaux et de volumes dont les conséquences vont être diaboliques pour l’environnement et l’enlai- dissement du pays » (Ricciotti, 2009)13.

L’ACV, l’analyse de cycle de vie, est une norme internationale (ISO  14040 et ISO 14044) visée par plus de cent soixante pays. Le lobbying et la décontextualisa- tion des calculs en lien avec les enjeux locaux figurent parmi les critiques adressées à cet outil. Le C2C est une certification internationale composée de lignes directrices qui visent une intégration parfaite des produits à la fin de leur vie utile dans un cycle soit organique (compostage), soit technique (désassemblage et réutilisation). Il se- rait un outil plus effectif qu’efficace comparé à l’ACV (Knight, 2009). Comme nous l’avons souligné, l’économie circulaire et le mouvement de Transition écologique,

13 Selon l’architecte Rudy Ricciotti, cet outil « permet toutes les manipulations mentales, pour créer de nouveaux pouvoirs sur le dos de l’environnement, et le martyriser autrement. Tout le monde veut faire des bénéfices avec ce nouveau commerce. Chauffage, ventilation, climatisation réactivent le penchant naturel de l’industrie du bâtiment pour le mercantilisme consumériste. La HQE génère une surconsommation de matériaux et de volumes dont les conséquences vont être diaboliques pour l’environnement et l’enlaidissement du pays. La fourrure verte, c’est l’eldorado de l’arnaque. Il faut être violent face à cette nouvelle dictature de la pensée. […] Les contrôles sur les constructions sont tellement excessifs que toute innovation semble impossible. Alors on ajoute 5 cm de laine de verre à l’intérieur et un double vitrage et voilà le miracle HQE est réalisé. » (Ricotti, 2009, p. 28-29).

évoqués par la plupart des acteurs, se situent à un niveau plus conceptuel, mais déploient de plus en plus d’outils pratiques. Le mouvement de Transition s’applique à l’échelle de la gestion et de la planification du quartier et de la ville en prenant la permaculture14 comme outil de reconfiguration durable de la vie collective. Le guide

de Transition promeut « l’utilisation de matériaux locaux et naturels tels que le pisé, la paille, le chanvre, le bois, ou issus du recyclage, ainsi qu’un Programme de forma- tion aux techniques de construction à l’échelle nationale » pour une autonomisation des individus.

En 2017, BSI Group, l’agence de normalisation britannique, a lancé la première norme sur l’économie circulaire : BS 8001 : 2017, Cadre pour la mise en œuvre des principes de l’économie circulaire dans les organisations. Un guide. « Il est destiné

à s’appliquer à n’importe quelle organisation, quels que soient son emplacement, sa taille, son secteur et son type » (BSI, 2017). L’incompatibilité de ces approches glo- bales, qui ne prennent pas en compte la particularité des enjeux locaux, figure parmi les premières critiques adressées au mouvement environnemental. L’un des porteurs principaux du concept dans le monde, Ellen MacArthur Foundation, en collabora- tion avec IDEO15, propose un guide de design circulaire, Circular Design Guide16.

On y retrouve une proposition méthodologique hybride et plurielle composée d’ou- tils inspirés ou empruntés de l’ACV, de C2C et du design thinking. On y précise qu’il

faut concevoir des produits qui durent et qui restent. Au sein de ces outils, un maté- riau écologique signifie souvent une ressource recyclée, des mains-d’œuvre éthiques, une consommation d’eau et d’énergie réduite, la non-toxicité et la durabilité dans le temps.

14 Permaculture signifie non pas une « agriculture permanente », mais « une culture permanente » (Holmgren et Mollison, 2011). C’est un modèle théorique et pratique holistique pour concevoir autant l’agriculture que l’architecture.

15 IDEO est une compagnie de design global internationale d’origine américaine pionnière en l’intégration de méthodologies de conception centrées sur l’usager et la collaboration depuis 1991. 16 « Areas important for economically successful circular design include: material selection, standardised

components, designed-to-last products, design for easy end-of-life sorting, separation or reuse of products and materials, and design-for-manufacturing criteria that take into account possible useful applications of by-products and wastes. » à l’adresse URL : https://www.circulardesignguide.com/

Par exemple, les matériaux utilisés pour la Maison du développement durable mon- tréalaise, qui a obtenu le certificat LEED Platine en 2013 – le bois recyclé, le béton recyclé et le verre recyclé –, ont été choisis pour leur efficacité énergétique17. À deux

pas, la Place des Arts, espace « public » intérieur, rénové en 2011, est fait de granit, d’inox, de verre, de béton, d’afficheurs électroniques et d’écrans selon une politique de développement durable qui vise à obtenir le Visez vert BOMA BEST®, une certi-

fication environnementale nord-américaine pour les immeubles commerciaux (PDA, 2012). Ce certificat exige l’utilisation « de matériaux sains et recyclés : le gestion- naire de l’immeuble doit avoir une politique écrite visant la sélection de matériaux de construction le moins dommageables possible pour la santé des occupants et l’en- vironnement intérieur » (BOMA, 2014). Les films protecteurs contre les graffitis et les scratchettis18 des futures rames de métro montréalais sont justifiés selon une po-

litique de durabilité19. « Élégant[s]. Et pour longtemps »20, les boîtiers unicoques des

ordinateurs Apple en aluminium allégé monomatériau conçus selon une politique environnementale d’ACV pour utiliser moins de matériaux avec plus de résistance, sont un exemple parmi d’autres des choix de matériaux au nom de leur durabilité. La série de billets en polymère de la Banque du Canada, mis en circulation en 2011, remplace les billets en papier coton. Ce changement de matériau, en plus d’être jus- tifié sur le plan de la sécurité et de l’hygiène, s’inscrit dans la volonté d’améliorer la durée de vie et de diminuer les coûts de traitements environnementaux pour suivre les principes de durabilité (BC, 2011). Les nouveaux billets sont lavables, indéchi- rables, infroissables21. Et au-delà des billets, la dématérialisation croissante des flux

monétaires nous met constamment en contact avec des cartes bancaires en polymère.

17 Voir la présentation du bâtiment à l’adresse URL : https://lamdd. org/batiment/choix-ecologique-materiaux

18 Anglicisme utilisé par la Société de Transport de Montréal dans ses rapports sur les nouvelles rames de métro. Le mot signifie les « rayures » intentionnelles pour dessiner une forme ou signature de graffitis grâce à un objet pointu.

19 Lire la présentation du nouveau matériel roulant "Azur" à l’adresse URL : http://www.stm.info/fr/a-propos/grands-projets/metro-azur

20 Voir la section dédiée à l’environnement à l’adresse URL : https://www.apple.com/fr/environment 21 Pour une analyse comparée symbolique sur le changement iconographique du billet de cinq

Figure 2. Le nouveau billet de

banque de 5 dollars canadiens en polymère ©Banque du Canada

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