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Le développement de l'activité professionnelle en jeu. Invention humaine et concrétisation des objets techniques : le cas d'un collectif d'accessoiristes de théâtre

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Le développement de l'activité professionnelle en jeu. Invention humaine et concrétisation des objets techniques : le cas d'un collectif

d'accessoiristes de théâtre

GOUDEAUX, Annie

Abstract

Cette thèse soutient l'idée du rôle essentiel de la technique dans le développement de l'activité humaine. Le cadre théorique s'appuie sur la théorie de l'individuation humaine et l'invention technique de Gilbert Simondon qui considère l'individuation comme un processus de développement au sein de systémes porteurs de potentiels, qui récuse le schème hylémorphique. Ce schème basé sur un don de forme explique l'existence d'une forme nouvelle par la rencontre entre une forme dominante et une matière passive. La récusation de ce schème et son remplacement par un schème d'opération de prise de forme qui fait référence aux processus d'émergence au sein des systémes dynamiques, questionne profondément les conceptions en matière de dispositifs et de processus d'apprentisage en formation des adultes. Le corpus est constitué à partir d'une observation participante auprès d'une équipe d'accessoiristes de théâtre. Il n'y a pas de formation initiale d'accessoiriste en Suisse Romande.

GOUDEAUX, Annie. Le développement de l'activité professionnelle en jeu. Invention humaine et concrétisation des objets techniques : le cas d'un collectif

d'accessoiristes de théâtre. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2010, no. FPSE 448

URN : urn:nbn:ch:unige-143664

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:14366

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14366

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A Eva, mon étoile filante

A Axelle et Pauline, mes deux gouttes d’eau vive

A Clara, ma joyeuse

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Une thèse de doctorat est une activité qui exige de l’endurance, de l’opiniâtreté et du rêve. Bien qu’un seul en signe la réalisation, il s’agit

aussi d’une activité collective, invisible pour celui qui découvre le travail terminé.

Des personnes m’ont accompagnée, parfois quotidiennement, chacune à leurs manières, sous forme de proposition de projet de recherche,

d’aide méthodologique, de débats théoriques et de clarifications conceptuelles, de discussions sur le travail d’accessoiriste et celui de

chercheur, de conseils avisés, d’intérêt manifeste, d’écoute bienveillante, d’encouragements, d’estime professionnelle, de lecture attentive, de générosité, d’amitié, d’affection, de patience, de confiance

indéfectible, d’amour.

Je vous adresse ici ma plus profonde reconnaissance.

Merci à ceux que j’aime, parents, amis, compagnons de travail, qui me sont précieux et qui m’aident à aimer la vie.

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SOMMAIRE

Introduction, 1

PARTIE 1 : Le contexte de travail des accessoiristes et des chercheurs, 11

Chapitre 1 Contexte de travail et méthode, 12 Chapitre 2 Le travail et son organisation, 28

Chapitre 3 Le contexte et son incidence sur le travail, 34 Chapitre 4 Les accessoires, une signification qui migre, 46

PARTIE 2 : Le travail des accessoiristes, 55

Chapitre 5 Rendre le travail visible, 56

Chapitre 6 L’objet technique : Une présence constitutive de l’individuation collective, 75 Chapitre 7 Conclusion des parties 1 et 2, 104

PARTIE 3 Cadre théorique, 109

Chapitre 8 Problématique de l’activité, 110

Chapitre 9 La place de l’activité dans la genèse instrumentale, 112 Chapitre 10 Le travail chez Simondon, 119

Chapitre 11 L’activité et son développement, 127 Chapitre 12 Le processus d’individuation, 131

Chapitre 13 Le développement de l’activité, résultat de la transduction entre objet technique et invention humaine, 142

Chapitre 14 Le jeu et le processus fictionnel comme régime d’activité nécessaire au cycle de l’image, 151

PARTIE 4 La fabrication des bustes, 161

Chapitre 15 Les bustes, 162

Chapitre 16 La genèse de la fabrication, 165 Chapitre 17 Conclusion générale, 214

BIBLIOGRAPHIE, 228

TABLE DES MATIERES, 233 ANNEXES

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Introduction

Notre thèse entreprend de décrire certaines caractéristiques de l’activité d’un groupe professionnel particulier, celui des accessoiristes du Grand Théâtre de Genève. Notre contribution à une recherche en formation des adultes s’appuie sur le choix d’un objet théorique : l’activité déployée par les individus dans leur environnement professionnel. Nous sommes convaincue que l’analyse de l’activité (c’est-à-dire la prise en compte du facteur humain dans la réalisation de la tâche) apporte un éclairage décisif pour le formateur qu’il soit concepteur de dispositif de formation initiale et continue ou d’intervention auprès d’équipes de travail. Le choix de cette orientation s’appuie aussi sur le fait que réaliser la tâche demandée correspond à une activité d’un autre ordre que ce que la consigne en indique, autrement dit, la prescription ne décrit rien de ce qui est véritablement mobilisé individuellement et collectivement par les acteurs, de manière intime au contact du réel. Le chercheur est donc à l’affût de ce qui constitue cette intimité du travail, de la rencontre entre le travailleur et le monde parce que c’est dans les replis de ces agissements que s’exprime la compétence, le plus souvent silencieusement, et que s’effectuent les apprentissages, le développement d’une expérience et d’un pouvoir d’agir. C’est donc un choix et une nécessité pour nous de nous approcher le plus possible et le plus souvent possible des situations quotidiennes de travail.

L’accessoiriste et le chercheur

Cette recherche doit son existence et sa configuration en partie à des rencontres humaines antérieures et actuelles qui ont fortement traversé toutes ces heures passées « en compagnie », les uns et les autres préoccupés par une même chose, le travail.

Il s’agissait pour les chercheurs avant tout de comprendre le travail des accessoiristes, et pour ces derniers d’aider les premiers à comprendre leur propre activité, y puisant au passage de l’intelligibilité pour eux-mêmes. Cet engagement mutuel a pu s’effectuer de cette manière parce que les chercheurs

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ont en quelque sorte « donné le rythme » par leur manière d’interroger l’activité des accessoiristes, au plus près de leurs préoccupations de professionnels, et ceci en cohérence avec l’objet activité et une manière particulière de l’approcher.

Lorsque les chercheurs abordent l’activité des accessoiristes, ils s’appuient et accorde leur confiance d’une part à la fécondité de l’activité de ces praticiens et sur leur capacité de la décrire, d’autre part sur d’autres chercheurs qui ont une expérience similaire. Il existe pour l’auteur de ce texte une continuité sous forme de filiation qui marque dès le début de la recherche une manière d’appréhender méthodologiquement et théoriquement le travail.

