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CHAPITRE III L’utopie comme lieu des manifestations contemporaines de l’engagement écologique

3.7. Les formes de l’engagement écologique

3.7.1. Les communautés autogérées

Les communautés existantes les plus connues et les mieux documentées sont : Auroville à Tamil Nadu, en Inde; Arcosanti en Arizona, aux États-Unis; les communautés kibboutz Degania dans la vallée du Jourdain, en Israël; Twin Oaks en Virginie, aux États-Unis; le réseau de Longo Maï en Europe; les Oasis en tous lieux portées par le mouvement Colibris et les Zones à défendre comme Notre-Dame- des-Landes, en France. Ces initiatives sont toutes situées dans des zones rurales. D’autres lieux et communautés moins connus, mais répertoriés dans des livres et blo- gues – comme Economy, en Pennsylvanie; Cambridge Cohousing au Massachusetts;

Ecovillage dans l’État de New York, aux États-Unis; ZEEG à Brandebourg, en Allemagne (Miles, 2009); Svanholm dans l’île de Seeland, au Danemark; The Farm dans le Tennessee, aux États-Unis; Nimbin en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie; Le Manoir au Québec, au Canada (Eve, 2016) – sont aussi en dehors des zones urbaines. Parmi ces communautés à la lumière des critères de sélections exposées précédemment, j’ai sélectionné Christiania à Copenhague, au Danemark (CAS 1), et ufaFabrik à Berlin, en Allemagne (CAS  2), en éliminant Užupis à Vilnius, en Lituanie, qui présentait une situation semblable à cette dernière sur le plan structurel et historique.

Situé dans un milieu de vie urbain depuis près de 40 ans, ufaFabrik, en tant qu’ini- tiative populaire, propose un milieu de vie mixte qui conjugue la vie privée et pu- blique à un engagement écologique côtoyant l’approche communautariste, sociale et économique. La communauté fait la démonstration d’un mode de vie alternatif et donne un exemple d’initiative qui résiste dans le temps. La taille du territoire, le nombre d’habitants et d’habitantes, d’employés et d’employées impliqués, les liens poreux avec le quartier et son histoire sont des caractéristiques qui le différencient des autres communautés. Cette communauté se situe également, comme Christiania, dans la suite des mouvements écologiques des années 1960 et des initiatives d’artistes engagés. Grâce à son caractère mixte, il réunit des espaces communs et publics, des rues, des lieux d’échanges accessibles à une enquête empirique.

Certaines communautés intentionnelles citées plus haut comme Ecovillage à Ithaca, aux États-Unis, et les Oasis en tous lieux en Europe sont inscrites au réseau des

écovillages, qui sont aussi des manifestations urbaines de l’engagement écologique. Un écovillage est :

une communauté, urbaine ou rurale, qui tend vers l’intégration d’un mode de vie communautaire et écologique. Pour ce faire, divers aspects sont interreliés dans la vie de tous les jours, comme la permaculture, la construction écologique, les énergies renouvelables, l’autosubsistance, une forme de spiritualité, des processus d’épanouissement de la communauté et une approche de gouvernance collective équitable et participative (Carbonneau, 2010).

Les écovillages sont des laboratoires pour essayer et inventer des solutions alterna- tives et innovantes (GEN, 2017), mais elles sont souvent rurales. Le répertoire en ligne Global Ecovillage Network n’étant pas propice à filtrer les initiatives urbaines

et établies, j’ai utilisé le système de filtrage en ligne de The Intentional Communities Directory, qui inclut les écovillages. En filtrant par «  established  »13, «  urban  »,

« ecovillages » et « transition »14, 17 initiatives ont été consultées. En éliminant les

cas situés en Australie pour des raisons d’accessibilité, les cas situés dans des villes où la densité est moins de 4000 hab./km², et les initiatives difficiles à documenter (fiches d’informations incomplètes, absence ou faiblesse de la littérature grise), quatre cas potentiels répondent à nos critères d’enquête  : Enright Ridge Urban Ecovillage à Cincinnati; Community for Mindful Living à Berkeley; Los Angeles Eco-Village à Los Angeles; et GreenRise Intentional Commmunity à Chicago, aux États-Unis. Dans le cadre de cette enquête, ces cas n’ont pas pu être inclus à l’échantillon pour des raisons temporelles, économiques et au détriment d’un autre type de terrain nord-américain présenté ultérieurement.

