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Section II. Contractualisation et gestion de la décision judiciaire

B. L’évaluation de la contractualisation

1. L’évaluation des raisons de la contractualisation

139. Il existe en Angleterre une politique volontaire de contractualisation. Les procédures contractuelles sont considérées comme moins chères et plus rapides. L’encouragement vient également des médiateurs en ce qu’ils encouragent à la prise de conscience de l’existence de ces procédures, conjointement à la volonté politique de réduire le nombre de procès.

Lord Woolf218 fait cependant remarquer que les fonds manquent aujourd’hui si l’on veut tirer le bénéfice maximum des changements introduits en 1999. Il met en garde le gouvernement actuel, qui poursuit dans la ligne de son prédécesseur, et tend à considérer que la justice civile peut s’autofinancer, position qu’il considère comme un non sens. Il critique également l’augmentation des sommes engagées par les parties : taxes demandées par les juridictions trop élevées, contradiction entre la mise à disposition de l’aide légale et le recours aux taxes conditionnels, etc.

2. L’évaluation de la mesure de la contractualisation

140. C’est le Court of Appeal qui est censé être l’instance de supervision dans le domaine de la justice en Angleterre et au Pays de Galles. Mais, dans le domaine de la contractualisation, et en particulier dans le cadre de la gestion des dossiers, Adrian Zuckerman219 indique qu’il n’a pas su développer une politique unifiée. Même s’il est plus strict en ce qui concerne les pratiques de bonne gestion, le Court of Appeal peine en effet à parler d’une même voix. La compréhension de l’objectif primordial varie grandement d’un juge à l’autre, certains estimant même toujours que leur seul rôle consiste à trancher dans des

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Littlefair, Williamson & Beardall v Vinamul [2006] EWCA Civ 31, para. 34.

216 N. ANDREWS, The Modern Civil Process, Veröffentlichungen zum Verfahrensrecht 50, Mohr Siebeck,

2008, para. n° 11.42.

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N. Andrews, The Modern Civil Process, Veröffentlichungen zum Verfahrensrecht 50, Mohr Siebeck, 2008, para. n° 11.47 (position de Mr Justice Coleman).

218 Lord Woolf, Avant-propos, D. Dwyer (ed.), The Civil Procedure Rules Ten Years On, Oxford, 2009, p. vi. 219 A. Zuckerman, “Litigation Management under The CPR : A Poorly-Used Management infrastructure”, D.

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affaires en fonction des faits et du droit, peu important le temps passé et les coûts engendrés. Adrian Zuckerman en conclut que les principes de gestion ne pourront pas être mis en place tant que le Court of Appeal n’imposera pas un leadership.

Par ailleurs, si le principe de la contractualisation semble globalement accepté par la doctrine, c’est la mise en œuvre qui en est faite dans le système anglais qui est critiquée. Globalement, il semblerait que les auteurs considèrent que la réforme réalisée en 1999 n’a pas atteint ses objectifs.

Pour Adrian Zuckerman220, elle a même été contre-productive en ce qui concerne la réduction des coûts et la simplification des procédures. Pour cet auteur, les raisons de cet échec sont de deux ordres : les conséquences économiques perverses dans la disponibilité de services juridiques, qui rend irrésistible la tentation de compliquer et de prolonger le processus judiciaire ; et le rejet des impératifs de gestion par le service public. Les CPR ont ainsi acté le besoin d’une gestion effective et ont introduit l’infrastructure pour une bonne gestion en dotant les juridictions d’outils appropriés, mais ces dernières ont rejeté les principes de base de la gestion en considérant qu’ils étaient totalement en désaccord avec la justice, établissant dans les faits un droit à la mauvaise gestion.

Adrian Zuckerman critique également l’organisation de la procédure actuelle en ce qu’il regrette que la gestion du dossier soit laissée à des juges de la procédure et non pas à celui qui rendra la décision finale. Cela va même plus loin en ce que le juge de l’avant-procès n’est pas forcément unique : il est tout à fait possible qu’un premier juge donne ses indications pour la gestion du dossier à un stade précoce de l’affaire, puis que ce soit un deuxième juge qui soit chargé des problèmes de non respect de certaines instructions et un troisième qui ait à connaître d’une demande de relèvement d’une sanction pour non respect des délais. Il n’y a pas un juge unique responsable de l’avant-procès et qui puisse donc avoir le pouvoir d’initiative. Il existe cependant quelques exceptions devant le Commercial Court221 ou en ce qui concerne les actions de groupe.

Le Master Leslie nous a aussi donné son opinion sur les suites du rapport Woolf. Il explique l’existence d’une tension entre la maîtrise traditionnelle des parties (conception dite accusatoire du procès) et le nouveau pouvoir de direction donné aux juges (conception dite inquisitoire). Il estime que ce rapport a induit un changement de culture et oblige les parties à la coopération. Les nouvelles règles sont bonnes, mais leur application se heurte à des problèmes de moyens pour faire fonctionner le système comme il le faudrait. Il y a aussi une absence de contrôle informatisé de ce qui a été fait dans la procédure, ce qui complique beaucoup les choses. Il précise que s’il y a un problème, la sanction est financière222.

