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La cristallisation de la division entre partisans de la troïka et opposants à la politique gouvernementale

Titre I La consécration constitutionnelle de l'identité

Paragraphe 1 Légitimité révolutionnaire contre légalité constitutionnelle 193

B. La confrontation entre majorité et opposition au sein de l’Assemblée Nationale Constituante

2. La cristallisation de la division entre partisans de la troïka et opposants à la politique gouvernementale

coalition gouvernementale et opposants à la majorité au pouvoir.

2. La cristallisation de la division entre partisans de la troïka et opposants à la politique gouvernementale

La division des assemblées parlementaires s’effectue traditionnellement entre la « majorité » et l’« opposition ». La majorité est généralement comprise comme « le parti ou la coalition

qui réunit le plus grand nombre de suffrages ou d’élus dans une assemblée et acquiert ainsi la vocation de prendre en charge le gouvernement et d’exercer le pouvoir. »247

En vue de former une majorité de 137 sièges sur les 217, Ennahdha est amené à cohabiter et à composer avec les élus du Congrès Pour la République et d’Ettakatol. Les 80 sièges restant248 sont par conséquent, ceux de l’opposition. Cette dernière est traditionnellement composée de « l’ensemble des représentants des partis des indépendants qui n’appartiennent pas à cette

majorité au pouvoir, et qui normalement ont pour rôle de surveiller et de critiquer le

243 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Rached GHANNOUCHI.

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Ces deux hommes politiques sont les leaders respectifs du Congrès Pour la République et d’Ettakatol.

245 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., pp. 91-92.

246 Malgré la présentation de trois candidats pour l’élection du président de l’ANC et de dix candidats pour celle du président de la République, Mustapha BEN JAAFAR a été élu à 145 voix et Moncef MARZOUKI à 153 voix. Soutenus par la majorité, les candidats de l’opposition n’avaient aucune chance d’être élus. Pour plus de précisions sur ce point cf. F. MOUSSA, « Débat majorité-opposition au sein de la Constituante », in Association Tunisienne d’Etudes Politiques (dir.), Les IIIèmes Conférences de l’ATEP. Gouvernements de coalition et enjeux politiques, Tunis, Imprimerie MAN, 2012, p. 25.

247

Ibid., p. 18.

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gouvernement. »249 La division de l’ANC entre « majorité » et « opposition » ne recoupe cependant pas celle entre théocrates et démocrates. « Chaque parti politique [est] libre dans

ses choix et [peut] s’opposer à certaines options défendues par le parti majoritaire dans la coalition au sujet de la Constitution. »250 La répartition des responsabilités au sein des nouvelles institutions entre les trois partis de la majorité à l’ANC251

ne devait pas avoir d’impact sur la constitution en élaboration. Or, les textes fondamentaux de l’ANC ont fait l’objet de délibérations entre le parti islamiste et ses deux alliés. Ceci a d’ailleurs retardé l’adoption de la constitution.

Arnaud LE PILLOUER emploie l’expression « pouvoir instituant » pour désigner l’ensemble des actes adoptés par les assemblées constituantes et qui ne font pas partie de la constitution formelle. Il précise que le « pouvoir instituant » désigne « la faculté d’adopter une

organisation des pouvoirs publics (c’est-à-dire une constitution au sein matériel), dont la particularité (qui le distingue par conséquent du “pouvoir constituant” entendu au sens large), est que l’organe qui la crée exclut de cette organisation le ou les organes qui lui succèderont. »252 En instituant la troïka, la majorité au pouvoir délaisse la fonction constituante et insiste « sur la nécessité de gouverner et sur la dimension parlementaire de la

nouvelle Chambre. »253 Alors que le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011254 ne donne aucune indication sur les compétences de l’ANC, le compromis institutionnel pousse la majorité à penser que l’ANC est « souveraine pour statuer sur l’étendue de ses prérogatives et sur sa

durée. »255 En adoptant la loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011256, le parti islamiste fait

249

F. MOUSSA, « Débat majorité-opposition au sein de la Constituante », précit., p. 18.

250 Ibid., p. 23.

251 Il est d’ailleurs intéressant de noter que les trois partis formant la troïka font chacun des paris différents sur l’alliance politique contractée. Le CPR avait pour objectif principal de marginaliser les islamistes et les sécularistes radicaux. Il espérait une alliance entre islamistes et sécularistes modérés. Même s’il croyait en cet idéal, Ettakatol souhaitait surtout exercer le pouvoir. Il en était de même pour Ennahdha qui avait été réprimé et exclu de la scène politique pendant des années.

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A. LE PILLOUER, Les pouvoirs non-constituants des assemblées constituantes, Essai sur le pouvoir

instituant, op.cit., p. 71.

253 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 91.

254 Décret-loi relatif à l’élection d’une Assemblée Nationale Constituante. JORT, n° 33 du 10 mai 2011, pp. 647-656.

255 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 91.

