• Aucun résultat trouvé

THÉORIQUES : LA CONSTRUCTION DU

1.1 L’enracinement de la RSE

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est une notion dynamique, aux origines discutables, certains auteurs lui donnent pour berceau l’ouvrage intitulé Social Responsibilities of the Businessman rédigé en 1953 par Bowen et complété par The Responsible Company, écrit par Goyder en 1961. D'autres, comme Tiberghien (2004)

exposent que l’on peut remarquer une ascendance à la RSE dès le XVIIIème siècle. L’auteur

utilise l’exemple du boycott par les consommateurs anglais du sucre de canne des Caraïbes

produit grâce à l’esclavage. Il mentionne de même l’élaboration au XIXème siècle, d’une

législation européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des ouvriers.

Cependant, ce n’est qu’à partir de la fin du XXème siècle que l’Europe est réellement

imprégnée par ces priorités sociales, environnementales et sociétales.

Aujourd’hui, la RSE est complètement intégrée dans les processus et les pratiques des

entreprises. Bien qu’il n’y ait pas d’uniformisation managériale, le concept fait sens et les démarches responsables des sociétés traduisent une innovation sur le sujet en perpétuelle évolution. Il nous semble important de définir cette notion de RSE qui supporte une « prolifération d’approche » (Garriga, Melé, 2004). En effet, Capron et Quairel-Lanoizelée

(2010 ; 2016) soulignent l’étendue « particulièrement vaste » de la RSE qui fait écho à de

nombreux domaines. Les travaux soulignent la densité de la notion ce qui en fait un concept « ambigu et complexe » (Gond, Igalens, 2010). Pour Acquier et Gond (2007), la RSE est un concept « ouvert, multiforme et en construction » et c’est sa capacité à être en construction

qui impose un « flou conceptuel » (Persais, 2009) et qui engendre de nombreuses définitions

(Noël, 2004) et des modifications qui s’effectuent « par vagues successives, avec

l’introduction de nouveaux concepts » (Gond, Igalens, 2010).

Nous verrons dans un premier temps les fondements de la RSE (1.1.1) puis nous détaillerons l’encadrement de la notion (1.1.2) pour enfin exposer ses impacts sur la stratégie des entreprises (1.1.3).

1.1.1 Les fondements de la RSE

Sans concurrencer les nombreux travaux académiques sur le sujet, il nous semblait important de revenir sur les fondements de la RSE et de repositionner le concept dans son contexte historique et théorique. En ce sens, nous développerons l’émergence historique de la notion

(A) puis nous ferons l’inventaire des apports académiques, institutionnels et managériaux qui

ont participé à en renforcer la définition (B). A) L’émergence de la RSE

La littérature académique s’accorde pour identifier l’ouvrage de Bowen (1953) The social

responsibilities of the businessman comme le repère de l’avènement du concept de responsabilité sociale des firmes dans la littérature, conférant de surcroît à l’auteur le titre de père de la RSE. Pourtant, Carroll (1979) démontre que le concept explicité par Bowen existait antérieurement aux recherches de ce dernier. Néanmoins, la communauté scientifique reconnaît que les travaux de Bowen érigent la RSE comme une priorité dans la recherche en

sciences de gestion et qu’ils impulsent l’étude des relations entre les firmes et la société dans

un courant nommé business and society. Ce courant qui met le curseur sur les interactions entre les firmes et leur environnement sociétal (Acquier, Gond, 2007) va être un espace de réflexion et de travail dans lequel de nombreux auteurs vont s’insérer et développer les concepts qui gravitent autour de la notion de RSE (Dahl, 1972 ; Carroll, 1979 ; Freeman, 1984 ; Wood, 1991 ; Balabanis et al., 1998 ; Hopkins, 1998). Très rapidement, la RSE va se voir apparaître des opposants qui vont atténuer l’engouement existant autour de la notion.

C’est l’exemple de Friedman (1970) pour qui il n’existe qu’ « une seule responsabilité sociale

de l'entreprise – celle d’utiliser ses ressources et de s'engager dans des activités destinées à accroître ses bénéfices tant que ça reste dans les règles du jeu, c'est-à-dire s'engager dans

une concurrence ouverte et libre sans tromperie ni fraude »4 ou encore celui de Drucker qui renforce la primauté du profit en expliquant que « l'entreprise transforme un problème social en opportunité économique, en bénéfice économique, en capacité productive, en compétences humaines, en emplois bien rémunérés et en richesse »5. Parallèlement, le concept va se stabiliser aux USA, mais donnera par la suite naissance à des réflexions nouvelles et complémentaires comme la théorie des parties prenantes, ou encore l’ouverture de la gouvernance des firmes ou bien la notion de performance sociale qui conduira plus tard à la performance globale. C’est seulement vers les années 1990 que le concept s’installe en

Europe, motivé par plusieurs causes comme un recul de l’Etat-providence, la fin du modèle

fordien ou encore la médiatisation grandissante des scandales financiers et des catastrophes naturelles. Ces facteurs vont faire émerger la RSE qui à l’origine était implicitement présente dans le modèle d’entreprise paternaliste (Matten, Moon, 2005) et qui apparaîtra dans les grondements de la société civile à l’égard des débordements des firmes. Par ailleurs, de nombreux travaux académiques soulignent que le paternalisme du XIXème siècle peut

s’apparenter à la RSE d’aujourd’hui (Gendron, 2000 ; Boutillier, 2003 ; Pasquero, 2005 ;

Boutillier, Fournier, 2006 ; Jorda, 2007 ; Carroll, 2008).