Parmi les manifestations de l’engagement écologique contemporaines collec- tives, entre 2011 et 2014, les mouvements d’occupation des places publiques ont pris une dimension importante à travers le monde dans 24 pays en réaction à la crise démocratique, économique et écologique (Chavranski, 2017). Cette forme d’enga- gement fait écho aux Zones à Défendre évoquées plus haut et souvent citées dans la littérature du mouvement écologique européen. Ces contestations partagent « un

13 La base de données permet de consulter les projets en voie de développement.

14 Même si le mouvement de transition ne fait pas partie des types d’engagement identifiés au sein de cette base de données, il a été pertinent de l’inclure, sachant qu’il s’agit déjà d’un répertoire de communautés.

socle de valeurs communes : égalité, justice, dignité, bien commun » (Ogien, 2014). Des espaces de vie communautaires éphémères ont vu le jour dans plusieurs espaces publics à travers le monde. Pour en citer quelques-uns : 15-M à Madrid et Indignés à Barcelone, en Espagne; la République de Tahrir au Caire, en Égypte; et Occupy Wall Street à New York, aux États-Unis. En Turquie, en mai 2013, des revendications écologistes contre un projet de réaménagement du parc Gezi à la place Taksim pour la transformer en centre commercial ont catalysé plusieurs tensions politiques (Chavranski, 2017; Pérouse, 2014). « Il existe donc un conflit patent entre l’idéolo- gie conservatrice – indissociable du positionnement ultra-libéral des gouvernements AKP – et le souci de la nature » en Turquie (Pérouse 2014).

Dernier symbole en date de cette conjonction d’un élément environnemental avec un élément démocratique, la lutte pour la préservation du parc Gezi en Turquie qui a été l’en deçà d’une résistance citoyenne sur la place Taksim, et des prémisses d’une révolution culturelle plus générale. Le parc Gezi n’est pas spécialement beau. Mais il est lui-même le dernier résistant vert d’un espace

mégalopolistique dont l’expansion ne connaît pas de limites. Or Istanbul reste une histoire de frontières, de partage géographique, de cultures qui se rencontrent et s’admirent mutuellement. Mais voilà les bulldozers abattant quelques arbres, en vue d’un réaménagement du parc en centre commercial, c’était la goutte de trop. Les citoyens se sont réunis. Occupy Gezi est né. Ses tentes, sa mobilisation pacifique et résolue. Et l’aventure de la place Taksim, une aventure immédiatement globale grâce aux réseaux sociaux, est née (Fleury, 2014).

Entre le 28 mai et 6 juin 2013, les contestations et les occupations pacifiques qui ont commencé sur la place symbolique de Taksim ont pris une tournure nationale avec des revendications antigouvernementales dans un contexte de polarisation politique important. Le mouvement a pris fin avec une violence policière qui s’est soldée par des centaines de blessées et même des morts15. Ces sept jours de manifestations ont

activé plusieurs réseaux de militants à travers le pays et ont donné naissance à divers projets politiques et citoyens16. Ce n’est ni les installations éphémères pendant les

événements de Gezi ni le parti politique qui a vu le jour qui est intéressant comme

15 Voir l’article de Maxime-Azadi (2013) « Bilan de Gezi Park : 5 morts, 7 681 blessés, 2 841 arrestations » dans Médiapart à l’adresse URL : https://blogs.mediapart.fr/maxime-azadi/

blog/250613/bilan-de-gezi-park-5-morts-7-681-blesses-2-841-arrestations 16 Voir le vidéo à l’adresse URL : https://www.youtube.com/watch?v=mSdYVoKfYI8

manifestation habitable de l’engagement écologique, mais les répercussions de cet

esprit utopique qui ont, elles, soufflé des possibles dans le pays. Grâce à la littérature

grise, articles de journaux, journaux télévisés, et contacts dans le milieu militant, j’ai identifié le Centre Social de Don Kişot, un espace tangible occupé depuis près d’un

an en plein milieu d’Istanbul sous l’impulsion des événements du parc Gezi (CAS 3).

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