Neil Andrew223 avance pour sa part que si les ADR reçoivent un soutien aussi appuyé, c’est parce qu’ils sont plus flexibles que les jugements rendus par les tribunaux. Ils peuvent offrir un élément de succès à chacune des parties, contrairement à un jugement qui ne donne souvent qu’un seul vainqueur. L’accord a également un intérêt lorsque les parties sont amenées à avoir des relations continues après le litige qui les a opposées. Les ADR présentent

220

A. Zuckerman, « Litigation Management under The CPR : A Poorly-Used Management infrastructure », D. Dwyer (ed.), The Civil Procedure Rules Ten Years On, Oxford, 2009, p. 89.

221 Voir à ce sujet le code de procédure créé pour cette division du High Court : The Admiralty and Commercial

Courts Guide.

222

Voir à ce sujet Lord Justice Jackson : Review of Civil Litigation Costs : Final Report, 2009, [en ligne], http://www.judiciary.gov.uk/NR/rdonlyres/8EB9F3F3-9C4A-4139-8A93-

56F09672EB6A/0/jacksonfinalreport140110.pdf, consulté le 6 janvier 2012.

223 N. Andrews, The Modern Civil Process, Veröffentlichungen zum Verfahrensrecht 50, Mohr Siebeck, 2008,

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aussi un avantage indéniable en termes financiers. Ils se présentent en définitive comme un processus de l’ombre.

Mais ces procédures ont aussi leurs opposants farouches, à l’image de Owen Fiss (cité par Neil Andrews224) qui estime que ces modes de règlement des conflits constituent une privatisation de la justice. Neil Andrews reconnaît lui-même que ces accords (à propos des

settlements) ont des inconvénients : les parties ne mesurent pas toujours la portée de leurs

engagements, elles peuvent ne pas être sur un pied d’égalité pour négocier, l’une des parties peut user d’accords en sous-mains. Il indique aussi que le droit d’une partie à des dommages et intérêts civils ne devrait pas être atteint par un accord de ce type. L’évaluation des mérites doit être estimée, de façon précise et exacte, et toute la lumière doit être faite sur les malversations graves. Il reconnaît également qu’il serait certainement souhaitable que certaines procédures ne se concluent pas à la dernière minute de manière dissimulée afin d’éviter une publicité négative.

Pour ce qui est de l’Etat, lorsqu’il encourage les procédures contractualisées, son souci est de réduire l’encombrement des juridictions. Mais le problème posé par l’ensemble des mesures mises en place semble résider dans le double souci de désencombrer et de faire des économies sans fournir aux juges une formation adéquate sur les procédures de gestion des dossiers, ce que regrette Lord Woolf225.

A ce sujet, l’évaluation qui a été réalisée des techniques contractuelles de solution des litiges et d’administration de la justice – rapport du Civil Council Justice et Jackson Report sur les coûts en date de janvier 2010 – a soulevé des difficultés liées à des carences. Deux choses feraient en effet défaut au rapport Woolf et à la réforme qui s’en est suivie : une approche sur les coûts et une approche sur la nécessité de faire respecter le procès. On notera à ce sujet l’importance du travail réalisé par le Civil Procedural Law Commission qui examine les différentes questions liées aux moyens financiers et aux coûts226.

II. La contractualisation dans le procès pénal

141. Il existe en Angleterre et au Pays de Galles des procédures négociées dans le domaine pénal, qui ne semblent pas supporter d’exceptions quant aux catégories de justiciables ou aux types d’affaires auxquelles elles s’appliquent. Comme au Pays-Bas, la notion de contrat est mal perçue, elle n’existe pas pour Richard Crowley, malgré la note explicative envoyée avec le questionnaire, préalablement à tout entretien. Nicky Padfield estime, pas exemple, que le plaider coupable ne saurait entrer dans le domaine de la contractualisation, même si elle l’y inclut dans les faits en répondant à nos questions.

Notons par ailleurs, préalablement à tout développement, que les politiques pénales sont nationales, mais qu’une attention particulière est portée aux contraintes locales afin que les orientations prises reflètent les préoccupations des communautés locales. Le public doit en effet être convaincu de l’action de la justice. L’état d’esprit est donc actuellement celui d’un dynamisme général afin d’améliorer l’efficacité et d’éliminer les gaspillages à l’intérieur du système de justice pénale, ce qu’attestent les règles de procédure pénale (Criminal Procedure

Rules) déjà évoquées. Aucun indicateur associé aux objectifs poursuivis n’existe cependant de

manière consciente. Le système de justice pénale en Angleterre et au Pays de Galles est fragmenté entre de nombreuses agences qui disposent toutes d’indicateurs de performance

224 Idem, p. 203.

225 Lord Woolf, Avant-propos, D. Dwyer (ed.), The Civil Procedure Rules Ten Years On, Oxford, 2009, p. vii. 226 Voir en complément : M. Haravon, « Quel procès civil en 2010 ? Regard comparé sur l’accès à la justice

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répondant à leurs objectifs spécifiques. Ces dernières années, et cela continue, existe un projet d’harmonisation de ces indicateurs afin d’éliminer les résultats statistiques pervers. Il n’est donc pas possible aujourd’hui de déterminer de manière globale, en matière de contractualisation comme dans tout autre domaine de la matière pénale, les performances attendues et de considérer leur réalisation.