• Aucun résultat trouvé

La jurisprudence CREPIN et la qualification d’établissements publics administratifs de l’Etat

d’identification des établissements du réseau des chambres de commerce et d’industrie

Paragraphe 1. La recherche de la nature juridique des établissements du réseau des chambres de commerce et d’industrie

B. La jurisprudence CREPIN et la qualification d’établissements publics administratifs de l’Etat

Le Conseil d’Etat a ainsi considéré, pendant plus de cinquante ans, que les chambres de commerce et d’industrie étaient des établissements publics sui generis. Jusqu’alors, et en vertu d’une tradition ancienne et jamais démentie, les chambres de commerce et d’industrie sont considérées comme des établissements publics (loi du 9 avril 1898) ; des établissements publics administratifs94 ; des établissements publics administratifs compétents pour gérer des services publics tant administratifs (établissement d’enseignement technique ou commercial) qu’industriels et commerciaux (docks, aéroports).

La nature juridique des chambres de commerce et d’industrie se caractériserait par quatre éléments : un régime juridique assez particulier, dont les bases demeurent souvent législatives et qui concernent des domaines très importants (élection des organes de direction, régime financier et fiscal, personnel administratif, etc.) ; une vocation propre, qui n’est pas seulement celle de gérer des services publics divers mais aussi de faire connaître aux pouvoirs publics l’opinion et les avis du monde de l’industrie et du commerce ; une absence de rattachement à la catégorie95 des établissements publics de l’Etat (ou établissements publics nationaux) ; le fait que, pour autant, les chambres de commerce et d’industrie ne sont pas des établissements publics locaux, et encore moins des assemblées délibérantes des collectivités territoriales au sens de l’article 34 de la Constitution.

C’est ainsi que Jacques MOREAU, dans un avis sur l’éventuel rattachement des chambres de commerce et d’industrie à la « classe » des établissements publics administratifs de l’Etat, conclut sur la nature juridique des chambres de commerce : « Au total, la situation des chambres de commerce et d’industrie est singulière,

ambiguë peut-être, mais surtout profondément originale. L’autonomie dont elles bénéficient doit se concilier avec la tutelle de l’Etat ; elle s’enracine dans l’histoire, explique qu’elles ne constituent pas des « administrations » et qu’elles expriment une

94 CC, 30/12/1987, n° 87-239 DC.

95 Il ne faut pas confondre le mot « catégorie » avec le terme les « catégories » d’établissements publics visées par

certaine forme de décentralisation (fonctionnelle, et non territoriale) face à l’Etat

centralisé, et que l’on appelle couramment la « représentativité des intérêts » ».96

Un contentieux disciplinaire opposant un agent d’une chambre d’agriculture, Monsieur CREPIN97, à son employeur public pose la question de l’applicabilité de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires aux agents des chambres d’agriculture et plus globalement aux agents des chambres consulaires. Profitant de ces faits d’espèce, le Conseil d’Etat va longuement analyser la nature juridique des institutions consulaires.

Le commissaire du gouvernement LAMY, dans ses conclusions sur cet arrêt du 29 novembre 199198, démontre que l’interprétation selon laquelle les chambres de commerce et d’industrie ne seraient rattachées à aucune collectivité publique est contestable et « paraît confondre deux notions distinctes. La première est celle du

champ de compétence géographique de l’établissement, la seconde est celle de la collectivité de rattachement de l’établissement public considéré. Les chambres consulaires départementales ont, comme leur statut le prévoit, une compétence départementale mais comme tous les autres établissements publics, elles sont nécessairement rattachées à une personne publique, celle qui les a créées, les contrôles, et auprès de laquelle elles exercent leur mission. Dans le silence de la loi, vous admettrez qu’elles sont des établissements publics de l’Etat. Créées par l’Etat, c’est sous son contrôle qu’elles exercent leur mission. Enfin dans une étude de 1985 consacrée aux établissements publics nationaux, publiée à la documentation française, la section du rapport et des études classait les chambres départementales d’agriculture, de commerce et de métiers parmi les établissements publics nationaux. » Selon l’arrêt CREPIN, les chambres d’agriculture sont donc des

établissements publics administratifs de l’Etat. Se pose alors la question de la

96 MOREAU Jacques, Avis sur l’éventuel rattachement des chambres de commerce et d’industrie à la classe des établissements publics administratifs de l’Etat (en réponse à une demande de consultation formulée par lettre du directeur général de la CCIP), 26/08/1992.

97 CE, 29/11/1991, Crépin, req. n° 86346.

98 LAMY Francis, Le particularisme du statut du personnel des chambres d’agriculture, conclusions sur CE, 29/11/1991, Crépin, req. n° 86346, RFDA 1992. 884.

conséquence de cette qualification juridique des chambres d’agriculture pour les autres chambres consulaires françaises99.