La fréquentation simultanée de ces deux activités nous permet de dire sans tomber dans une forme de comparaison facile que celle de chercheur et d’accessoiriste présentent quelques similarités. Les deux métiers ont comme caractéristiques de faire face à des questions dont ils ne connaissent pas a priori les réponses ni toujours le mode opératoire pour pouvoir les obtenir. Dans les deux cas il y a une nécessité de se confronter à ce qu’on ne sait pas et de se mettre au travail, autrement dit cela ne se fait pas tout seul.

Il y a pourtant une différence entre l’accessoiriste et le chercheur. Le premier doit le plus souvent masquer le procédé qui permet à l’accessoire de fonctionner car l’enjeu est de maintenir le processus fictionnel, alors que le second doit au contraire montrer comment il travaille pour pouvoir garantir ses résultats.

L’établi du chercheur.

Notre rencontre avec l’objet « activité » date d’environ vingt ans à l’occasion de l’obtention d’une Maitrise en Sciences et Techniques, appellation générique d’un type de Maîtrise universitaire à visée professionnalisante, et en l’occurrence orientée vers la gestion et l’animation de systèmes de formation. Notre mémoire portait sur l’analyse du travail infirmier1, la gestion de l’alternance en formation professionnelle et la professionnalisation des formateurs. Cette première recherche exigeant une certaine réflexion théorique nous a « initiée » au regard qui saisit l’activité professionnelle, la rend visible, lui restitue son existence, et nous a préparée et entraînée à une approche immergée de l’activité. Notre vie intellectuelle et professionnelle s’en est trouvée transformée et la recherche qui est présentée ici en est profondément traversée et ceci de plusieurs manières.

La lignée dans laquelle nous nous inscrivons, interroge constamment et de manière conjointe la question du développement de l’activité collective avec celle du développement des structures, car il n’est pas possible d’une part

1 Travail réel et formation en alternance. Mémoire de Maîtrise soutenu le 13 juin 1995, sous la direction de Guy Jobert. Université de Paris-Dauphine. Département d’éducation permanente.

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d’envisager l’activité comme relevant de la seule responsabilité et du seul pouvoir d’un opérateur, qu’il soit professionnel ou étudiant en formation initiale, d’autre part l’activité ne s’effectue pas dans des contextes identiques reproductibles et d’une certaine manière secondaires. Au contraire l’activité est toujours insérée dans un contexte organisationnel singulier qui l’influence et qu’elle influence aussi.

Par ailleurs, le principe fondamental éthique, lié à la nature même de l’activité, est que cet objet n’est repérable qu’au plus près des opérateurs que ce soit dans leur discours à propos de leur travail que dans le milieu écologique de sa production. Mais là aussi il ne suffit pas de décréter et de prescrire la nécessité au chercheur, de cette fréquentation, qui se doit d’être assidue, du milieu professionnel observé. Car au-delà du temps consenti, cela nécessite aussi et surtout un investissement important de la part du chercheur, qui donne toujours de sa personne pour pouvoir partager et comprendre l’activité des professionnels, et qu’elle finisse par lui devenir familière. Autrement dit, il y a un mouvement initial et déterminant qui s’appuie sur le principe que ce sont les professionnels qui « possèdent » l’activité et que cela nécessite de fait, un déplacement du chercheur vers le milieu de travail.

Le travail nécessite qu’on s’en approche, il ne se livre pas dans un rapport distancié des situations de travail quotidiennes et des professionnels, et s’approcher signifie que tôt ou tard on est impliqué en tant qu’être humain. Le déplacement du chercheur et la proximité qu’il souhaite s’effectuent bien sûr sous forme géographique mais aussi grâce à une suspension du jugement porté sur le travail d’autrui. Le chercheur n’est pas là pour décréter si l’activité observée, déployée est bonne ou mauvaise. Comprendre l’activité nécessite de considérer que, quoiqu’il arrive les gens ont des raisons de faire ce qu’ils font et avec la manière dont ils le font. Etre au plus près de l’activité signifie un intérêt authentique pour le travail d’autrui sans pour autant conférer systématiquement une forme d’innocence systématique aux professionnels observés. Simplement pour saisir les processus profonds qui fondent une activité individuelle et collective, il est nécessaire de considérer que le travail a un sens pour celui et ceux qui l’effectuent et que ce sont ces significations qui intéressent le chercheur. Pour cela « donner de sa personne », pour reprendre notre expression indique une acceptation à être affecté par le quotidien du travail et de ses mouvements dans le but d’en faire un objet de compréhension et un acte d’intelligibilité. Entre démarche ethnographique et clinique, la différence est faible. S’utiliser pour comprendre, attendre l’inattendu, signifie et nécessite de cultiver et d’apprécier la surprise (Marcelli, 2000, 2006), d’être parfois dérouté, de supporter de ne pas comprendre, d’être exaspéré, de s’ennuyer, à condition de faire de soi, son propre instrument d’analyse et d’accès à l’univers de significations d’autrui.

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Au-delà de notre expérience dans cette rencontre avec l’objet activité, c’est l’inscription de cette problématique à l’intérieur de questions de formation professionnelle qui nous parait importante et fortement significative. Il nous semble nécessaire de signifier le rôle majeur qu’a joué Guy Jobert dans cette orientation et sa diffusion au sein de la communauté professionnelle francophone des formateurs d’adultes. Le virage théorique, méthodologique, imposé par l’analyse de l’activité importée dans le champ de la formation nous semble particulièrement clair dans le chapitre «l’intelligence au travail » publié dans l’ouvrage édité par Carré et Caspar (1999), qui sert d’ouvrage d’initiation et de référence à bon nombre de formateurs d’adultes novices ou expérimentés.

Formation et analyse de l’activité

Lorsque nous abordons l’activité des techniciens du Grand Théâtre de Genève, nous sommes traversée par une préoccupation : mener une recherche apportant une contribution à des questions d’apprentissage et de développement accompagnés, donc clairement tournée du côté de la formation et non pas du côté de l’ergonomie ou de la psychologie, en tenant ensemble l’analyse de l’activité et la formation.

Les liens entre formation et analyse de l’activité s’articulent habituellement autour de trois modalités.

La formation à l’analyse de l’activité, implique le développement d’une expertise théorique et méthodologique au service d’une production de connaissances d’activités le plus souvent professionnelles. Cela constitue un équipement nécessaire à tout professionnel dont la pratique sociale trouve du sens et une efficience à analyser le travail d’autrui : formateur, médecin du travail, ergonome, psychologue du travail, sociologue du travail, DRH, consultant, conseiller en VAE1, responsable de formation, syndicaliste etc.

L’analyse de l’activité pour la formation, qui désigne une démarche d’analyse de l’activité au service d’une ingénierie de formation venant dans un second temps.

Le but étant d’améliorer la pertinence du dispositif de formation, dans ce cas beaucoup plus proche de la réalité de l’activité que les apprenants futurs professionnels vont exercer. La didactique professionnelle (Pastré, Mayen &

Vergnaud, 2006) est représentative de cette démarche.