Capron et Petit (2011) retiennent que l’appréhension des RSE change selon le temps, le lieu, mais aussi le contexte juridique et géopolitique. Historiquement, ils mettent en lumière trois temps dans la conception et la construction du principe de la RSE. Ils distinguent la conception éthique, la conception utilitariste et enfin la conception fondée sur la soutenabilité. La conception éthique de la RSE tire ses origines dans le paternalisme d’entreprise du XIXème (Pasquero, 2005).En effet, cette approche très imprégnée de la pensée protestante a vu le jour aux USA dans les années 1950, elle renvoie à l’éthique personnelle du chef d’entreprise qui se

doit d’orienter l’entreprise dans une dynamique de bienfaisance sociétale (Gendron, 2000). Le

deuxième temps, représenté par le courant utilitariste de la RSE, nait également aux USA. Cette nouvelle approche inscrit la firme dans une posture où sa contribution sociale est

motivée par l’intérêt économique. Cette conception sacralise la notion de parties prenantes qui

doit être intégrée dans le calcul stratégique des entreprises (Freeman, 1984). Par ailleurs, la notion de performance sociale s’installe aux côtés de la performance économique (Carroll,

4 Notre traduction. Friedman (1970) : « there is one and only one social responsibility of business – to use its resources and engage in activities designed to increase its profits so long as it stays within the rules of the game, which is to say, engages in open and free competition without deception or fraud. »

5 Notre traduction. Drucker (1984) : « Business turns a social problem into economic opportunity and economic benefit, into productive capacity, into human competence, in to well-paid jobs, and into wealth. »

1979). Enfin, le troisième temps qui est celui de l’approche de la RSE fondée sur la soutenabilité apparaît dans les pays européens dans les années 1990. Cette conception

souligne la place et l’impact de l’entreprise dans la société quin’est plus en mesure d’ignorer

les attentes de la société civile, garde fou des enjeux contemporains qui s’imposent à la collectivité.

Au regard de l’évolution de la RSE, les États-Unis et l’Europe ont pour point commun les conséquences des révolutions industrielles vécues le siècle précédent (Rosé, Delanoé, 2008). En effet, ces révolutions ont apporté des modifications sociales importantes au sein des firmes comme notamment le besoin de gagner une légitimité vis-à-vis de la société. En Europe ces problématiques de légitimité sociale ont d’abord été développées par des secteurs sensibles tels que le nucléaire, puis il y a eu un élargissement à l’ensemble des secteurs à partir de la fin du XXème siècle (Chauveau, Rosé, 2003). Pour Rosé et Delanoë (2008) l’histoire a contribué à consolider la RSE en Europe. Les auteurs invoquent plusieurs facteurs historiques comme les vagues de délocalisation, les problématiques géopolitiques de la fin du XXème siècle, les effets générés par le choc pétrolier de 1974, les problématiques liées à l’accroissement du chômage et aux exclusions sociales. Il est intéressant par ailleurs de noter dans la littérature scientifique la dualité esquissée entre les conceptions européennes et américaines de la RSE (Acquier et al., 2005). Néanmoins, Pesqueux (2010) reste prudent sur la possible distinction entre le modèle « anglo-américain » et « européen ». En effet, s’il est possible de dessiner les

contours d’une perspective culturaliste de la RSE il faut veiller à ce que « l’interculturel

commence là où le stéréotype ne débouche pas sur la dévalorisation de l’Autre » (ibid.). L’auteur distingue alors des caractéristiques pour nourrir la distinction entre les deux perspectives (anglo-américaine et européenne).

Ainsi, le concept qui a pris racine aux USA à la moitié du 20ème siècle a eu le temps de murir alors qu’il est plus jeune en Europe. Contrairement à l’approche américaine qui renferme une dimension religieuse importante, Acquier et al., (2005) démontrent que la RSE européenne exprime une certaine laïcité. Par ailleurs Combes (2005) distingue les deux approches en

expliquant qu’en Europe la RSE tire ses origines « dans une longue tradition de capitalisme

social »alors que la version américaine descend d’une approche plus « moraliste » (ibid.). De même, Capron et Quairel-Lanoizelée (2007) soulignent une distinction entre les deux approches de par la présence des autorités publiques dans la matérialisation de la RSE. En

effet, aux USA l’intervention de l’État sur la RSE serait perçue comme une entrave alors que