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L’engagement comme solution à la crise écologique Parmi les solutions promues 5 par les politiques de développement durable

Avis aux lectrices et lecteurs

0.2. L’engagement comme solution à la crise écologique Parmi les solutions promues 5 par les politiques de développement durable

(ONU et coll., 1980; ONU et Brundtland, 1987; ONU, 1992; 2002; 2012), et par les documents publiés sur la problématique environnementale (Maedows et coll., 1972;

5 Diverses solutions ont été formulées pour repenser le développement non comme une solution, mais en tant que problème à résoudre à travers un changement de perspective et une réappropriation des outils politiques du développement durable (Vivien, 2005). Parmi elles, on peut citer la diminution et la gestion du temps de travail autrement, la richesse de la vie sociale, le bonheur collectif, le changement qualitatif, l’art, la religion, la recherche, le sport, l’autonomie économique, la créativité, l’inventivité technique pour le bien-être commun social, la liberté d’expression, de publication, de participation pour construire et décider son existence, le droit de travailler sans être aliéné et avec un accomplissement personnel, pouvoir déterminer son avenir (Mill, 1848; Schumpeter, 1912; Meadows et coll., 1972; Illich, 1973; Gorz, 1988; O’Connor, 1995; Abdelmalki et Mundler, 1997; The Coyococ, 2012; Dag Hammarskjöld Fondation et ONU, 1975).

1992; Dag Hammarskjöld Fondation et ONU, 1975; The Cocoyoc, Bernier et

coll., 2012) se trouvent l’idée d’un sujet politique durable, de la diversité et de la plu- ralité des acteurs qui décident et participent à la construction de l’avenir. Dès 1980, dans World Conservation Strategy, la participation des citoyens, l’éducation et la

conscientisation des individus pour une implication constante dans les décisions po- litiques et environnementales sont proposées comme solutions (ONU et coll., 1980). On retrouve différentes notions pour nommer cette tournure militante qui renvoie

à la définition que donne Aristote du citoyen. Le citoyen est celui ou celle qui est à la fois gouvernant et gouverné (Rancière, 2000). Il ou elle prend part aux deux réalités (Rancière montre que cette compétence dépend des occupations). Être ci- toyen implique de prendre conscience du bien commun, au-delà du particulier. D’une part, le mouvement environnemental exige des sujets politiques, des citoyens, des écocitoyens informés, émancipés, exigeants, libres et conscients, qui possèdent une « capacité » politique et un « pouvoir » d’action pour prendre part à la vie de la cité. Ainsi, ce mouvement met en lumière la responsabilité individuelle. De l’autre, il iden- tifie la nécessité de modèles politiques démocratiques, voire directs et transparents, qui permettent aux individus et communautés d’avoir la possibilité de déterminer leur avenir, de participer, de s’émanciper, soulignant ainsi la responsabilité collective (ONU, 1972; ONU et Brundtland, 1987; ONU, 1992; 2002; 2012).

Dans les essais critiques, la transformation culturelle et sociale, les changements mentaux et sociaux ne sont possibles que par le biais d’une réforme fondamentale des comportements et des structures de la société (Meadows et coll., 1972). L’éducation, à travers des modèles scolaires appropriés, est la solution pour parvenir à mettre en place le changement, la conscientisation et la participation (Dag Hammarskjöld Fondation et Nations Unies, 1975; ONU et Brundtland, 1987; The Cocoyoc, Bernier

et coll., 2012). André Gorz définit ces exigences pour résoudre la crise écologique comme des « besoins qualitatifs »; selon Theodor W. Adorno et Agnès Heller, ce sont des « besoins radicaux » (Keucheyan, 2017)6. À ce propos, le sociologue Razmig

Keuchuyan (2017) écrit :

La transition écologique nous incite à fonder une démocratie directe, plus délibérative que représentative. L’adaptation des sociétés à la crise environnementale suppose de réorganiser de fond en comble la vie quotidienne des populations. Or cela ne se fera pas sans les mobiliser, sans s’appuyer sur leurs savoirs et leurs savoir-faire, et sans transformer dans un même mouvement les subjectivités consuméristes. C’est donc à une nouvelle « critique de la vie quotidienne » qu’il faut parvenir; une critique élaborée collectivement.

L’un des producteurs de cette vie quotidienne est le design. Il partage la responsabi-

lité d’inclure ces besoins qualitatifs dans son cahier de charges.

Une tournure participative a bien eu lieu en design pour mieux répondre à la fois aux critiques adressées au métier et aux enjeux écologiques. Les exigences de citoyenneté, de participation, de pluralité des acteurs émergent dans les discours et les pratiques du design durable dès le début du siècle. Par exemple, dans l’exposition

Architecture Without Architects au Musée d’art moderne de New York en 1964, le

commissaire Bernard Rudofsky écrit : « l’histoire de l’architecture orthodoxe met l’accent sur l’architecte et sur l’œuvre individuelle; ici, ce qui nous emporte, c’est l’entreprise communautaire » (1977, p. 3). Quant à Manzini, il soulignait dès 1991 la nécessité « d’affirmer la capacité naturelle de l’homme à intervenir sur son propre environnement en tant que sujet inventif » (1991, p. 109). Dans Green Imperative