La formation par l’analyse du travail qui désigne des activités de formation utilisant dans le cadre d’analyses de pratiques au service d’une réflexivité, des méthodes comme l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2010), l’instruction au sosie (Clot, 2008), l’autoconfrontation simple et croisée (Clot, 2008). Le projet de développement de la personne étant basé sur l’idée que l’accès de l’opérateur à

1 VAE : validation des acquis de l’expérience.

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sa propre activité lui permet par un travail d’élaboration de développer son pouvoir d’agir.

Mais ces trois modalités de rapprochement entre travail et formation qui guident habituellement les formateurs-analystes de l’activité ne conviennent pas à la situation offerte par le travail des accessoiristes du Grand Théâtre. Le modèle est inopérant. Il n’y a pas de demande de conception d’un dispositif de formation de techniciens de théâtre. Le Grand Théâtre de Genève n’a pas pour mission de former des professionnels comme par exemple le Théâtre National de Strasbourg. Il n’y a pas de projet pour cela ni de financement. Il n’y a pas de demande d’intervention pour aider les techniciens à transformer leur activité de travail, et les accessoiristes eux-mêmes sont résistants à une quelconque intervention formatrice sur leur travail.

Nous devons donc renoncer aux procédés qui tiennent l’analyse de l’activité et la formation, qui sont traversés par une finalité : aider des professionnels à développer des compétences nouvelles, à effectuer des apprentissages nouveaux et à agir sur l’environnement de travail. Ce qui constitue la finalité du métier de formateur d’adultes. Mais il ne faut pourtant pas considérer cette réorientation de la problématique de recherche comme le résultat d’un choix par défaut, au contraire le fait que la situation professionnelle des accessoiristes résiste aux procédés décrits précédemment indique juste que ces trois propositions ne sont pas les seules à relier formation et analyse de l’activité et que cet environnement professionnel oblige à penser autrement ces liens.

Autrement dit, il n’est pas nécessaire ni souhaité de refaire ce que font le plus souvent les chercheurs en formation des adultes : faire du processus de recherche, un processus qui vise au développement de l’activité, c'est-à-dire d’une certaine manière d’intervenir sur l’activité, mais plutôt de la prendre comme une situation professionnelle, qui contient son propre développement et qui doit être étudiée depuis ce point de vue. Elle n’a pas besoin d’être développée, elle possède les capacités de son auto-développement.

Dans le fil de cette position, nous faisons l’hypothèse que les manières avec lesquelles un corps professionnel assure sa pérennisation en termes de transmission de ses connaissances donnent des indications précieuses sur le contenu nodal de cette activité. Cette hypothèse rencontre de plus un contexte qui se prête favorablement à l’investigation de cette orientation, l’atelier accueille trois accessoiristes novices, un est présent dans l’atelier depuis un an environ et les deux autres depuis quelques semaines. Les trois sont embauchés sur des contrats à durée déterminée.

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Du particulier et du général.

Nos données empiriques relèvent ainsi d’une contextualisation singulière, qui a pour fonction de servir ensuite une analyse généralisante sur des questions d’apprentissage et de développement de l’activité professionnelle. Plusieurs raisons motivent la décision d’étudier le travail des accessoiristes.

La première, déterminante pour un chercheur préoccupé de formation d’adultes, est que le travail des accessoiristes du Grand Théâtre de Genève constitue un cas emblématique qui présente un ensemble de caractéristiques pertinentes : il n’existe pas de formation initiale au métier d’accessoiriste en Suisse Romande ; ce métier ne fait pas l’objet d’une mobilisation de ses praticiens dans une visée de professionnalisation ; les accessoiristes exercent un métier de technicien dans un univers artistique ; l’organisation du travail taylorisée leur impose la plus grande créativité dans un contexte d’autonomie et de contrôle ; leur travail difficile à spécifier, pourrait se rapprocher du bricolage au sens d’une activité de loisirs ; c’est un travail doublement invisible : parce qu’il n’est pas à l’avant- scène du spectacle, et aussi parce qu’il n’est pas immédiatement observable et reconnaissable.

La seconde raison est liée au contexte de travail dans une Maison d’opéra.

L’opéra et la danse ont comme fonction de produire des processus fictionnels propres à l’activité artistique, c'est à dire des univers de feintise ludique partagée (Schaeffer, 1995), et de production de la culture. Ceci a des effets sur l’activité de ceux qui y travaillent.

La troisième raison concerne directement les accessoiristes et le fait que leur activité se situe dans les coulisses. Elle relève de ce qui est caché, par contraste avec ce qui est vu sur la scène. Les techniciens du Grand Théâtre peuvent d’ailleurs faire partie d’une association qui se nomme les « Obscurs du Grand Théâtre ». Dans un univers où l’on s’intéresse en tant que professionnels plutôt à la lumière et à la mise en visibilité (« feu de la rampe », « avant-scène »,

« représentation »…), l’obscurité évoque un travail anonyme et modeste, loin de la reconnaissance et des applaudissements du public. Elle dénote quelque chose d’incompréhensible, de peu clair, de masqué. Il y aurait une double scène, l’une visible et spectaculaire, l’autre invisible et banale qui doit être devinée, et peut devenir objet de fantasmes. Au caché s’attachent le secret et le mystère.

Nous proposons de nous éloigner de cette magie et du mystère. Notre recherche n’est pas faite pour détruire le sortilège, elle ne se pose pas en briseur de jeu.

Son objet n’est pas de décrire et dévoiler le mécanisme qui permet de produire l’illusion, de désenchanter ce monde : le secret est fait pour rester secret (Lévy- Soussan, 2006).

Cette recherche tente plutôt de comprendre la fonction de la technique dans le développement de l’activité humaine individuelle et collective. Notre réflexion va,

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tout au long, s’attacher à saisir et comprendre le rôle et la place déterminants qu’ont les objets, et dans ce cas les accessoires, dans la production de nouvelles connaissances et habiletés.

La thèse que nous soutenons est qu’il existe une relation de causalité récurrente entre l’émergence des accessoires et le développement de l’activité professionnelle.

Il s’agit en effet pour nous, d’étudier à partir du cas des accessoiristes, les processus de développement de l’activité professionnelle, dans le champ du travail, que nous définissons comme le potentiel de capacité d’action face à des situations qui se caractérisent par la présence d’un problème posé sans réponse disponible à un moment. Nous précisons que pour nous ce développement s’appuie sur trois dimensions : l’invention, le partage collectif, l’utilisation et la constitution d’un patrimoine culturel.