256 Décret relatif à l’organisation des pouvoirs publics. JORT, n° 97 des 20 et 23 décembre 2011, p. 3111. En plus du pouvoir constituant, ce texte dispose du pouvoir législatif et du contrôle du gouvernement par la mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement (investiture et révocation) devant l’Assemblée. Appelé « Petite Constitution », il attribue l’essentiel du pouvoir exécutif au chef du gouvernement. Même s’il est nommé par le président de la République au sein du parti qui a obtenu le plus de sièges à l’Assemblée (article 15), il dispose seul du pouvoir réglementaire. Son pouvoir de nomination aux hautes fonctions publiques, diplomatiques et militaires est partagé avec le président de la République qui n’a qu’une fonction de représentation. Responsable devant l’Assemblée (article 19), il peut modifier la composition du

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du chef du Gouvernement la pièce maîtresse du pouvoir exécutif. Coopté par les dirigeants et partisans d’Ennahdha, Hamadi JEBALI exerce l’essentiel du pouvoir. Le rôle du président de la République n’est que symbolique et le régime mis en place est un véritable régime parlementaire. Seulement, l’absence d’un programme politique précis et le manque d’expérience gouvernementale du parti islamiste, exacerbent les tensions et dissensions au sein de la Constituante. A cela s’ajoutent les débats relatifs à la durée du mandat de l’ANC. L’article 6 du décret n° 1086 du 3 août 2011 relatif à la convocation des électeurs pour élire les membres de l’ANC avait fixé une période d’un an pour rédiger une constitution257

. « Or,

dès l’adoption du préambule du texte sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, l’ANC, par vote majoritaire, a rejeté cette limitation arguant de son caractère souverain et de la légitimité populaire ! »258 L’opposition conteste les choix politiques et les textes adoptés par la majorité au pouvoir.

Accaparé par les travaux du compromis institutionnel, l’avènement des compromis constitutionnels est retardé259. Les débats constituants se polarisent par ailleurs sur des revendications identitaires et religieuses260. Le 23 octobre 2012, la crise de légitimité qui frappe l’ANC « sera évidemment exploitée par ses opposants, à la tête desquels se trouvait le

parti Nidaa Tounès, constitué en janvier 2012. »261 Fédérant un certain nombre de partis politiques de l’opposition autour d’un message simple, centré sur la préservation des « acquis

modernes » de la Tunisie, le parti politique de Béji CAÏD ESSEBSI262 se présente comme « le

principal concurrent électoral du parti islamiste. »263 Il reproche aux Nahdhaouis de méconnaître « le poids de l’héritage bourguibien dans la société tunisienne, la force et les

gouvernement après avoir informé le président et consulté le Conseil des ministres. Pour plus de précisions sur ce point cf. R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., p. 731.

257 JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1432.

258 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., p. 731.

259 Pour une étude détaillée des compromis institutionnels et constitutionnels égyptiens voir A. BLOUËT, Le

pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, Institut Francophone de la Justice et de la Démocratie, « Collection des

Thèses », n° 178, 2019, 328 p.

260 Ces débats font l’objet du Paragraphe 2 qui suit.

261 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 140.

262 Nommé Premier ministre par intérim le 3 mars 2011, Béji CAÏD ESSEBSI est une figure politique du régime de BOURGUIBA et de BEN ALI. Sous BOURGUIBA, Il a été directeur de la Sûreté nationale de 1963 à 1965, ministre de l’Intérieur de 1965 à 1969, ministre de la Défense de 1969 à 1970 et, ministre des Affaires étrangères de 1981 à 1986. Sous BEN ALI, il a été président de la Chambre des députés de mars 1990 à octobre 1991. Pour plus de précisions sur la vie de Béji CAÏD ESSEBSI cf. Annexe 1 – Glossaire –

Béji CAÏD ESSEBSI.

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caractères des organisations et associations non-gouvernementales laïques et démocratiques œuvrant dans le domaine social et politique, la nature véritable de l’esprit civique en Tunisie, l’attitude de la majorité des Tunisiens sur le problème des rapports entre la religion et l’Etat. »264

Nida Tounes rassemble alors l’ensemble des partis politiques qui contestent la gestion de la période transitoire par la majorité au pouvoir. Le message du parti est simple : il refuse l’islamisation des institutions et de l’Etat voulue par Ennahdha.

Au moment de la rédaction de la Constitution, les idées d’Ennahdha sur la nature de l’Etat et celle de la société ne sont pas toujours suivies par ses deux partenaires. Quand les théocrates empiètent sur les fondements mêmes de la démocratie, les démocrates – qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition –, s’insurgent. Ils ne peuvent admettre que la charia soit la source de législation et Dieu, le seul souverain. Face à l’obsession de la religion et à la recrudescence de la violence politique, la démocratie procédurale atteint ses limites. L’assimilation de la majorité aux islamistes est ainsi contrecarrée par l’opposition entre théocrates et démocrates à l’ANC.

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