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Les débats sur la valeur du préambule et sa possible exportation

Titre I La consécration constitutionnelle de l'identité

Paragraphe 2 L’inscription des « enseignements de l’Islam » au sein du préambule de la Constitution

A. Les débats sur la valeur du préambule et sa possible exportation

Paragraphe 2 L’inscription des « enseignements de l’Islam » au sein du préambule de la Constitution

Le but des islamistes à l’ANC était d’intégrer « le maximum de références à la charia, faute

de mieux à l’Islam, faute de mieux à l’identité arabo-musulmane. »397

Bien qu’ayant supprimé du troisième paragraphe du préambule, des trois premiers projets de Constitution, l’attachement du peuple tunisien aux « constantes de l’Islam », le préambule fixe dans le marbre constitutionnel, l’attachement du peuple aux « enseignements de l’Islam » (B). Les constituants ont longuement débattu de la valeur du préambule et de sa possible exportation (A). Se posait alors la question de savoir si les références identitaires contenues dans le préambule devaient être conservées en vue de l’éventuelle exportation de la Constitution.

A. Les débats sur la valeur du préambule et sa possible exportation

Les débats sur la valeur du préambule ont alimenté une bonne partie des travaux de la CPPFRC. Alors que pour certains experts le préambule n’avait qu’une valeur politique, pour d’autres il était doté d’une valeur juridique (1). La valeur supra-constitutionnelle398

du préambule a même été évoquée. Son élaboration a conduit les constituants à étudier les préambules constitutionnels à travers le monde et à se focaliser sur certains de manière plus

396 Paragraphe 3 du préambule de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : « Exprimant l’attachement de

notre peuple aux enseignements de l’Islam et à ses finalités caractérisés par l’ouverture et la tolérance, ainsi qu’aux valeurs humaines et aux principes universels et supérieurs des droits de l’Homme. S’inspirant de notre patrimoine civilisationnel tel qu’il résulte de la succession des différentes étapes de notre histoire et des mouvements réformistes éclairés qui reposent sur les fondements de notre identité arabe et islamique et sur l’acquis civilisationnel de l’humanité, attachés aux acquis nationaux réalisés par notre peuple ; »,

Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, troisième paragraphe du préambule.

397 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes généraux de la Constitution », précit., p. 386.

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spécifique. Bien qu’ayant eu recours à l’argument de droit comparé, le constituant a établi une vitrine constitutionnelle propre à l’Etat et au peuple tunisien (2). Modèle de l’évolution du droit dans des sociétés traditionnellement considérées comme religieuses ou du moins conservatrices, la Tunisie est toujours un exemple régional de réformes juridiques. C'est pour cette raison que les constituants pensaient la Constitution et son préambule dans un contexte élargi, c'est-à-dire comme un modèle constitutionnel pour les Etats du Printemps arabe (3).

1. Les enjeux de la valeur du préambule

Le Professeur Marie-Claire PONTHOREAU affirme que « [l]e préambule est en quelque

sorte la vitrine de la constitution qui est considérée aussi bien par les citoyens que par les juristes. »399 En effet, elle expose au premier plan, les référents les plus caractéristiques du texte constitutionnel. A la seule lecture de l’introduction constitutionnelle, les citoyens doivent se reconnaître. Mais, en plus de se reconnaître, les Tunisiens doivent se faire connaître. « Le contenu des préambules se caractérise par la formulation de valeurs, d’idéaux

(élevés), de convictions, de motivations, bref par la conception que se fait de lui-même le constituant. »400 Véhiculant un certain nombre de valeurs et de principes axiologiques spécifiques401, le préambule doit permettre de distinguer le Tunisien de ses homologues maghrébins. Son étude permet de cerner la spécificité et la singularité du cas tunisien.

En 1959, la valeur normative du préambule n’avait pas été clairement tranchée par les constituants402, écueil que la Constitution du 27 janvier 2014 évitera en prévoyant deux articles : l’article 145 dispose que « [l]e Préambule de la présente Constitution en est une

partie intégrante »403 et l’article 146 précise que « [l]es dispositions de la présente

Constitution sont comprises et interprétées les unes par rapport aux autres, comme une unité

399 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 269.