(1995), Victor Papanek souligne l’aspect holistique de l’architecture vernaculaire, qui permet aux individus à la fois de s’adapter au contexte, de concevoir, de construire eux et elles-mêmes leurs habitats (Papanek, 1995). La Tin Car Radio, qu’il conçoit

en 1965, au-delà d’être économique, «  rend l’utilisateur intelligent (en ouvrant la boîte noire de la technique) et créatif (en luttant contre l’imposition d’une esthétique uniforme) » (Petit, 2015, p. 34). L’une des pionnières de l’histoire du design durable, Pauline Madge, écrit :

Cela soulève les autres dimensions du développement durable : « Équité », répondant aux besoins de tous, et « Participation »,

implication effective des citoyens dans la prise de décision, sans laquelle une croissance mondiale durable serait impossible si ce n’est par

une forme inacceptable d’« écofascisme ». Ces questions ne font que commencer à être soulevées dans les milieux du design, mais ont été explorées en détail récemment par le Worldwatch Institute dans des

rapports sur les ressources mondiales et les modes de consommation7

(Madge, 1997, p. 52).

Afin de réussir la tournure écologique du design, « l’individu doit s’élever au rang d’acteur et de citoyen » (Litzler, 2015, p. 77). Le rôle du designer et de l’architecte serait ainsi celui d’inventer des choix possibles pour les habitants et les usagers, des choix susceptibles de permettre à chacun de se réapproprier ses lieux de vie et de pouvoir collaborer avec les autres (Antonioli et Vicari, 2015, p. 108). Parmi les diffé- rents concepts, comme l’écocitoyenneté8, l’émancipation9 ou le sujet politique10, c’est

le concept de participation qui a incarné institutionnellement ces enjeux au sein des réformes de politiques publiques.

Dès les années soixante, les approches participatives apparaissent (Desage et Jacob, 2015), mais en design, l’implication des usagers date des années 80 par le biais du design centré sur l’usager. Quant au design comme outil de politique publique pour encadrer la participation des usagers ou citoyens, il date des années deux mille. Le design a trouvé une place centrale dans ces réformes pour intégrer les bénéfices du

design thinking. Les approches déployées, qu’elles améliorent la qualité des actes

posés par les designers, ou qu’elles instrumentalisent la participation à des fins d’ac- ceptabilité sociale, ne cessent de prendre une place concrète au sein des méthodolo- gies, discours et justifications de divers acteurs. Ces pratiques mettent en question la place, le pouvoir et la légitimité accordés aux professionnels, élus, et autres acteurs à décider au nom des usagers et définissent la participation comme exigence minimum

7 « This raises the other dimensions of sustainable development : “Equity”, meeting the needs of all, and

“Participation”, effective citizen involvement in decision-making, without which global sustainable growth would be impossible except by an unacceptable form of “ecofascism”. These issues are only just being raised in design circles, but were explored in detail recently by the Worldwatch Institute in reports on global resources and consumption patterns » (Madge, 1997, p. 52). 8 L’écocitoyenneté signifie prendre part au sein des mouvements citoyens ébranlés par les

causes écologiques comme l’opposition aux centrales nucléaires, barrages, lignes de TGV. Ces mouvements lient « l’écologie et la citoyenneté »; il s’agirait d’un « nouveau paradigme » de plus en plus présent dans « les logiques et les rationalités des militants environnementalistes convaincus de longue date » (Tremblay, 2005, p. 26-27). 9 Selon Bloch, l’émancipation est l’appropriation du soi sur le plan

matériel (Blay, 2006, entrée : émancipation)

10 Par rapport au sujet, signifie celui conscientisé aux enjeux politiques de la vie en commun, qui porte un souci de ce qui est en place et à venir des rapports entre les êtres, les êtres et les choses.

dans la production de l’environnement matériel (Desage et Jacob, 2015). Ces disposi- tifs inclusifs créent toutefois des inégalités entre les participants selon leurs capacités

rhétoriques, les rapports de force et la facilité à mobiliser les méthodes du design thinking, souvent en une demi-journée.

Selon Hannah Arendt, prendre part à la vie de la cité, être un être politique, n’est possible que par la parole et l’action (1995). Ces dispositifs incluent les individus dans la définition de l’avant-projet, et non dans la mise en œuvre du projet créant ainsi un écart considérable entre « le cerveau » et « la main ». Historiquement, c’est l’inverse qui s’est souvent produit comme le critique Richard Sennett. Les individus et les communautés ont été mis devant le fait accompli sans réellement donner un pouvoir de détermination et d’intervention sur leur propre avenir (Sennett, 2010). La forme d’action que ces dispositifs provoquent n’est pas la seule forme pour as- surer la vitalité de la vie publique. Une autre forme de participation, plus sensible et expérientielle qui advient dans l’action et au quotidien, est passée sous silence au sein de ces approches. Cette autre forme de participation par le sensible est celle de l’engagement, selon la forme qu’Albert Borgmann (1995) lui donne, où peut opérer la capacité d’action de l’esthétique. Quelle est la place qu’occupent le design et les designers au sein de ces enjeux esthétiques pour favoriser l’engagement?

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