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Chapitre 1 : Contexte de la recherche et méthode

1.1 Genèse de la recherche

1.1.1 L’activité des techniciens du Grand Théâtre : les apprentissages en question

Lors de cette rencontre, le directeur technique a évoqué plusieurs problèmes concernant la gestion des ressources humaines et la formation.

Les métiers du théâtre et notamment ceux des techniciens, ne font pas l’objet, en Suisse romande, de formation initiale. Il s’agit d’emplois de « seconde phase » professionnelle. Pour des raisons à la fois de sécurité et d’exigence de

1 CRAFT/ RIFT : Conception-Recherche-Activité-Formation-Travail/ Laboratoire Recherche-Intervention-Formation-travail. Université de Genève. Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

niveau de qualification, les techniciens sont recrutés sur la base d’un CFC1 ou d’un diplôme équivalent, de menuisier, serrurier, tapissier-décorateur, électricien, couturière, tailleur, cordonnier, peintre… Excepté les formations des Beaux-Arts, ces diplômes ne préparent pas aux métiers artistiques ou les métiers qui s’insèrent dans des univers artistiques.

De fait, les compétences professionnelles des techniciens se construisent et se reconstruisent en situation de travail « sur le tas », individuellement et collectivement. L’absence de formation initiale spécifique aux métiers de techniciens de théâtre, le décalage nécessaire par rapport à une formation professionnelle d’origine pose des difficultés en termes de recrutement.

Le CV, forme habituellement utilisée dans les démarches de recrutement professionnel, se révèle souvent insuffisant pour identifier la bonne candidature.

La réussite de l’embauche tient plus au flair du recruteur, en l’occurrence du directeur technique, qui est un professionnel expérimenté du milieu du théâtre et conscient des exigences inhérentes à ce travail.

Selon le directeur technique, une fois recrutés, ces nouveaux professionnels, dont certains sont des personnes sans expérience du milieu théâtral, ne bénéficient pas systématiquement de l’expérience des plus anciens. Pour des raisons qui restent mystérieuses à ses yeux, la transmission des connaissances professionnelles ne se fait pas, selon lui, de manière aisée et systématique. Par ailleurs, certaines compétences disparaissent chez ces techniciens, par absence de sollicitation, alors que d’autres apparaissent en lien avec une modification importante du contexte technique. L’utilisation des images de synthèse, projetées sur les décors à l’aide de systèmes vidéo, remplacent les peintures en trompe-l’œil ; le développement de la confection en prêt-à-porter rend difficile le recrutement de professionnels tels les tailleurs, capables d’effectuer la coupe de vêtements de styles anciens ; l’informatique modifie l’organisation du travail, par exemple avec l’utilisation de logiciels qui permettent la création de plans et nécessitent la présence de bureaux des méthodes, tels ceux rencontrés dans les univers industriels taylorisés.

Les ressources informatiques rendent possibles de nouvelles demandes de la direction dans le but de construire une mémoire formelle des spectacles avec la réalisation de books, composés de photos numérisées de maquette, décors, etc.

Cette technologie fait aussi évoluer rapidement le travail sur le plateau et notamment celui des personnes chargées des changements de décor et de lumière comme les cintriers ou les régisseurs. Par exemple, dans le domaine de la lumière, l’évolution technologique a commencé dans les années 80. Le système technique et le travail consistaient à activer des jeux d’orgue à

1 CFC : Certificat Fédéral de Capacités. Les études durent 4 ans. Diplôme qui se rapproche du Baccalauréat professionnel en France

manivelle qui nécessitaient plusieurs manipulateurs coordonnés par un régisseur lumière. Les jeux d’orgue actuels, informatisés nécessitent un opérateur. L’activité et le statut de régisseur se sont vus profondément modifiés.

D’un métier de régisseur inscrit dans un statut d’ouvrier, la fonction de régisseur est passée au statut de cadre (Rousseau, 1998).

Les spectacles sont de plus en plus souvent filmés pour être retransmis à la télévision ou pour la production de DVD. La qualité de l’image liée à l’excellence des moyens techniques vidéo a une incidence directe sur le degré de ressemblance exigée des accessoires et des décors. Avec la vidéo, l’œil du spectateur s’est en quelque sorte, rapproché de l’objet, cela modifie du même coup le niveau de détail à apporter lors de la finition d’un objet.

Au total, ce milieu de travail connait des évolutions techniques et économiques qui font disparaitre dans certains cas, le contenu traditionnel des métiers anciens, proches de l’artisanat, pour ouvrir sur de nouvelles expertises et professionnalités. Les exigences de rentabilité financière impliquent une augmentation du nombre de spectacles réalisés. Ce qui a une incidence sur les rythmes et la production des ateliers, obligeant le plus souvent à travailler en parallèle sur plusieurs spectacles. L’ensemble de ces éléments indique un changement important, dont les conséquences directes sur l’activité et son organisation sont perceptibles. Ceci pose des questions quant à la façon dont ces métiers traditionnels s’apprennent, se transforment, évoluent…, souvent grâce aux acteurs eux-mêmes confrontés à l’évolution technique et ceci dans le fil de l’activité. Il faut aussi tenir compte d’une insertion professionnelle qui fait plutôt référence à la notion de vocation qu’à celle de formation initiale qui préparerait à ces activités.

Au terme de cette rencontre, des intérêts communs ont émergé, entre le groupe des chercheurs universitaires spécialisés sur des questions d’apprentissage et de développement des compétences en situation de travail, et les professionnels intéressés, à de l’aide et des réponses à leurs problèmes, qui touchent une institution, des personnes et des métiers.

1.2 Méthode

L’analyse de l’activité nécessite une présence sur les lieux du travail, c'est-à-dire dans le cadre « naturel », écologique, là où le travail se fait. Chaque situation de travail contient une forme de singularité dans la complexité de sa variabilité qui élimine de fait la possibilité de raisonner « toute chose égale par ailleurs », ou un appel à la reproductibilité des situations expérimentales. Dans sa nature même, et sa complexité sociotechnique, le travail ne peut être saisi que dans son

caractère singulier, qui nécessite des démarches de recherche de type compréhensif.

Par conséquent et pour pouvoir approcher cette activité professionnelle, la démarche adoptée est celle d’une ethnologie sélective qui s’appuie sur une immersion longue au sein du groupe social de travail, et le contact direct avec le milieu professionnel. Elle sous-entend une présence importante sur le terrain, durant un empan temporel long, et au plus près des situations de travail, privilégiant plutôt l’observation et la participation à l’activité, qu’un ensemble d’entretiens avec les professionnels à distance physique et temporelle du travail.