• Aucun résultat trouvé

La politique compromissoire de la Commission des consensus

Titre I La consécration constitutionnelle de l'identité

Section 1 La constitutionnalisation simultanée de deux conceptions de l’Etat

B. La politique compromissoire de la Commission des consensus

B. La politique compromissoire de la Commission des consensus

Grâce au Dialogue national, les institutions de la période transitoire ont mis en place des procédures de dialogue interne « dérogatoire[s] à leurs procédures légales ordinaires, en vue

515

Seule une motion de censure initiée à la majorité absolue et adoptée par deux tiers des membres de l’ANC, pouvait renverser ce gouvernement.

516 Ces deux mesures devaient faire l’objet d’une loi adoptée en séance spéciale à l’ANC, qui aurait d’ailleurs modifié l’organisation provisoire des pouvoirs publics.

517 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp. 309-310.

518

Pouvoir constituant qu’ils s’étaient attribués en élaborant la loi constituante du 16 décembre 2011.

519 Le jour de l’ouverture du Dialogue national le président de la LTDH a fait un lapsus qui a été instrumentalisé par les députés d’Ennahdha. En voulant discuter du dialogue ou hiwâr en arabe, le président de la LTDH a parlé de himâr (d’âne). Ce malencontreux lapsus a notamment été repris par Néjib MRAD, un député nahdhaoui pour critiquer le Dialogue national et la feuille de route du Quartet.

128

d’aboutir à des accords qui seront ensuite ratifiés par des procédures ordinaires de l’institution en cause. »520

Tel a notamment été le cas de Lajnat a-tawâfuqât ou Commission des consensus à l’ANC, née du Dialogue national. Cette commission constitutionnelle ad hoc s'est vue attribuer un certain nombre de compétences et a agi selon un fonctionnement particulier (1), ayant essentiellement pour but d’aboutir à la mise en place d’un compromis à défaut d’un véritable consensus (2). Bien qu’il ait été qualifié d’historique par les observateurs nationaux et internationaux, le compromis constitutionnel auquel les constituants tunisiens ont abouti, reste un compromis d’attente.

1. Le fonctionnement de la Commission des consensus

A l'origine, l’ANC comptait sur un Comité mixte de coordination et de rédaction de la Constitution, en plus des six commissions constituantes521. Celui-ci devait coordonner les travaux des différentes commissions et proposer une version unique du texte constitutionnel en séance plénière à l’ANC. Mais dès la publication de la troisième version du texte constitutionnel, il est apparu que le Comité était allé bien au-delà de son champ de compétences : il avait modifié les projets que les commissions constituantes lui avaient soumis522. De surcroît, le Comité ne publiait pas ses procès-verbaux et ne les communiquait pas aux députés de l’ANC. Dès le mois de juillet, Mustapha BEN JAAFAR a annoncé la création d’une commission constitutionnelle ad hoc, la Commission des consensus, alors que se préparait en séance plénière la présentation de l’avant-projet final de la Constitution du 1er juin 2013.

Pour mettre en pratique le Dialogue national initié par l’UGTT, les députés ont souhaité mettre en place une commission, dont les règles de représentation des différents partis politiques présents à l’ANC, seraient fidèles au principe consensuel. « Alors que le comité

mixte de coordination et de rédaction était dominé par Ennahdha puisque y siégeaient les présidents des commissions, la Commission des consensus n’était pas composée à la proportionnelle mais chaque groupe y avait un nombre presque équivalent de députés. Cela

520 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 226.

521 Cf. Note de bas de page 314.

522

R. MAHJOUB, « De la fracture au consensus : rôle et apport de la Commission des consensus - Naissance de la Commission des consensus », précit., p. 297.

129

revenait à donner moins de poids à la majorité et davantage à l’opposition. »523 Ennahdha a contesté la légitimité524 de la nouvelle commission, sans rejeter pour autant, sa mise en place.