Nous étudions ces processus à partir de deux hypothèses :

La première est qu’il existe une relation étroite entre le processus de concrétisation des objets et le développement de l’activité humaine, sous forme d’un processus d’individuation. L’objet est un individu technique qui doit être fabriqué. Lors de sa fabrication et de son évolution, Il pose des problèmes techniques liés à l’exigence fondamentale de fonctionner. Par conséquent, Il impose la nécessité de l’invention (Simondon, 2005), c’est à dire de l’émergence de processus de fabrication encore inconnus à ce moment-là. Ce résultat n’est pas la conséquence d’un opérateur qui imposerait sa loi à la matière, mais d’une correspondance entre le processus de concrétisation de l’objet et de l’activité de l’acteur qui le fabrique.

Nous soutenons l’idée que les objets techniques débarrassés de leur simple statut d’artefact, et investis de celui d’individus techniques au sens de Simondon (1989), occupent une place décisive dans le caractère expansif d’une activité professionnelle (c'est à dire au sens de son développement permanent).

Ce qui nous intéresse ici c’est la relation qu’établissent les professionnels et les objets lors de la fabrication de ceux-ci, et qui a pour double effet de déposer des entités matérielles dans le réel et, de manière simultanée, de produire des apprentissages et du développement de l’activité. Nous chercherons à établir la nature des liens développementaux entre technique et groupes d’acteurs en situation professionnelle, plutôt qu’à clarifier ou nourrir des notions telles que formation sur le tas, formation à la place de travail, formation informelle.

La deuxième hypothèse serait qu’il y a possibilité que le jeu peut, dans certains cas, structurer l’activité humaine de production et permettre à un patrimoine culturel professionnel de s’enrichir sous la forme d’un développement humain qui transforme et fait évoluer des pratiques sociales.

La configuration ludique de l’activité professionnelle pourrait constituer par

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moment, une modalité opératoire dominante qui permettrait de tenir ensemble les exigences de la tâche et l’élaboration d’une activité ressemblante, contigüe mais différente et surtout libre, par production d’images. C’est dans cette forme d’activité « à côté de la vie courante », que pourrait s’enclencher un processus d’imagination.

Nous empruntons à Huizinga (1951, p.19), que le jeu est une « qualité déterminée d’action », librement exercée, fortement réglée, susceptible dans certains cas, de produire du lien social, et qui se déploie sous forme de maniement d’images et de figuration de la réalité, qui procure plaisir et accapare l’attention de celui qui joue. Elle est activité à part entière qui trouve son déploiement dans des contextes dépassant largement la différenciation travail-loisir, enfant-adulte.

Elle peut investir possiblement toute situation, y compris professionnelle, si celle-ci offre la possibilité d’un décrochage par un processus de métaphorisation du réel. Ce ne sont donc pas les jeux définis comme tels qui nous intéressent, c'est à dire ceux qui se déroulent de manière secrète durant le temps de travail, et à côté de l’activité professionnelle, instillant un moment de détente, intermède à l’intérieur d’une phase d’action dirigée vers la production et le plus souvent salariée. Nous parlons plutôt de régime d’activité pour désigner une « qualité déterminée d’action » pour reprendre l’expression de Huizinga, qui permet d’examiner l’activité professionnelle et son développement.

Ces deux hypothèses, présentées ici de manière ordonnée et successive, sont en fait reliées. Les images produites par le professionnel dans ce régime ludique de l’activité, permettent d’anticiper sous forme d’imagination, le fonctionnement interne de l’objet technique. Cette forme anticipée et hypothétique recrute la réalité de la matière, qui devient progressivement réalité effective dans des objets intermédiaires dans leur processus de concrétisation, que les accessoiristes nomment essai ou parfois prototype.

L’objet créé, et qui doit fonctionner, nait de ce processus génétique de l’imagination qui devient invention effective (Simondon, 2008). Il est aussi un des deux pôles d’un système objet-homme qui, par couplage, développe le potentiel d’action de professionnels par enrichissement de leur répertoire.

Un processus individuant

Le développement de la réflexion qui se présente au lecteur de manière linéaire dans le déroulement du texte, fonctionne en fait selon un processus de causalité récurrente entre une réflexion qui concerne le singulier et une interrogation d’un niveau plus général. C'est-à-dire qu’au-delà d’un mouvement d’aller et retour entre le particulier et le général, nous percevons dans notre expérience d’élaboration de la pensée et de l’écriture, l’existence de mouvements proactifs et rétroactifs entre l’empirique et le théorique qui produisent en nous une forme

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compréhensive, synthétique et évolutive, le plus souvent par mouvements ou paliers qui opèrent de véritables transformations de nos schèmes de compréhension et de notre expérience.

Un premier moment se construit à partir de la singularité du travail des accessoiristes et de leur contexte professionnel pour s’orienter vers une montée en généralisation avec la construction d’une modélisation du processus de développement de cette activité de travail. Suit la présentation du cadre théorique construit à partir de la théorie de Simondon sur le processus d’individuation de l’objet technique et de l’invention humaine qui permet de stabiliser notre modèle et de le porter à un niveau de généralisation. Puis celui-ci devient un instrument qui offre deux possibilités au travers d’une même action : pouvoir analyser le processus de fabrication d’un dernier accessoire et de ses effets développementaux sur l’activité individuelle et collective et par là même de subir l’épreuve de son efficacité. Il nous devient possible à ce moment de généraliser le propos sur la question des modalités de développement d’une activité professionnelle et des incidences théoriques et méthodologiques pour la formation des adultes.

Une organisation en quatre parties :

Une première partie décrit l’environnement de travail des accessoiristes et des chercheurs, la genèse de la recherche et la méthode utilisée. Puis nous présentons l’environnement organisationnel du travail des accessoiristes sous l’angle d’une double prescription, celle de l’organisation du travail qui structure le Grand Théâtre de Genève et celle de la demande du metteur en scène ou du décorateur. Nous tentons ensuite de clarifier la nature des accessoires qui sont des objets atypiques qui posent des problèmes techniques aux accessoiristes et qui ont comme fonction d’être des leurres contribuant au processus fictionnel.

La seconde partie décrit et analyse le travail des accessoiristes à partir d’une étude de traces qui s’inscrit dans ce que Ginzburg appelle le « paradigme de l’indice » (Ginzburg, 1980). À partir d’un certain nombre d’éléments relevés dans le quotidien du travail de ce collectif lors des observations et notre contribution à l’activité, nous décrivons et analysons une réalité complexe et nous proposons un modèle de compréhension de cette activité de travail qui produit son propre développement. Ce modèle se situe à un certain niveau de généralisation. Ces indices regroupent la description de l’atelier et sa configuration singulière, le fonctionnement organisationnel que ce collectif met en place et entretient pour pouvoir réaliser son travail ainsi que les descriptions de différentes situations de fabrication d’objets.

