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L’importance égale de l’Etat « civil » et de l’identité arabo-musulmane du peuple tunisien

Titre I La consécration constitutionnelle de l'identité

Paragraphe 1 L’opposition de l’identité culturelle et religieuse à l’identité civique et politique

B. L’importance égale de l’Etat « civil » et de l’identité arabo-musulmane du peuple tunisien

L’Islam est lié au caractère « civil » de l’Etat, mais il est nécessaire de définir cette dernière notion : le 12 mars 2012, la question de la signification de l’Etat « civil » a été posée au

383 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Les membres de la commission présentent leurs visions

du préambule », 5 mars 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018],

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Doyen Yadh BEN ACHOUR384. Sa réponse est bâtie sur deux idées principales. Premièrement, l’Etat « civil » ou Dawla Maddaniyya n’est ni un Etat militaire, Dawla

Asskariyya gouverné par l’armée ni, un Etat sécuritaire, Dawla Amniyya gouverné par les

forces de sécurité. Il n’est pas non plus un Etat théocratique, Dawla Dinniyya où la religion participe à l’organisation et au fonctionnement des institutions de l’Etat. Deuxièmement, l’Etat « civil » selon lui, doit séparer le domaine religieux du domaine politique ou/et partisan tout en maintenant un lien entre la religion et l’Etat. Le 14 mai 2012385

, les membres de la Commission ont toutefois insisté sur le fait que la démocratie et le caractère « civil » de l’Etat s’inscrivaient au sein d’une Tunisie arabe et musulmane. Aucune des quatre caractéristiques de l’Etat (démocratique, « civil », arabe et musulman) ne doit primer sur l’autre. En évoquant le caractère « civil » de l’Etat, les membres ont réitéré la portée et le sens à donner à ce qualificatif dans le contexte tunisien386.

Selon les membres de la Commission du préambule, l’expression "Etat civil" peut faire référence à un Etat laïc ou à un Etat religieux. Il est intéressant de relever qu’en traitant de l’Etat laïc, les constituants précisent que la compréhension du caractère laïque de l’Etat, varie en fonction de l’école à laquelle il est fait référence. L’école peut ainsi être française, américaine ou anglaise387. Le 25 avril 2012388, ils affirment que la laïcité est déterminée par le contexte géographique et historique propre à chaque Etat. Bien que la Tunisie de BOURGUIBA n’ait jamais été un Etat religieux, elle n’a jamais été un Etat purement laïque. Lors d’un entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI à la Faculté des Sciences

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Auditionné le 12 mars 2012, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a dû répondre à une série de questions adressées par les membres de la Commission du préambule. Ses réponses juridiques visaient à faciliter les travaux de la Commission en matière d’élaboration du préambule et des principes fondamentaux de la Constitution. Il a essentiellement insisté sur les éléments clefs qu’il jugeait essentiels à la réussite du processus constituant.

385 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Etude du 1er brouillon du préambule », 14 mai 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2531a (en arabe).

386 Il ne s’agit pas ici de faire une étude détaillée du sens de la notion d’Etat « civil ». Il est simplement question d’aborder la naissance de la notion au sein de la Commission du préambule. La signification du concept dans les contextes tunisien et égyptien d’élaboration des constitutions fait l’objet du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse, relatif à un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.

387 L’élaboration de la Constitution du 27 janvier 2014 a conduit les constituants tunisiens à regarder le droit et les systèmes juridiques de certains pays du monde. En matière de laïcité, les constituants ont opposé la vision tunisienne à la vision française entre autres. Sur la conception tunisienne de la laïcité cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 1 de ce chapitre, p. 82. Sur le recours à l’argument de droit comparé cf. le 2. du A. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre, relatif au recours à l’argument de droit comparé, p. 103.

388 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Etude des principaux axes : Préambule, principes

fondamentaux et amendement de la Constitution », 25 avril 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018],

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Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, il a été précisé que les démocrates tunisiens n'ont pas revendiqué la laïcité de l’Etat tunisien. L’Islam est normatif puisque le Coran est la foi et la loi. Rejeter la législation chariaïque revient à rejeter la foi389. Qu’il soit islamiste ou moderniste, le constituant tunisien est attaché à l’Islam. C’est la raison pour laquelle les démocrates à l’ANC et en particulier à la Commission du préambule, ont milité en faveur de la reconnaissance du caractère « civil » et non laïque de l’Etat. La Tunisie est donc bien un "Etat civil", plus qu'un Etat laïque ou civique390.

En tirant sa légitimité du peuple391 et non d’un pouvoir métaphysique quelconque, le peuple est souverain et à la base des institutions. Ainsi, il existe un contrat social entre le peuple et le pouvoir mais l’Etat a pour référence l’Islam. Autrement dit, la religion ne sert pas de source formelle ou matérielle à la Constitution ou à l’Etat. Pourtant, comme Mustapha EL FILALI392, les membres de la Commission du préambule pensent d’une part que, la plupart des lois sont inspirées de la charia et du fiqh393 malékite394 et d’autre part, que le régime constitutionnel à venir doit être conforme aux préceptes de l’Islam. Les lois ne doivent pas aller à l’encontre des valeurs de l’Islam. La seule exception concerne le droit pénal car les peines prévues par le droit tunisien sont inspirées des peines privatives de libertés des législations comparées. En conséquence, l’ "Etat civil" est compris dans l’Islam et ses bases, ce qui signifie qu’il faut autant protéger la souveraineté du peuple comme fondement du caractère « civil » de l’Etat, que son identité arabe et musulmane395.

389 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.

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Pour plus de précisions sur la définition et les composantes de l’Etat « civil » tunisien cf. le Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II relatif à un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.

391 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.

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Professeur de droit constitutionnel et d’institutions politiques auditionné par la CPPFRC le 14 mars 2012. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes

fondamentaux et de révision de la Constitution, « Audition de Mrs Ahmed MESTIRI et Moustapha

FILALI », 14 mars 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018],

https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e6 (en arabe).

393 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Fiqh.

394 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Malékisme.

395 Il est à noter que la volonté des constituants de traiter du caractère « civil » de l’Etat est concomitante à celle des islamistes de faire de la charia, la source des lois et le fondement de la Constitution. Précisions apportées par les travaux préparatoires, voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents,

Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution, « Etude des

principaux axes : Préambule, principes fondamentaux et amendement de la Constitution », 25 avril 2012 [en ligne], [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25313 (en arabe).

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Cette identité religieuse va d’ailleurs resurgir au moment de l’élaboration du préambule de la Constitution. Actuellement, le troisième paragraphe du préambule tunisien dispose de l’attachement du peuple aux « enseignements de l’Islam »396

.

Paragraphe 2 L’inscription des « enseignements de l’Islam » au sein du

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