Concernant les chambres de commerce et d’industrie, le ministre délégué à l’industrie et au commerce extérieur a donc saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis portant notamment sur le point suivant : « les compagnies consulaires

doivent-elles continuer à être considérées comme des établissements publics à caractère sui generis et, dans l’affirmative, comme exclues du champ d’application des textes qui visent, non pas les établissements publics en général, mais exclusivement les établissements publics de l’Etat ? » Les termes mêmes des motifs

introductifs à cette demande d’avis laissent présager que le Conseil d’Etat rende « un

arrêt important (CREPIN / chambre d’agriculture des Ardennes du 29/11/1991) en ce qu’il est susceptible d’être interprété comme un revirement de jurisprudence ». Le

ministre en déduit, d’une part, que « les compagnies consulaires pourraient être

considérées désormais comme des établissements publics de l’Etat et non plus comme des établissements publics « sui generis », au moins pour ce qui est du statut de leurs personnels administratifs », d’autre part et en conséquence, que « ces derniers bénéficieraient implicitement du statut des agents de l’Etat (loi du 13 juillet 1983), dès lors que le statut particulier aux compagnies consulaires ne leur a pas été étendu. » Il souligne enfin que « ces questions sont primordiales puisqu’elles touchent au statut même des compagnies consulaires, à un moment où a été engagée une réforme d’envergure sur la gestion des chambres de commerce et d’industrie et, en particulier, sur leurs règles budgétaires et comptables (cf. décret du 10 juillet 1991 et arrêtés d’application). »

Le libellé de ces questions ainsi que les explications qui les précèdent appellent plusieurs remarques. Tout d’abord, le ministre tient pour acquis que les compagnies consulaires ont toujours été considérées, jusqu’à cet instant, comme des

99 Maître Michel COSSA relève dans ses observations pour l’ACFCI sur la demande d’avis n° 351 654 qu’ « il convient liminairement de distinguer l’autorité de chose jugée de l’arrêt Crépin, qui est seule susceptible de s’imposer à la section des finances, de sa portée dans un système prétorien. Seules ont l’autorité absolue de la chose jugée les décisions des juridictions administratives prononçant une annulation pour excès de pouvoir. […] Or, abstraction faite de conclusions à fin d’annulation d’une sanction sans intérêt en l’espèce, l’arrêt Crépin statue sur un litige de plein contentieux entre M. Crépin et la chambre d’agriculture des Ardennes. Il n’a donc que l’autorité relative de la chose jugée qui suppose une identité de parties, d’objet et de causes. Il n’y a donc à ce titre aucune force contraignante pour la section des finances. Et ce d’autant plus que l’on verra que les chambres de commerce et d’industrie ne peuvent être complètement assimilées aux chambres d’agriculture, notamment en ce qu’elles jouissent d’une plus grande autonomie que celles-ci. »

établissements sui generis, de telle sorte que l’arrêt CREPIN constituerait un revirement de jurisprudence. De plus, le ministre s’interroge essentiellement sur le statut applicable à l’ensemble du personnel administratif des chambres consulaires.

En réponse à cette demande, le Conseil d’Etat considère dans son avis du 16 juin 1992100 que les chambres de commerce et d’industrie ne sont pas des établissements « sui generis » mais qu’elles relèvent, comme les chambres d’agriculture101, de la catégorie des établissements publics administratifs. Les chambres consulaires n’entrent donc pas dans la catégorie des établissements publics à caractère industriel et commercial, car l’exercice d’une activité économique n’est pas obligatoire pour elles. Toutefois, il s’agit d’une catégorie très spécifique d’établissements publics dont les organes dirigeants sont élus et dont l’objet est de représenter librement les intérêts commerciaux et industriels de leur circonscription auprès des pouvoirs publics.

En l’espèce, pour le Conseil d’Etat, « il résulte de la décision de la section du

contentieux du Conseil d’Etat n° 86 346 M. Crépin en date du 29 novembre 1991 que les chambres d’agriculture sont des établissements publics administratifs de l’Etat ; or pour l’application de cette jurisprudence, les chambres de commerce et d’industrie sont des établissements publics de même nature que les chambres d’agriculture. Dans ces conditions, les textes visant d’une manière générale l’ensemble des établissements publics administratifs de l’Etat, devraient en principe s’appliquer à ces chambres. Toutefois, de tels textes ne sauraient s’appliquer de plein droit dans les cas suivants : il existe des dispositions dérogatoires expresses, comme cela a été le cas dans la décision CREPIN, où la loi de 1952 faisait obstacle à l’application des lois des 13 juillets 1983 et 11 janvier 1984 ; même en l’absence de telles dérogations expresses, les chambres de commerce et d’industrie doivent être regardées comme exclues du champ d’application des textes généraux concernant les établissements publics administratifs de l’Etat si ces textes ne sont pas conciliables avec les principes résultant de la loi du 9 avril 1898 ; il s’agit en effet d’une catégorie très spécifique d’établissements publics, dont les organes dirigeants sont élus et dont l’objet est de représenter librement les intérêts commerciaux et industriels de leur circonscription auprès des pouvoirs publics ; le fait qu’ils soient rattachés à l’Etat,