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La troisième partie présente le cadre théorique qui, d’une part confirme la généralisation du modèle proposé dans la première partie et d’autre part permet de prolonger la dimension heuristique de la situation de travail des accessoiristes. Ce cadre théorique s’appuie sur la théorie de l’individuation technique et de l’invention de Simondon (1989) et celle de la dimension ludique de l’activité et de sa fonction sociale (Huizinga, 1951).

La quatrième partie est consacrée à l’analyse d’un accessoire, un buste en plâtre destiné à un ballet. L’analyse qui utilise le cadre théorique précédent tente de faire fonctionner d’une part cette lecture conceptuelle, ainsi que le modèle proposé dans la première partie sur la fabrication complexe de cet objet dont nous avons pu suivre la fabrication sur plusieurs semaines.

En dernier lieu un chapitre consacré à une conclusion générale ouvre sur des questions de recherche et de formation à partir des résultats obtenus.

Les observations de terrain, les enregistrements vidéo nécessaires à la constitution du corpus de cette thèse et la production de certaines analyses sont le résultat d’une coopération étroite entre deux chercheurs : Kim Stroumza, Professeure à la HETS Travail social de Genève et nous-même.

Nous avons utilisé pour la garantie de l’anonymat des personnes, des prénoms fictifs pour désigner les auteurs des propos et l’activité qu’ils mènent dans certaines descriptions. Nous en proposons la liste suivante :

Dorian : chef de l’atelier ; Phileas : sous-chef de l’atelier ; Damien, Fantine, Peter, Marcel, accessoiristes. Les initiales K. et A. désignent les deux chercheurs.

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1 ère PARTIE

Le contexte de travail des

accessoiristes et des chercheurs

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Chapitre 1 : Contexte de la recherche et méthode ________________________________________________________________

1.1

Genèse de la recherche

Une convention de recherche a été signée en mai 2005. Le premier contact a été à l’initiative d’une personne membre du personnel du Grand Théâtre de Genève, souhaitant développer une démarche ou une culture de la formation pour cette institution dont la mission est d’assurer une production culturelle. Ce premier contact et des liens professionnels antérieurs sont à l’origine de la construction progressive de la collaboration entre le Grand Théâtre de Genève et l’équipe de recherche CRAFT/RIFT1 à laquelle nous appartenons. Cette tentative de développement de la mission culturelle de cette institution associée à l’idée d’un partenariat avec l’Université de Genève rencontrait la nécessité pour des chercheurs universitaires d’obtenir des terrains de recherche. Avec l’accord de la direction du Grand Théâtre, une première rencontre a eu lieu rassemblant plusieurs membres de l’équipe de direction du Grand Théâtre et l’équipe de chercheurs.

1.1.1 L’activité des techniciens du Grand Théâtre : les apprentissages en question

Lors de cette rencontre, le directeur technique a évoqué plusieurs problèmes concernant la gestion des ressources humaines et la formation.

Les métiers du théâtre et notamment ceux des techniciens, ne font pas l’objet, en Suisse romande, de formation initiale. Il s’agit d’emplois de « seconde phase » professionnelle. Pour des raisons à la fois de sécurité et d’exigence de

1 CRAFT/ RIFT : Conception-Recherche-Activité-Formation-Travail/ Laboratoire Recherche-Intervention- Formation-travail. Université de Genève. Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

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niveau de qualification, les techniciens sont recrutés sur la base d’un CFC1 ou d’un diplôme équivalent, de menuisier, serrurier, tapissier-décorateur, électricien, couturière, tailleur, cordonnier, peintre… Excepté les formations des Beaux-Arts, ces diplômes ne préparent pas aux métiers artistiques ou les métiers qui s’insèrent dans des univers artistiques.

De fait, les compétences professionnelles des techniciens se construisent et se reconstruisent en situation de travail « sur le tas », individuellement et collectivement. L’absence de formation initiale spécifique aux métiers de techniciens de théâtre, le décalage nécessaire par rapport à une formation professionnelle d’origine pose des difficultés en termes de recrutement.

Le CV, forme habituellement utilisée dans les démarches de recrutement professionnel, se révèle souvent insuffisant pour identifier la bonne candidature.

La réussite de l’embauche tient plus au flair du recruteur, en l’occurrence du directeur technique, qui est un professionnel expérimenté du milieu du théâtre et conscient des exigences inhérentes à ce travail.

Selon le directeur technique, une fois recrutés, ces nouveaux professionnels, dont certains sont des personnes sans expérience du milieu théâtral, ne bénéficient pas systématiquement de l’expérience des plus anciens. Pour des raisons qui restent mystérieuses à ses yeux, la transmission des connaissances professionnelles ne se fait pas, selon lui, de manière aisée et systématique. Par ailleurs, certaines compétences disparaissent chez ces techniciens, par absence de sollicitation, alors que d’autres apparaissent en lien avec une modification importante du contexte technique. L’utilisation des images de synthèse, projetées sur les décors à l’aide de systèmes vidéo, remplacent les peintures en trompe-l’œil ; le développement de la confection en prêt-à-porter rend difficile le recrutement de professionnels tels les tailleurs, capables d’effectuer la coupe de vêtements de styles anciens ; l’informatique modifie l’organisation du travail, par exemple avec l’utilisation de logiciels qui permettent la création de plans et nécessitent la présence de bureaux des méthodes, tels ceux rencontrés dans les univers industriels taylorisés.

Les ressources informatiques rendent possibles de nouvelles demandes de la direction dans le but de construire une mémoire formelle des spectacles avec la réalisation de books, composés de photos numérisées de maquette, décors, etc.

Cette technologie fait aussi évoluer rapidement le travail sur le plateau et notamment celui des personnes chargées des changements de décor et de lumière comme les cintriers ou les régisseurs. Par exemple, dans le domaine de la lumière, l’évolution technologique a commencé dans les années 80. Le système technique et le travail consistaient à activer des jeux d’orgue à

1 CFC : Certificat Fédéral de Capacités. Les études durent 4 ans. Diplôme qui se rapproche du Baccalauréat professionnel en France

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manivelle qui nécessitaient plusieurs manipulateurs coordonnés par un régisseur lumière. Les jeux d’orgue actuels, informatisés nécessitent un opérateur. L’activité et le statut de régisseur se sont vus profondément modifiés.

D’un métier de régisseur inscrit dans un statut d’ouvrier, la fonction de régisseur est passée au statut de cadre (Rousseau, 1998).

Les spectacles sont de plus en plus souvent filmés pour être retransmis à la télévision ou pour la production de DVD. La qualité de l’image liée à l’excellence des moyens techniques vidéo a une incidence directe sur le degré de ressemblance exigée des accessoires et des décors. Avec la vidéo, l’œil du spectateur s’est en quelque sorte, rapproché de l’objet, cela modifie du même coup le niveau de détail à apporter lors de la finition d’un objet.

