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L’accessoire est donc un élément indispensable au processus fictionnel et à l’activité ludique. C’est par conséquent un objet créé qui contribue fortement à une nouvelle chaîne de significations. La production d’un opéra ou d’un ballet de la composition constitue une cascade de significations qui est le résultat de

1 Non retranscrit dans le verbatim

significations produites par des acteurs différents tout au long de la production du spectacle et qui s’associent, se mêlent pour produire d’ultimes significations par les spectateurs. Le compositeur, puis, le metteur en scène et le décorateur à l’aide de la mise en scène et du décor auxquels contribuent fortement les accessoires, les musiciens, le chef d’orchestre, les chanteurs ou les danseurs et enfin les spectateurs. Cet enchainement de significations qui interagissent les unes sur les autres établit une autre médiation entre l’homme et le monde.

La double contribution au processus fictionnel et de la vie courante des accessoires permet de produire des significations nouvelles qui ne sont pas l’addition de celles de la vie réelle auxquelles s’ajoutent celles de la fiction, mais l’émergence d’un système de significations ou d’images ou de sentiment esthétique nouveau.

L’accessoire permet la mise au jour d’une possibilité d’agir qui n’existait pas auparavant autrement que dans l’imagination créatrice du metteur en scène ou du décorateur. Du coup la rupture avec l’usage habituel défini par le référent de la vie courante, la contribution au processus fictionnel qui nécessite sa propre fonctionnalité, ouvrent sur des problèmes techniques de réalisation des accessoires. Par sa double fonction : mimétique et de déclencheur de fiction, l’accessoire, dans le cas où aucun objet déjà existant et remplissant les mêmes exigences est à disposition, ouvre sur l’inédit technique, car il n’existe pas de procédé déjà présent pour ces objets sans antériorité et insérés dans des contextes spécifiques. C’est la cohabitation du double : l’usage référentiel et symbolique propre à la fiction qui ouvre sur des problèmes à résoudre pour les accessoiristes.

La rupture avec l’usage courant qui est le propre de l’usage théâtral peut créer

« une interruption dans un processus opératoire continu » (Simondon, 2005b, p.

276), c'est-à-dire que le mode opératoire pour un accessoire n’existe pas parce que les accessoiristes n’ont pas eu encore l’occasion de le fabriquer antérieurement et parce que son procédé de fabrication n’est archivé dans aucun ouvrage technique. Autrement dit la fabrication de l’accessoire pose problème.

Le niveau de complexité technique d’un accessoire est le plus souvent plus faible que celui d’un téléphone cellulaire ou d’un bâtiment, mais il y a toujours un problème à résoudre. Comme tout objet technique, l’objet théâtral comporte deux couches : une couche externe qui « habille l’objet en objet de manifestation » comme la carrosserie d’une voiture (Simondon, 2005b, p. 282), qui sert la fonction d’ostension, et une couche interne comme le moteur de la voiture qui sert de support à la fonction d’ostension.

Il est plus difficile de différencier la couche interne de la couche externe pour un accessoire, parfois elles sont séparées, parfois elles sont unifiées. Certains

objets sont porteurs d’un mécanisme technique qui leur permet une certaine fonction : servir du vin, afficher l’heure, d’autres contiennent leur procédé technique dans leur apparence même, comme le buste en plâtre capable d’être solide et cassant. Mais dans les deux cas, nous choisissons de parler de couche interne au sens de procédé technique qui tente de répondre à un problème.

L’objet créé, l’accessoire et son procédé technique nouveau se démarquent du référentiel technique de deux manières. Il « sollicite » à la fois le professionnel à partir de son métier d’origine, fabriquer un meuble en bois pour un ébéniste, ou bien une pièce de tissu servant de nappe pour un tapissier-décorateur, tout en le