Concrètement, cette commission composée de seize membres525, siégeait pour finaliser les accords entre les différents groupes parlementaires et élaborer les textes qui seraient soumis à discussion en séance plénière. Les présidents de groupe participaient aux débats pour déterminer la tendance générale à adopter et à inscrire dans le texte constitutionnel. Cette étape ne concernait que 9 membres526 de l’ANC. Ce n’est qu’après leur réunion que la Commission des consensus siégeait pour amender le texte, plus tard introduit en séance plénière par le rapporteur général de la Constitution. Un débat limité à deux interventions (l’une pour et l’autre contre), était alors suivi du vote de l’amendement et/ou de l’article constitutionnel. Quand un article ou un amendement n’était pas adopté ou l’était à une très faible majorité, le rapporteur général de la Constitution mettait en œuvre l’article 93 du règlement intérieur de l’ANC.527

Ce dernier autorisait l’examen ultérieur d’un article déjà adopté. Les points de discorde étaient par conséquent renvoyés à la Commission des consensus qui siégeait alors à huit clos, pour résoudre les points de désaccord persistants.

En conséquence et contrairement à ce que son nom pouvait laisser penser, la Commission des consensus mettait en œuvre le principe du compromis et non celui du consensus.

2. La mise en place d’un compromis d’attente

Qu’est-ce qu’un compromis ? Est-il différent du consensus et pourquoi est-il qualifié de « dilatoire » par le Doyen Yadh BEN ACHOUR dans le contexte tunisien d’élaboration de la Constitution ? Telles sont les questions qui méritent une explication claire et convaincante à

523 Ibid.

524 Les débats constituants en séance plénière débutèrent le 2 janvier 2014. Les députés y ayant participé avaient voté plusieurs amendements du règlement intérieur de l’ANC. L’un d’eux accordait un cadre juridique à la Commission des consensus. Grâce à cette consécration, les amendements proposés qui venaient modifier l’avant-projet final du texte constitutionnel du 1er juin 2013, pouvaient directement être soumis à la discussion en séance plénière.

525 Contrairement aux autres commissions constituantes qui elles, étaient composées de vingt-deux membres.

526 Il s’agissait essentiellement de Mustapha BEN JAAFAR (Ettakatol), de Habib KHEDHER (Ennahdha), de Sahbi ATIG (Ennahdha), de Mohamed HAMDI (Groupe Démocrates), de Mouldi RIAHI (Ettakatol), de Haythem BEN BELGACEM (CPR), d’Azed BADI (Wafa), d’Ahmed SAFI (Front Populaire) et de Hichem HOSNI (représentant des non-inscrits).

527

Pour plus de précisions sur la procédure suivie par la Commission des consensus, cf. O. PIERRE-LOUVEAUX, « L’Assemblée, au cœur », précit., pp. 303-312.

130

ce stade de la réflexion528. Avant de définir le compromis de manière juridique, il est intéressant de s’attarder sur ses définitions traditionnelles, telles que la « [c]onvention par

laquelle les parties, dans un litige, recourent à l’arbitrage d’un tiers. »529 Le compromis peut également signifier un « [a]rrangement dans lequel on se fait des concessions mutuelles. »530 Il est alors pertinent de noter que le compromis auquel a abouti la Commission des consensus peut être compris dans les deux sens du terme.

Du fait de l’opposition frontale des théocrates et des démocrates, les constituants ont eu recours à l’arbitrage d’un tiers : la Commission des consensus dont l'objectif est d'harmoniser les points de vue idéologiques. Les résultats auxquels elle est parvenue, découlaient d’ailleurs des nombreuses concessions des islamistes et des modernistes. Celles-ci ont été obtenues grâce à un instrument politique stratégique, le compromis. Destiné à éviter les confrontations entre les différents acteurs en présence, le compromis peut être obtenu de différentes manières : « soit on ignore les positions en jeu, sans décider pour l’une ou pour l’autre, soit

on adopte une position médiane, ce qui est relativement aisé dans les cas où seulement deux positions sont en lice ; soit on adopte une tierce position plus proche de l’une que de l’autre ou des deux autres propositions initiales à la fois, ce qui constitue en réalité une position d’attente. Toutes ces modalités du compromis ont été expérimentées en Tunisie au cours des cinq dernières années. »531