Au total, ce milieu de travail connait des évolutions techniques et économiques qui font disparaitre dans certains cas, le contenu traditionnel des métiers anciens, proches de l’artisanat, pour ouvrir sur de nouvelles expertises et professionnalités. Les exigences de rentabilité financière impliquent une augmentation du nombre de spectacles réalisés. Ce qui a une incidence sur les rythmes et la production des ateliers, obligeant le plus souvent à travailler en parallèle sur plusieurs spectacles. L’ensemble de ces éléments indique un changement important, dont les conséquences directes sur l’activité et son organisation sont perceptibles. Ceci pose des questions quant à la façon dont ces métiers traditionnels s’apprennent, se transforment, évoluent…, souvent grâce aux acteurs eux-mêmes confrontés à l’évolution technique et ceci dans le fil de l’activité. Il faut aussi tenir compte d’une insertion professionnelle qui fait plutôt référence à la notion de vocation qu’à celle de formation initiale qui préparerait à ces activités.

Au terme de cette rencontre, des intérêts communs ont émergé, entre le groupe des chercheurs universitaires spécialisés sur des questions d’apprentissage et de développement des compétences en situation de travail, et les professionnels intéressés, à de l’aide et des réponses à leurs problèmes, qui touchent une institution, des personnes et des métiers.

1.2 Méthode

L’analyse de l’activité nécessite une présence sur les lieux du travail, c'est-à-dire dans le cadre « naturel », écologique, là où le travail se fait. Chaque situation de travail contient une forme de singularité dans la complexité de sa variabilité qui élimine de fait la possibilité de raisonner « toute chose égale par ailleurs », ou un appel à la reproductibilité des situations expérimentales. Dans sa nature même, et sa complexité sociotechnique, le travail ne peut être saisi que dans son

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caractère singulier, qui nécessite des démarches de recherche de type compréhensif.

Par conséquent et pour pouvoir approcher cette activité professionnelle, la démarche adoptée est celle d’une ethnologie sélective qui s’appuie sur une immersion longue au sein du groupe social de travail, et le contact direct avec le milieu professionnel. Elle sous-entend une présence importante sur le terrain, durant un empan temporel long, et au plus près des situations de travail, privilégiant plutôt l’observation et la participation à l’activité, qu’un ensemble d’entretiens avec les professionnels à distance physique et temporelle du travail.

1.2.1 Les différentes phases de l’observation de terrain

Les observations ont démarré en novembre 2005 et se sont terminées en mai 2007 à l’échéance de la convention de recherche1. La périodisation des observations s’est organisée en trois phases.

Une première phase de novembre 2005 à juillet 2006 a été organisée sous forme d’observations en discontinu, deux jours par semaine avec la présence des deux chercheurs dans l’atelier sans couvrir systématiquement la totalité de la journée de travail. Au début, ces observations ont été effectuées à l’aide de prises de notes et d’enregistrements audio, puis, à partir du mois de mars 2006, nous avons utilisé une caméra vidéo pour filmer les situations de travail prises sur le vif, et les échanges dans le fil de l’action entre chercheurs et professionnels.

Durant le mois d’août 2006 nous avons effectué seule, une observation quotidienne, en prenant le poste tous les matins à 7 heures et en quittant l’atelier aux horaires de l’équipe, l’après midi à 16h30. Dans ces deux premières phases il est régulièrement arrivé aux deux chercheurs de travailler avec les accessoiristes, avec un renforcement de cette participation pour nous, lors du mois d’aout. Puis dans la période de septembre 2006 à mai 2007 le temps passé en observation a été réduit progressivement. Les observations ont pris fin en mai 2007.

Le corpus est majoritairement constitué d’enregistrements vidéos de plusieurs situations centrées sur la fabrication des accessoires, ou des réunions de travail associant les accessoiristes et d’autres professionnels comme les metteurs en scène, chorégraphes et décorateurs. Certains enregistrements ont été effectués lors de pauses, au moment d’échanges entre les membres de l’équipe et le ou les deux chercheurs. Des remarques et relevés de situations ont été consignés à l’aide d’un carnet de terrain. Les films vidéo n’ont pas été soumis aux accessoiristes, ils ont servi à la constitution de verbatim2 servant dans un second temps à l’analyse.

1 En annexe

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L’analyse s’est appuyée sur les traces vidéo et les observations menées sur des moments qui ne concernent pas toujours la fabrication d’un objet mais qui se situent dans le fil de la journée et qui n’ont pas fait l’objet d’enregistrement vidéo.

Deux retours formalisés ont été proposés à l’équipe des accessoiristes, l’un sous forme d’un texte livrant les premières analyses de l’activité des accessoiristes en octobre 2006 à la veille d’un rendez-vous auprès de la direction du GTG1 et un second sous la forme d’une analyse d’un objet.

Les moments de restitution formels ont été peu nombreux car c’est le plus souvent dans le fil de l’activité lors des échanges menés avec l’accessoiriste filmé, à l’occasion du questionnement sur l’activité en train de se faire, ou bien des demandes d’explicitation du mode opératoire mené, que les retours se sont faits. Ils ont souvent été l’objet de débats.

Dans ce type d’échanges portant sur l’activité de travail au fil des jours, les professionnels sont tout à fait en mesure de juger de la pertinence de la compréhension des chercheurs par la qualité des questions qu’ils leur adressent. La nature de ces questions posées par les chercheurs, donne une indication de leur niveau de compréhension du travail qu’ils observent.

Autrement dit, alors que les chercheurs ont le sentiment de se « servir » dans leur prise d’informations destinée à la recherche, ils se livrent au regard des professionnels qui évaluent silencieusement leur niveau de compréhension, la nature de l’objet qui les intéresse et leur niveau de dangerosité potentielle. C’est dans la pertinence de leur questionnement et son caractère non menaçant que les chercheurs à leur insu, valident leur présence et la confiance que les professionnels peuvent leur consentir.

1.2.2 Le choix du lieu et des modalités de constitution du corpus

Nous faisons le choix, à la suite de Caratini (2004) qui dévoile l’activité réelle -au sens ergonomique du terme-, de l’anthropologue, de présenter le chemin méthodologique que nous avons parcouru. Ceci non pas dans l’idée de rompre avec les codes universitaires, mais de réfléchir aux obligations, nécessités, erreurs, limites mais aussi fécondités potentielles de cette activité de deux chercheurs obligés, comme tout opérateur de négocier avec l’orthodoxie scientifique et le flux d’évènements toujours à l’œuvre dans n’importe quel contexte humain. Que serait-il possible de tirer de cette expérience dans laquelle, comme d’habitude, les choses ne sont pas rectilignes ? En quoi cette voie permet-elle de repérer le processus de connaissance développé sur le terrain ? Comment se débrouillent deux chercheurs, qui essayent d’ouvrir une orientation de recherche à partir d’un champ qu’ils tentent de construire avec

1GTG : Lire partout Grand Théâtre de Genève

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d’autres, comme un champ scientifique, celui de la formation des adultes à partir d’une « analyse de l’activité » ?