400

P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, M. ROFFI (trad.), C. GREWE (éd.), Paris, Economica, 2004, p. 221. Sur les différentes fonctions des préambules voir C. CADINOT, Les préambules des Constitutions –

Approche comparative, M.-C. PONTHOREAU (dir.), Thèse de doctorat en droit, Bordeaux, Université de

Bordeaux, soutenue le 10 décembre 2018, 481 p.

401 Les spécificités axiologiques du peuple tunisien font l’objet du Titre II de cette partie relatif à une identité

constitutionnelle à la croisée des valeurs universelles et nationales, p. 189.

402 Cf. le 2. du A du Paragraphe 2 de la Section 1 de ce chapitre relatif à l’adaptation de l’Islam à la

conception occidentale de la souveraineté, p. 75.

403

Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article 145.

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cohérente. »404 Bien que le texte constitutionnel soit clair, les débats constituants et les travaux préparatoires à la Constitution, ont opposé les membres de la CPPFRC. Les avis au sein de la CPPFRC étaient partagés entre la valeur politique purement programmatique et la valeur constitutionnelle du préambule. Ces deux points de vue ont été exposés par deux juristes : le Doyen Yadh BEN ACHOUR et le Professeur Kaïs SAÏED.

Lors de son exposé, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a affirmé que le préambule n’était pas un catalogue de règles juridiques et ne revêtait aucune valeur juridique obligatoire. A l'inverse, il l'a décrit comme un ensemble de valeurs, de référents et de principes politiques pour l’Etat et la société. Selon lui, l’Etat devrait réaliser ces principes en fonction des moyens politiques dont il dispose. Le préambule lierait donc l’Etat par une obligation de moyen et non une obligation de résultat. Il distingue d’ailleurs le préambule des principes fondamentaux et juge que seuls ces derniers ont une valeur juridique. A l’exemple de certaines constitutions européennes qui ne disposent pas de préambule, il propose de spécifier un chapitre deuxième pour les principes fondamentaux. Ce chapitre viendrait directement après « la Déclaration

tunisienne des droits et libertés »405 de ses vœux406.

Avec pédagogie, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a relevé qu'une constitution courte, construite comme un texte de principes et non comme une revue juridique, aurait l'adhésion de la population, contrairement à un texte constitutionnel long et répétitif, normativement plus faible et difficile à lire407. « La simplicité participe de la durée. »408 Il est vrai que

404

Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article 146. Cette dernière disposition a été introduite par Habib KHEDHER, le rapporteur général de la Constitution. D’obédience islamiste, il ne voulait pas que les futurs interprètes de la Constitution fassent primer l’article 2 qui dispose du caractère « civil » de l’Etat sur l’article 1er

qui précise que l’« Islam est sa

religion ». En insérant l’article 146, les Nahdhaouis s’assuraient du fidèle respect des deux articles par les

différents interprètes de la Constitution. Pour plus de précisions sur l’article 146 de la Constitution cf. le Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre I de cette partie relatif à l’immunisation

constitutionnelle du texte contre tout conflit d’interprétation, p. 153.

405 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Audition de Mrs. Ahmed BEN SALAH et Yadh BEN

ACHOUR », 12 mars 2012 [en ligne], [consulté le 24 mars 2018],

https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252df (en arabe).

406 Certains juristes à l’exemple du Doyen Yadh BEN ACHOUR avaient pensé élaborer une Déclaration tunisienne des droits et libertés. Ils voulaient l’insérer au sein du texte constitutionnel. A l’instar de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, elle devait être un des textes fondateurs du pacte social tunisien.