Le principe du compromis renvoie ainsi à ce qui est appelé l’“incrementalist approach” ou approche progressive, développée par Hanna LERNER532. Cette stratégie permet aux constituants d’éviter de faire un choix constitutionnel particulier, qui pourrait favoriser un pan de la société, plus qu'un autre. Dans des sociétés religieusement, culturellement et/ou ethniquement divisées, l'approche progressive peut notamment conduire les constituants à différer l’écriture de l’autobiographie nationale (à l’exemple d’Israël), à utiliser des formulations constitutionnelles ambiguës (à l’exemple de l’Inde) ou encore à rédiger des dispositions constitutionnelles contradictoires (à l’exemple de l’Irlande). Afin de savoir quels sont les écueils que les Tunisiens doivent éviter, il est essentiel d’exposer les solutions adoptées et, d’identifier les limites auxquelles ces trois pays sont confrontés. Ce n’est

528 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman” ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie », précit., p. 149.

529

Compromis, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 353

530 Ibid.

531 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 202.

532

H. LERNER, Making Constitutions in Deeply Divided Societies, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, 262 p.

131

qu’après cet exposé que la déclinaison de l’“incrementalist approach” en Tunisie sera abordée.

Etabli en 1948 comme Etat démocratique, l’Etat d’Israël n’a jamais disposé d’une constitution dans le sens formel du terme. Entre 1948 et 1950, les débats relatifs à l’élaboration de la constitution ont opposé les défenseurs d’une conception religieuse, aux représentants d’une conception séculière de l’Etat et de l’identité israélienne. La division des Israéliens sur la nature de l’Etat et de la société, n’a pas permis aux premiers membres de la Knesset de trouver un accord sur le contenu et la procédure d’adoption de la constitution. En outre, l’impossibilité d’aboutir à un consensus sur la relation appropriée entre les institutions de l’Etat moderne et les prescriptions religieuses, a amené les constituants à adopter une stratégie d’évitement et à constamment reporter l’élaboration de la constitution écrite. Le transfert de la sphère constitutionnelle à la sphère politique, des décisions concernant les rapports entre l’Etat et le Judaïsme et l’identité du peuple, a permis l’émergence d’arrangements informels entre les acteurs politiques.

Or, en l’absence d’un document écrit qui contient une ou plusieurs procédures de révision de la constitution, il est pratiquement impossible de modifier les conventions constitutionnelles qui naissent de la pratique et qui forment matériellement la constitution. Bien que les constituants tunisiens n’aient pas tranché le débat sur la nature de l’Etat et celle de la société, ils ont fixé aux articles 1 et 2 de la Constitution deux visions bien distinctes de la Tunisie et des Tunisiens. Les arrangements constitutionnels informels auxquels ont abouti les membres de la Commission des consensus ne sont-ils pas plus difficiles à modifier que le texte constitutionnel lui-même ? En quoi consistent-ils exactement ? Dans l’attente de la mise en place de la Cour constitutionnelle533, les acteurs politiques sont les dépositaires du sens des articles de la Constitution et les seuls maîtres de la perpétuation des conventions constitutionnelles.

Ces dernières conduisent l’Etat à respecter les préceptes et les valeurs de l’Islam, tout en l’encadrant. La religion n’est donc pas complètement détachée de l’Etat puisque ce dernier la gère. C'est dans ce contexte que les citoyens sont libres de croire et de pratiquer leur culte.