Ce point de départ a une incidence forte sur notre approche, et pose la nécessité de partir de problèmes soulevés par des acteurs institutionnels. Une des difficultés, voire impossibilités, est notamment de construire préalablement une question de recherche précise, sans rien connaitre de l’activité de technicien de théâtre. Le stade de l’ébauche d’une question de recherche de démarrage est aussi due à une raison méthodologique, qui mêle nécessité liée à l’objet activité et conviction des deux chercheurs relative à une forme de connaissance partiellement produite à partir d’une expérience humaine et l’acceptation d’être

« dérangé » par un environnement social étranger. Malgré cela, nous n’avons pas démarré les observations de terrain sans être à la recherche de phénomènes un peu ciblés servant une problématique certes encore balbutiante mais malgré tout à l’œuvre.

Ce qui a orienté nos investigations des premiers moments, est en lien étroit avec les constats du directeur technique et nous a guidés dans un questionnement.

Comment s’apprend ce métier ? Est il exact que la transmission soit si aléatoire et entravée par une non contribution des plus anciens ? Il doit bien y avoir des moments d’apprentissage puisque ces professionnels ont pu le devenir en absence de formation initiale. Par ailleurs la présence de trois accessoiristes temporaires dont deux novices nous a guidés pour l’observation de ces phénomènes d’apprentissage et de transmission du métier.

Une autre hypothèse nous a fortement accompagnés dès le début, c’est l’idée que chaque activité de part sa spécificité, ses modes d’exercice, son histoire, sa nature, possède ses manières, ses codes qui conditionnent fortement les manières de pérenniser le métier au plan générationnel. Autrement dit le métier d’accessoiriste ne s’apprend pas et ne se transmet pas tout à fait de la même manière au-delà des formes de transmission et d’imitation, que le métier d’agriculteur ou de conducteur de bus, parce que le métier n’est pas le même et obéit à des nécessités d’exercice différentes.

Un paradoxe nous a intrigués très tôt et est à l’origine de questionnements qui nous ont guidés tout au long de cette recherche. Bien que le métier ne s’apprenne pas de manière formelle, qu’il n’existe de formation continue, ni de stage d’adaptation à l’emploi, il est visiblement en développement constant en terme de ressources pour faire face aux problèmes posés régulièrement par les demandes des metteurs en scène. Bien que cette activité ne donne que peu de signes formels de formation et d’apprentissage, elle semble pouvoir toujours répondre aux inédits techniques imposés par les accessoires. Cela incite même à s’interroger sur une similarité entre le contenu du travail et les apprentissages incessants produits de manière silencieuse et du même coup comment ce collectif de travail s’y prend pour juger, valider le travail et ses acquis produits dans le fil de l’activité. Quels sont les mécanismes de jugement partagés

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collectivement, en dehors de tout contexte d’évaluation formel tels qu’un dispositif de formation peut le proposer pour attester de la qualité et de l’intégration d’un professionnel à l’intérieur de la communauté de travail.

1.3 L’immersion du chercheur ou la fascination à l’œuvre

Lors des premiers contacts avec l’équipe de direction du GTG et le lancement du projet de recherche, une visite des lieux a été effectuée avec un des membres de l’équipe de direction à l’origine du projet. Nous avons visité différents services, pour que nous nous fassions une idée de cette institution, et que nous rencontrions les personnes responsables des services techniques. Nous avons donc rapidement visité l’atelier des menuisiers, cordonniers, costumières, et le plateau du Grand Théâtre en dehors d’un moment de répétition.

Cette visite rapide porte déjà ses fruits pour tout observateur un peu averti. Il s’agit dès ce moment d’entendre les échanges et leur contenu entre professionnels, de sentir l’ambiance, et de mettre en marche sa perception et sa sensibilité, engageant une activité d’éveil (Laplantine, 1996, p. 7). C’est, comme le rappelle aussi Caratini (2004), travailler plus avec son corps dans un premier temps qu’avec sa tête.

Ainsi, alors que la direction technique signalait la disparition de certaines compétences par absence de situation permettant de les produire, lors de notre visite de l’atelier des menuisiers, pendant un échange un peu vif entre deux responsables, un des deux a exprimé son regret et certains reproches quant à l’évolution du métier de menuisier dû à la création d’un bureau d’études chargé d’effectuer les plans de construction des décors. Selon lui, cette nouvelle organisation et ce mode de prescription du travail privent les menuisiers de l’exercice « du trait ». Activité qui consiste à tracer à même le sol la forme des différentes parties en bois. De même les plans trop précis sont accusés de faire perdre leur autonomie aux menuisiers.

Il n’est pas question bien sûr de prendre position face à ce choix technique et organisationnel, sans doute lié aux exigences de sécurité et de contrôle-qualité obligatoires de nos jours dans n’importe quelle construction impliquant la sécurité des personnes. Mais, on peut lire malgré tout à travers ce reproche, les conséquences de l’exigence rationaliste, comme une diminution voire une disparition du travail de conception propre aux artisans. Cette évolution déplace l’activité vers une simple exécution plus proche de celle de l’ouvrier. Ces critiques concernent aussi la place prise par un dispositif technique informatique. Autrement dit, travail d’exécution rimerait dans ce cas, avec arrivée d’objets techniques remplaçant petit à petit la présence et la compétence humaine et prolétarisant les techniciens.

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Au cours des visites suivantes nous nous sommes insérés encore davantage dans cet univers, en apparence plus léger, ludique, avec le sentiment de pénétrer un monde et ses coulisses auxquels seuls quelques initiés ont accès. Il s’agissait de découvrir l’envers du décor, de lever l’énigme en voyant à l’envers et de près ce qui est habituellement invisible. Un processus de fascination était enclenché nous interdisant, pour le meilleur et le pire du point de vue scientifique, la position de l’entomologiste regardant ses observés au travers de la paroi d’un bocal transparent (Laplantine, 1996, p.20). Nous étions par un processus de captation, dès le début, du côté de l’expérimentation in vivo.

C’est le processus fictionnel et son environnement de production qui sont à l’origine de cette attirance et ce sentiment de bonheur. Le chercheur se trouve pris, ce qu’il comprendra plus tard, par le caractère anthropologique et social de la fiction qui est une forme du jeu (Huizinga, 1951). Univers qui traverse toute activité professionnelle au sein du GTG.

Accepter de se laisser faire et d’être dominée pendant un temps par cette attirance, constitue, de notre point de vue, un risque quant à l’exigence de réflexivité souhaitable chez un chercheur, mais aussi une nécessité dans ce contexte ludique. Pour comprendre ce qui s’y passe, il faut accepter d’entrer un moment dans le jeu et d’en accepter les règles. « L’ethnologue est celui qui doit être capable de vivre en lui la tendance principale de la culture qu’il étudie », rappelle Laplantine (1996, p. 20).

