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La chute du régime autoritaire de Zine El Abidine BEN ALI amène les Tunisiens à établir un système politique et juridique nouveau. Après le 14 janvier 2011, le champ politique s’ouvre. La campagne électorale qui précède les élections constituantes mobilise plus de 100 partis politiques et plus de 1600 listes électorales, dont la plupart est peu structurée et n’a aucun ancrage dans la société. Le nombre excessif de partis et l’assimilation des partis démocratiques aux élites occidentalisées ont poussé les classes défavorisées à voter majoritairement pour les islamistes. Si la volonté exprimée le 23 octobre 2011 reflète la diversité et l’hétérogénéité des idées politiques des électeurs, le parti islamiste Ennahdha est majoritaire à l’ANC. « Toutefois, aucun parti ne remport[e] à lui seul la majorité absolue et

encore moins la majorité qualifiée des deux tiers qui apparaîssait nécéssaire pour l’adoption de la future Constitution. »173 Afin d’élaborer la Constitution et de mettre en place de nouvelles institutions, Ennahdha est contraint de s’allier aux partis politiques séculiers ou/et d’ancien régime.

Une coalition se forme alors pour mener à bien le processus de transition constitutionnelle et démocratique. La présidence de la République revient au Congrès Pour la République (CPR)174, la présidence de l’ANC à Ettakatol175 et celle du gouvernement à Ennahdha176. Hormis la rédaction de la Constitution, le fonctionnement et les missions de l’ANC n’ont été fixés qu’après sa mise en place177

. « En effet, bien que rien n’ait été prévu en ce sens,

l’Assemblée nationale constituante devait jouer un double rôle d’écrivain de la Constitution mais également d’assemblée législative pour l’adoption de textes indispensables au

173

X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la Tunisie : rupture ou continuité ? » précit., p. 534.

174 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Congrès Pour la République.

175 Egalement appelé Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés. Pour plus de précisions sur ce point cf. Annexe 1 – Glossaire – Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés.

176

Pour plus de précisions sur ce point voir R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Revue française de

droit constitutionnel, 2012/4, n° 92, p. 729.

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Loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, également appelée « Petite constitution ». JORT, n° 97 des 20 et 23 décembre 2011, p. 3111.

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fonctionnement ordinaire de l’Etat. »178 L’organisation des pouvoirs publics et les dissensions à l’ANC retardent l’adoption de la Constitution.

Absent de la révolution, l’Islam fait l’objet de tous les débats constituants. Comme le constate Baudouin DUPRET « [l]’un des nombreux paradoxes était la polarisation de la scène

politique autour de l’opposition entre Islamists et Libéraux179

, alors que les textes officiels faisaient peu référence à l’Islam et à la charia. »180 Habituée à la formulation ambigüe de l’article premier de la Constitution du 1er

juin 1959, une partie des Tunisiens ne voulait pas que l’Islam règne sur les institutions de l’Etat. Cela contraste pourtant avec la volonté d’Ennahdha de faire de la charia la source de la législation et de Dieu, le seul souverain. Après des années de repression, le parti islamiste exprime librement et publiquement son ambition de constitutionnaliser la charia. « Or cette constitutionnalisation de la charia

équivalait à une remise en cause de l’équilibre des principes énoncés dans l’article 1er de la Constitution de 1959, relatifs aux caractéristiques de l’Etat, dont la reconduction était au cœur du consensus acté par le pacte républicain, signé le 1er

juillet 2011. »181 La contestation de la société civile et l’opposition des partis politiques à l’ANC conduisent Ennahdha à renoncer à ses prétentions. L’absence de consensus sur le rôle et la place de l’Islam dans l’Etat et la Constitution amène les constituants à conserver l’article premier de la Constitution du 1er juin 1959.

Craignant l’islamisation du droit et des institutions, les démocrates à l’ANC militent pour la constitutionnalisation du caractère « civil » de l’Etat. « Notion charnière, notion coopérative,

l’ “État civil” (dawla madaniyya) pouvait être approprié par l’ensemble des parties au débat constitutionnel, bien que celles-ci lui aient conféré des significations tantôt convergentes, tantôt divergentes. »182 A l’instar de l’article premier, les théocrates et les démocrates s’accordent sur les termes et non sur la signification de l’article deuxième. Ambigües et contradictoires, les dispositions constitutionnelles traduisent les conceptions opposées de la

178 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la

Tunisie : rupture ou continuité ? » précit., p. 535.

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Les dévelopements qui suivent optent plutôt pour l’opposition entre théocrates et démocrates. Cette opposition est réductrice et ne restitue pas la complexité des positions et des jeux d’alliance entre les partis politiques à l’ANC. Elle sera pourtant maintenue dans l’objectif d’opposer au camp conservateur (essentiellement composé d’islamistes), le camp libéral ou moderniste. Bien que réductrice, cette opposition sert la démonstration.

180

B. DUPRET, “The Relationship between Constitutions, Politics, and Islam. A comparative Analysis of the North African Countries”, in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam

after the Arab Spring, op.cit., p. 241.

181

J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », Pouvoirs, 2016/1, n° 156, p. 58.

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société, de l’identité et de l’Etat en Tunisie. La consécration constitutionnelle de l’identité (Titre I) est donc le reflet de la composition hétérogène de l’ANC. En se penchant sur la mise en place de l’ANC, le comparatiste cherche à savoir comment et dans quelles conditions la Constitution du 27 janvier 2014 a été élaborée. L’analyse des travaux préparatoires à la Constitution le conduit à comprendre le compromis constitutionnel et à cerner les composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne.

Bien que l’Islam comme religion et le caractère « civil » de l’Etat fixent en partie, l’identité de l’Etat en Tunisie, ce ne sont pas les seules composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne. Cette dernière est également composée des droits de l’Homme garantis par la Constitution. Malgré la consécration constitutionnelle de la dignité et de la liberté, l’identité arabe et islamique du peuple obsédait la majorité des élus à l’ANC. Si l’identité constitutionnelle est à la croisée des valeurs universelles et identitaires (Titre II), les premières sont souvent neutralisées par les secondes.

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