533

En vertu de l’article 120 de la Constitution, la Cour constitutionnelle dispose de compétences d’attributions. Au cours du contrôle de constitutionnalité qu’elle effectuera, elle sera forcément amenée à déterminer la nature de l’Etat en interprétant les articles 1 et 2 de la Constitution. Pour plus de précisions sur ce point cf. le Chapitre 2 du Titre 2 de la PARTIE II de cette thèse relatif au parachèvement du constitutionnalisme

132

Toutefois, en comprenant de la sorte la fonction de l’Etat en matière religieuse, les acteurs politiques trahissent les composantes de son caractère civil (autrement dit la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit). Comment garantir la citoyenneté et exprimer la volonté du peuple si l’Etat est sommé de respecter et de gérer la religion des seuls Tunisiens musulmans ? Comment faire primer le droit si l’Etat doit consacrer les préceptes et valeurs de la seule religion dominante ? Les arrangements informels apportent une réponse politique à la question constitutionnelle de la nature de l’Etat mais ils trahissent en partie, les composantes constitutionnelles de son caractère « civil » et excluent les minorités religieuses. Il en est de même en Israël. L’Etat juif et ses lois fondamentales ne reconnaissent aucune des minorités chrétiennes ou musulmanes qui le composent. De fait, peut-il véritablement être qualifié de démocratique, dans la mesure où le droit des minorités n’est ni consacré par les lois adoptées par la Knesset, ni préservé par les juridictions israéliennes ? Certes la pratique politique du texte constitutionnel doit respecter la volonté des constituants, mais elle doit par-dessus tout traduire les aspirations diverses et variées des individus qui composent la société534.

Contrairement au cas israélien où les membres de la première Knesset ont différé l’écriture de l’autobiographie nationale, la possibilité de ne pas adopter de constitution écrite n’a jamais été envisagée en Inde. Au moment de l’indépendance, l’Inde était caractérisée par sa diversité religieuse, culturelle, communautaire, linguistique, économique et sociale. Entre décembre 1946 et janvier 1950, l’objectif des constituants a été de forger une identité nationale qui fasse front à la diversité du peuple indien. La constitution devait faciliter la naissance d’une unité politique basée sur des engagements et des valeurs communes mais deux modèles d’identité nationale s’opposaient. Leurs fondements étaient par nature, inconciliables : alors que le premier modèle était exclusif dans le sens où l’identité nationale était envisagée comme homogène et uniforme, le second était inclusif puisqu’il permettait l’expression de la variété et de la diversité communautaire indienne535.

Afin d’éviter de faire des choix controversés, la traduction de l’objectif d’unité nationale dans le langage constitutionnel a amené les constituants à adopter des dispositions ambiguës. Ces dernières leur permettent de ne pas se prononcer de manière claire et univoque en faveur d’un

534 C. KLEIN, Le droit israélien, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1990, 124 p. Voir surtout le III. du Chapitre III relatif au droit public qui traite d’« Israël comme Etat juif : remarques sur quelques problèmes juridiques particuliers (notamment la loi du Retour et le droit de la nationalité », pp. 49-51. Sur le caractère juif et démocratique de l’Etat d’Israël voir « 1.2. Le cas d’Israël comme “Etat juif et démocratique”, relations entre la règle et l’exception ou la loi et les applications », in R. AMIT, Les Paradoxes constitutionnels. Le

cas de la constitution israélienne, Paris, Connaissances et Savoirs, 2007, pp. 449-469.

133

modèle de société. Ils laissent, comme en Tunisie, aux acteurs politiques et interprètes institutionnels de la constitution, la possibilité d'expurger le débat identitaire. Le caractère équivoque des dispositions constitutionnelles reflète sans nul doute, l’identité conflictuelle du peuple. Ceci suggère d’ailleurs, que l’identité en question n’est pas rigide et fixée à jamais dans le texte constitutionnel. Elle est amenée à évoluer en fonction des circonstances de temps et de lieu. Ce changement dans la continuité de l’identité du peuple suppose une interprétation constante et évolutive de ses composantes par les acteurs politiques. Seulement si, en matière de définition de l’identité du peuple, il est compréhensible que le texte constitutionnel soit ambigu, il peut être préjudiciable de laisser la détermination de la nature de l’Etat aux acteurs politiques et interprètes institutionnels. Les exemples indien et tunisien sont révélateurs sur ce point, leurs constitutions n'étant pas conçues comme des systèmes cohérents de normes et de valeurs. Le texte constitutionnel indien est partagé entre la modernité et le traditionalisme, le réformisme social et le conservatisme, la séparation de la sphère politique de la sphère religieuse et l’intervention de l’Etat dans les affaires religieuses. Ce dernier point se retrouve dans la Constitution tunisienne qui dispose à la fois du caractère « civil » de l’Etat et de son rôle de protecteur de la religion et du sacré. Alors que signifient exactement les dispositions de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014 ? Sont-elles compatibles avec celles de l’article deuxième ? Quel est la nature de l’Etat en Tunisie : est-ce un État religieux ou un État laïque ?536 Seuls les interprètes authentiques du texte constitutionnel sont à même de le déterminer et cela ouvre la voix à tous les excès.

