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Deux Conseils européens se tiennent ainsi à Maastricht en décembre 1991, et un compromis est atteint sur le projet de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) par les accords des 9 et 10 décembre. Le texte du futur Traité s’appuie largement sur les deux propositions anglo-italienne et franco-allemande d’octobre 1991. La préparation du Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, représente l’acte fondateur d’une possible identité européenne de défense. Son article J4 §1 dispose :

« La politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune. » 527

Il s’agit du titre V du Traité instituant la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC). Les négociations, exigeant technicité et discrétion, sont conduites par des cercles limités d’acteurs politiques et diplomatiques issus des Etats-membres, et en l’occurrence des mêmes acteurs qui s’occupent du dossier au niveau franco-allemand depuis 1990 à l’Elysée,

524 Cf. Pierre Favier-Michel Martin-Roland, op. cit.

525 Nous avons montré plus haut qu’Helmut Kohl et François Mitterrand ont adressé plusieurs lettres au Président du Conseil Européen en 1990-1991, et multiplié les initiatives en direction d’une union politique.

526 Yannick Barthe, Le recours au politique ou la problématisation politique par défaut, in Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, Coll. « Socio-histoires », 2002, p. 478.

527 Nous soulignons. Le titre V sur la PESC figure intégralement à l’annexe 8.4. Pour Daniel Vernet, journaliste au monde, il s’agit là d’un « chef d’œuvre de langue de bois diplomatique ». Daniel Vernet, « Une avancée prudente vers la défense commune », Le Monde, 28 mars 1996.

à la Chancellerie et dans les ministères des Affaires étrangères à Paris et Bonn. La position d’Elisabeth Guigou est centrale dans la genèse des idées apportées sur la table européenne. Certes avec Maastricht, un saut qualitatif se produit par la création de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC), même s’il s’assortit d’un consensus des Etats-membres pour maintenir l’OTAN comme ultime instance de sécurité européenne. Cette démarche s’inscrit dans un mouvement d’ensemble de renforcement du symbolisme politique européen avec le lancement de l’UEM et la perspective de monnaie unique. Néanmoins, dès 1984 l’analyste peut trouver trace dans des notes secrètes issues des discussions franco-allemandes entre la cellule diplomatique et la Chancellerie de l’idée d’une « politique étrangère commune » et d’une « politique de sécurité commune de l’Europe en tant que pilier essentiel de la politique de l’Alliance atlantique » et une « politique commune de l’armement » comme objectifs à fixer dans le processus de construction européenne528. Néanmoins c’est bien la première fois que la notion de « défense » apparaît dans un texte officiel communautaire. La sécurité et la défense touchent effectivement au cœur des attributs de la souveraineté étatique, ce qui explique les réticences rencontrées lorsqu’apparaît l’hypothèse de délégation des choix à effectuer en matière de politique étrangère et de défense.

L’usage de l’outil proposé par Paul Sabatier, soit le modèle des coalitions de cause, offre ici encore un outil fécond pour décrypter les termes du compromis529 : plus on s’approche du deep core (ou policy core, noyau dur du système de croyance des acteurs), plus les différents acteurs resteront crispés sur leurs positions propres. Et le corollaire de cette hypothèse est que les acteurs seront plus facilement enclins à céder du terrain sur les aspects secondaires de leur système de croyances touchés par l’action publique envisagée car une modification concernant les aspects secondaires n’entraînera pas de véritable remise en cause de la doctrine d’action publique globale, en l’occurrence des choix de politiques de défense antérieurs considérés comme fondement de la doctrine militaire d’un Etat. De même, le niveau de conflictualité du débat engagé est déterminant dans la recherche d’un compromis politique : si le niveau de conflictualité entre les parties prenantes est trop élevé, celles-ci se raidiront sur leurs positions et ne parviendront pas à tomber d’accord ; si ce niveau est trop bas, l’enjeu est perçu comme négligeable. En fait, le compromis qui marque fréquemment le lancement d’une politique publique se réalise par l’interaction d’acteurs, ou

528

Termes soulignés par l’auteur des notes. Notes de Pierre Morel à François Mitterrand, reproduites in Roland Dumas, op. cit., p. 390. En ce qui concerne l’armement, il faut attendre la création de l’Agence Européenne de Défense et d’armement (AED) en 2006.

529 Paul Sabatier, Hank Jenkins-Smith (dir.), op. cit. Cf. également l’article de Henri Bergeron, Yves Surel et Jérôme Valluy, « L’Advocacy Coalition Framework, Une contribution au renouvellement des études de politiques publiques ? », art. cit.

de coalitions d’acteurs comme c’est le cas avec le Traité de Maastricht sur l’enjeu de défense, un sujet à fort potentiel conflictuel.

Pour en revenir à la solution adoptée quant au lien UEO/UE, l’UEO se présente à la fois comme la « composante de défense de l’Union européenne et comme moyen de renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique […] ; elle formulera une politique européenne de

défense commune et veillera à sa mise en œuvre concrète en développant plus avant son

rôle opérationnel »530 (article J4 § 2). C’est bien dans la perspective de ce rôle opérationnel qu’intervient la genèse du Corps Européen. La solution arrêtée est susceptible d’évoluer, en fonction des événements531. Le compromis d’une UEO, à la fois bras armé de l’Union532 et pilier européen de l’Alliance, consiste en une reprise des ambitions du plan Genscher-Colombo échoué et de la réactivation de l’UEO. Tout accord international reflète tant les négociations entre les diverses parties impliquées que leur prise de conscience de partager une communauté d’intérêts. Ce sont bien deux coalitions transnationales, ou camps adverses, qui portent les deux projets en lutte sur la question de la défense européenne qui transparaissent dans ce compromis : d’un côté, les délégations française et allemande rejointes par l’Italie, l’Espagne, la Belgique et le Luxembourg533 souhaitent confier à l’UE la responsabilité de l’élaboration de la politique européenne de sécurité commune, dans la lignée de la CED, du plan Fouchet et de la CPE ; de l’autre, la Grande-Bretagne ralliée par les Pays-Bas et le Portugal refuse un renforcement et une inclusion de l’UEO534 au sein de l’UE et insistent sur le développement d’un pilier européen au sein de l’Alliance. L’Irlande et le Danemark quant à eux entendent maintenir la PESC dans un cadre uniquement civil.

530 Extrait de la Déclaration des Etats membres de l’UEO, rapporté par Jean-François Guilhaudis, La

réorganisation du système de sécurité occidental en Europe, op. cit., pp.7-10. 531

Les trois directions possibles sont : la première, dans la logique de la direction tracée par Maastricht, c’est à dire celle de la fusion/absorption de l’UEO par l’Union européenne, ce qui représente la solution la plus satisfaisante lorsque l’on considère la perspective de bilatéralisation de l’Alliance atlantique; la seconde voie, une réabsorption de l’UEO par l’OTAN, soit un retour en arrière ; la troisième voie, un renforcement de l’UEO qui tendrait à se distinguer dans l’Alliance atlantique mais préserverait son autonomie par rapport à l’UE.

532 L’article J4 donne mandat à l’UEO pour « élaborer et mettre en œuvre les décisions et actions de l’Union européenne qui ont des implications dans le domaine de la défense ».

533 La Grèce s’est après quelques hésitations ralliée à cette coalition « européiste » et a même demandé son adhésion à l’UEO.

3.2. Maastricht, une avancée symbolique mais mitigée pour le couple

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