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Section I. Contractualisation et gestion de l’institution judiciaire I Les contrats d’objectifs

B. Le cas du procès pénal

130. Le cas du traitement des instances de manière générale ne sera pas repris ici car il en est de même que dans le domaine de la justice civile, même si les pre-action protocols n’ont pas d’équivalent en matière pénale. En revanche, il est intéressant de se pencher sur le traitement des procédures dans le domaine des instances particulières.

Dans le cadre du procès pénal, comme dans les développements relatifs au procès civil, c’est le cadre normatif qui prescrit au juge de conclure avec les parties un calendrier de procédure, sur la manière dont sera conduit l’ensemble de la procédure. Rien n’est prévu pour la gestion des dossiers en dehors des textes. Les procédures de gestion des dossiers s’appliquent sous des formes différentes à l’ensemble des dossiers susceptibles de trouver une issue devant un tribunal (magistrates’ court, Crown Court, etc.) mais ont toute pour objectif de rendre la justice plus efficace.

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Les règles concernant la gestion des dossiers dans la justice pénale se développent en Angleterre depuis une trentaine d’années et notamment depuis le milieu des années 1990 : vote du Criminal Procedure of Investigations Act en 1996, instaurant des dates butoirs et l’accès au dossier de la défense, et inversement, en particulier, au nom des témoins ; le Criminal Justice

Act de 2003 qui a régulé le pre-trial devant le Crown court et le magistrates’ court. L’objectif

central de l’avant-procès anglais d’aujourd’hui est de gérer le dossier afin que le cheminement vers la solution finale nécessite le moins d’audiences et de temps possibles et ce, en adaptant la procédure selon que la personne mise en cause plaide ou non coupable.

Il existe actuellement pour ce faire un certain nombre de principes applicables depuis 2005 à la gestion des dossiers : les Criminal Procedure Rules – il s’agit d’un équivalent des règles de procédure civile également mise en place par Lord Woolf avec le soutien des juges du

High Court – qui expriment de manière simple et concise les règles légales et de common law

s’appliquant aux procédures pénales. Ils sont complétés par des Consolidated Criminal

Practice Directions délivrés concurremment par le Lord Chief Justice et le Lord Chancellor

qui apportent des précisions sur la mise en œuvre concrète de certains de ces principes185. Il y a aussi un important pouvoir des juges qui délivrent parfois des protocoles pour certaines affaires. Ils en informent les avocats mais il y a peu de discussions, sinon informelles, en raison de leurs bonnes relations.

Les CPR sont entrées en vigueur le 4 avril 2005. Ils s’appliquent aux magistrates’

courts, aux Crown Courts et à la division pénale du Court of Appeal. Ils prévoient un code

procédural applicable à la gestion de la progression des dossiers, au sein des juridictions, d’application immédiate, même aux procédures en cours, qui régie les règles applicables de la première audience à la décision finale. Ces règles remplacent et consolident les règles existantes, notamment en prévoyant un objectif à atteindre pour toute procédure selon lequel les dossiers pénaux doivent être traités avec justesse, le code indiquant la manière de parvenir à cet objectif (CPR 1.1(2)). Ils doivent également être traités de manière efficace et rapide, ce qui dépend, selon la jurisprudence186, du respect du calendrier de procédure établi par les règles. Pour ce faire, les CPR sont divisées en dix parties principales qui suivent globalement la progression chronologique des dossiers criminels. Il existe, par ailleurs, des protocoles particuliers concernant les dossiers complexes et les affaires de terrorisme.

L’obligation de gestion des dossiers par le magistrates’ court se traduit par l’obligation de mettre en œuvre l’objectif primordial (overriding objectif). Concrètement, l’ensemble des participants ont le devoir de préparer et de conduire l’affaire en accord avec cet objectif et d’accomplir les prescriptions posées par les règles, mais aussi par tout practice direction pertinent ou indication particulière de la juridiction. Elles doivent également informer la juridiction de tout manquement dans l’accomplissement de ces devoirs, qui pourrait conduire à ne pas traiter de manière équitable le dossier, ce qui implique d’informer le juge, mais aussi les autres parties, et, au besoin de dénoncer celle d’entre elle qui ne respecterait pas les règles.