407

Au sein de la Commission du préambule, deux s’avis s’opposent sur la longueur du texte constitutionnel. Certains proposent de raccourcir les phrases du préambule et de choisir des termes plus significatifs. Ils affirment qu’il faut éviter la répétition puisque le fait de disposer du même sujet plusieurs fois réduit la force des mots et ne renforce pas son caractère obligatoire. Un autre avis préconise que plus il y a de mots et de phrases et plus la disposition a de la valeur et de l’allure. L’exemple du Coran est alors donné. Si la

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« [l]’adhésion des citoyens est tributaire de la simplicité de sa présentation. C’est parce

qu’elle est bien comprise par le peuple à qui elle s’applique, qu’une constitution s’applique durablement. »409 La constitution doit être un texte « populaire » facile d’accès. Elle « doit

pouvoir appartenir à tous »410.

A l'inverse, le Professeur Kaïs SAÏED considère que le préambule doit présenter l’ensemble des objectifs que le texte constitutionnel veut réaliser. En ayant la même valeur que les autres dispositions de la Constitution, la juridiction constitutionnelle à venir pourrait juger la plupart des lois non conformes aux objectifs du préambule. Alors que le Doyen Yadh BEN ACHOUR précise le contenu des principes fondamentaux, le Professeur Kaïs SAÏED décrit précisément ce qui selon lui, doit être le contenu du préambule411. Mohamed GUESMI, l’un des deux représentants syndicaux auditionnés par la Commission, rejoint le Professeur Kaïs SAÏED en considérant que le préambule développe un projet collectif qui doit se réaliser. L’Etat n’aurait donc pas une obligation de moyen mais une obligation de résultat. Il est tenu de réaliser les objectifs de la révolution fixés par le constituant au sein du préambule.

même phrase se répète plusieurs fois dans la même Sourate, la répétition ne réduit pas la force du texte. Au contraire, cela signifie que pour comprendre la disposition, on a besoin de répéter le terme plusieurs fois. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Audition de Mrs Ahmed MESTIRI et Moustapha

FILALI », 14 mars 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018],

https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e6 (en arabe).

408 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 269.

409 Ibid., p. 270. Un collectif à l’initiative de Salsabil KLIBI a même pensé à rédiger la Constitution en dialecte tunisien pour la vulgariser et la rendre encore plus facile d’accès.

410

M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 269.

411 Au cours de son audition du 28 mars 2012 par la Commission du préambule, le Professeur Kaïs SAÏED insiste sur l’obligation de baser le préambule sur deux valeurs essentielles : la liberté (accordée par Dieu) et la justice (commandée par Dieu). Souvent, l’équilibre entre la justice et la liberté est recherché. Il considère que la justice est transmise par la dignité et que la dignité se réalise au travers de la liberté. De là, il discute les points importants que doit contenir le préambule :

- Exposer la pensée réformiste tunisienne.

- Exposer la libération (la libération de l’occupation et de la tyrannie). - Montrer que le préambule est une partie indivisible de la Constitution.

- Assurer l’attachement de la Tunisie à l’Umma arabe et musulmane et l’attachement aux enseignements de l’Islam et à ses objectifs (qui sont le respect de soi, de la religion, du patrimoine, de l’honneur et de l’intégrité). Il ajoute à ces points la liberté et il considère que sa réalisation est un des objectifs de la charia. La liberté et la justice réalisent la dignité.

- Assurer la souveraineté du peuple et les principes de l’élection comme expression de la volonté du peuple. - Assurer la mise en place d’un régime qui garantisse la séparation entre les pouvoirs et leur équilibre. - Assurer le pluralisme politique et l’alternance pacifique au pouvoir.

- Assurer les droits de la femme en considérant que les femmes sont les sœurs des hommes.

Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Audition de Mr Kaïs SAÏED ainsi que des représentants

de l’UGTT, Mme Ikbel BEN MOUSSA et Mr Mohamed GUESMI », 28 mars 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f1 (en arabe).