Dans notre cas, la fascination est le résultat, l’effet recherché ou produit par ce qui fait partie de la nature profonde de cet univers professionnel, dont la fonction est de faire rêver. Par ailleurs, l’univers du jeu et de la fiction ne sont compréhensibles que par ceux qui en connaissent les règles. Le jeu a comme caractéristique d’être à « côté de la vie courante » (Huizinga, 1951) et d’être mystérieux pour ceux qui sont en dehors de cette réalité ludique. Autrement dit, pour saisir cette culture professionnelle, il nous a semblé nécessaire de participer à cet univers qui produit de la fiction, de partager l’expérience de ceux qui y travaillent, et qui d’une certaine manière y jouent déjà.

La difficulté est réelle pour le chercheur. Etre fasciné par l’univers fictionnel et ludique se produit malgré soi, en quelque sorte, et au plan scientifique il est nécessaire de s’immerger dans le milieu observé pour le comprendre (ce qui est d’autant plus vrai pour le jeu qui reste opaque au non joueur). Mais le travail scientifique exige aussi de ne pas être fasciné pour pouvoir saisir ce qui se passe. Cela exige une double rupture : celle d’échapper à notre « nature » humaine et à la position consentie dans un premier temps par le chercheur ethnologue. L’entreprise n’est pas garantie d’avance et le travail scientifique peut s’en trouver compromis.

Une des difficultés consiste à percevoir que la fascination est à l’œuvre, car par définition, ce processus capte l’esprit et lui fait perdre tout jugement critique et

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tout jugement sur soi. L’absence d’une question de recherche précise permet à la fois d’accueillir la réalité observée mais expose le chercheur à des pertes de repères quant à l’objectif qu’il poursuit. L’arme est à double tranchant.

La présence longue dans un lieu de travail (deux ans) favorise la création de liens avec les professionnels. Une complicité et une coopération se construisent autour du travail partagé. Cet aspect nous a d’ailleurs posé des difficultés pratiques et des interrogations éthiques et méthodologiques.

Nous sommes en effet, constamment dans une double activité : celle du chercheur en train d’observer et de filmer les situations de travail, et celle de participer à ce travail. Cette seconde activité implique de posséder et de partager des informations nécessaires au déroulement de l’activité collective.

Lors de la fabrication d’un objet, les accessoiristes n’avaient pas d’informations sur l’utilisation de cet objet sur scène. Cette information était pourtant déterminante pour comprendre et élaborer le procédé de fabrication de l’accessoire. Nous avions nous, assisté aux répétitions et nous possédions cette information importante pour saisir le mode opératoire adéquat. Pendant les échanges entre les professionnels qui cherchaient à se mettre d’accord sur la manière d’échancrer une nappe en tissu. Nous filmions la situation de travail, et nous nous sentions mal à l’aise. Il était étrange d’être témoin d’un évènement en tant qu’observateur alors que nous possédions le moyen de régler le problème présent.

Le choix du silence pour respecter la neutralité du chercheur et de diminuer autant que possible les effets liés à sa présence, a été à l’origine d’une impression de manipulation désagréable. D’une part cette position nous projetait dans une situation d’extériorité et de voyeurisme, d’autre part elle rompait la coopération nécessaire au travail en commun. Nous avons finalement choisi de donner l’information, parce que nous percevions que notre intégration dans l’équipe était suffisante pour contribuer à la régulation de l’activité sans que notre intervention ne soit perçue comme déplacée.

A posteriori l’effet a été relatif. Bien que les accessoiristes m’aient écoutée, ce n’est pas à partir de mon information que le procédé de fabrication a pu démarrer, mais lorsque le responsable hiérarchique a renchéri. Était-il utile d’intervenir dans la situation ? Elle se serait certainement régulée autrement avec efficacité. L’inefficacité de notre action, rassurante pour le chercheur, peut cependant être troublante pour « le chercheur-accessoiriste ». L’utilité relative de l’information indique la nature de l’intégration dans l’équipe. Nous prenons en compte cet aspect, mais nous nous interrogeons sur la double position externe comme observateur et interne comme opérateur inséré dans une situation de travail qui, de notre point de vue crée une position tierce.

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1.4

Le choix obscur de l’atelier des accessoiristes

Dans cette recherche, le choix porté sur l’atelier des accessoiristes s’est fait progressivement. Le projet de départ était de mener des observations dans plusieurs lieux : atelier des peintres, des menuisiers, des costumières, et du plateau, pour embrasser la situation de manière générale. Puis le choix s’est concentré sur l’atelier des accessoiristes.

Cet atelier présente une grande densité sémiotique. Les accessoiristes ont des relations fréquentes avec de nombreux acteurs de catégories sociales diverses, et ils nous semblaient posséder une surface de compétences importante en raison de la diversité des objets fabriqués et des matériaux utilisés. Ces professionnels représentaient bien la double référence professionnelle, appuyée sur un diplôme de base et une autre composante qui fait la spécificité du théâtre que signalait le directeur technique.

L’équipe, de petite taille (6 personnes), composée de plusieurs corps de métier aux référents de base diversifiés, pose la question de la construction d’une entité collective.

Par ailleurs, l’éloignement de la scène se concrétise de deux manières : géographique, l’atelier des accessoiristes n’est pas situé dans le bâtiment central du GTG mais dans des locaux séparés par plusieurs rues ; symbolique, car bien que les objets, soient destinés à la scène, l’organisation du travail n’est pas « calée » sur la temporalité des représentations (par exemple les horaires de travail sont indépendants de ceux des spectacles).

En marge de ces arguments rationnels, d’autres plus incertains interviennent et qui ont entraîné un choix par élimination des autres lieux possibles. L’élément premier est certainement un sentiment d’insécurité supportable pour une phase de découverte du milieu du théâtre. Puis au fur et à mesure des mois le choix s’est précisé de nouveau pour limiter l’observation à cet atelier, même si des contacts épisodiques ont existé avec d’autres équipes de travail. C’est le déplacement d’un objet de recherche au départ collectif, qui concerne l’équipe de recherche, vers un travail individuel de doctorat qui a précipité le choix d’observer l’équipe des accessoiristes.

Dans ce processus proche d’une sorte de réduction du champ d’investigation ou bien de séduction réussie sur le chercheur, un évènement pèse dans le choix de démarrer par cet atelier : la « visite guidée » s’est terminée en fin de journée par l’atelier des accessoiristes.

La journée de travail tire à sa fin, il reste peu de monde dans l’atelier. Un des accessoiristes, de manière naturelle -en fait très habitué à ce type d’exercice nous le constaterons plus tard-, nous explique son travail. Nous sommes comme des touristes en visite. Tout en nous donnant des explications sur sa pratique

Références

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