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Vers une gouvernance élargie de l’entreprise : la gouvernance partenariale

THÉORIQUES : LA CONSTRUCTION DU

C) L’encadrement de la RSE par la normalisation

1.2 L’ouverture des gouvernements des firmes : la gouvernance partenariale

1.2.2 Vers une gouvernance élargie de l’entreprise : la gouvernance partenariale

La réflexion académique et managériale met désormais en opposition la gouvernance actionnariale centrée sur les actionnaires à la gouvernance partenariale, centrée sur les parties prenantes de la firme. La RSE, par l’ouverture de la gouvernance aux parties prenantes, remet en question le gouvernement type des entreprises (Dupuis, 2008) où initialement l’actionnaire comme propriétaire, administre les décisions. En effet, on observe dans la littérature une opposition à la gouvernance actionnariale avec le modèle partenarial du gouvernement des sociétés (Charreaux, 1997 ; Kochan, Rubinstein, 2000 ; Rébérioux 2003 ; Nordberg, 2008) qui peut être défini comme la prise en compte de « la grande entreprise managériale » des « intérêts de l’ensemble de ses partenaires et de la Société » (Mostefaoui, Pluchart, 2011). Directement inspirées de la théorie des parties prenantes, dans un modèle dit « partenarial », les décisions et leurs conséquences sont partagées entre les acteurs qui matérialisent un conflit

d’intérêts. Dans cette architecture partagée, l’entreprise devient « un construit social,

réceptacle des attentes, objectifs et intérêts de multiples partenaires dont les dirigeants et les actionnaires, mais aussi les salariés, les clients, les fournisseurs et toutes autres personnes

qui peuvent influencer les décisions de l’entreprise (conception du modèle partenarial au sens strict) ou être influencées par les décisions de l’entreprise » (Meier, Schier, 2008).

Pour l'Organisation de Coopération et de Développement Économique10 (ci-après OCDE), la

gouvernance d’entreprise « est une dynamique qui définit les relations entre le management

de l’entreprise, le conseil d’administration, ses actionnaires et ses parties prenantes ». Cette

définition s’écarte du courant actionnarial et rejoint la pensée de Kendall (1999) pour qui la

gouvernance se construit autour des intérêts et de la responsabilité des parties prenantes clés.

Cette conception s’inscrit dans la vision de Wirtz (2001) pour qui le gouvernement de

l’entreprise doit « garantir un processus durable et efficace de création de valeurs conformes

à l'ensemble des parties prenantes internes et externes et en respect des règlements légaux, des statuts internes et des principes éthiques », ou encore dans la conception de Pérez (2009)

qui souligne que la gouvernance de l’organisation doit permettre d’« améliorer la

performance au sens de chacune des parties prenantes, tout en respectant à la lettre les règlements officiels, normes et statuts établis pour mettre en oeuvre ladite gouvernance dans l'entreprise ».

Comme le présente Persais (2013) « l’émergence de ce courant de pensée vient de la volonté de ses partisans de montrer que de multiples acteurs ont des intérêts dans l’entreprise, ceux-ci dépassant très largement le cadre économique habituel ». En effet, pour l’auteur, cette conception partagée du gouvernement est légitimée par deux constats. Tout d’abord, il n’est

plus envisageable à l’heure actuelle de contenter seulement les intérêts économiques des

actionnaires au détriment des intérêts non économiques de l’ensemble des parties prenantes.

Par ailleurs, l’ignorance des intérêts extra-financiers des parties prenantes serait

contreproductive, voire nocive pour la pérennité de l’entreprise (Donaldson et Preston, 1995). Dès lors, l’actionnaire n’est plus le seul concerné (Albouy, 2012). Bien que considéré comme créancier résiduel et communément schématisé comme l’acteur principal de l’entreprise, et

même s’il supporte l’ensemble des risques qui gravitent autour de son organisation, la

conception classique de l’organisation des pouvoirs de l’actionnaire se heurte à un bilan alarmant dans lequel son exclusivité n’est plus légitime. Pour ce faire les intérêts financiers des actionnaires et les intérêts extra-financiers des parties prenantes doivent cohabiter dans les

manœuvres et l’application systémique de l’entreprise (Clark, 2007). La gouvernance

partenariale devient alors une approche élargie de la théorie de l’agence proposée par Jesen et Meckling (Hill et Jones, 1992), on peut alors parler de « théorie de l’agence partenariale » ou

de « Stakeholder-Agency Theory » (ibid.). Les travaux montrent que la responsabilité sociale des entreprises est alors le vecteur adapté pour entendre et mettre en œuvre une politique qui puisse faire coexister la double attente qui anime la gouvernance partenariale : à savoir les intérêts financiers des actionnaires et les intérêts extra-financiers de l’ensemble des parties prenantes (Gil, 2006).