En effet, dans le cas où le parti au pouvoir est un parti religieux fondamentaliste, voire extrémiste, l’ambiguïté des dispositions constitutionnelles537

et l’indétermination des rapports entre l’Etat et l’Islam seront interprétés dans le sens d’une intervention massive de la religion dans l’arène politique. Afin de parer à cette éventualité, les conventions constitutionnelles auxquelles les acteurs politiques et interprètes institutionnels ont abouti, doivent être ancrées dans les esprits et la pratique. Par ailleurs, il faudrait que ces arrangements informels soient accompagnés d’une certaine culture constitutionnelle538

. Le peuple s’insurgera en cas de non-respect par les pouvoirs publics, des accords informels nés de l’application du texte

536 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman” ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie », précit., p. 145.

537 A commencer par celle de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014. Sur les diverses interprétations possibles de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014, cf. le 1 du A du Paragraphe 2 de ce chapitre relatif au problème de l’Islam comme religion de l’Etat, p. 137.

538 Pour plus de précisions sur ce point cf. le Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse relatif à une culture constitutionnelle nécessaire à l’appropriation de l’idée de constitution, p. 362.

134

constitutionnel. De plus, certaines institutions ou/et juridictions doivent servir de garde-fou, d’arbitre ou de garant de la constitution, telles que notamment la Cour constitutionnelle et les instances constitutionnelles indépendantes539.

Contrairement au cas indien, l’ambivalence des dispositions constitutionnelles en Irlande est le témoin de la coexistence de deux visions contradictoires de la nation et de l’Etat. Mis en œuvre et encadrés par le gouvernement britannique, les débats constituants de 1922 se sont polarisés sur la définition du nationalisme et de la souveraineté de l’Etat irlandais. Ces débats étaient en partie liés au traité anglo-irlandais de 1921 qui définissait les rapports entre l’Irlande et le Commonwealth540

. Se posait alors la question de savoir si la Constitution allait renforcer la soumission de l’Irlande à la Grande-Bretagne ou si elle faciliterait son accès à l’indépendance. Les deux traditions rivales du mouvement nationaliste irlandais ont apporté des réponses opposées.

Le nationalisme culturel prônait le caractère distinct de l’identité irlandaise et rejetait toute assimilation – qu’elle soit culturelle, économique ou politique – avec les Anglais. A l’inverse, le nationalisme politique était incarné par une tradition anglo-irlandaise et suivait une logique d'assimilation. Si la première tradition impliquait une politique isolationniste, la seconde visait à faire de l’Irlande un partenaire de l’empire britannique. Les Irlandais espéraient que le processus constituant évacuerait le conflit entre les deux traditions, mais les présupposés idéologiques des constituants étant inconciliables, la constitution a renvoyé l'image du conflit. Dans les cas irlandais et tunisien, deux visions opposées de la société et de l’Etat ont été constitutionnalisées. La Constitution irlandaise de 1922 contient à la fois des symboles de la monarchie britannique et des affirmations relatives à la souveraineté nationale. L’ambivalence des dispositions et des symboles constitutionnels a permis aux acteurs politiques de jouer un rôle décisif dans la détermination de la future Irlande. Il en est de même en Tunisie.

La déclinaison de l’approche progressive en Tunisie rappelle celle employée par les constituants indiens et irlandais. Ceci amène à relativiser la singularité du cas tunisien : comme dans toutes les sociétés divisées, les membres de l’ANC ont dû s’accorder pour

539 Cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de cette partie, relatif à la consécration

Outline

Documents relatifs