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Au moment de leurs interventions, Ikbel BEN MOUSSA et Mohamed GUESMI ont observé que la valeur supra-constitutionnelle412 du préambule pouvait être une source de despotisme, de totalitarisme. Selon eux, le préambule a la même valeur juridique que les autres dispositions de la Constitution. L’expérience de la première constituante aurait servi de base pour les constituants. En effet, le fait de ne pas avoir tranché la valeur normative du préambule lors de l’élaboration de la première Constitution, a permis aux interprètes du texte de considérer certaines dispositions comme supra-constitutionnelles. Il en est ainsi du concept de république.

Par une décision du 25 juillet 1957, l’Assemblée Nationale Constituante a proclamé la République, mais cette décision n’a pas été intégrée dans le corps même de la Constitution. Elle figure avant le préambule et après le décret beylical du 29 décembre 1955 qu’elle est censée annuler. Formellement séparée de la Constitution du 1er juin 1959, la décision du 25 juillet 1957 « a servi à celle-ci comme source d’inspiration, ce qui pourrait lui conférer un

statut supra-constitutionnel. »413 La lecture du second alinéa de ladite décision laisse penser que l’idée républicaine prime sur la Constitution414. Même s’il semble formellement et matériellement que la république a une valeur supra-constitutionnelle, les dispositions de la Constitution la concernant ont été vidées de leur sens par la pratique politique de l’ancien régime. Seul BOURGUIBA était « le dépositaire du sens de la république. »415 Pour éviter l’interprétation politique du texte constitutionnel par les hommes au pouvoir, les deux représentants syndicaux ont milité en faveur de la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du préambule. En plus de vouloir prévenir les dérives de la pratique en apprenant des erreurs passées, les constituants recourent à l’argument de droit comparé. Mais alors, quelle fonction aurait cet argument au sein d’un processus constituant typiquement national ? Le peuple tunisien serait-il un peuple qui importe mais ne crée point ?

412

Lors de leur intervention, les deux experts n’ont pas défini pas ce qu’ils entendaient par valeur constitutionnelle du préambule. Dans l’objectif de lier les développements relatifs à la constitutionnalité du préambule de la Constitution en élaboration au raisonnement sur la valeur supra-constitutionnelle de la république, il est logique de reprendre la définition de Naoufel SAÏED. Ce-dernier précise que l’idée de supra-constitutionnalité « consiste à conférer à une norme donnée une valeur

supérieure à celle conférée à la constitution. » N. SAÏD, « La République dans la Constitution tunisienne », in Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (dir.), La République, op.cit., p.75. Pour plus de

précisions sur la notion de supra-constitutionnalité cf. S. RIALS, « Supra-constitutionnalité et systématicité du droit », in Archives de Philosophie du Droit, Paris, Sirey, 1986, p. 59.

413

N. SAÏD, « La République dans la Constitution tunisienne », précit., p. 78.

414 Pour plus de précisions sur ce point cf. « La proclamation de la République tunisienne (25 juillet 1957) »,

in V. SILVERA, « Du régime beylical à la République tunisienne », Politique étrangère, 22ᵉ année, 1957,

n°5, pp. 608-609.

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2. Le recours à l’argument de droit comparé

La « Tunisie a choisi de faire table rase de l’ordre constitutionnel en vigueur depuis le

1er juin 1959, et de bâtir une nouvelle constitutionnalité à travers l’élection d’une Assemblée nationale constituante appelée à doter le pays d’une nouvelle constitution. »416

Dès les premières réunions, les 217 élus des commissions constituantes se sont accordés sur le choix de la politique de la page blanche. Aucun texte, qu’il soit constitutionnel ou autre, ne devait servir de base à l’écriture de la Constitution ; ni le texte constitutionnel du 1er

juin 1959, ni les autres Constitutions en vigueur dans le monde et encore moins les projets de Constitutions proposés par les experts nationaux ou internationaux, les associations et organisations de la société civile. Il fallait élaborer un texte neuf et typiquement tunisien, mais les travaux préparatoires prouvent le recours par les constituants et les experts constitutionnels auditionnés, au droit étranger417. Ainsi, comment le constituant peut-il avoir recours à la comparaison constitutionnelle alors même que la constitution est considérée comme « une

autobiographie nationale »418 ?