100 CE, 16/06/1992, avis n° 351.654.

dès lors que tout établissement public doit être techniquement rattaché à une personne morale, n’implique en lui-même aucune subordination ; enfin, en admettant même que les dispositions des textes généraux ne soient pas directement contraires aux principes de la loi du 9 avril 1898, les chambres de commerce et d’industrie peuvent être regardées comme exclues de leur champ d’application si, en raison des règles propres d’organisation et de fonctionnement des chambres, ces nouveaux textes ne peuvent entrer

en vigueur à leur égard qu’en vertu de modalités spécifiques d’application. »102

Toutefois, concernant l’appréciation de la portée de l’arrêt CREPIN, Maître Michel COSSA, dans ses observations pour l’Assemblée permanente des chambres françaises de commerce et d’industrie sur la demande du présent avis, considère que « si l’on se tient à ce que l’arrêt [CREPIN] décide, il est strictement conforme au

droit antérieur, tant sur le régime juridique que sur la nature juridique des compagnies consulaires. Ce n’est qu’au regard des conclusions de M. LAMY que cet arrêt est susceptible d’être interprété comme constituant une remise en cause implicite de leur nature juridique d’établissement public « sui generis », mais il s’agit alors d’un véritable revirement qui ouvre en toutes matières une inopportune ère d’incertitudes préjudiciables au bon fonctionnement des compagnies consulaires et porteuses tant d’une inflation de textes législatifs et réglementaires spécifiques que d’une multiplication des recours contentieux. »

Il est à noter que les conclusions du commissaire du gouvernement LAMY sur l’arrêt CREPIN ont été critiquées tant dans les observations de Maître Michel COSSA que dans l’analyse de Jacques MOREAU. Selon ce dernier, « la démonstration

effectuée par le commissaire du gouvernement repose sur une évidence, une pétition de principe, et deux arguments dont seul le second semble pertinent. » Il a été

reproché au commissaire du gouvernement de baser sa démonstration sur l’évidence selon laquelle tout établissement public, en raison de sa nature même et de la spécialisation qui lui est propre, est soumis à la tutelle de l’Etat. Les chambres de commerce et d’industrie sont donc soumises à la tutelle exercée sur elles par les autorités de l’Etat. Mais il ne serait pas rigoureux d’en déduire que cette tutelle fait présager le rattachement. En effet, avant les réformes de décentralisation de 1982,

tous les établissements publics locaux étaient soumis à la tutelle de l’Etat et cette donnée ne faisait aucunement obstacle à leur rattachement aux communes ou aux départements103. Telle semble d’ailleurs être l’opinion du Conseil d’Etat dans l’avis du 16 juin 1992104, lorsqu’il précise que : « le fait qu’ils soient rattachés à l’Etat […]

n’implique en lui-même aucune subordination ». Il constate ainsi que « tutelle » et

« rattachement » semblent être deux réalités distinctes qui ne peuvent pas être confondues. Le commissaire LAMY fait reposer son argumentation sur une affirmation selon laquelle « tous les établissements publics sont par ailleurs,

nécessairement, établissements de l’Etat ou d’une ou de plusieurs collectivités locales et il en va de même pour les chambres consulaires ». Cette affirmation est

reprise, sans pour autant avoir été démontrée, par le Conseil d’Etat dans l’avis du 16 juin 1992 : « tout établissement public doit être techniquement rattaché à une

personne morale ».

Jean-Claude DOUENCE démontre au contraire que le rattachement n’est pas un élément consubstantiel de la définition de l’établissement public, sauf pour les auteurs qui confondent tutelle et rattachement. La doctrine moderne semble plus circonspecte en se bornant à constater qu’ « en principe », les établissements publics sont rattachés à l’Etat ou aux collectivités territoriales. Cependant, tout principe laisse la possibilité d’exceptions. Notons enfin que pendant plus de cinquante ans, cette absence de rattachement des chambres de commerce et d’industrie exprimait l’originalité de ces institutions.

Paragraphe 2. L’absence de consécration de la nature juridique des

Outline

Documents relatifs