Par ailleurs, afin de remplir l’objectif d’efficacité imposé par les CPR, la juridiction et les parties doivent gérer le dossier activement (CPR : 3.2(1) et (2)) et la juridiction doit donner des indications afin de s’assurer que le dossier avance rapidement : le CPR 3.8 impose à la juridiction de donner des instructions, ce qui inclut, par exemple, l’établissement d’un calendrier de procédure. Elle doit aussi identifier le plus tôt possible les problèmes posés par le dossier, ce que confirme la jurisprudence187. Concernant les parties, le CPR 3.3 impose à la

185 Archbold Magistrates’ Courts Criminal Practice 2009, Thomson, Sweet and Maxwell, Londres, 2008, p. 300. 186 R (Robinson) v Sutton Coldfield Magistrates’ Court [2006] EWHC 307 (Admin).

187 R (DPP) v Chorley Justice [2006] EWHC 1795 (Admin) ; plus récemment : R (Lawson) v Stafford

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défense d’aider à identifier les réels problèmes posés par le dossier et d’être dans une attitude de coopération. L’une des nouveautés de ce système est la nomination par chaque partie d’un agent (ni barrister ni solicitor) recevant la responsabilité de l’avancement du dossier (CPR 3.4) dont les coordonnées sont à la disposition de chacune des parties. Cette personne est chargée de s’assurer que les parties respectent les instructions de la juridiction et d’alerter les autres parties de tout élément qui pourrait interférer avec la progression homogène du dossier.

Le nouveau système implique donc davantage l’ensemble des participants à la procédure en leur reconnaissant des droits mais aussi des devoirs, l’ensemble devant être pris en compte afin d’assurer un déroulement efficace de la justice, ce que traduit d’ailleurs la jurisprudence qui avait anticipé ce besoin188 et même indiqué que la fonction la plus importante du juge était de gérer le processus judiciaire189, ce qu’elle a confirmé sous l’empire des nouvelles règles190 en indiquant que non seulement le juge doit être solide dans les décisions de gestion du dossier qu’il prend, mais également les parties à qui on ordonne de faire des démarches. A cela s’ajoute que les décisions sur la gestion des dossiers ne peuvent habituellement (il existe des exceptions sur lesquelles le juge interrogé a été assez vague) pas faire l’objet d’un appel pendant la procédure. Elles peuvent en revanche être incluses dans un appel plus général après le jugement de l’affaire.

Il ressort de ces règles, à titre d’exemple, que le déroulement de la procédure devant le

magistrates’ courts ressemble aujourd’hui au schéma suivant :

1) Si la personne mise en cause plaide coupable, on peut s’attendre à ce que le dossier soit traité lors de la première audience.

2) Si l’on peut penser que la personne ne plaidera pas coupable, des étapes préliminaires sont prévues lors de la première audience afin de préparer le procès, ce qui inclut au premier chef la question de la représentation légale. Outre ce point, les procédures avant-procès consistent en recevoir le plaidoyer et prendre des instructions concernant les différents points du procès et les révélations. Lorsque l’infraction en cause est triable only on indictment ou either way, il est habituel que, lors de la première audience, la procédure utilisée soit celle de plea before venue, mode de procès et renvoi ou transfert devant le Crown Court (lorsque cela est réalisable). En pratique, un ajournement sera cependant nécessaire avant que le dossier puisse faire l’objet d’une audience de mise en accusation au Crown Court pour le procès.

Dans tous les cas, le non respect de ces contrats de procédure peut être sanctionné : le juge peut ainsi décider d’arrêter une affaire si rien n’est fait. Mais il semble qu’en pratique le recours à la sanction soit peu appliqué en matière pénale car le retrait du dossier peut être préjudiciable pour la victime (rien n’est prévu dans les règles de 2005). Le but est davantage d’encourager chacun à regarder honnêtement sa charge de travail et à considérer ses priorités. Il y a une forme de responsabilisation des parties. Il convient d’ajouter que certaines juridictions, comme celle de Manchester, ont sanctionné les parties en les convoquant pour des audiences les vendredis après-midi. Il existe également une possibilité, à la fin de l’affaire, de jouer sur les wasted cost orders afin de compenser le non respect des règles par l’une ou l’autre partie, avec cette limite cependant qu’ordonner une sanction financière au représentant du CPS revient simplement à déplacer une somme d’argent d’un service de l’Etat à un autre, ce qui réduit singulièrement l’impact de cette sanction. D’après le juge Saunders, elle est en fait rarement mise en œuvre. En tout état de cause, il semble qu’il y ait un respect naturel des

barristers pour l’ensemble de ces règles car ils souhaitent pour un grand nombre d’entre eux un

jour devenir juge. Même si les relations sont différentes dans les magistrates’ courts, le

188 R. v. Jisl and Tekin, The Times, 19 avril 2004. 189 R. v. Chaaban [2003] Crim. L.R. 658, CA. 190 R. v. Phillips [2007] 5 Archbold News 2, CA.