Lors des auditions, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a relevé la valeur normative et constitutionnelle du préambule en exposant la valeur obligatoire de la plupart des constitutions dans le monde. Le recours à la comparaison constitutionnelle sert la démonstration du Doyen. Aucun article de la Constitution du 1er juin 1959 ne disposait de la valeur du préambule. Or, « “le silence de la tradition nationale” peut conduire à chercher

ailleurs l’inspiration. »419

S’il est employé pour combler le vide constitutionnel national, l’argument de droit comparé contribue, dans un premier temps, à informer les constituants. Il vise en effet à ouvrir « les yeux et les esprits »420 et à « mettre les institutions nationales en

situation et en perspective. »421 Le Doyen Yadh BEN ACHOUR expose les règles étrangères sur la valeur normative des préambules pour exhorter dans un deuxième temps, les

416 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., pp. 716-717.

417 Le droit étranger constitue un préalable nécéssaire au droit comparé. Le spécialiste d’un droit étranger étudie en pronfondeur un droit qui n’est pas le tien pour transmettre un savoir juridique particulier. Le comparatiste ne cherche pas uniquement à étudier l’autre droit. En confrontant ses connaissances nationales et son raisonnement juridique à ceux d’un juriste d’un autre droit, il retranscrit une manière différente de penser le droit. Pour une étude détaillée des distinctions à effectuer entre le droit étranger et le droit comparé voir M.-C. PONTHOREAU, « Droits étrangers et droit comparé : des champs scientifiques autonomes ? », précit., pp. 299-315.

418 W. HOFFMAN-RIEM, “Constitutional Court Judges’ Roundtable”, précit., p. 558.

419 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 153.

420

E. ZOLLER, « Qu’est-ce que faire du droit constitutionnel comparé ? », précit., p.123.

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constituants à ne pas les suivre. Il prend le contrepied de l’argument avancé pour opposer la constitution nationale aux constitutions étrangères. « Connaître les systèmes étrangers, c’est

avoir des points de repères pour mieux comprendre le sien. Ceci implique, d’une part, de bien connaître la règle ou l’institution étrangère, et d’autre part, de la rapporter utilement à la règle ou à l’institution nationale soit pour dresser une opposition, soit pour souligner une similitude. »422 L’argument de droit comparé est un repoussoir : les constituants ne doivent pas suivre les solutions adoptées par les droits constitutionnels étrangers. Ils ne doivent pas reconnaître de valeur juridique au préambule. Le Doyen juge d’ailleurs que le fait de regarder les autres constitutions pour élaborer la tunisienne est une erreur. Il conforte ainsi le constituant dans sa volonté de faire table rase du passé et d’élaborer un texte qui soit typiquement "tuniso-tunisien". Mais est-ce vraiment possible ?

A la question posée et qui visait à savoir si les cadres du droit constitutionnel occidental se modifient au contact de cultures ou de traditions autres, le Professeur Guy CARCASSONNE répond : « À des interlocuteurs qui réclament, par exemple, “une constitution spécifiquement

afghane”, je réponds qu’une constitution, c’est comme un autobus. Il doit vous emmener là où vous voulez aller. Ce n’est pas l’autobus qui fixe votre destination, mais c’est lui qui doit pouvoir vous emmener où vous voulez. Pour cela, il faut qu’il y ait un moteur, il faut qu’il y ait un accélérateur, il faut qu’il y ait un frein. Il faut qu’il y ait tout un tas de choses qui sont indispensables car si vous ne les avez pas, même si vous avez le meilleur conducteur du monde, vous irez dans le fossé. Or il y a une manière afghane de conduire les voitures, mais il n’y a pas de voitures afghanes. L’automobile constitutionnelle est le fruit d’une histoire universelle. Il existe quelques grands modèles de base, qui sont à peu près connus. On peut y ajouter des couchettes, six sièges, des petites fleurs autour, mais ça ne permet pas de faire

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