Par ailleurs, plusieurs difficultés sont soulevées par les contradicteurs de la logique partenariale. En effet, bien qu’il faille entendre et intégrer les attentes des parties prenantes,

seuls les actionnaires sont financièrement responsables de l’activité de l’entreprise (Friedman,

1970). En cas de faillite de l’entreprise, les premiers concernés seront les actionnaires qui ont

apporté des capitaux pour la constitution de la société. Pourtant, Pérez (2003) explique qu’en

cas de faillite de la firme d’autres parties prenantes autres que les actionnaires seront

impactées, c’est le cas du collaborateur de l’entreprise qui perdra son emploi ou encore les

résultats d’exploitation du sous-traitant. Ensuite, certaines relations entre l’entreprise et ses

parties prenantes sont indirectes, floues et non contractuelles (Persais, 2013), parfois

méconnues par l’entreprise elle-même, donc il apparaît comme difficile de contenter les

intérêts des parties prenantes à la hauteur de leurs attentes. Pour Meier et Schier (2008) la

principale limite de ce type d’architecture est « la multiplication d’objectifs hétérogènes

difficiles à satisfaire » au sein des firmes, qui soulève « la question du contrôle de la

conformité des actions de l’organisation à ces objectifs » (ibid.). Effectivement, si la gouvernance partenariale implique une ouverture des processus de décision et même si aucune partie prenante ne doit être favorisée dans la distribution de valeur (Freeman, Harrison, Wicks, 2007). Similairement, Sentis (2012) soulève la problématique de la convergence des objectifs de l’ensemble des parties prenantes. En d’autres termes, bien qu’il puisse exister un lien entre la réglementation environnementale et les avancées techniques, la littérature ne s’engage pas unanimement à affirmer le rapport entre cette réglementation et les profits de l’entreprise. Cependant, comme l’évoque l’auteur, les firmes n’auraient aucun intérêt à s’engager délibérément dans des démarches RSE si ces dernières dégradaient simplement leur performance. En s’appuyant sur les travaux d’Allen et al., (2009), il

démontre que l’intérêt accordé aux parties prenantes et la recherche de la convergence

d’intérêt valorisent les organisations qui voient leur réputation s’exhausser sur les marchés.

Par ailleurs, l’actionnaire dispose d’un pouvoir important sur la firme et peut menacer la

gouvernance partenariale. En faisant référence à l’étude de López-Iturriaga et

conséquent, moins l’entreprise sera propice aux pratiques RSE. En effet, l’auteur rapporte que dans une attitude exclusivement financière, l’entreprise n’engagera pas de dépense RSE. Il distingue les généralités suivantes : le dirigeant-actionnaire ne sera pas prédisposé à adopter des pratiques RSE, à l’inverse des administrateurs non actionnaires qui seront favorables à la dépense RSE. Ainsi, la seule présence d’un actionnaire principal peut constituer un frein aux

dépenses RSE et au développement d’une démarche partenariale.

Charreaux (2004), ou encore Wirtz (2005), dépassent l’antagonisme des modèles actionnarial et partenarial qui en plus d’être peu évolutif se focalisent principalement sur l’optimisation et la répartition équitable de la valeur. Charreaux distingue deux structures de gouvernance. Tout d’abord, un schéma disciplinaire qui conforte une vision contractuelle de la firme. Le terme disciplinaire sous-entend qu’il faille surveiller afin d’« éviter que les gains issus de la coopération ne soient dissipés » (ibid.). C’est dans cette première structure qu’il expose la gouvernance actionnariale et la gouvernance partenariale. Puis il présente un schéma cognitif, qui conforte une vision dynamique de l’organisation, où la performance est liée aux compétences de l’entreprise et à la qualité des processus de décisions. La gouvernance cognitive peut alors être entendue comme « l’ensemble des mécanismes permettant d’avoir le

potentiel de création de valeur par l’apprentissage et l’innovation, en faisant notamment la distinction entre la gestion de l’information et le management des connaissances » (Meier, Schier, 2008). Dans cette approche cognitive, la gouvernance ne se limite plus à cadrer les décisions du dirigeant, mais « à favoriser le développement de l’entreprise par l’échange, l’ordonnancement et la capitalisation de connaissances et/ou de compétences mobilisées ou à

mobiliser en interne ou en externe » (ibid.).

Néanmoins, Charreaux (2004) n’hésite pas à mentionner la complémentarité des deux visions

ce qui n’exclut pas la gouvernance partenariale qui est entendue comme une ouverture des

organes de décision des firmes aux parties prenantes. On observe donc deux approches dans la notion de gouvernance partenariale (Persais, 2013) :

- une approche « hard » qui place les actionnaires et leurs intérêts financiers au même niveau que les parties prenantes et leurs attentes extra-financières, et où l’actionnaire est une partie prenante type de l’entreprise.

- une approche « soft » de la dynamique partenariale qui sans dénigrer les attentes des parties prenantes érige l’actionnaire comme décideur éclairé et par conséquent responsable donc supérieure aux autres parties prenantes. Néanmoins, il ne s’agit pas

dans cette approche soft de mettre en concurrence les intérêts financiers et les intérêts extra-financiers mais d’en optimiser la convergence.

Les entreprises ont fait évoluer leur modèle de gouvernance qui était à l’origine centré sur les actionnaires vers leurs parties prenantes faisant ainsi naître des gouvernements où les dirigeants sondent les attentes de ces nouveaux interlocuteurs pour orienter la dynamique stratégique. Nous allons désormais voir la matérialisation de cette gouvernance élargie.