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professeur Spencer indique que les résultats sont identiques et que le respect des règles est existant car tout le monde se connaît.

Enfin de manière plus large, en cas de non respect des règles posées par le CPR, la jurisprudence Musone191 a indiqué le grand principe applicable selon lequel il est rare que le juge exclut des preuves substantielles uniquement parce qu’elles sont apportées en dehors des délais, mais il est normal de les exclure si cela doit permettre d’assurer l’équité procédurale (en l’espèce la partie sanctionnée essayait de manœuvrer la procédure à son avantage). Cette décision a été confirmée dans d’autres domaines procéduraux comme l’atteste la décision R

(Robinson) v Abergavenny Magistrates’ Court192.

Les avis sont partagés quant au risque de tels accords pour le système judiciaire. La seule personne à avoir émis de sa propre initiative des réserves sur cette procédure est le professeur Bell. Il estime que le règlement de l’ensemble des délais peut avoir l’effet inverse à celui attendu en ce que si une affaire « tombe » à la dernière minute en raison d’un problème procédural ou d’un plaider coupable tardif, le juge se trouve désœuvré étant donné la programmation qui est opérée en amont de chaque affaire. Nicky Padfield a également évoqué ce type de difficulté en parlant de sa pratique en tant que juge à mi-temps.

Exemple concret d’une audience de gestion de dossier (Crown Court, Cambridge, 17 mars 2010)

L’audience de gestion de dossier à laquelle nous avons assisté a été entendue par le High Court Judge, M. Justice Saunders, chargé de juger ultimement une affaire de viol impliquant uniquement des mineurs.

Les deux enfants accusés de viol devaient être jugés à la même date que celle où se tenaient leurs examens. L’audience avait donc pour objet la négociation de la date du procès que les avocats des enfants demandaient à changer.

Préalablement à l’audience qui se tient dans la salle d’audience normale du tribunal, l’assistant du juge lui a indiqué la présence de la presse qui demandait à ce qu’il explicite son interprétation d’un texte de loi sur les procès impliquant des enfants. Le juge leur a donc donné donc son interprétation en présence de l’ensemble des parties dans la salle d’audience et a insisté sur le fait que les enfants ne devaient en rien être identifiables à la lecture de leurs articles.

Pour ce qui est de la question procédurale posée lors de l’audience, le juge a pris en compte les intérêts de l’ensemble des protagonistes et décidé qu’il n’y aurait pas de changement de date.

Il a ensuite réglé avec les avocats différents aspects organisationnels de la procédure : organisation de l’audience de jugement (lieu, horaires, pauses, etc.). Pour les aspects pratiques, il a expliqué aux parties qu’il n’avait jamais eu à connaître un tel type d’affaire impliquant des enfants. Il a donc demandé au représentant du

CPS de trouver une salle sans estrade et d’organiser matériellement le procès (lui précisant qu’en cas

d’impossibilité, il le demanderait à quelqu’un d’autre). Le représentant du CPS a accepté et a donc été tenu d’informer le juge des arrangements matériels par mél.

S’est ensuite posée la question du nombre d’avocats présents lors de cette audience. Le juge a insisté sur la réduction de leur nombre pour chaque partie afin de faciliter le travail d’audition des enfants. Il a ensuite donné des instructions quant à certains délais à respecter par les parties dans l’accomplissement de plusieurs actes et insisté sur le respect des délais butoirs en responsabilisant les avocats. Il ne peut pas y avoir de sanction en tant que telle, mais le juge a précisé qu’il demanderait des explications sur les retards et attendait de bonnes raisons s’il y en avait.

191 [2007] 1 WLR 2467.

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C. Le cas du procès administratif

131. En matière d’administration de la justice, il pourrait être fait référence à un

Tribunals Concordat dont parle Lord Carnwath mais rien de concret n’a pu être établi193.

Concernant le rôle de la contractualisation dans l’administration des tribunaux, selon Fox Leueen, il n’y a pas d’accords entre les juridictions et les barreaux, associations d’avocats, etc., en vue d’améliorer l’administration de la justice.

Il n’y a pas non plus, selon Fox Leueen, d’« approche contractuelle » au niveau de l’administration de la justice par le Tribunals Service. Ce qu’il y a, selon elle, dans certaines juridictions, ce sont des instructions pratiques qui spécifient quand la preuve doit être présentée, etc.

Fox Leueen fait une distinction entre les accords sur les pratiques et le « case

management », qui peut soit compléter ces « agreements » soit les remplacer dans certaines

juridictions.