« forçant » à oublier les règles de l’art. L’objet dans son rôle de leurre, en remplissant sa fonction analogique doit contenir dans son fonctionnement interne la capacité de produire ou de déclencher le processus fictionnel. C’est par conséquent tout le fonctionnement technique qui est réinterrogé, repensé, voire inventé. Pour être accessoiriste il faut être du métier et aussi ne plus en être, être capable d’évoluer à l’intérieur de plusieurs univers de règles, certaines liées à l’usage de l’objet sur scène, ainsi qu’aux exigences du fonctionnement interne encore inconnu de l’objet. Autrement dit c’est l’inédit fictionnel qui appelle et exige l’inédit technique. D’ailleurs ces multiples nécessités rendent difficile la classification des accessoires selon une seule logique d’usage. Il devient impossible de décréter une classification de l’accessoire selon l’usage du référentiel usuel. Les références multiples embarrassent plutôt qu’elles n’aident à classer et c’est bien d’ailleurs ce qui est recherché dans la fiction.

Ces usages et fonctionnements de l’objet lors de processus divers et contigus orientent plutôt vers la reconnaissance d’une appartenance à une lignée technique liée au procédé interne. Le piano est fabriqué à partir d’un procédé en lamellé-collé pour pouvoir reproduire les courbes d’un piano à queue, associé à des procédés de renforcement adaptés à une double contrainte physique : supporter un poids de plusieurs centaines de kilos selon deux versions : la première en étant posée au sol, le procédé de fabrication doit intégrer le poids de sept chanteurs et figurants installés pour une scène dans le piano, sur le fond de la caisse posée sur les quatre pieds du piano. Cette situation est proche de la situation d’un vrai piano, le poids de la machinerie des cordes et marteaux est très élevé. La seconde doit intégrer la capacité à supporter son propre poids plus celui de deux chanteurs, suspendu au dessus du sol grâce à deux câbles descendant des cintres du théâtre.

L’ultime contrainte technique réside dans le fait que dans certains cas le procédé de fabrication ne doit pas être visible du public : pour maintenir l’illusion nécessaire à la fiction, le mécanisme doit rester invisible. Dans d’autres cas au contraire, la contrainte technique doit être visible de manière volontaire pour alimenter le processus fictionnel par un affichage franc de la facticité de l’objet. Les conséquences de ces nécessités sont multiples. L’accessoiriste

utilise des modes opératoires et des connaissances qui appartiennent au métier initial et qui lui permettent de traiter avec intelligence le matériau, d’utiliser des outils spécialisés dans leur mode d’emploi, et d’être à mi-chemin entre la conservation de règles de fabrication, tout en s’en écartant. Les modes de fabrication habituellement associés à l’usage et sédimentés dans les pratiques professionnelles des fabricants sont utilisées ou bien arrêtées au profit d’autres nécessités techniques.

La relation que le professionnel établit entre l’objet théâtral ou objet technique et lui-même, le sollicite dans sa capacité à imaginer, pour tenter de résoudre les problèmes techniques, de développer un processus mental d’invention imposés par la nouveauté de l’objet. Ce mouvement qui vise à développer de nouveaux modes opératoires contribue à la constitution du patrimoine de cette équipe.

3.5 En résumé

Nous venons d’envisager les accessoires comme des objets à la définition complexe, qu’on peut dans certains cas désignés comme esthétiques, car ils doivent pouvoir s’intégrer dans une œuvre d’art, et sont donc porteurs de significations. Mais ils appartiennent aussi à la catégorie des objets techniques, parce que de part leur nouveauté, ils posent des problèmes techniques auxquels les accessoiristes tentent de répondre. Leur caractère de nouveauté tient au fait que ces objets contribuent à un double processus, celui du processus fictionnel et celui de « la vie courante ». Ils sont des leurres au service du déclenchement du processus fictionnel, et doivent aussi répondre aux exigences matérielles de cette réalité fictionnelle qui possède ses propres contraintes. Autrement dit comme tout objet technique un accessoire doit fonctionner correctement. Cette contribution à ces processus de manière simultanée exige des inédits techniques et pose des problèmes aux accessoiristes. C’est dans cette fonction du nouveau lié à l’inédit technique que s’insère l’invention. Le chapitre suivant tente de montrer à partir de l’analyse de deux accessoires, les variations possibles de la contribution au double processus -fictionnel, « vie courante »- et des exigences techniques qui en découlent, en fonction de la singularité de chaque accessoire.

Chapitre 4 :